Sauvages ★☆☆☆

Kéria, onze ans, a grandi seule avec son père à la ville. Sa mère faisait partie des Penan, une population nomade menacée par l’industrie de l’huile de palme. À l’occasion d’une expédition dans la jungle environnante, Kéria recueille Oshi, un bébé orang-outan dont la mère est abattue sous ses yeux par les garde-chasse. La fuite d’Oshi dans la jungle, avec Selaï, le cousin de Kéria, un Penan, , la conduit à renouer avec ses racines alors que les bulldozers de la multinationale qui emploie le père de Kéria continuent leur entreprise funeste de déforestation.

Claude Barras est de retour huit ans après Ma vie de Courgette, son premier film d’animation qui avait reçu un accueil enthousiaste et mérité. On retrouve sa technique : une animation artisanale en stop motion, avec du relief, des couleurs et un soin infini apporté au détail. On retrouve aussi ce qui avait fait le charme de son premier film : un scénario rebondissant et des personnages attachants.

Cette fois-ci, le réalisateur suisse nous propose un voyage dépaysant dans la jungle de Bornéo. L’enjeu nous en est connu : la survie des peuples primitifs face à l’appétit des multinationales qui exploitent leurs forêts pour en extraire la précieuse huile de palme nécessaire à la production de notre fameux Nutella (une fiction récente avec Alexandra Lamy utilisait déjà cette toile de fond, La Promesse verte).

Si l’effet de surprise provoqué par Ma vie de Courgette est nécessairement émoussé, Sauvages est tout aussi réussi. Il réjouira les enfants à partir de six ans et les parents, grands-parents, oncles et tantes, parrains et marraines qui cherchent pour les vacances de la Toussaint un film intelligent pour leurs chères têtes blondes. Mais, s’ils n’ont pas ce prétexte pour aller le voir, les adultes isolés ne trouveront guère de sel à ce film d’animation bien-pensant, sinon celui d’y reconnaître les voix reconnaissables entre mille de Benoît Poelvoorde et de Laetitia Dosch.

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Barbès, little Algérie ★☆☆☆

Algérien immigré de longue date à Paris, Malek (Sofiane Zermani (rappeur freestyle connu sous son nom de scène Sofiane ou Fianso) emménage à Barbès en plein Covid, dans l’attente de la réouverture imminente de sa petite entreprise de service informatique dans le 12ème. C’est le moment que choisit son neveu Riyad pour débarquer à Paris et s’installer chez lui.

Barbès Little Algérie est le premier film de Hassan Guerrar, un attaché de presse bien connu dans le monde du cinéma. On imagine volontiers la part de lui-même qu’il a mise dans le personnage de Malek, déchiré entre ses deux cultures, désormais enraciné en France où il a fait sa vie, mais une part du cœur restée en Algérie où il n’a pas soldé son lourd passé familial.

Hassan Guerra choisit de filmer un Barbès décadré, loin des clichés qu’il charrie souvent. Certes, la première séquence est filmée au pied du métro aérien, lieu de tous les trafics. Mais les suivants se déroulent devant l’église Saint-Bernard où Malek rejoint les volontaires qui se chargent de distribuer des biens de première nécessité aux indigents. On ne verra pas de rues bondées, d’appartements insalubres ou de prières publiques – la religion est étonnamment absente du film, sinon qu’il se déroule en partie durant le ramadan et est rythmé par ses ruptures – mais au contraire des espaces calmes, estivaux, presque méditerranéens.

Comme souvent les premiers films, surtout s’ils sont en partie autobiographiques, Barbès, Little Algérie veut trop en raconter. Il met en scène, façon comédie italienne, les amitiés chaleureuses que Malek noue, avec des amis du bled (Khaled Benaïssa et Adila Bendimerad ont un sacré abattage dans deux rôles forts en gueule) avec une voisine attirante (on reconnaît Eye Haïdara), avec la responsable des bénévoles de l’église Saint-Bernard (Clotilde Courau décidément abonnée aux rôles de dames patronnesses). Il laisse planer le suspense du dévoilement de lointains secrets de famille. Il prend brutalement la bifurcation d’un drame antique.

