La Jeune Femme à l’aiguille ★★★☆

Copenhague 1918. Karoline, employée dans une usine de textile, tire le diable par la queue depuis la disparition de son mari. Son patron la prend sous sa coupe, lui promet de l’épouser. Elle tombe enceinte. Mais sa future belle-mère la jette à la rue. Désespérée, Karoline cherche par tous les moyens à avorter. Une marchande de confiseries, Dagmar, croisée dans les bains publics avec sa fille Irina âgée de sept ans à peine, lui propose une solution.

La Jeune Femme à l’aiguille est un film déroutant, sorti début avril sans grande publicité dans un réseau de salles bien étroit. Pourtant, il a été sélectionné en compétition à Cannes l’an dernier et a représenté le Danemark aux Oscars. Son réalisateur est un Suédois installé en Pologne dont le premier film, Sweat, avait pour héroïne une influenceuse rendue schizophrène par sa soudaine popularité sur les réseaux sociaux.

Avec ce deuxième film, Magnus von Horn change radicalement d’atmosphère. On pourrait penser que le scénario est adapté d’un de ces grands romans naturalistes, façon Charles Dickens ou Eugène Sue, dont la fin du XIXème siècle était friand. Mais c’est un scénario original, inspiré d’un fait divers macabre qui s’est déroulé à Copenhague au début du XXème siècle. L’action se met en place lentement. Le personnage de Dagmar n’apparaît qu’au milieu du film. J’ai cru un temps qu’il était interprété par Sidse Babett Knudsen (Borgen, L’Hermine, La Fille de Brest) que j’ai confondue avec Trine Dyrholm (Festen, Royal Affair, La Communauté).

Le film est interdit aux moins de douze ans et mérite de l’être. À raison de ce qu’il raconte. Et à raison de la façon dont il le raconte. C’est un film historique, filmé en noir et blanc, avec des décors volontairement artificieux, montrant une ville (Copenhague ?) boueuse et crasseuse. Les intérieurs suintent la misère et la saleté. Les employées de l’usine qui emploie Karoline rappellent les ouvrières sortant en foule des usines Lumière à Lyon. Une musique lancinante vient se surajouter à ce tableau déjà particulièrement lugubre.

Longtemps après le générique de fin, La Jeune Femme à l’aiguille laisse une trace durable. La trace d’un film original, par sa forme, par son fond, qui ne s’oublie pas de sitôt.

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Au pays de nos frères ★★☆☆

Le « pays de nos frères », c’est pour l’Afghanistan l’Iran limitrophe où plus de cinq millions d’Afghans se sont réfugiés pour fuir les combats qui ensanglantaient leur nation. Les deux peuples partagent la même religion et la même langue (le dari est cousin du farsi).

Mais l’accueil réservé par l’Iran aux immigrés afghans n’est pas toujours bienveillant. C’est ce que raconte ce film avec trois histoires censées se dérouler à trois époques différentes (2001 après l’invasion de l’Afghanistan par les Etats-Unis, 2011 avec le début du retrait américain et 2021 après le retour des Talibans à Kaboul). Ces trois histoires mettent en scène des personnages d’une même famille élargie. Mais chacune se focalise sur l’un d’entre eux.

Dans la première, Mohammad, un jeune lycéen prometteur, est embarqué par la police à l’occasion d’un contrôle d’identité. Dans la deuxième, à mon sens la plus réussie, Leila, l’employée de maison d’un riche couple d’Iraniens, se voit contrainte d’étouffer la mort de son mari pour éviter d’être expulsée. Dans la troisième, Qasem cache à sa femme sourde-muette la terrible nouvelle qu’il vient de recevoir et qui, paradoxalement, leur confèrera la nationalité iranienne à laquelle ils aspiraient depuis de si nombreuses années.

Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, aujourd’hui installés à New York et à Paris, ont réussi à tourner leur film en Iran, avec un financement français et néerlandais. La mise en scène est particulièrement soignée, l’image élégante, les acteurs bien dirigés, le propos poignant. L’organisation du film en trois parties le dessert, qui conduit à relâcher la tension chaque fois qu’une histoire se termine et qu’une autre commence. C’est la seule faiblesse de ce film par ailleurs très réussi.

