Le Rebelle (1949) ★☆☆☆

Howard Roark (Gary Cooper) est un architecte avant-gardiste surdoué. Son individualisme forcené, son refus de tout compromis compliquent ses relations avec ses donneurs d’ordre, à la différence de son camarade d’université, Peter Keating dont le carnet de commande ne désemplit pas. Howard Roark réussit néanmoins à s’associer à un vieil architecte non-conformiste qu’une campagne de presse menée par le quotidien The Banner accule à la faillite.
Dominic Francon (Patricia Neal) est journaliste à The Banner. Elle y signe des critiques d’architecture et s’y oppose au chef de la section, Ellsworth Toohey, plus sensible qu’elle à l’air du temps et aux goûts du vulgaire. Son patron, Gail Wynand (Raymond Massey), un homme sans scrupule qui a construit un empire à partir de rien, s’entiche d’elle et en fait sa femme. Mais Dominic Francon est secrètement amoureuse de Howard Roark. Elle ira même jusqu’à devenir sa complice lorsqu’il dynamite un projet d’immeubles défigurés par les modifications apportées par les promoteurs à ses plans. Lors du procès qui le mettra en cause, Howard Roark prononcera un plaidoyer vibrant pour ses valeurs.

Si Le Rebelle est ressorti en salles, c’est à cause de The Brutalist. Cette autobiographie déguisée de Frank Lloyd Wright l’a en effet inspiré. Il a comme lui pour héros un architecte qui réalise des immeubles modernistes et fonctionnels d’une simplicité qui rompt avec le style néo-classique qui était à la mode à New York dans la première moitié du vingtième siècle. Comme The Brutalist et peut-être même plus que lui, Le Rebelle est l’occasion de voir de sublimes réalisations architecturales, des esquisses, des maquettes et même des immeubles. J’ai été frappé, vers le milieu du film, par le superbe escalier intérieur de l’immeuble Enright.

Mais Le Rebelle est avant tout l’adaptation d’un roman d’Ayn Rand. Alice O’Connor, née Alisa Zinovyevna Rosenbaum à Saint-Petersbourg en 1905, quitta l’URSS en 1926 et n’y revint jamais. La publication de The Fountainhead (en français La Source vive) en 1943 lui valut une immense célébrité. Hollywood en acheta les droits et King Vidor en signa l’adaptation sous le titre plus explicite du Rebelle.

Figure de l’anti-communisme, Ayn Rand prône un individualisme radical et un « égoïsme rationnel ». Pour elle, la société est une construction artificielle, instrumentalisée par une minorité. Seuls comptent l’individu, son éthique, son mérite et sa réussite.

Regarder Le Rebelle aujourd’hui est une expérience troublante. Son noir et blanc, ses acteurs hollywoodiens, ses personnages si archétypiques (Roark incarne l’intransigeance, Toohey la démagogie, Wynand l’ilusion de toute-puissance….) rappellent les grands films des années quarante. Mais son idéologie est aux antipodes de l’humanisme d’un Capra, d’un Ford, d’un Lubitsch. Le mot démocratie n’est jamais prononcé. La notion même de corps social est battue en brèche. Seul l’individu existe dont la force de conviction est glorifiée : avoir raison contre tout le monde est la seule chose qui semble compter.

Cette morale profondément individualiste et, si on osait dire, trumpienne crée un malaise. Elle résonne douloureusement avec notre époque : comment vouer un tel culte à l’individu, aussi génial soit-il ?  comment tourner le dos à la société, aux besoins des plus fragiles et au vivre-ensemble ? Entre l’hyperindividualisme libertarien prôné par Ayn Rand et le collectivisme honni, l’après-guerre a su dessiner une voie plus modérée et plus efficiente : la social-démocratie.

Je suis curieux de l’écho que ce roman et ce film ont eu à leur sortie : 1943 pour le livre, 1949 pour le film. En 1943, les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne hitlérienne au nom du droit universel à l’auto-détermination, à la sécurité et au développement économique, alors qu’Ayn Rand fait l’apologie de l’individualisme et du surhomme nietzschéen. En 1949 commence la Guerre froide alors que le film de King Vidor, tourné dans des décors futuristes qui rappellent l’expressionnisme russe, se termine par un plan en contre-plongée de Gary Cooper filmé comme un héros stakhanoviste.

