À l’occasion de la sortie des Feuilles mortes, la Filmothèque du Quartier latin a la bonne idée de proposer une rétrospective des vieux films de Kaurismäki. C’est l’occasion de voir ou de revoir ces pépites, de vérifier aussi si le reproche fait aux Feuilles mortes – reproduire une formule trop bien rodée – est ou pas pertinente.
Tiens ton foulard, Tatiana est sorti en 1994. À cette date, Kaurismäki tourne des longs métrages depuis une dizaine d’années déjà. Il a trouvé sa voie, désormais reconnaissable entre mille et dont il ne déviera plus, et ses acteurs fétiches, Kati Outinen (dont c’est le quatrième film avec Kaurismäki) et Matti Pellonpää (qui décèdera l’année suivante dans la force de l’âge et dont c’est l’avant-dernier des quatorze films tournés ensemble).
Tiens ton foulard, Tatiana raconte l’odyssée de deux Finlandais mutiques. Valto boit du café et coud des robes à domicile sous la férule de sa mère. Reino boit de la vodka et répare des voitures. Dans une Volga noire hors d’âge, ils traversent la Finlande. En chemin, ils rencontrent deux voyageuses soviétiques, une Russe extravertie et une Estonienne plus réservée qui parle le finnois.
Tiens ton foulard, Tatiana contient – comme Les Feuilles mortes – tout le cinéma de Kaurismäki. Quasiment muet, il dure une heure à peine. Son action pourrait aussi bien se dérouler dans les 60ies que trente ans plus tard. Ses héros pince sans-rire enfouissent leurs sentiments sous une réserve maladroite qui les rend aussi touchants qu’ils sont pudiques.
J’ai engagé un tueur a été filmé quatre ans plus tôt. Pour le tourner, Aki Kaurismäki a quitté la Finlande pour l’Angleterre. Il a pour acteur principal Jean-Pierre Léaud, auquel le réalisateur finlandais vouait un culte depuis qu’il avait vu les films de la Nouvelle Vague. Il lui confie le rôle d’un employé de bureau taciturne qui, après son licenciement, faute de trouver le courage de mettre fin à ses jours, recrute un tueur à gages pour l’éliminer, avant de tomber amoureux d’une jolie marchande de fleurs qui le convainc de renoncer à son projet.
On retrouve dans ce film londonien les mêmes caractéristiques que dans les autres films de Kaurismäki, les couleurs froides de ses décors, ses héros taciturnes, la parfaite horlogerie de ses scénarios minimalistes. Mais, comme on préfère les films de Woody Allen tournés à New York à ceux qu’il a tournés à l’étranger à la fin de sa carrière, on s’autorise une préférence pour les films finlandais de Kaurismäki par rapport à ceux, comme J’ai engagé un tueur ou La Vie de bohême, tournés hors de son pays.
Juha a été tourné en Finlande cinq ans après Tiens ton foulard, Tatiana. Matti Pellonpää est mort en 1995. Mais Kati Outinen est toujours fidèle au poste. Juha est peut-être le film le plus radical de Kaurismäki. C’est un film en noir et blanc – ce qui constitue déjà une sacrée transgression en cette fin de vingtième siècle – mais c’est au surplus un film muet, construit comme l’étaient les films des premiers temps du cinéma, avec des cartons qui s’intercalent entre les plans pour quelques lignes de dialogue que l’expressivité outrée des personnages n’a pas permis de comprendre. The Artist reprendra cette idée, avec le succès qu’on sait quelques années plus tard. L’intrigue est celle d’un roman classique finnois ultra-référencé : l’histoire d’un époux bienveillant, de son épouse innocente et d’un étranger sournois qui la séduit et l’enlève pour la livrer à la prostitution.
La bande-annonce de « J’ai engagé un tueur »
La bande-annonce de « Tiens ton foulard, Tatiana »
La bande-annonce de « Juha »