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Fanon ☆☆☆☆

Originaire de Martinique, noir de peau, formé en métropole à la psychiatrie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Frantz Fanon (Alexandre Bouyer) est affecté en 1953 à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville près d’Alger. Il y expérimente des méthodes novatrices auprès des patients jusqu’alors abandonnés à leur sort, y prend fait et cause pour les indépendantistes algériens et couche sur le papier, avec l’aide de sa femme Josie (Deborah François), ses réflexions sur le colonialisme.

Frantz Fanon (1925-1961) est passé à la postérité pour son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie et pour son analyse de la situation coloniale. Le réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny, adepte d’un cinéma engagé, n’était pas le moins bien placé pour tourner le biopic de ce célèbre Antillais.

À ma grande surprise, Fanon était diffusé, deux semaines après sa sortie, dans la plus grande salle de l’UGC Ciné Cité les Halles. Je pensais que la salle serait vide. Au contraire, elle était quasiment comble. Le public, très jeune, était d’origine africaine ou antillaise. Signe étonnant de la popularité toujours vivace de Fanon que j’imaginais à tort oublié et méconnu.

À la fin du film, les applaudissements furent nombreux. Etait-ce le film qu’on applaudissait ? ou son héros pour son courage et son engagement ? Que Frantz Fanon ait courageusement pris parti pour les populations colonisées infériorisées, qu’il ait dû affronter le racisme bas du front des colons blancs d’Algérie et qu’il mérite le respect pour la hauteur de vue de ses analyses et la pureté de son engagement est une chose. Que son biopic soit un bon film en est une autre.

Car hélas Fanon est un mauvais film, manichéen au possible, d’un académisme pesant, surligné par une musique omniprésente. Son héros est un surhomme qui dicte à son épouse des considérations sentencieuses sur la situation dont il est le témoin. Muré dans ses convictions, médicales ou politiques, il ne remet jamais sa pratique et ses convictions en cause, même quand la révolution algérienne se déchire et assassine froidement le leader du FLN qui l’y avait parrainé.

Frantz Fanon méritait mieux que ce biopic poussiéreux, engoncé dans sa propre importance.

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Le Mélange des genres ★★★☆

Mariée à Jean-Jacques (Vincent Elbaz), flic comme elle, Simone (Léa Drucker) a infiltré un mouvement féministe dans le cadre d’une enquête qu’elle mène sur l’assassinat par sa femme d’un homme accusé de violences domestiques. Alors que sa couverture est sur le point de tomber, elle accuse un quidam de l’avoir violée. Le quidam, Paul (Benjamin Lavernhe), marié à une actrice connue (Julia Piaton), est un homme doux et déconstruit. L’accusation qui pèse sur lui bouleverse radicalement sa vie.

J’ai fort mal résumé Le mélange des genres. C’est un film à l’intrigue particulièrement rocambolesque qui pourrait sembler fort peu crédible alors qu’elle réussit paradoxalement à l’être. Pris au pied de la lettre, c’est un film policier alors qu’il s’agit en fait d’une comédie pleine d’ironie.

Le couple Michel Leclerc/Baya Yasmi – dont on apprend qu’il vient de se séparer – a écrit un dernier film ensemble dans la veine des précédents. Le plus célèbre fut Le Nom des gens en 2010 qui valut à Sara Forestier le César de la meilleure actrice. Mais les suivants furent tout aussi réussis. J’ai une tendresse particulière pour La Lutte des classes où Edouard Baer et Leila Bekhti jouaient un couple de bobos gauchistes contraints de mettre sous le boisseau leurs convictions politiques au nom de l’éducation de leur enfant.

Dans Le Mélange des genres, Michel Leclerc, comme Caroline Fourest dans un récent essai, interroge le Vertige #MeToo. Le nœud du film est une fausse accusation de viol et ses conséquences en chaîne. Le sujet pourrait sembler fort sérieux voire dramatique. Mais Michel Leclerc choisit de le traiter sous l’angle de la comédie. Et le résultat est particulièrement réussi.

