Foudre ★☆☆☆

Elisabeth a dix-sept ans. Quand elle est rappelée auprès des siens, elle vient de passer cinq ans au couvent où ses parents, de modestes paysans suisses, l’avaient envoyée. Sa sœur aînée vient de mourir et elle doit prendre sa place au foyer. Mais cette mort est entourée d’un épais mystère que Elisabeth va bientôt percer.

Foudre est le premier long-métrage d’une jeune réalisatrice genevoise. Il a été tourné dans les paysages grandioses d’une haute vallée des Alpes valaisannes. Il est censé se dérouler au tout début du vingtième siècle, à l’époque où les carnets de l’arrière-grand-mère de la réalisatrice ont été écrits ; mais il pourrait se dérouler plusieurs siècles plus tôt tant les décors qui y sont filmés et les situations qui y sont racontées sont intemporels.

Foudre baigne dans une épaisse religiosité. Elisabeth a été élevée au couvent et se destinait à servir Dieu. Sa famille, les habitants de son village, sous la coupe obéissante du curé, sont profondément croyants. Ils vénèrent Dieu, la Vierge Marie, et craignent le diable. On apprendra vite les causes de la mort d’Innocente : un mélange de fanatisme religieux et de nymphomanie panthéiste. Innocente s’était donnée à plusieurs hommes et avait cru, à travers la jouissance qu’elle leur donnait et celle qu’elle atteignait grâce à eux, se rapprocher de Dieu.

C’est exactement le même parcours que suivra sa cadette, au risque de scandaliser ses parents puis sa communauté. Elle aura pour complices les trois jeunes gens du village, qu’on voit sur la (très belle) affiche. Une scène de sexe les réunira tous les quatre : selon ses goûts, on y verra, un sublime moment de rupestre sensualité ou une malaisante copie de David Hamilton. Selon qu’on ait l’esprit mal placé ou pas, on corrigera le titre et y remplacera le d par un t (c’était trop tentant…. pardon….).

On aura compris, aux digressions déplacées qui précèdent et à la note tiède que j’ai mise à ce film que je n’ai pas été convaincu. Les émois d’Élisabeth, pour touchants qu’ils soient, ne m’ont pas touché. J’ai trouvé très convenue l’évolution de son personnage, la lente et excitante découverte de son corps et de sa sexualité, ses interrogations théologiques. Peut-être n’ai je pas assez lu Sainte Thérèse d’Avila – que je réduis en la citant à une religieuse nymphomane ce qui est sans doute très loin de la réalité.

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Heroico ★☆☆☆

Luis est un jeune Nahua qui décide de rejoindre les rangs de l’armée pour donner une couverture médicale à sa mère et pour s’assurer un meilleur avenir. Formé à l’école des cadres, il y fait l’expérience amère d’un bizutage sadique.

Heroico nous vient du Mexique où il a fait scandale. C’est en effet une charge en règle contre l’armée mexicaine et la formation de ses cadets. Le sadisme mielleux du sergent-chef Sierra, qui prend sous sa protection le jeune Luis pour mieux le dominer, n’a rien à envier aux plus célèbres instructeurs du cinéma hollywoodien, de M.A.S.H. à Full Metal Jacket. Plus près de nous, dans l’espace et dans le temps, la mort d’un sous-lieutenant pendant un « bahutage » à Saint-Cyr avait fait scandale et avait inspiré Pour la France.

Heroico entend traiter plusieurs sujets de front. Le bizutage dans les armées n’est que le premier. La minorisation des populations amérindiennes au Mexique en est un autre. Les logiques de domination qui peuvent s’exercer sans limite dans des organisations hiérarchisées, le culte de la virilité combiné à une homosexualité toujours latente en sont encore d’autres. Le cinéma latino-américain s’est décidément fait une spécialité de filmer des mineurs défavorisés, marginalisés et emprisonnés, qu’il s’agisse des petits délinquants des rues de Bogota (Un Varón) ou des victimes chiliennes de pédocriminels (Blanquita).

