Chevalier noir raconte, à Téhéran, de nos jours, la vie de deux frères aussi dissemblables que possible, qui vivent après la mort de leur mère, avec leur père, un héroïnomane à bout de souffle, dans une maison décatie sur les hauteurs de la ville.
L’aîné, Iman, est un dealer dont les trafics et la cavalerie qui les financent sont de plus en plus périlleux. Le cadet, Payar, un champion de boxe thaï qui débute peut-être une histoire d’amour avec Hanna, une voisine fraîchement divorcée, revenue de France avec un fils, est plus placide.
Le cinéma iranien ne cesse de nous surprendre, qui nous expédie à flux régulier des pépites, souvent noires. Parmi elles, La Loi de Téhéran, une plongée asphyxiante dans le monde des trafiquants de drogue et dans celui des policiers qui les traquent, avait connu, en 2021, un succès mérité. Juste une nuit nous faisait partager l’angoisse en temps réel d’une mère célibataire condamnée à cacher à ses parents de passage à Téhéran l’existence de son nouveau-né conçu hors mariage. Leila et ses frères dressait le portrait d’une bruyante fratrie tutoyant les limites de la légalité pour réussir en affaires. Les Nuits de Mashhad menait l’enquête sur les assassinats de plusieurs prostituées par un tueur en série. Les Enfants du soleil avait pour cadre une école de quartier et pour héros une bande d’enfants abandonnés à eux-mêmes à la recherche d’un trésor. La liste pourrait s’allonger presqu’indéfiniment : Marché noir, Le Pardon, Le diable n’existe pas, Un héros, etc.
Le défaut de Chevalier noir est de se noyer dans cette masse où la compétition est rude : j’avais donné à chacun de ces films, secs comme un nerf de boeuf, tendus comme un arc, bercés par la sublime musique du farsi à laquelle je ne résiste pas, deux ou trois étoiles.
Pourtant il a de sacrés qualités.
La principale est son écriture. La tension ne se relâche jamais alors que le scénario n’est pas construit autour d’un événement unique mais donne l’impression de raconter une tranche de la vie d’Iman et de Payar, filmée sur le vif. Ce choix était casse-gueule. Difficile de résumer le film d’une phrase, difficile même d’en désigner le héros : Iman ? Payar ? les deux ?
Tourné en Iran, sans doute en jouant à cache-cache avec la censure, Chevalier noir n’est pas tendre avec le régime des mollahs dans le tableau apocalyptique qu’il fait des dessous de la société iranienne composée, à l’en croire, de riches dépravés et de pauvres drogués. On ne verra jamais la police ni aucun corps constitué ; mais pourtant, peut-être parce que le spectateur occidental projette ses préjugés, il sent la pression omniprésente de l’autorité et redoute à chaque instant qu’elle n’impose sa loi, aussi arbitraire soit-elle.
Chronique sociale, charge politique, thriller, tragédie grecque, Chevalier noir emprunte à plusieurs genres et laisse jusqu’à sa conclusion faussement apaisée, un goût amer.