Car on rit beaucoup dans Le Mélange des genres, grâce notamment à Benjamin Lavernhe qui en rajoute au risque de basculer dans l’excès, dans le rôle du mâle déconstruit, et grâce aussi, en miroir, à deux autres personnages : Vincent Elbaz dans celui du mâle alpha pas déconstruit du tout et Judith Chemla dans celui de la féminazie hystérique.

On rit. Et en plus on rit intelligemment. Car Michel Leclerc est tout en finesse. Si bien sûr son cœur penche à gauche, du côté des féministes, du côté de la lutte contre le patriarcat (tout est dit dans une réplique – un peu trop – cinglante de Paul qu’il lance au groupuscule masculiniste qui est prêt à l’aider face aux fausses accusations portées contre lui : « Je préfère perdre avec elles que gagner avec vous »), Le Mélange des genres a l’intelligence de laisser s’exprimer des points de vue différents. Les féministes qu’il filme ne sont pas sans défaut, la virilité douce incarnée par Benjamin Lavernhe prête souvent à rire (ainsi de la façon dont il se fait remplacer dans la série où il était censé tourner).

Dans une programmation très abondante ce mois-ci, mais pas exceptionnelle, le bordel intelligent du Mélange des genres surprend et surnage.

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Mikado ★☆☆☆

Enfant de la DDASS, traumatisé par les familles d’accueil où il a été maltraité, Mikado (Félix Moati), la trentaine, veut à toute force épargner à ses propres enfants les traumatismes qu’il a vécus. Il mène une vie de bohême avec sa compagne Laetitia (Vimala Pons) et leurs deux enfants, Nuage et Zéphyr. Quand le van qui leur sert de logement tombe en panne, ces quatre voyageurs sont accueillis par Vincent (Ramzy Bedia), un professeur de collège endeuillé qui élève seul sa fille, Théa.

Avec Michel Leclerc – dont l’excellent Le Mélange des genres sort aujourd’hui sur les écrans – Baya Yasmi a co-écrit et souvent co-réalisé des films exceptionnels, petits bijoux de comédie prenant un malin plaisir à se rire des travers de notre temps : Au nom des gens, Je suis à vous tout de suite (avec déjà Vimala Pons et Ramzy), La Lutte des classes, Youssef Salem a du succès….

Dans cette filmographie marquée au sceau de la comédie intelligente, Mikado constitue un pas de côté. Ce n’est pas un film drôle. Ce n’est pas un film triste non plus. C’est un film intimiste, co-écrit avec Olivier Adam dont on reconnaît la petite musique triste, tourné dans la chaleur d’un été provençal (à une période de l’année où on peine à croire que le collège de Vincent ne soit pas fermé pour les vacances). Ses héros rappellent ceux de Captain Fantastic, un des tout meilleurs films de la dernière décennie, ou de Leave No Trace : des marginaux qui entretiennent une défiance radicale à l’égard du corps social et ont décidé de construire leur vie à l’écart du monde.

La marginalité voulue de Mikado rencontre celle, subie, de Vincent. Et lentement leurs solitudes s’écaillent et leurs souffrances s’allègent. Le facteur déclenchant est leurs filles respectives qui deviennent amies. Nuage, élevée comme une sauvageonne, découvre avec une fascination mêlée d’effroi la séduisante attraction d’une éducation normale, dans un collège ordinaire, avec des camarades de classe. Théa, la fille de Vincent, tétanisée par la mort de sa mère, trouve dans l’amitié qui se développe avec Nuage, une façon d’exorciser son deuil.

Ainsi présenté, le film semble intéressant. Ce serait bien injuste de dire qu’il ne l’est pas. Mais, hélas, aussi sympathique et bien joué soit-il, il manque de la densité suffisante pour sortir du lot. Desservi par « un scénario faiblard et prévisible, une mise en scène bien plate, des dialogues pauvres et souvent redondants, des situations convenues et une fin attendue qui cède à la tentation du pathos » (l’auteur de ces lignes se reconnaîtra), Mikado dont j’espérais beaucoup, m’a déçu.