Interdit aux moins de douze ans avec avertissement, Heroico est un film éprouvant. Dans l’ambiance oppressante des dortoirs, il enchaîne les scènes de torture, physique ou psychique, plus cauchemardesques les unes que les autres, au point qu’on finit par douter de la frontière entre le rêve et la réalité. Quelques rares permissions hors de l’école servent d’interlude qui nous montrent Luis dans son environnement familial.

Heroico a le défaut de devenir vite répétitif. Une fois introduit dans l’école des cadets et à ses bizutages sadiques, on a compris de quoi il en retourne. Les trois ou quatre plus proches camarades de Luis incarneront tour à tour les différentes façons de le subir et d’y réagir. La fin du film est ouverte et frustrante, comme si le réalisateur n’avait pas réussi à choisir entre les différentes options qui s’offraient à lui.

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La Belle de Gaza ★☆☆☆

Yolande Zauberman est une réalisatrice chevronnée qui, depuis plus de trente ans a sillonné le monde pour touner des fictions et des documentaires. Sa toute première œuvre, Classified People, filmée dans l’Afrique du sud de l’apartheid en 1987, vient de ressortir dans une version restaurée. Elle n’a pas pris une ride.
La Belle de Gaza est le troisième volet d’une trilogie qu’elle a tournée ces dix dernières années en Israël. Après Would You Have Sex with an Arab ? qui questionnait le racisme anti-arabe de la population juive israélienne, M, César 2020 du meilleur documentaire, levait le voile sur la pédophilie qui sévit dans les milieux juifs orthodoxes.

Dans La Belle de Gaza, Yolande Zauberman s’est intéressée aux prostituées transgenres qui racolent rue Hafnuta à Tel Aviv. Elle a réussi à gagner la confiance de cinq d’entre elles qui ont accepté de témoigner face caméra : Talleen, resplendissante Miss Trans Israël, dont la famille a accepté la transition, Israela, son aînée, qui raconte avec humour son mariage avec un rabbin qui ignorait tout de son changement de sexe, Nadine, Danielle et Nathalie.

La Belle de Gaza a un fil rouge : la recherche d’un garçon dont la rumeur voudrait qu’il soit venu à pied de Gaza quelques années plus tôt pour vivre à Tel Aviv en femme. Cette quête n’est qu’un prétexte à une enquête somme toute banale. D’improbables créatures, outrageusement maquillées, juchées sur de vertigineux talons aiguilles, y font naître un trouble. On admire leur courage à s’affirmer en femme dans une société qui les tolère mais les marginalise. Certes, rappelle Talleen, dans d’autres pays, elles auraient été lapidées, jetées vivantes d’un immeuble, comme Daech le fit pour les personnes suspectées d’être homosexuelles. Mais le sort des transgenres filmées par Yolande Zauberman, dans cette rue obscure et dangereuse, où elles vendent leur corps, au risque d’être attaquées par des clients sadiques ou homophobes, ne semble guère plus enviable.

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Memory ★★☆☆

Sylvia (Jessica Chastain), la quarantaine, mène une vie réglée comme du papier à musique. Elle élève seule sa fille, travaille dans un centre d’accueil pour adultes handicapés, continue à fréquenter les AA et ferme à triple tour la porte blindée de son appartement pour se protéger d’on ne sait quelle menace. À l’occasion d’une réunion d’anciens élèves de son lycée, elle retrouve Saul (Peter Sarsgaard) qui est atteint d’une forme précoce de démence sénile et pense voir ressurgir les démons enfouis de son passé.

Il aimerait se souvenir ; elle aimerait ne plus se souvenir. Où diable ai-je vu ce pitch, aussi élégant (est-ce un chiasme ?) qu’un plan Sciences Po en deux parties ? Il résume à la perfection ce film, au titre si juste, dont vous aurez remarqué la graphie sur l’affiche, qui semble se dissoudre dans l’oubli.

Depuis sa sortie, je n’en entends que du bien. On en vante le sujet ; on en vante l’écriture ; on en vante l’interprétation (Peter Sarsgaard a obtenu le prix du meilleur acteur à la Mostra, ce qui semble bien inéquitable pour Jessica Chastain, loin des rôles de vamp rousse dans lesquels elle est trop souvent cantonnée).