Barbès, Little Algérie n’est pas un film déplaisant. Au contraire. On ne saurait remettre en doute la sincérité de son réalisateur. Mais c’est un film sans relief, pénalisé par la médiocre prestation de son interprète principal, certes séduisant mais décidément piètre acteur. Il ne m’aura laissé aucune trace.

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The Outrun ★☆☆☆

Rona a bientôt trente ans. Elle est alcoolique. Son addiction a lentement gangréné sa vie professionnelle et personnelle, poussant à bout son compagnon Daynin, acculé à la rupture. En dernier ressort, Rona décide de quitter Londres et de rentrer chez elle, dans les îles Orcades, à l’extrême nord de l’Ecosse. Elle devra y solder ses traumas infantiles et y trouvera peut-être le chemin de la rédemption.

Adapté du roman autobiographique à succès de Amy Liptrot, qui a raconté son retour sur l’île minuscule de Papay dans l’archipel des Orcades, sa cure de désintoxication et son travail pour la société royale de protection des oiseaux (RSPB), The Outrun (le titre du film n’a pas été traduit alors que le livre éponyme a été publié en France sous celui de L’Ecart) repose sur les épaules de Saoirse Ronan. La bankable actrice irlandaise (Reviens-moi, Brooklyn, Lady Bird…) a acheté les droits du roman, produit son adaptation, choisi elle-même la réalisatrice allemande Nora Fingscheid, révélée par l’étonnant Benni, et annexé le rôle principal.

L’histoire compte deux volets nettement distincts : Londres, les nuits de plus en plus alcoolisées de Rona, les black out de plus en plus nombreux ; les Orcades, ses paysages sauvages, le sevrage, les rechutes et la lente désintoxication. Pour éviter une construction trop binaire, le scénario mélange les temporalités, montrant alternativement Rona ici ou là, avant ou après, au point parfois d’égarer le spectateur dans une chronologie confuse, la couleur de ses cheveux constituant un repère trop fragile.

Certes The Outrun bénéficie de l’impressionnant charisme de Saoirse Ronan. Mais l’histoire que ce film raconte, à l’issue sans surprise, a si souvent été filmée (on pense à Nos vies formidables, à My Beautiful Boy et à Ben is Back mais on pense plus encore à trois films français extraordinairement réussis : La Prière (2018), La fête est finie (2017) et Le Dernier pour la route (2009)) qu’elle peine à susciter le moindre intérêt.

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Le Procès du chien ★★☆☆

Avril Luciani (Laetitia Dosch) est une avocate suisse qui ne sait pas dire non aux clients, même les plus improbables. C’est ainsi, contre l’avis de son patron (Pierre Deladonchamps), qu’elle accepte d’assurer la défense de Dariuch Michovski (François Damiens). Son chien Cosmos est menacé d’être euthanasié pour avoir mordu et défiguré la femme de ménage portugaise de son maître. Me Luciani opte pour une ligne de défense audacieuse et revendique, pour Cosmos, le statut de sujet de droit, alors que le Code civil suisse l’assimile à une chose.

Les animaux sont-ils des sujets de droit ? On connaît les procès qui au Moyen-Âge ont condamné des cochons, des dauphins ou des mouches, pénalement et même civilement responsables car créatures de Dieu. Ces pratiques furent progressivement abandonnées à l’époque moderne avec la théorie cartésienne de l’homme-machine : seul l’Homme, créature pensante, peut être désormais tenu pour responsable de ses actes.

Voici l’arrière-plan théologique, juridique pour ne pas dire métaphysique d’un film au sujet passionnant qui avait déjà inspiré Les Chèvres sorti en février dernier qui, malgré la présence de Dany Boon à l’affiche, a fait un bide retentissant. Si Les Chèvres se déroulait au dix-septième siècle, Le Procès du chien, au titre bien plat, se déroule à Lausanne de nos jours.