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Le Garçon ★★★☆

Zabou Breitman et Florent Vassault trouvent dans une brocante un lot de vieilles photos. La récurrence du même blondinet filiforme leur attire l’oeil. Ils se mettent en tête de remonter la piste de l’inconnu.Tandis que Florent Vassault enquête en Normandie, en Bourgogne et à Paris, Zabou Breitmann reconstitue à partir des bribes qu’il lui donne une journée dans la vie du « garçon » avec des acteurs de fiction.

Le Garçon est un film étonnant, voire un OVNI filmique si l’expression, à force d’être utilisée, ne finissait pas par devenir galvaudée. Il mêle le documentaire et la fiction. Si vous en voulez une preuve, regardez attentivement l’affiche : vous y verrez une légère différence entre la photo qui s’affiche sur l’appareil (qui figurait dans le lot retrouvé) et les deux acteurs (on reconnaîtra peut-être Isabelle Nanty et François Berléand) qui posent à l’arrière-plan. Ce mélange est d’ailleurs le seul défaut de ce film : l’enquête menée par Florent Vassault se suffisait à elle-même et les séquences de fiction filmées par Zabou Breitmann semblent souvent superfétatoires.

Cette enquête nous tient en haleine tout le long du film. On admire la perspicacité du documentariste qui réussit à tirer parti de détails minuscules, tels que la physionomie d’un immeuble, pour identifier un quartier parisien. Pour ne rien gâcher au plaisir qu’on y prend, on ne dira pas si elle va jusqu’à son terme et si elle réussit à identifier l’inconnu. Tout ce qu’on pourra en dire est qu’elle nous réservera d’étonnantes surprises et de poignantes révélations.

Pour intéressant qu’il soit, le motif de ce film n’est pas nouveau. Déjà en 1996, dans Sur la plage de Belfast, Henri-François Imbert était-il parti en Irlande du Nord sur les traces des personnages découverts dans un vieux film de famille. Eric Caravaca adoptait la même démarche sur les traces de sa sœur aînée tôt disparue dans le très réussi Carré 35La Carte postale, le roman à succès d’Anne Berest, nous faisait revisiter l’Occupation et la déportation en usant d’un procédé similaire. Enfin, Isabelle Monnin, l’auteur des Gens dans l’enveloppe, intente un procès aux réalisateurs et aux producteurs du Garçon pour s’être inspirés de son roman publié en 2015.

Le jeu de piste du Garçon se double d’une réflexion quasi-philosophique sur la mémoire et sur la mort. Que reste-t-il d’une vie ? Quels souvenirs laisserons-nous après notre mort ? Qu’est-ce qui mérite d’en être gardé ou peut légitimement en être oublié ? Une vie qui tombe dans l’oubli est-elle ipso facto une vie ratée et une vie mémorable une vie réussie ?

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Lire Lolita à Téhéran ★☆☆☆

Exilée aux Etats-Unis pendant la dictature du Shah d’Iran, Azar Nafisi, professeure de littérature anglaise à l’université, revient enseigner à Téhéran en 1979 après sa destitution. Mais elle déchante très vite, face à l’intolérance des mollahs, qui censurent les livres impies, obligent les femmes à se voiler, embastillent et torturent les opposants au régime. De guerre lasse, Azar abandonne son enseignement et réunit chez elle quelques fidèles étudiantes pour lire les livres interdits.