La bande-annonce

Le Robot sauvage ★★★☆

Un robot domestique, l’unité Rozzum7134, s’échoue sur une île inhabitée après une tempête. Programmé pour servir les humains, il doit s’acclimater à un milieu inhospitalier qui lui est spontanément hostile. Son chemin croise celui d’un oisillon orphelin. Le robot sauvage s’investit dans la mission qu’il croit s’être vu confier : accompagner cet oison fragile dans ses apprentissages et le préparer à la prochaine migration.

Dreamworks a inventé quelques-uns des personnages d’animation les plus célèbres au monde : Shrek et le Chat potté, Kung Fu Panda, le quatuor de Madagascar, Baby Boss, le dragon volant de Dragons… Il semblait s’être endormi sur ses lauriers en se bornant à tourner des suites paresseuses mettant en scène ces héros récurrents. Adapté d’un livre pour enfants publié en 2016, Le Robot sauvage démontre que le studio hollywoodien et son réalisateur Chris Sanders ont toujours le feu sacré.

Le Robot sauvage nous offre tout ce qu’un film d’animation réussi peut nous offrir. D’abord des effets spéciaux à couper le souffle. Les techniques d’animation sont arrivées à un tel niveau qu’elles peuvent désormais tout filmer, sauf peut-être les êtres humains… et, ça tombe bien, on n’en voit pas un seul dans Le Robot sauvage. Le pelage des animaux, la transparence de l’eau sont particulièrement impressionnants. Et l’animation permet des mouvements de caméra bluffants.

Cette technique est mise au service d’un scénario lesté de bons sentiments et agrémenté de cette petite touche d’humour qui nous met le sourire aux lèvres. Si l’on était grognon, si l’on avait perdu son âme d’enfant, on trouverait à redire devant cette surenchère : l’écologie, les valeurs familiales, l’amour maternel…. tout y passe. Mais, Hollywood a ce don, presqu’irritant, de promouvoir ces valeurs lourdingues avec une sensibilité à faire pleurer des pierres.

Seul bémol s’il fallait à tout prix en trouver un : la fin du film qui cumule deux défauts. [attention spoiler] Elle nous livre un combat manichéen et pyrotechnique comme on en a déjà trop vu et surtout, elle bégaie un peu (partira ? partira pas ? reviendra ? reviendra pas ?)

La bande-annonce

Quatre Nuits d’un rêveur (1971) ☆☆☆☆

Jacques est un peintre solitaire prompt à s’enflammer au contact des jeunes femmes qu’il croise lors de ses longues errances parisiennes. Une nuit, alors qu’il traverse le Pont-Neuf, il croise Marthe et la sauve de la noyade. Elle lui raconte son histoire et le désespoir dans lequel l’a plongée la disparition de son amant. Jacques s’éprend de Marthe et entend vibrer sa voix dans tous les bruits du monde.

Robert Bresson est, sans doute possible, l’un des plus grands réalisateurs du siècle dernier. Il a signé des chefs d’oeuvre : Les Dames du bois de Boulogne, Le Journal d’un curé de campagne, fiévreuse adaptation du fiévreux roman de Bernanos à l’excipit célèbre : « Tout n’est que grâce »), Un condamné à mort s’est échappé (que j’avais vu en 1993 au festival du film d’Histoire de Pessac et qui m’avait marqué durablement), Procès de Jeanne d’Arc (que j’ai revu aux 3 Luxembourg assis à côté de Jeanne Delay), Au hasard Balthazar (qui m’avait fait découvrir l’oeuvre littéraire de Anne Wiazemsky), Mouchette….