Force m’est de reconnaître toutes ces qualités-là. Pour autant, j’ai été un chouïa moins transporté que je l’escomptais. C’est le défaut structurel des films dont on attend un peu trop – et réciproquement, car la nature est bien faite, l’atout de ceux dont on n’attend rien. J’ai trouvé Memory très linéaire. Le réalisateur Michel Franco (Sundown, Les Filles d’avril) nous avait habitués à des coups de poings plus déstabilisants. Ainsi ne me suis-je toujours pas remis de l’épilogue de Después de Lucia. On me rétorquera que Memory compte bien un rebondissement au milieu du film concernant le passé commun de Sylvia et de Saul. Mais étonnamment, ce twist est étouffé, comme un tennisman à Roland-Garros qui retiendrait ses coups.

Si les deux héros de Memory sont aussi bouleversants l’un que l’autre, j’ai trouvé somme toute banale et prévisible l’histoire qui les relie.

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Chien blanc ★☆☆☆

Le thème du roman autobiographique de Romain Gary publié en 1970 est bien connu. Il se déroule à la fin des années soixante à Los Angeles où Gary fut consul général. Il y vit désormais avec sa femme Jean Seberg et leur fils, Diego. Seberg (Kacey Rohl) délaisse sa carrière d’actrice pour la lutte politique aux côtés des Black Panthers pour l’égalité des droits et contre la discrimination raciale. Pendant ce temps Gary (Denis Ménochet) recueille un berger allemand conditionné à attaquer sauvagement les Noirs. Plutôt que de l’euthanasier, Gary décide de le rééduquer avec l’aide de Keys, un dresseur afro-américain (K. C. Collins).

La réalisatrice canadienne Anaïs Barbeau-Lavalette dit avoir voulu adapter Chien blanc après avoir découvert que sa grand-mère avait été liée à la lutte des Afro-américains contre la discrimination à la fin des années 60 et qu’elle avait peut-être croisé Jean Seberg. Elle a voulu souligner l’une des questions centrales du livre : la position des Blancs dans la lutte contre le racisme. « Est-il possible de participer à une lutte qui ne nous appartient pas ? » Jean Seberg d’un côté, Romain Gary de l’autre ont chacun leur manière de répondre à ce questionnement : l’un par l’action militante, l’autre par l’écriture.

Chien blanc avait déjà été, très librement, adapté par Samuel Fuller en 1982. Son sujet reste d’une actualité brûlante, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France, avec le mouvement #BlackLivesMatter et ses surgeons. Pour autant, assez bizarrement, ce Chien blanc dégage un fade parfum de désuétude. Il filme (dans les Laurentides au Québec) une Californie de carton pâte, figée dans un passé révolu. Le couple formé par Jean Seberg et Romain Gary y demeure opaque. On ne comprend pas plus ce qui l’unit que ce qui est en train de le fissurer. Denis Ménochet, en voie de gabinisation avancée, réussit à la perfection à ne rien jouer. C’est le trou noir, si j’ose dire, du film, à côté de Kacey Rohl qui elle aussi échoue à rendre Jean Seberg émouvante.

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La Petite Vadrouille ★★☆☆

Un PDG (Daniel Auteuil) confie à Justine, sa directrice de la communication (Sandrine Kiberlain,) une coquette somme d’argent pour qu’elle lui organise un week-end original avec une femme qu’il souhaite conquérir. Albin (Denis Podalydès), le mari de Justine, y voit le moyen de se faire de l’argent facile en sollicitant sa bande d’amis, aussi endettés que lui, pour entraîner le riche homme d’affaires et sa conquête dans une croisière fluviale.

Regarder un film de Bruno Podalydès, c’est comme se glisser dans des charentaises. C’est douillet et réconfortant ; c’est l’assurance de passer un bon moment. D’ailleurs, les spectateurs largement quinquagénaires qui étaient venus en masse à l’avant-première, avaient l’âge de porter de telles pantoufles. De là à dire que je déconseillerais La Petite Vadrouille aux moins de cinquante ans, il y a un pas que, si je n’étais pas moi aussi en charentaises, je franchirais volontiers.