On a scrupule à critiquer un film qui dénonce le régime des mollahs, la chape de plomb qu’il a fait tomber sur l’Iran au nom d’une conception dévoyée de la religion et qui salue le courage de celles et ceux qui osent en braver les interdits. Sur le papier, Lire Lolita à Téhéran coche toutes les cases : un titre qui claque, un sujet en or inspiré d’une histoire vraie, celle d’Azar Nafisi elle-même qui, exilée aux Etats-Unis, a écrit l’histoire des vingt ans passés à Téhéran, un casting constitué des actrices iraniennes les plus talentueuses du moment, condamnées par le régime à l’exil (Golshifteh Farahani, à laquelle les gazettes prêtent des liaisons rocambolesques, Zar Amir, réalisatrice de Tatami et tête d’affiche des Nuits de Mashhad, Mina Kavani l’héroïne de Red Rose…).

Pour autant, ce film-brulot ne brûle guère. Sa facture est trop classique, sa mise en scène trop banale, ce qu’il raconte hélas trop convenu. Sans remettre en cause notre admiration pour les femmes iraniennes en lutte contre un régime oppresseur et notre soutien, on peut ne pas être enthousiasmé par Lire Lolita à Téhéran.

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Cassandre ★★★☆

Cassandre se souvient de son adolescence détraquée. En 1998, elle avait quatorze ans. Pensionnaire dans un lycée militaire non mixte, elle était rentrée passer l’été chez ses parents, dans la Sarthe. Son père, un colonel de cavalerie rayé des cadres, y fait régner une discipline de fer. Sa mère, au contraire, totalement farfelue, professe un mode de vie soixante-huitard. Son frère aîné, passablement idiot, revient d’une année aux Etats-Unis et porte à sa cadette un intérêt pesant.
Loin de ce milieu toxique, Cassandre trouve dans le centre de loisirs où elle pratique l’équitation un environnement autrement plus amical.

Cassandre est le premier film, écrit et réalisé par Hélène Merlin. Elle ne cache pas la part d’autobiographie qu’il contient. C’est un film étonnant, à cheval sur plusieurs genres, qui évite le piège du film à thèse.

Tourné dans une chaleureuse lumière estivale, il a la saveur d’une comédie familiale, comme son affiche trompeuse pourrait le laisser penser. Ses personnages sont savoureux. On se demande un instant ce que l’administrateur général de la Comédie-Française est venu y faire, loin des films en costumes auxquels il nous avait habitués, avant de découvrir toute la palette de talents d’Eric Ruf, malaisant à souhait, dans le rôle d’un pater familias tyrannique. Zabou Breitman incarne une forme de folie douce. Le jeune Florian Lesieur interprète à merveille un grand dadais mal dégrossi dont on se demande constamment s’il est gentiment retardé ou dangereusement pervers.

Cassandre est aussi un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence – même si Cassandre est bien jeune pour sortir de l’adolescence… et Billie Blain, 21 ans, un chouïa trop vieille pour le rôle. La jeune actrice porte le film sur ses épaules. On l’avait déjà aperçue dans L’Astragale, Sparring, La Sainte famille, Le Règne animal. Elle éclate dans ce rôle qu’elle interprète avec une candeur rafraîchissante, parfaitement respectueuse des règles strictes qui rythment la vie de sa famille et éblouie de découvrir au centre équestre un autre style de vie.

Cassandre est enfin un conte noir, qui se déroule dans un grand château perdu au fond des bois, avec deux adultes anonymes dont on ne connaîtra jamais le prénom. Son action se déroule l’espace d’un été mais elle est mise en abyme doublement : par la voix off de la narratrice et par sa silhouette à l’âge adulte, manipulant une marionnette censée la représenter.

L’immense qualité de Cassandre est de ne pas sombrer dans le voyeurisme ni dans le manichéisme. La réaction de Zabou Breitman à la fin du film est à ce titre particulièrement déstabilisante : les arguments qu’elle invoque pour minorer les faits et continuer à se voiler la face pour maintenir les apparences sont dangereusement convaincants.

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Deux sœurs ★★★☆

Pansy (Marianne Jean-Baptiste) est une vieille femme acariâtre, rongée par la dépression, qui fait vivre un enfer à son mari et à son fils. Sa sœur Chantal (Marianne Austin) est son parfait opposé, qui travaille dans son salon de coiffure et entretient avec ses deux filles, Kayla et Aleisha, une relation aimante et complice.

