C’est l’histoire, à la fois banale et extraordinaire, d’une famille pauvre égyptienne. Le père est ouvrier dans une usine et y occupe un logement, exigu et insalubre. La mère veille sur ses trois enfants en bas âge. Pour l’anniversaire de l’aîné, un prestidigitateur incompétent rate son tour de magie, fait disparaître le père et le transforme… en gallinacé. La mère signale sans succès la disparition de son époux à la police et sollicite même un marabout et un vétérinaire. Se résignant à son sort, elle tente tant bien que mal de prendre les rênes du foyer et de faire face aux créanciers qui l’assaillent.
Plumes est un film déroutant, à mi-chemin du documentaire et de l’allégorie. Il n’a rien de drôle ni de burlesque sinon le prétexte passablement surréaliste sur lequel il est construit. Il est tourné en plans fixes – une originalité à une époque où une image tremblotante, filmée à bout de bras, au mépris des spectateurs migraineux, semble être la règle – d’une longueur variable. Certains durent à peine quelques secondes, d’autres plusieurs minutes. Quasiment aucune parole n’est échangée. L’action se déroule souvent hors-champ.
Ce formalisme exigeant peut susciter l’admiration. Je ne lui trouve quant à moi aucun intérêt en lui-même sinon celui de se mettre au service d’un propos. Ce propos se résume à peu de chose : la dénonciation de la condition féminine en Égypte, de la subordination de la femme à l’homme. Bien sûr, cette dénonciation est nécessaire. D’autres films s’y sont déjà d’ailleurs employés en Égypte ou au Maghreb : ainsi des Femmes du bus 678 de Mohamed Diab en 2011, du marocain Much Loved, du tunisien À peine j’ouvre les yeux, de l’algérien À mon âge je me cache encore pour fumer…
On a vite compris l’horreur de la condition féminine en Égypte à travers les avanies que doit subir en silence l’héroïne de Plumes : d’abord sa soumission à son mari, un idiot machiste, ensuite les humiliations qui lui sont infligées par le chef d’ilôt qui refuse de l’aider et par un cousin libidineux qui voudrait abuser d’elle, etc.
Les plans fixes se succèdent et se répètent. On pense au cinéma nordique de Aki Kaurismäki ou de Roy Andersson. Leur sens n’est pas toujours clair. On y voit des personnages crasseux échanger des billets froissés dans des locaux lépreux. Aux deux tiers du film – qui dure près de deux heures – un coup de théâtre dont on ne dira rien relance l’action. Mais il est déjà trop tard pour réveiller le spectateur qui a lentement sombré dans l’ennui…