On se demande pourquoi ressort en ce pâle mois de février 2025 l’un de ses films les moins connus.
Après Pickpocket et Une femme douce, Bresson adapte une nouvelle fois Dostoïevski. Quelques années avant lui, Visconti s’était déjà inspiré de la même nouvelle, confiant à Marcello Mastroianni le rôle joué ici par Guillaume des Forêts (un bel inconnu dont ce fut le seul rôle au cinéma).

Le film est d’un romantisme échevelé. Il met en scène deux jeunes gens solitaires et passionnés. C’est l’histoire d’un amour impossible et l’illustration de la théorie stendhalienne de la cristallisation amoureuse.

Son hiératisme un peu démodé m’avait déjà tenu à distance des Nuits Blanches de Visconti. S’ajoute ici le non-jeu revendiqué des acteurs de Bresson, ses « modèles » à la voix blanche, dénués d’expression. Je conçois qu’on puisse crier au chef d’oeuvre. Mais hélas, je suis passé à côté….

La bande-annonce

Les Damnés ★☆☆☆

En pleine guerre de Sécession, une compagnie est missionnée dans l’Ouest des Etats-Unis encore inexploré, pour en prendre possession au nom de l’Union. Composée de volontaires plus ou moins inexpérimentés, elle se retrouve vite abandonnée à elle face aux attaques, à la faim et au froid.

Roberto Minervini est un documentariste italien installé aux Etats-Unis. Dans What You Gonna Do When The World’s On Fire?, il filmait les membres de la communauté afro-américaine de Bâton-Rouge en Louisiane traumatisée par la multiplication des crimes racistes et l’inaction de la police. Sélectionné dans la section « Un certain regard » au dernier festival de Cannes, Les Damnés est son premier film de fiction. Mais on y retrouve son souci de documenter la condition militaire de jeunes recrues pendant la Guerre de Sécession.

À rebours des innombrables westerns, plus ou moins récents, tournés avec cette toile de fond, Les Damnés ne raconte pas une geste héroïque, des combats hauts en couleur, une page glorieuse de l’histoire américaine. Au contraire, il montre le quotidien banal et monotone d’une compagnie de soldats : le campement qu’on installe et qu’on quitte, les repas pris dans des écuelles malpropres, les tentes dans lesquelles on se blottit pour trouver un refuge contre le froid mordant, les tours de garde qui se succèdent face à un horizon immobile…
Les Damnés montrent ces soldats dans leur quotidien. Il leur donne la parole, dans de longs dialogues au coin du feu où chacun raconte à tour de rôle les motifs de son engagement : tel vient de Virginie, mais s’est rangé du côté de l’Union par conviction anti-esclavagiste, tel autre, âgé de seize ans à peine, s’est enrôlé pour ne pas être séparé de son frère….

Les Damnés voudrait nous faire partager l’ennui et l’émollience qui gagnent bientôt ces soldats perdus, qui ignorent le but de leur mission et ne comprennent rien aux coups du sort qui s’abattent sur eux. D’où viennent ces coups de feu qui les déciment ? Où quatre d’entre eux sont-ils envoyés en mission de reconnaissance ? Les acteurs – qui ont tourné le film sans scénario – semblent ne rien en savoir. Le spectateur en sait évidemment encore moins qu’eux. Perdu, désemparé, il a tôt fait de lâcher prise et de se désintéresser d’une histoire qui n’en est pas une.

La bande-annonce

Young Hearts ★☆☆☆

Tout va bien pour Elias, jeune collégien dans un petit village flamand. Ses parents l’adorent. Son grand-père habite tout près, dans une ferme qu’il administre seul depuis la mort de sa grand-mère. Elias a même une petite amie, Valérie, et une bande de copains fidèles.
Mais tout change lorsque s’installe un nouveau voisin. Jeune veuf, ce Bruxellois a deux enfants. L’aîné, Alexander, éveille chez Elias des sentiments inédits.

Les films sur l’homosexualité sont souvent dramatiques. Leurs héros y sont torturés par des sentiments qu’ils essaient vainement de réprimer. Ils sont en conflit avec leurs parents, leurs familles. Ils rencontrent dans leur entourage une homophobie plus ou moins haineuse. Qu’on pense à l’iconique Call Me by Your Name, à Moonlight ou encore aux films du Belge Lukas Dhont Girl (dont je ne me suis toujours pas remis du dénouement) ou Close.