Mike Leigh est un des plus grands réalisateurs britanniques. Palme d’or à Cannes en 1996 avec Secrets et Mensonges, Lion d’or à Venise en 2004 avec Vera Drake, il revient à quatre-vingts ans passés au drame intimiste après un détour par le biopic historique (le très réussi Mr Turner en 2014).

L’héroïne de Deux sœurs n’est pas aimable. Pire : elle est détestable. Au point parfois d’en être drôle façon Tatie Danielle dans ses interactions avec son docteur, sa dentiste, une caissière au supermarché… Pansy est fâchée avec la terre entière. Pourquoi ? On le découvrira progressivement, même si son état ne tient pas à une cause unique : le divorce de ses parents, la mort de sa mère, un mariage sans amour… Elle en fait payer le prix à son mari, qui s’use la santé dans son travail, et à son fils, obèse, qui a trouvé la meilleure parade en se murant dans le silence. Ce personnage secondaire-là, quasi-muet, est très attachant et l’avant-dernière scène sans paroles du film, qui le retrouve à Picadilly Circus, est bouleversante.

En contrepoint du foyer de Pansy, maniaquement entretenu et d’une froideur glaciale, on découvre celui de Chantal, bigarré, mal rangé et bruyant. Ses filles sont des rayons de soleil, même si la vie n’est pas tendre avec elles – l’aînée se fait martyriser par la directrice de l’agence de publicité qui l’emploie. On apprend qu’après le divorce de leurs parents, Pansy a assumé une partie de l’éducation de sa sœur cadette. Chantal, profondément empathique, voudrait aider son aînée, la sortir de sa déprime, la purger de sa fielleuse acrimonie. Le film est l’histoire de ses tentatives avortées. Sa fin pourrait sembler frustrante sinon paresseuse. Elle laisse ouverts tous les possibles et nous laisse imaginer le destin de ces personnages attachants.

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Bernie (2011) ★★☆☆

La petite ville de Carthage, dans l’est du Texas, a connu dans les années 90 un fait divers retentissant : Bernie Tiede (Jack Black), directeur adjoint de l’entreprise de pompes funèbres municipale, un homme charmant adoré de la communauté, a assassiné Marjorie Nugent (Shirley McLaine), une riche veuve acariâtre dont il partageait depuis quelque temps la vie.
Richard Linklater, le réalisateur de Boyhood, l’un de mes films préférés de la dernière décennie, a construit un film original à mi-chemin de la fiction et du documentaire. Il a demandé à des acteurs professionnels d’interpréter les rôles des différents protagonistes. Il a notamment confié à Matthew McConaughey le procureur bas du front chargé d’incriminer Bernie. Mais il a parallèlement recueilli le témoignage des habitants de Carthage, unanimement favorables à Bernie et enclins à le disculper.

Le résultat est désopilant. Il l’est d’abord à cause de la profession de Bernie, qui donne lieu à quelques scènes délicieusement malaisantes, comme la première où on le voit expliquer devant des étudiants en thanatopraxie les secrets de son art. Il l’est ensuite dans la relation qu’il noue avec l’horrible Marjorie, incarnée par Shirley McLaine qui a le défaut de ne pas être suffisamment antipathique pour un tel rôle à la Bette Davis ou à la Tsilla Chelton (Tatie Danielle). Il l’est enfin par sa morale, ou plutôt par son absence de morale : difficile de ne pas prendre fait et cause pour ce brave bougre de Bernie et ne pas espérer qu’il soit innocenté du crime pourtant sordide qu’il a commis.

Le problème de Bernie est qu’il tient tout entier dans le résumé que je viens d’en faire. Richard Linklater aurait pu souligner les ambiguïtés du personnage : Bernie n’a-t-il pas séduit Majorie pour mettre la main sur sa richesse ? n’avait-il pas prémédité son crime ? Séduit par son personnage, convaincu de sa candeur, le film ne creuse pas ces pistes qui, crédibles ou pas, auraient donné plus de profondeur à une histoire finalement trop lisse.

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