Bruno Podalydès a l’habitude de tourner des films avec sa bande de copains. Son frère au premier chef, qui est de tous ses films, mais aussi Jean-Noël Brouté, Isabelle Candelier, Florence Muller… Même Vimela Pons fait un caméo via son dernier livre. Sandrine Kiberlain, qui était déjà à l’affiche des 2 Alfred – que j’avais beaucoup aimé – et de Comme un avion – qui m’avait laissé sur ma faim et qui présente bien des points communs avec cette Petite Vadrouille – est de la partie. Nouveau venu, Daniel Auteuil semble prendre un plaisir régressif à rejoindre cette joyeuse équipe.

La Petite Vadrouille emprunte son titre au film ultra-célèbre de Gérard Oury. Est-ce un signe d’orgueil ? Au contraire. Il s’agit d’un « petit » film revendiqué. Peut-être même un peu trop revendiqué : à force de nous murmurer « vous allez passer un petit moment agréable avec nous, rien de plus », que finit-il par se passer ? on passe un petit moment agréable… rien de plus.

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The Palace ★☆☆☆

La nuit de la Saint-Sylvestre 1999, alors que plane le spectre du bug de l’an 2000, des clients fortunés se pressent dans un palace des Alpes suisses : un milliardaire nonagénaire (John Cleese) fraîchement marié à une gironde donzelle, une ancienne star du porno (Luca Barbareschi), une marquise française encombrée d’un chihuahua diarrhéique (Fanny Ardant, dans le rôle de la marquise), un businessman américain (Mickey Rourke) tentant de corrompre son honnête comptable pour échapper au fisc, un chirurgien esthétique qui a tellement défiguré ses patientes qu’il peine à les reconnaître (Joaquim de Almeida), un trio d’oligarques russes que l’annonce de la démission de Boris Eltsine et de son remplacement par un bureaucrate inconnu inquiète vaguement, etc.

La sortie du dernier film de Roman Polanski a fait polémique. Projeté à la Mostra de Venise l’an dernier, il n’avait pas trouvé de distributeur en France. La faute à ses défauts intrinsèques ? ou au statut de pestiféré de Polanski désormais blacklisté par #metoo ? Sans doute un peu les deux.

Finalement, le film a trouvé un distributeur, Sébastien Tiveyrat, directeur de la société Swashbuckler Films, spécialisée dans le cinéma de répertoire. Son geste est militant. C’est au nom de la liberté d’expression qu’il a distribué The Palace. La première semaine, il était projeté dans 82 salles en France, mais dans une seule à Paris qui l’a déprogrammé dès le premier soir en raison de l’émotion suscitée. L’exploitant du Studio Galande, dans le cinquième arrondissement, a prétendu tout ignorer de la polémique #MeToo et s’être fait piéger par le distributeur.
Preuve qu’il ne s’était pas tant fait piéger que cela : il a décidé de reprogrammer ce film que je suis donc allé voir le week-end dernier avec une vingtaine d’autres spectateurs, la cinquantaine bien entamée.

Je considère en effet, pour le dire simplement, qu’il faut dissocier l’oeuvre de l’artiste. Je pense qu’on peut être un salaud ou pire un criminel et qu’on peut « en même temps » être un grand artiste. Je considère surtout – et c’est peut-être le juriste en moi qui parle – que, quels que soient les crimes qu’on a commis, qu’on ait d’ailleurs été inculpé ou pas, condamné ou pas, la commission de tels crimes n’entraîne pas l’interdiction de créer. Pour le dire simplement, selon moi, Céline a le droit d’être lu, Picasso, Hitchcock ou Polanski le droit d’être vus, Cantat le droit d’être entendu. Certains les exècrent au point de désapprouver leurs oeuvres, de refuser d’acheter leurs livres, de regarder leurs peintures ou leurs films, d’aller à leurs concerts. C’est leur droit le plus strict. Mais ils n’ont pas le droit d’appeler à leur censure et de blâmer ceux qui s’y intéressent.