Laetitia Dosch, devant comme derrière la caméra, choisit de traiter ce sujet par le biais de la comédie. Il faut reconnaître qu’il s’y prête et qu’elle s’en sort à merveille. Le mérite en revient largement à son jeu drolatique, à sa rousseur, à sa voix et aux talents dont elle s’entoure : François Damiens hilarant en RMIste louche et décoiffé, Jean-Pascal Zadi en maître chien au cœur gros comme ça et Anne Dorval en avocate zemmouriste prête à tous les coups bas pour obtenir la condamnation du chien qui a mordu sa cliente.

On regrettera simplement les facilités d’un scénario qui, faute de prendre à bras-le-corps son sujet, lui greffe d’inutiles histoires secondaires. Ainsi de celle du jeune voisin d’Avril, maltraité par ses parents, qu’elle prend sous sa coupe et choisit comme fils de substitution.

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Maya, donne-moi un titre ★☆☆☆

Séparé de sa fille Maya par l’Atlantique et le confinement, Michel Gondry a longtemps communiqué avec elle via Internet. Elle lui donnait le titre d’une histoire qui la mettait en scène (« Maya prend son bain », Maya et le hamac »…) ; il lui bricolait en retour, avec des feuilles de dessin, de la colle et des ciseaux, des dessins animés filmés en stop motion, image après image.

Michel Gondry est génial. La chose est entendue. Avec des riens, il fabrique des mondes oniriques, ludiques, drolatiques, fantasmagoriques… On le sait depuis que ce fils de pub est passé derrière la caméra au début des années 2000 faisant avec Eternal Sunshine of a Spotless Mind une entrée fracassante à Hollywood. Mais ce créateur hors normes a refusé de se fondre dans la norme et de devenir, comme tant d’autres expatriés hollywoodiens un exécutant anonyme à la solde des majors.

À soixante ans passés, il continue à revendiquer le droit à l’originalité, à un cinéma artisanal, à un bricolage talentueux. Ses derniers films, tournés en France, en portaient la trace : L’Ecume des Jours, Microbe et Gasoil, Le Livre des solutions (avec Pierre Niney qui prête sa voix à Maya…)…

Le problème est qu’aussi rafraichissant son cinéma soit-il, aussi irrésistibles ses trouvailles soient-elles, elles le sont de moins en moins. On a un peu l’impression que Michel Gondry a tiré sur la corde, qu’il a remisé ses fonds de tiroir, qu’il a utilisé des matériaux qui n’avaient pas vocation à être rendus publics pour en faire un film – et payer ses impôts.

Certes, Maya, donne-moi un titre sonne comme une touchante déclaration d’amour d’un père à sa fille. On imagine aisément l’émotion de cette enfant quand elle reverra ce film dans quelques années. On peut certes l’envier d’avoir un père aussi aimant et aussi créatif. Mais, on est un peu gêné d’être invité à ce qui aurait dû rester dans le cénacle familial.

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Rue du conservatoire ★★☆☆

La réalisatrice Valérie Donzelli est revenue au Conservatoire national supérieur d’art dramatique dont elle avait raté le concours d’entrée en 1996, pour y donner une master class. Elle s’attache à une élève, Clémence Coullon, et décide de filmer la pièce que celle-ci monte avec ses camarades pour clore leur scolarité. Il s’agit d’une version moderne et détournée de Hamlet.

On connaît et on aime tous Valérie Donzelli, l’actrice débordante d’énergie, la réalisatrice de La guerre est déclarée ou L’Amour et les Forêts, la femme engagée à gauche pour l’égalité et la diversité dans le cinéma. On savait par avance qu’on la retrouverait égale à elle-même dans un exercice sans surprise, mais pas sans émotion pour autant, de transmission généreuse. Tour à tour marraine, égérie, grande sœur ou meilleure copine, elle accompagne une promotion du Conservatoire dans la préparation de son spectacle de fin d’année.