Young Hearts a une immense vertu : il donne, pour une fois, de l’homosexualité une image heureuse. Il envoie aux jeunes garçons (et aux jeunes filles) une image positive, bien différente de celle que ressassent les films mettant en scène des adolescents LGBT. Le message qu’il leur adresse est salutaire : « Si tu es homosexuel.le, tu n’es pas voué.e à vivre mille et un tourments ; tu pourras connaître le grand amour sans endurer l’homophobie de ton entourage ».

Un tel message ne détonne pas dans un clip du ministre chargé de la lutte contre la discrimination et contre la haine envers les personnes LGBT. Il passe nettement moins bien dans un film. Young Hearts sombre dans le ridicule à force de bienveillance. Tout le monde y est beau, tout le monde y est gentil. À commencer par Elias – auquel j’aurais donné onze ans à peine – et à ses yeux trop bleus. Sa mère le chérit, son père aussi, même s’il ne vit que pour son travail : il est chanteur de variété et se produit dans des concerts dont le jeune Elias est encore trop jeune pour percevoir le ridicule. Ses copains, qu’on aurait imaginés plus homophobes à quatorze ans, ne tiquent pas à son coming out. Il n’est pas jusqu’à Valérie, sa petite amie, qui n’accepte gracieusement de céder la place…

La bande-annonce

L’Attachement ★★★☆

Sandra (Valéria Bruni Tedeschi), quinquagénaire féministe, célibataire et indépendante, se retrouve bien malgré elle impliquée dans la vie de son voisin Alex (Pio Marmaï) dont l’épouse décède brutalement en donnant naissance à une petite fille. La défunte laisse à Alex un orphelin, Elliot, né d’un premier mariage avec un amour d’enfance (Raphaël Quenard). Elliot, traumatisé par la mort de sa mère, reporte son affection sur sa voisine tandis qu’Alex peine à se reconstruire.

Une bande-annonce qui nous promet « un hymne à la vie » est pour moi – et pour mon fils qui a hérité d’on-ne-sait-où une ironie mordante – un repoussoir immédiat. Celle de L’Attachement avait eu ce défaut-là. Aussi ai-je laissé passer son avant-première et ne me suis-je pas rué le voir dès le jour de sa sortie. Heureusement, je me suis rattrapé le week-end suivant et n’ai pas raté ce film auquel j’ai bien failli mettre ces fameuses quatre étoiles que j’octroie si chichement.

Car L’Attachement m’a brisé le cœur. Dès la première scène, celle de la mort de la mère d’Elliott, à laquelle pourtant la bande-annonce nous a préparés, j’ai sorti mon premier Kleenex. J’en ai sorti beaucoup d’autres, notamment lors d’une scène où Emilia (Vimala Pons), la pétulante pédiatre avec laquelle peut-être Alex refera sa vie, pleure derrière une porte fermée.

C’est peut-être cet excès de larmes versées qui m’a retenu de donner à L’Attachement sa quatrième étoile. J’ai essayé, à tort ou à raison, de mettre de côté l’émotion qu’il avait fait naître en moi pour le juger objectivement. La froide objectivité me conduit à dire que c’est un très bon film, mais que ça n’en est pas un qui marquera l’histoire du cinéma et qui restera dans les mémoires. D’où ces trois étoiles seulement – dont tu auras compris, ami lecteur qui me connais bien, que je les regrette.

L’Attachement est l’adaptation d’un livre d’Alice Ferney paru en 2020, L’Intimité. On pourrait s’interroger sur ce glissement. Il me semble bienvenu. L’attachement est en effet un sentiment précieux et rare, différent de l’amour et de l’amitié, sur lequel cette histoire nous invite à nous interroger. L’Intimité était l’oeuvre d’Alice Ferney, une écrivaine , diplômée de l’Essec (!), que j’aime énormément. Son dernier, Deux Innocents, fut même mon livre préféré en 2023.