Cette première étape franchie, non sans mal, passons au fond – un juriste dirait que la recevabilité de la requête étant admise, examinons le bien-fondé des moyens. Que vaut The Palace ? Là encore, disons-le sans détour : pas grand-chose.
The Palace est une pochade, une satire (écrite par un satyre ? …. pardon… le jeu de mot était trop tentant). Ce genre peut produire des bijoux : qu’on pense aux Monthy Python. D’ailleurs la présence de John Cleese au générique montre que Polanski se revendique de cette veine-là.

Mais hélas, The Palace est une pochade de la pire espèce : une pochade pas drôle. Ses situations, ses personnages, ses gags ne font pas souvent mouche. Pour autant, The Palace n’est pas aussi calamiteux que ce que j’en avais lu. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde et j’ai souvent souri, à défaut de rire à gorge déployée – ce qui m’arrive seulement les années bissextiles (un relecteur vigilant vient de me signaler en mp que 2024 est bissextile !).

The Palace n’a pas de scénario. Il se borne à peindre une galerie de personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres. Ruben Östlund avait fait la même chose en 2022 avec Sans filtre qui lui avait valu une Palme d’or, à mon sens surcotée. Roman Polanski a lui aussi décroché une Palme d’or en 2002 pour Le Pianiste. Espérons simplement que The Palace ne soit pas le dernier film de cet immense réalisateur.

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Greenhouse ★★☆☆

Pour Moon-Jung, la vie est une vallée de larmes. Chaque matin, après s’être levée, s’être lavée, elle se gifle silencieusement. Pour expier une faute qu’elle aurait commise ? Pour se donner le courage d’affronter une nouvelle journée ? Son fils est en prison et, s’il en sortira bientôt, refuse de revenir vivre avec elle. Son travail : assistante de vie auprès d’un couple de personnes âgées. Lui, un ancien professeur, est aveugle ; elle, atteinte de la maladie d’Alzheirmer, manifeste parfois de sombres accès de violence. Moon-Jung fréquente un groupe de parole dont l’une des membres va se rapprocher d’elle.

Nous vient de Corée ce premier film tourné par une jeune réalisatrice née en 1994. Il contient les mêmes ingrédients que ces films coréens dont, pour notre plus grand bonheur, nous sommes devenus familiers au fil des ans : des drames familiaux, un zeste de polar, des figures féminines shakespeariennes. Parasite de Bong Joon-Ho est évidemment le titre le plus célèbre ; mais il ne doit pas occulter d’autres pépites : Memories of Murder et Mother du même Bong Joon-Ho, Secret Sunshine et Burning de Lee Chang-Dong, Old Boy et Decision to Leave de Park Chan-Wook…

Greenhouse coche scrupuleusement toutes les cases de ce programme désormais bien rodé. Son héroïne , bien mal récompensée de son altruisme, est particulièrement poignante. Chacun de ses bienfaits se retourne contre elle avec un malin plaisir. Greenhouse (ce titre énigmatique désigne la serre dans laquelle Moon-Jung s’est temporairement installée en attendant de louer un appartement avec son fils) est le récit des mauvaises décisions qu’elle prend à chaque étape de sa vie et qui finiront toutes par se retourner contre elle.

Il y a quelque chose d’un peu trop systématique dans cette accumulation. Elle deviendrait presque lassante si elle n’était pas aussi dramatique. L’ultime rebondissement est le plus terrible. On le sent venir et on en redoute l’issue. Le film se termine juste avant de savoir si notre prémonition s’est ou pas réalisée.

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Furiosa ★★☆☆

Après l’effondrement de la civilisation, la jeune Furiosa a grandi auprès des siens dans une oasis verte au milieu du désert. Elle en est brutalement arrachée par des motards à la solde de Dementus, un seigneur de guerre sanguinaire (Chris Hemsworth) qui capture et torture la mère de l’enfant. Dementus est en conflit avec un autre seigneur de guerre, Immortan Joe (Lachy Hulme), qui, aux termes d’un accord passé entre eux, prend possession de l’enfant. La jeune Furiosa, obsédée à l’idée de se venger de l’assassin de sa mère grandira dans la Citadelle, la place forte d’Immortan Joe. Devenue adulte, Furiosa (Anya Taylor-Joy) trouvera dans le Prétorien Jack (Tom Burke), l’intrépide conducteur des convois qui approvisionnent la citadelle, un allié pour mener à bien son projet.

