Les Fantômes ★☆☆☆

Hamid (Adam Besa, révélé dans Les Bienheureux et Harka) est un rescapé des prisons syriennes. Exilé à Strasbourg, il traque, pour le compte d’une mystérieuse organisation secrète, son ancien bourreau (Tawfeek Barhom, jeune étudiant en plein conflit de loyauté dans La Conspiration du Caire).

Les Fantômes est un thriller. Il est construit autour de deux séries d’interrogations. La première est en partie éventée par le résumé que je viens d’en faire : qui est Hamid, pour quelle organisation travaille-t-il, qui cherche-t-il ? La seconde restera entière jusqu’à la fin du film : Harfaz est-il bien le criminel que Hamid recherche ?

Les Fantômes respecte tous les codes du film d’espionnage : un héros mystérieux lesté d’un lourd passé et entouré de quelques faire-valoir féminins, une mission périlleuse… Sa musique est particulièrement envoûtante. Mais Les Fantômes souffre d’un budget trop réduit et surtout d’un scénario trop pauvre. Il ne ménage pas son lot de rebondissements qu’on est en droit d’attendre de ce genre de films. Si bien qu’après un début très réussi, qui campe les personnages et la situation, on en vient vite à s’ennuyer.

Notre déception est d’autant plus grande qu’on escomptait beaucoup de ce film tendu inspiré d’une actualité géopolitique si prégnante. Sur la Syrie et ses fantômes, on préfèrera largement Les Âmes perdues.

La bande-annonce

Juliette au printemps ★★★☆

Trentenaire, dépressive, Juliette (Izïa Higelin), illustratrice de livres pour enfants, retourne se resourcer en famille dans l’Ain. Elle y retrouve ses parents séparés, son père un peu lunaire (Jean-Pierre Darroussin), sa mère fantasque qui se pique de peindre et passe d’amant en amant (Noémie Lvovsky), sa sœur hyperactive (Sophie Guillemin) qui étouffe auprès d’un mari trop planplan (Eric Caravaca), sa grand-mère qui vient d’être placée en EHPAD et dont Juliette se charge de vider la maison (Liliane Rovère).

La réalisatrice Blandine Lenoir avait déjà signé deux films remarquables : Aurore sur la crise existentielle d’une Agnès Jaoui en pleine ménopause, Annie colère sur le combat pour la décriminalisation de l’avortement au début des années 70. Son troisième est au moins aussi réussi. Pourtant son pitch tellement banal n’augure rien de bon. Il nous promet, tout au mieux, l’histoire convenue d’un retour au pays natal, d’une escapade en province d’une Parisienne dépressive, dont on sait par avance qu’elle sortira régénérée de ces quelques jours auprès des siens.

Avec un motif insignifiant, Juliette au printemps réussit pourtant le miracle de nous intéresser et de nous émouvoir. Il le doit d’abord à une panoplie d’acteurs qui comptent parmi les tout meilleurs du moment. Chacun dans son registre, Jean-Pierre Darroussin et Noémie Lvovsky font ce qu’ils savent si bien faire : lui incarne le lait de la tendresse humaine, elle la folie douce. Leur interprétation en deviendrait presque lassante si elle n’était pas à chaque fois si précisément juste. Celle qui crève l’écran, c’est Sophie Guillemin. La jeune révélation de L’Ennui de Cédric Kahn à la fin des années 90 a pris de longs chemins de traverse. Elle s’est convertie à l’Islam, a porté le voile, avant de revenir, Dieu merci, au cinéma. Depuis quelques années, la quarantaine épanouie, on la revoit enfin. Ici, elle tient un rôle étonnant de mère au foyer control freak et d’amante dionysiaque (on n’oubliera pas de sitôt ses galipettes dénudées avec son fantomatique amant). La seule qui détonne dans ce casting plaqué or, c’est Izïa Higelin, peut-être trop radieuse, trop souriante, trop solaire, pour interpréter une héroïne frappée par la neurasthénie (Nina Meurisse ou Suzanne Jouannet auraient été des choix plus judicieux).

Sa réussite, Juliette au printemps la doit aussi à un scénario qui nous ménage dans sa seconde partie une révélation déchirante. L’évoquer est déjà trop en dire. Chaque famille cache des secrets. Celui-ci n’en est pas tout à fait un. Il n’en est que d’autant plus émouvant. Il arracherait des larmes à une pierre.

La bande-annonce

In Water ★★☆☆/☆☆☆☆

Un jeune réalisateur et deux acteurs sont partis tourner un court métrage au bord de la mer. Leur budget est serré. Le réalisateur, à court d’idées, n’a aucun plan de tournage. Mais l’inspiration lui vient soudainement et le tournage peut commencer…

À soixante ans passés, Hong Sangsoo n’a jamais été aussi prolifique. Ce n’est pas deux mais presque trois films par an qu’il parvient à tourner et à sortir : Walk Up  en février 2024, ce In Water en juin et A Traveler’s Needs, présenté au dernier festival de Berlin, programmé pour l’automne prochain.

Une telle productivité est-elle obtenue au détriment de la qualité ? Hong Sangsoo bâcle-t-il ses films ? Je l’ai souvent pensé et parfois écrit dans des critiques « coups de gueule » (Hotel by the River, Yourself and Yours…). Et puis est venu un moment où, mithridatisé, j’ai fini par m’habituer à ce cinéma et ai accepté d’en reconnaître les qualités.

À considérer In Water, on pourrait facilement crier au foutage de gueule. Il s’agit en effet d’un film d’une heure à peine, qui se définit de justesse comme un long métrage, dont l’intrigue tient sur un timbre poste et dont, comme s’il n’avait pas déjà suffisamment de tares, l’image est floutée, comme si le budget serré du tournage n’avait pas permis d’en fignoler la mise au point.

Deux opinions radicalement différentes peuvent alors s’affronter. La première verra dans ce flou artistique un parti pris audacieux, le questionnement d’un dogme cinématographique jamais remis en cause (pourquoi l’image de tous les films est-elle si parfaitement nette ?), une expérimentation quasi-picturale dans la veine des impressionnistes que Hong Sangsoo vénère, la tentative pour le réalisateur, qui est affecté de troubles de la vision, d’en faire partager l’expérience à ses spectateurs…
L’autre, nettement moins indulgente, verra dans ce flou pas vraiment artistique un foutage de gueule, un manque de respect pour les spectateurs, condamnés à avaler deux aspirines à la sortie de la salle, une tentative absurde de pousser le cinéma dans ses limites (et pourquoi pas demain un film sans images ?), la seule originalité bien artificielle d’un film qui, par ailleurs, se réduit à presque rien.

La bande-annonce