L’Attachement peut se prêter à une lecture sociologique. Son histoire est emblématique des familles recomposées. Il n’y a aucun lien de sang entre le petit Elliot et Alex, qui rencontre sa mère alors qu’Elliot est nourrisson, qui l’épouse, qui conçoit avec elle un autre enfant, sa demi-soeur. Il y en a encore moins entre Elliot et Emilia, avec laquelle Alex fait son deuil de sa femme. Et que dire des liens entre Elliot et Sandra, la voisine ? Pourtant circulent entre eux un amour, une amitié, en un mot un attachement terriblement puissant.

Carine Tardieu est à la réalisation. Elle n’est pas célèbre. Pourtant tous ses films – L’Attachement est le cinquième en dix-huit ans – qui creusent à l’os les liens du cœur, visent juste : La Tête de Maman, Du vent dans mes mollets, Ôtez-moi d’un doute sur une amour contrariée par la découverte d’un lien de filiation inconnu, Les Jeunes Amants sur la liaison adultère d’un homme avec une femme plus âgée que lui…

Elle dirige un trio d’acteurs impeccables. Valéria Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï et Vimala Pons ont la même qualité et le même défaut : ils ont de l’énergie à revendre et une fâcheuse tendance, lorsqu’ils sont abandonnés à eux-mêmes, au surrégime. ce qui frappe ici, c’est leur sobriété. Valéria Bruni Tedeschi, trop souvent abonnée aux rôles d’hystériques (si ce mot peut encore être utilisé), est parfaite de retenue. Mais c’est Vimala Pons qui, comme d’habitude, m’a transporté, même si sa dernière scène ne m’a pas semblé très crédible.

La bande-annonce

Strip-tease intégral ★★☆☆

1985 ! C’est en 1985 que la première émission de Strip-tease a été diffusée sur la RTBF. Des centaines allaient suivre, relayées en France par Canal puis par France 3, jusqu’en 2012.

L’émission a déjà engendré des produits dérivés cinématographiques : Ni juge, ni soumise en 2018 (qui avait raflé le César et le Magritte du meilleur documentaire mais avait suscité de ma part quelques réserves déontologiques) et Poulet frites en 2022. Avec ce troisième opus, le format change. Il ne s’agit plus, comme dans les deux premiers, d’une seule histoire, mais de cinq épisodes sans lien entre eux. On y voit successivement deux influenceuses à Dubaï, une comédienne amatrice quinquagénaire qui peine à monter son spectacle pendant le off d’Avignon, une famille catholique très prout-prout, un médecin hypocondriaque que la crainte d’une pathologie cardiaque entraîne sur les traces de son vrai père et enfin un étonnant médecin légiste qui démembre un cadavre durant un long plan fixe malaisant, mais dont la toute dernière scène révèlera le jardin secret.

On y retrouve ce qui faisait le sel de l’émission : des personnages ordinaires et perchés à la fois, le don de la caméra pour se faire oublier et capter des moments lunaires, une sociologie de notre quotidien… Pour autant, on comprend mal l’intérêt d’une diffusion en salles de ce qui était et devrait rester de la (remarquable) télévision.

La bande-annonce

When the Light Breaks ★★★☆

Una et Diddi étudient ensemble à la faculté des beaux-arts de Reykjavik, appartiennent au même groupe de musique et filent le parfait amour. Seul problème : Diddi est officiellement en couple avec son amie d’enfance, Klara. La situation devrait toutefois se résoudre rapidement : Diddi doit prendre, dès le lendemain, l’avion pour annoncer à Klara son intention de rompre.

When the Light Breaks se déroule dans un court laps de temps, celui qui sépare deux couchers de soleil sur la baie de Reykjavik. Son titre original Ljósbrot est un mot islandais qui associe deux notions dont l’une signifie la lumière et l’autre casser. Il renvoie à la fois au coucher de soleil et à la mort de Diddi.