Le premier Mad Max, tourné avec des moyens dérisoires, est sorti en 1979 et a fait de son réalisateur, George Miller, et son acteur principal, Mel Gibson, des stars mondiales. Deux films ont suivi, en 1981 et en 1985, de moins en moins bons. La franchise a été relancée plus de trente ans plus tard avec tambours et trompettes. J’avais fait de Fury Road à sa sortie une critique indigne : sur la forme – je lui mettais chichement une seule étoile – et sur le fond – je lui consacrais paresseusement trois lignes alors qu’il y avait beaucoup plus à en dire.

Ce précédent me pose une vraie difficulté. Car j’ai trouvé Furiosa moins bon que Fury Road dont il constitue, de mon point de vue, un copié-collé au scénario confus, à l’héroïne sans charisme et aux méchants pas assez méchants (Chris Hemsworth cabotine trop pour être crédible). Mais je lui aurais quand même mis spontanément deux étoiles ; car j’y ai passé un bon (et long) moment, totalement régressif, devant des décors, des costumes et des scènes de bataille tous plus impressionnants les uns que les autres.

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Salem ☆☆☆☆

Djibril et Camilla s’aiment d’un amour pur. Ils ont quatorze ans à peine quand Camilla tombe enceinte. Mais ils appartiennent à deux quartiers marseillais irréconciliables : Djibril est un Comorien des Sauterelles, Camilla une gitane des Grillons.

Salem est le deuxième film de Jean-Bernard Marlin. Son premier, Shéhérazade, a connu en 2018 un immense succès, critique et public. Il avait remporté le prix Jean-Vigo, le César de la meilleure première oeuvre et ses deux jeunes acteurs ceux des meilleurs espoirs masculin et féminin.

Après un tel succès, le film suivant est un défi. Jean-Bernard Marlin a mis près de six ans à le relever. Il aurait pu changer de théâtre. Il a décidé de rester à Marseille et d’en filmer une fois encore les quartiers les plus pauvres et les populations les plus marginalisées.

Salem souffre cruellement de la comparaison avec Shéhérazade. Il en est le bégaiement malhabile, la copie ratée. Jean-Bernard Marlin en réutilise tous les ingrédients : l’intrigue se déroule dans deux cités HLM rivales de Marseille ; elle a pour héros un couple de débutants ; un scénario dramatique – Télérama utilise, avec beaucoup d’emphase et énormément d’indulgence l’adjectif « shakespearien » – les confronte.

Mais alors que tout était réussi dans Shéhérazade, tout est raté dans Salem. Deux époques s’y entremêlent entre lesquelles le scénario fait des allers-retours : les héros à quatorze ans et, douze ans plus tard, ce qu’ils sont devenus après la sortie de Djibril de prison. Il prête à Djibril des pouvoirs occultes, ou plutôt la conviction d’en posséder, notamment celui de ressusciter les morts, au risque de le transformer en prophète improbable. Sur fond de dérèglement climatique, il imagine une invasion biblique de criquets.

On pourrait reprocher à Jean-Bernard Marlin son inconséquence politique, qui filme Marseille sans évoquer le trafic de drogue, le banditisme, les tensions interreligieuses, la réduisant à un terrain de jeu pour deux bandes rivales.
Mais le principal reproche que j’adresserai à Salem est la direction d’acteurs. Autant Kenza Fortas et Dylan Robert crevaient l’écran dans Shéhérazade, autant l’amateurisme et le jeu outré des interprètes de Djibril, de Camilla et de leur fille font peine à voir. Jean-Bernard Marlin dit avoir mené un casting sauvage pour les recruter. On est gênés pour eux devant certaines scènes.

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