En 1945, la capitulation de l’Empire du soleil levant provoque le retrait des troupes japonaises de l’île de Taïwan, qu’elles occupaient depuis un demi-siècle. Jusqu’à la défaite du Kuomintang en Chine continentale en 1949 et le retrait de Tchang Kai-chek, Taïwan connaîtra quatre années chaotiques. En 1947, une sévère répression s’abat sur les nationalistes chinois causant plusieurs dizaines de milliers de victimes. La mémoire en restera longtemps interdite. C’est seulement en 1989, quatre ans après la levée de la loi martiale instaurée en 1949 que Hou Hsiao-Hsien lèvera le voile sur cette page occultée de l’histoire officielle taïwanaise.
Il le fait à sa manière, qui n’est pas celle grandiloquente du héraut de la geste nationale, mais bien du peintre intimiste de scènes de la vie quotidienne, à travers l’histoire d’une famille. Elle a pour cadre Juifen, un petit village de montagne à une heure au nord-est de Taipei. Elle a pour héros une fratrie. L’aîné tient un tripot. Le deuxième a disparu pendant la guerre. Le troisième, acoquiné aux Japonais, a mouillé dans toutes sortes de trafics louches. Le benjamin, docteur de profession et photographe amateur, est sourd-muet depuis l’enfance.
La Cité des douleurs est un film intimidant qui dure près de trois heures. Son scénario n’est pas toujours lisible qui saute d’un frère à l’autre sans qu’on réussisse toujours à identifier les protagonistes. Il nécessite surtout une connaissance minimale de la situation politique de Taiwan, coincée entre ses deux immenses voisins.
Lion d’or à Venise en 1989, La Cité des douleurs doit son statut de film culte à deux facteurs. Le premier, on l’a dit, est le rôle qu’il a joué, comme Birth of a Nation aux Etats-Unis, Lacombe Lucien en France ou Le Tambour en Allemagne, à Taïwan dans la prise de conscience et dans l’acceptation de son passé national. Le second est d’avoir lancé la carrière de Hou Hsiao Hsien qui demeure à ce jour, le plus grand réalisateur taïwanais.
Une remarque sur l’aspect historique: la répression de Février 1947 s’est abattue sur la population locale taïwanaise qui contestait la prise du pouvoir par le Kuomintang (parti nationaliste chinois). Cet épisode est connu sous le nom de « terreur blanche » ou incident 228.