Car Diddi mourra à l’aube. Ne criez pas au divulgâchage ! La bande-annonce l’évoque et l’événement intervient dans les toutes premières minutes du film. On comprend alors mieux son sujet : celui du deuil impossible d’Una, obligée de ravaler son chagrin devant les amis éplorés de Diddi et devant Klara arrivée de toute urgence de sa lointaine province.

Le sujet est à mon sens inédit. J’en connaissais le symétrique : celui du deuil obligé du compagnon qu’on a cessé d’aimer et qu’on est tenu de pleurer (je pense à Emmanuelle Devos dans Ceux qui restent). Il est poignant. Il est très riche scénaristiquement : on imagine volontiers les développements, tragiques ou pourquoi pas comiques, qui peuvent en être tirés.

Le reproche qu’on pourrait adresser à Rúnar Rúnarsson est de ne pas avoir tiré tout le parti d’aussi riches prémices. When the Light Breaks se révèle, à l’expérience, un peu décevant qui, après une première moitié captivante, laquelle met lentement l’action en scène, jusqu’à la réunion de ces cinq ou six amis unis par le même chagrin, s’étiole et s’étire dans sa seconde.

Mais il lui sera beaucoup pardonné pour au moins quatre raisons. La première, la plus touristique, est le plaisir d’entr’apercevoir quelques uns des paysages les plus iconiques de la capitale islandaise : son église luthérienne, sa salle de concert, le Tjörnin… La deuxième est le sublime oratorio Odi et Amo de Jóhann Jóhannsson – qu’on peut entendre dans la bande-annonce. La troisième est le visage hyperboréen de Elín Hall, sylphide à la peau lactescente picotée de taches de rousseur, coupe garçonne, look androgyne. La dernière est le plan final, d’une ravageuse tendresse, qui résout à la perfection le dilemme dans lequel Una était enlisée.

La bande-annonce

Presence ★★☆☆

Toute l’action de Presence se déroule dans une spacieuse maison géorgienne à deux étages d’une banlieue huppée. Elle est filmée en caméra subjective à travers les yeux de l’occupant des lieux : un fantôme, un esprit. Il voit s’installer une famille typiquement américaine. La mère (Lucy Liu passée à la postérité il y a un quart de siècle grâce à ses rôles dans Charlie et ses drôles de dames et Kill Bill) porte la culotte, l’oreille rivée à son portable, embarquée dans des magouilles pas claires dont le père (Chris Sullivan) s’inquiète légitimement. Le fils aîné espère entrer dans une bonne université grâce à ses résultats en sport. La cadette, Chloé, se remet difficilement du brusque décès de sa meilleure amie. Elle seule sent confusément la présence d’un esprit dans les murs.

Steven Soderbergh est décidément un réalisateur hors pair. Il décroche à vingt-six ans à peine la Palme d’or avec son premier film, Sexe, Mensonges et Vidéo. Il devient avec Quentin Tarantino le fer de lance du cinéma américain. Pendant toute sa carrière, il alterne des films grand public (Erin Brockovich, Traffic, Ocean’s Eleven, Solaris…) et des oeuvres plus confidentielles à la limite de l’expérimentation. Il s’est même payé le luxe d’annoncer sa retraite… avant de revenir sur sa décision.

Ce touche-à-tout de génie a fait son miel d’un scénario écrit par David Koepp (le scénariste des Jurassic Park, des Indiana Jones, des Mission impossible…). On imagine volontiers ce qui l’a attiré dans ce récit raconté par les yeux d’un spectre, dans un espace clos dont il ne peut s’échapper. S’attribuant les fonctions de chef opérateur, Soderbergh a lui-même tenu la caméra pendant tout le film, s’amusant à tourner des plans-séquences décoiffants qui courent d’un étage à l’autre.