Ce documentaire est l’occasion de faire le portrait d’une troupe et de ses personnalités incandescentes. On pense aux Amandiers qui se livrait, sur le mode de la fiction, au même exercice. Le jeu en vaut la chandelle. Ces jeunes acteurs sont aussi doués qu’attachants, qui confessent leurs espérances et leurs doutes, et qu’on voit répéter et créer. On aimerait avoir connu dans sa jeunesse la même passion et la même camaraderie que ces jeunes talentueux qui viennent de passer trois ou quatre ans ensemble et sont sur le point de se séparer, tristes de cette rupture et anxieux des possibles qui s’ouvrent devant eux.

Ils travaillent sous la direction de leur metteuse en scène et camarade. Clémence Coullon est la vraie héroïne de Rue du conservatoire. Comme son aînée qui la filme avec empathie, elle a étudié la comédie avant de bifurquer vers la mise en scène. Sans doute Valérie Donzelli voit-elle en elle, son double autobiographique, la même énergie, la même fougue qui l’animaient quand elle avait vingt-cinq ans. Cette énergie, cette fougue sont diablement séduisantes : on s’enthousiasme de ses élans créateurs, on partage ses affres, on est presque aussi anxieux qu’elle le soir de la première.

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Niki ★☆☆☆

Fille d’un père français descendant d’une longue lignée aristocratique et d’une mère américaine, Catherine dite Niki de Saint-Phalle (Charlotte Le Bon) naît en 1930 à Neuilly-sur-Seine, grandit aux Etats-Unis, s’y marie à Harry Matthews (John Robinson), un poète, revient s’installer en France, avec son mari et sa fille Laura née en 1951, et y travaille comme mannequin. Elle traverse en 1953 un grave épisode dépressif, est internée dans un asile psychiatre et retrouve son équilibre mental grâce à la pratique de l’art. Bientôt séparée de son époux, elle s’installe à Paris dans une colonie d’artistes impasse Ronsin dans le 15ème arrondissement. Elle y rencontre Jean Tinguely (Damien Bonnard) et y monte ses premières performances qui la rendront bientôt célèbre.

Le pitch que je viens d’écrire ressemble-t-il à une notice Wikipédia ? La faute à la forme très classique de ce biopic qui raconte entre 1950 et 1960 les dix années de formation de Niki Matthews, qui reprendra son nom de jeune fille après son divorce.

Sa réalisatrice est bien connue. Il s’agit de Céline Sallette, qui signe son tout premier film, après une quarantaine de films devant la caméra, au cinéma (L’Apollonide, Rouge, Mais vous êtes fous…) ou à la télévision (L’École du pouvoir, Vernon Subutex), et de nombreuses prestations théâtrales. Il a été présenté à Cannes dans la section Un certain regard, mais en est reparti bredouille.

Il est certes sublimé par l’interprétation impeccable de Charlotte Le Bon dont la beauté frêle, la fragilité gracile, les yeux immenses dans le visage en triangle font merveille. Mais cette qualité mise à part, Niki est bien fade. Il souffre d’un handicap rédhibitoire : la production n’a pas obtenu les droits de montrer l’œuvre de Niki de Sainte-Phalle dont nous ne verrons rien sinon l’effet qu’elle produit sur les personnages qui la contemplent.

Sorti la même semaine que Lee Miller, Niki lui ressemble caricaturalement : le même genre, le biopic, quasiment la même époque et les mêmes décors (la première scène de Lee Miller, sur les bords de la Méditerranée, aurait pu être glissée à l’identique dans Niki), la même héroïne féminine en butte au patriarcat de l’époque qui parvient non sans mal à s’affirmer grâce à son art.
Comme Lee Miller, Niki de Saint-Phalle a été violée par son père dans son enfance et a porté toute sa vie  durant ce lourd secret avant d’en faire l’aveu tardif. Ce viol l’a durablement traumatisée – comme il avait traumatisé la photographe américaine. Mais on a l’impression désagréable que l’évocation parfois complaisante de ces agressions sexuelles est devenue le passage obligé de toute biographie qui se respecte. Comme si  c’était devenue une condition nécessaire sinon suffisante à la reconnaissance du statut d’artiste et à la réalisation d’un biopic.

