Au début des années soixante, dans une université de province, Anne (Anamaria Vartolomei) suit des études de lettres pour s’affranchir du milieu populaire dont elle est issue et pour réaliser un rêve : l’écriture. Elle vit l’existence banale des jeunes filles de son âge : la succession des cours, la sororité de ses voisines de Cité U, quelques flirts plus ou moins poussés…
La vie d’Anne bascule lorsqu’elle découvre sa grossesse. Sa réaction est immédiate : elle avortera. Mais comment faire ?
Annie Ernaux – qui fait la couverture de Télérama cette semaine – est décidément à la mode. Après Passion simple l’été dernier, adapté d’un court récit autobiographique publié en 1992, après J’ai aimé vivre là, où le documentariste Régis Sauder la filme à Cergy-Pontoise, où elle s’est installée depuis une quarantaine d’années, voici L’Evénement, adapté d’un récit tout aussi court et tout aussi autobiographique, publié en 2000. L’écrivaine y revenait sur un « événement » fondateur dans sa vie : l’avortement clandestin qu’elle avait subi en 1963 alors qu’elle suivant des études de lettres à Rouen.
L’Evénement est un récit profondément personnel qui raconte, en une centaine de pages à peine, un drame intime. L’écriture d’Annie Ernaux est blanche, dénuée de tout psychologisme. L’auteure raconte, près de quarante ans après les faits, les démarches qu’elle avait entreprises pour mettre en oeuvre son projet : l’indifférence embarrassée du père de l’enfant qui la renvoie à sa propre solitude, l’impossibilité de se confier à ses parents, les visites médicales auprès de docteurs franchement hostiles à l’avortement ou trop peureux pour y être associés, les amis sollicités sans succès et finalement la faiseuse d’anges et la terreur qu’inspire le dénuement de son appartement et les instruments qu’elle utilisera pour fouiller sa chair.
Mais aussi personnel soit-il, L’Evenement est un récit universel. Mieux que de longs discours, il raconte l’angoisse et la honte qu’une grossesse non désirée fait naître dans un temps et dans un lieu où l’interruption volontaire de grossesse n’existe pas – ou n’existe pas encore. Il nous fait ressentir avec une force inédite le traumatisme qu’elle provoque, la peur qu’elle suscite. Peur sociale d’être démasquée et de passer à tout jamais pour une « salope ». Peur physique face aux gestes auxquels il faudra procéder, seule dans sa chambre d’étudiante ou dans l’appartement de la faiseuse d’anges, face à la douleur et face aux risques de complication.
C’est l’ensemble de ces émotions que l’adaptation d’Audrey Diwan (dont le premier film, Mais vous êtes fous, avait laissé augurer le talent) restitue. Elle y parvient grâce à un respect scrupuleux du texte et à un procédé très efficace : suivre à chaque pas l’héroïne, la filmer par-dessus son épaule dans ses allers-retours ou en gros plan très serré pour capter sa fébrilité et son angoisse qui monte. Son film est tendu comme un arc, sec comme une trique. Il ne connaît pas un instant de répit. La tension culmine pendant l’avortement proprement dit. Pas un bruit dans la salle, pourtant comble. Chaque spectateur, homme ou femme, retient sa respiration et partage avec la jeune Anne l’angoisse et la peur qui la submergent.
Le succès de L’Evénement doit beaucoup à son interprète principale. On avait déjà repéré la jeune franco-roumaine Anamaria Vartolomei. On l’avait vue à onze ans à peine interpréter la fille d’Isabelle Huppert (sic) dans My Little Princess, puis tenir des rôles secondaires dans Le Semeur, L’Echange des princesses, Just Kids, La Bonne Épouse… Son talent explose dans L’Evénement. Une star est née.