Le résultat n’est toutefois qu’à moitié convaincant. Presence tient tout entier dans la promesse sur laquelle il est construit : le tour de force d’une histoire filmée du point de vue d’un fantôme. La forme l’emporte sur le fond qui se révèle tout compte fait assez décevant. Les états d’âme de Chloé et la liaison toxique qu’elle entretient avec Ryan, un camarade de lycée de son frère, ne sont pas très intéressants. Quant à l’épilogue, il a pour seule qualité mais aussi pour énorme défaut, de donner la clé de l’énigme sur laquelle tout le film était construit : Presence aurait eu peut-être plus de sel si l’identité de son principal protagoniste nous était restée cachée.

La bande-annonce

La Fabrique du mensonge ★★☆☆

Les films sur la Seconde Guerre mondiale sont légion ; mais rares sont ceux qui choisissent de se focaliser sur les chefs nazis. La Chute (2004), sur les derniers jours d’Hitler dans le bunker de Berlin, fait exception ; l’interprétation de Bruno Ganz a durablement marqué les esprits.

Joachim A. Lang a choisi de s’intéresser à Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du Reich. Le titre original allemand est particulièrement intelligent : Führer und Verführer, qui, jouant sur la paronymie, signifie « Le Führer et le séducteur ». À l’international, le film est diffusé sous le titre « Goebbels and the Führer ». Le titre français est moins immédiatement compréhensible qui renvoie à un sujet d’une brûlante actualité : la propagande, la fabrication de fausses nouvelles et la manière dont un régime autoritaire utilise l’information pour manipuler l’opinion publique.

Ce constant rappel de l’actualité du sujet – la célèbre citation de Primo Levi « C’est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau » est martelée au début et à la fin du film pour nous rentrer dans la tête – n’est pas la dimension la plus pertinente de ce film. Comme si la Seconde Guerre mondiale et les délires du régime nazi ne se suffisaient pas à eux seuls pour nourrir la mouture d’un film.

Pour l’historien, comme pour le cinéphile, est autrement plus intéressante la description de la garde rapprochée du Führer, aveuglément fidèle à son chef, mais divisée par de sourdes rivalités. Dans cet aréopage exclusivement masculin, Joseph Goebbels est un personnage à part. Affligé d’une maladie osseuse qui le privera de l’usage de son pied droit, il est réformé en 1914 et ne peut se parer, comme Goering, son ennemi intime, du titre d’ancien combattant. De petite taille (il mesure 1m65 à peine), il est bien loin des canons de beauté de la race aryenne. Rallié de la première heure au NSDAP, il a en charge la propagande qu’il manie avec une maîtrise éprouvée pour permettre l’accession de Hitler au pouvoir en 1933 puis le durcissement de la dictature.

La Fabrique du mensonge puise dans une documentation abondante, notamment dans le Journal de Goebbels. Il fait alterner des images de fiction et des images d’archives – telles que le fameux discours de 1943 au palais des sports de Berlin.

Contrairement à l’idée qu’on pouvait s’en faire, Goebbels n’a pas été toujours en accord avec Hitler. Le film montre par exemple ses réticences au bellicisme à tout crin du Führer à partir de 1938, le ministre de la Propagande ayant bien senti que l’opinion publique allemande y était réticente. Mais la dévotion au Führer pour lequel Goebbels nourrissait un amour quasi-filial finissait toujours par l’emporter.

On découvre aussi le couple qu’il formait avec Magda, érigé en modèle dans l’Allemagne nazie, avec leurs six enfants adorables. Il a en fait connu bien des déboires. Goebbels a bien failli divorcer en 1938 pour épouser une actrice tchèque, Lída Baarová, mais en a été empêché par Hitler lui-même. La scène est presque comique qui voit le Führer, en plein préparatifs de guerre, devoir intercéder entre Joseph et Magda fermement décidés à se séparer. Et la figure de Magda, réduite à cause des conditions de son suicide, à une nazie chevronnée et une mère sacrificielle, apparaît autrement plus complexe dans le film.

La Fabrique du mensonge n’atteint pas son double but affiché : nous expliquer comment l’information est manipulée et nous prémunir contre le risque de bégaiement de l’Histoire. Mais il réussit fort bien à décrire l’une des figures les plus célèbres mais aussi les moins connues de l’entourage d’Hitler.

La bande-annonce