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La Sirène à barbe ★☆☆☆

La Sirène à barbe est le nom d’un cabaret dieppois. C’est désormais le titre du film que lui consacre Nicolas Bellechombre assisté à la réalisation par Arthur Delamotte et au scénario par Shimon Urier.

Le parti pris est celui de la fiction qui prend pour héros Erwan, un jeune Dieppois qui ose un jour franchir le seuil du cabaret et va y découvrir l’amour. Nicolas Bellechombre se revendique en effet du « cinéma du réel ». Peut-être la voie plus balisée du documentaire aurait-elle mieux convenu pour nous faire découvrir cette troupe attachante, les circonstances de sa constitution, les difficultés quotidiennes auxquelles elle doit faire face pour faire vivre cette minuscule salle de spectacles perdue dans ce petit port de pêche normand dont la quiétude est rythmée par les arrivées et les départs du ferry pour la lointaine Angleterre. C’est à Brighton d’ailleurs, où la troupe a été invitée à se présenter, que le film se terminera.

La troupe s’est retrouvée à Paris pour présenter son film au Saint-André des Arts mercredi 2 octobre. Sa joie de vivre faisait plaisir à voir. On était un peu triste pour elle du public clairsemé venu assister à ce débat et hésitant à lui poser les questions qu’elle attendait avec impatience.

La vérité hélas oblige à dire que La Sirène à barbe n’est pas un grand film. Même si l’image en est soignée, le scénario, proche du roman-photo, est à la peine ; et le jeu des acteurs, pour la plupart amateurs, aussi engagés soient-ils, par trop hésitant. Certes La Sirène à Barbe a le mérite de nous entraîner dans l’univers fascinant du cabaret, du travestissement. Mais d’autres films, d’autres documentaires avaient déjà raconté quasiment la même histoire : Les Reines de la nuit, Parole de King, Des Garçons de province, Last Dance

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Libres ☆☆☆☆

Libres est un reportage mené dans douze monastères espagnols auprès de leurs locataires, des moines ou des moniales qui ont choisi de se couper du monde pour se rapprocher de Dieu.

La réclusion monacale est un sujet qui me fascine. J’ai gardé un souvenir envoûtant du Grand silence de Philip Gröning, un documentaire de 2h42 sur les moines de la Grande Chartreuse, sorti en 2005. Je n’avais pas raté  en 2017 Silentium, sur les sœurs bénédictines de Habstahl dans le Jura souabe.

J’aurais pourtant dû me méfier de Libres. Son affiche, qui louche vers les publicités pour parfum masculin de luxe, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Ses producteurs, la très conservatrice société Saje et une fondation finançant les communautés monastiques, aussi.

Libres est peut-être l’un des plus mauvais documentaires que j’aie jamais vus. J’ai bien failli quitter la salle avant la fin de la séance. Et, si j’y suis resté, c’est pour pouvoir fielleusement accumuler les multiples éléments à charge que je m’apprête à lister dans cette rageuse critique.

Le premier tient à la forme. Libres ressemble à son affiche. Il filme les couvents dans leur écrin naturel, verte campagne, sauvage littoral, sublime coucher de soleil, avec d’interminables panoramiques aériens. Libres est lesté d’une insupportable musique façon Vangelis dans 1492, alors qu’il aurait pu être accompagné de tant de joyaux de la musique sacrée. Il a l’esthétique d’une longue publicité. Publicité qui, par sa forme ressemble à celle, sur papier glacé, pour un produit de luxe. Publicité qu’on croirait commandée par l’Office de tourisme de la Castille ou des Asturies pour vanter la beauté des paysages de ces régions.

Libres filme douze monastères catholiques. Il n’est pas venu à l’idée du réalisateur d’élargir son spectre à d’autres religions. Libres filme douze monastères du nord-ouest de l’Espagne. Pas plus ne lui est-il venu à l’esprit de quitter le périmètre géographique confiné où il s’est cantonné pour sortir de son pays ou même de sa région.

Le carton qui ouvre ce documentaire nous promet de nous faire pénétrer dans des lieux où aucune caméra n’était jamais allée. Mensonges ! Avec une rare banalité, Libres ne franchit pas les limites du parloir et enchaîne les interviews face caméra posant à une douzaine de moines ou de moniales les mêmes questions convenues. On n’apprendra rien des monastères où Libres a été tourné, de leur construction, de leur histoire, des règles qui les régissent (il faut être attentif pour deviner que certains sont bénédictins, d’autres franciscains).

Libres est divisé en trois chapitres, dont les titres sont inspirés d’un verset de l’Evangile selon Saint-Jean : le Chemin, la Vérité, la Vie. Les témoignages recueillis sont interchangeables et répétitifs : la réclusion monacale serait le meilleur moyen d’accéder à Dieu et d’entrer au Paradis. Rien n’est dit des obstacles sur ce chemin, de l’acédie, des relations aigres avec ses compagnons de prière, de la solitude… Ces hommes et ces femmes, dont on ne saurait mettre en doute la sincérité de la foi, semblent étonnamment autocentrés, donnant de l’Evangile et du message qu’il porte, une image bien peu altruiste.

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Un Amor ★★★☆

Nat a décidé de tout quitter. Elle ne supporte plus son travail d’interprète à l’OAR et les récits traumatisants des demandeurs d’asile. Elle se réfugie dans un minuscule village de la Rioja dans le nord de l’Espagne. Elle y loue à un propriétaire sans scrupule une bâtisse en ruines dont le toit prend l’eau. Ses voisins lui portent une attention mielleuse aux relents troubles. L’un d’entre eux, Andreas, lui met entre les mains un marché.

Isabel Coixet en a marre d’être sans cesse renvoyée à ses premiers films. Cette réalisatrice catalane, aujourd’hui âgée de 64 ans, a eu le tort de signer au début des années 2000 deux bijoux : Ma vie sans moi (2003), où Sarah Polley interprète le rôle d’une jeune mère qui choisit de ne pas dire à sa famille qu’elle souffre d’un cancer incurable, m’avait arraché des sanglots ; The Secret Life of Words (2005), qui met face à face sur une plate-forme pétrolière une infirmière malentendante et un homme rendu aveugle par un grave accident, était poignant. Cette autodidacte volcanique, à l’humour décapant, a touché à tous les genres : la publicité, les clips, les séries, les courts et les longs métrages, pas toujours distribués en France.

Présenté au festival international de San Sebastian en septembre 2023, sorti dans la foulée dans les salles espagnoles, sept fois nominé aux Goyas, Un Amor a mis près d’un an à traverser les Pyrénées. Une salle pleine à craquer des amis, nombreux, de la réalisatrice et de son conjoint, l’avocat des droits de l’homme Reed Brody, l’a chaleureusement applaudi lors de sa projection en avant-première au Grand Action lundi dernier.

Isabel nous avait prévenus avant la projection : « le film gratte ». Le fameux marché qu’Andreas met entre les mains de Nat, et dont on dira rien pour ne pas le divulgâcher, est sacrément surprenant, pour ne pas dire qu’il manque de crédibilité. Un Amor évoque irrésistiblement As Bestas, les paysages pluvieux du nord de l’Espagne, la dureté des relations de voisinage qui règnent entre les néo-ruraux, venus y chercher un second départ, et les habitants du cru. L’interprétation de Hovak Keuchkerian, un ancien boxeur, champion d’Espagne poids lourds, à la stature de colosse et aux poignes de bûcheron, m’a rappelé Denis Ménochet, Gregory Gadebois ou Raphaël Thiery dans L’Homme d’argile. La sensualité animale du film évoque enfin celle de L’Amant de Lady Chatterley.

Loin de crouler sous toutes ces références écrasantes, Un Amor trouve sa voie bien à lui. Il le doit à l’interprétation fiévreuse de Laia Costa. La jeune actrice espagnole crevait l’écran dans Victoria, le film berlinois tourné en un seul plan-séquence. Un Amor repose tout entier sur ses (pas si) frêles épaules. C’est à travers ses yeux qu’on découvre ce bout du monde reculé. C’est à travers les errances de son désir qu’on l’accompagne jusqu’à la séquence libératrice finale.

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