La Femme qui en savait trop ★★☆☆

Zara, professeure de danse d’une quarantaine d’années, a épousé en secondes noces Solat, un homme riche et puissant. Zara a eu une fille, Ghazal, d’un premier lit, qui marche sur ses pas et aspire elle aussi à plus de liberté.  Mais les deux femmes sont tenues en laisse courte par Solat, qui réprouve la profession de sa femme et son exposition sur les réseaux sociaux. Tarlan (Maryam Boubani), une enseignante retraitée qui adopta Zara après la mort de sa mère biologique, est le témoin  impuissant des violences subies par sa fille adoptive. Ses tentatives pour les dénoncer se heurtent au mur de silence dressé par une société patriarcale adossée à un régime policier.

Nader Saeivar est un compagnon de route de Jafar Panahi. Il a coproduit et coécrit avec lui le scénario de plusieurs de ses films, notamment Aucun ours et Trois visages. Le célèbre réalisateur iranien primé à Venise, à Berlin et en mai dernier à Cannes lui a renvoyé l’ascenseur en participant à l’écriture et au montage de cette Femme qui en savait trop, un titre peut-être un peu trop hitchcockien pour un film sans suspense. Le titre original, plus laconique, The Witness, aurait mieux convenu.

La Femme qui en savait trop a l’avantage et l’inconvénient de ressembler aux films iraniens qu’on a déjà vus et beaucoup aimés. Comme eux, il dénonce un régime criminel, qui bafoue les libertés individuelles et opprime les femmes. Il le fait avec un vrai talent cinématographique, à la fois dans sa mise en scène et sa direction d’acteurs. Mais rien ne le distingue de ce qui a déjà été filmé, et remarquablement filmé, par d’autres réalisateurs iraniens, tels que Jafar Pahani précisément, Mohammad Rasoulof ou Asghar Farhadi.

La bande-annonce

Miroirs n° 3 ★☆☆☆

Étudiante en musique à Berlin, Laura (Paula Beer) échappe de peu à la mort lors de l’accident de voiture qui tue le petit ami dont elle était en train de se séparer. Betty (Barbara Auer) la prend sous sa coupe et l’héberge chez elle le temps de sa convalescence. Le mari de Betty et son fils Max, qui travaillent ensemble dans un garage clandestin, accueillent l’inconnue avec réticence.

Christian Petzold est devenu depuis quelques années le porte drapeau du cinéma allemand à l’étranger. Il y occupe la place laissée vacante par Wim Wenders depuis que le réalisateur de Paris, Texas s’est perdu dans des chemins de traverse.
Christian Petzold a eu longtemps pour égérie Nina Hoss qu’il fit tourner dans six de ses films de 2001 à 2014. Il lui a substitué Paula Beer, à l’affiche de Transit, d’Ondine, du Ciel rouge et de ce Miroirs n° 3 qui doit son titre à une pièce de Ravel qu’elle interprète sans doublure au piano. Le réalisateur aime à s’entourer d’acteurs fidèles puisqu’on retrouve à l’affiche Barbara Auer, Matthias Brandt et Enno Trebs qu’il avait déjà fait tourner.

Miroirs n° 3 a enthousiasmé Cannes où il était projeté à la Quinzaine des cinéastes, et la critique qui l’a élu sans hésitation film de la semaine sinon du mois ex aequo avec Valeur sentimentale. Si je cite le film scandinave couvert d’éloges, c’est parce que j’ai éprouvé la même déception devant ces deux films, accrue du sentiment d’être passé à côté de deux grandes oeuvres unanimement acclamées.

En effet, je reconnais volontiers à ce film-ci comme à Valeur sentimentale, ses qualités, sa direction d’acteurs, la sensibilité des thèmes évoqués, qui traversent d’ailleurs toute l’oeuvre de Petzold : la présence obsédante de la mort (qui hante la première scène où Laura déambule au bord du parapet d’un pont avant de croiser au bord de l’onde la route d’un macabre nautonier), les familles brisées, le travail de deuil, la possibilité d’une seconde chance….

Mais j’ai trouvé sa langueur vite désagréable, voire un brin poseuse. Le scénario de ce film aurait pu tenir en dix pages et en trente minutes. J’ai eu l’impression que le réalisateur/scénariste diluait la sauce pour tenir une heure trente.

Deux points du scénario m’ont posé problème. Le premier est le caractère hautement improbable de la rencontre entre Laura et Betty. Comment peut-on raisonnablement imaginer que la première, après avoir échappé de peu à la mort, s’installe chez la seconde sans qu’un ami (notamment ce couple qu’elle a laissé quelques minutes plus tôt à un embarcadère) ou un parent ne s’inquiète de son sort ?
Le second est le secret de famille que taisent Betty, son mari et son fils. Un oeil à la bande-annonce ou quelques minutes dans le film suffisent à le deviner. On n’imagine pas que les producteurs n’en aient pas eu conscience et aient accepté que le film soit tout entier construit autour de ce faux secret. Pourquoi donc le taire ? Parce que Paula serait la seule qui n’en ait pas conscience ?

La bande-annonce

Pris au piège ★★☆☆

Ancien jeune espoir du baseball dont la carrière fut stoppée net par un accident de voiture, Hank Thompson (Austin Butler) vit désormais à New York. Il y mène une vie tranquille entre le bar qui l’emploie dans le Lower East Side son job de barman et sa petite amie (Zoe Kravitz) jusqu’au jour où son voisin de palier, un punk à chat, part pour Londres et que la mafia russe, deux tueurs loubavitchs et une flic louche se mettent à lui tourner autour à la recherche d’une clé qu’il n’a pas.

Darren Aronofsky est sans doute l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Je me souviens l’avoir découvert avec π à la fin des années 90 et surtout de la claque reçue devant Requiem for a Dream – dont j’ai écouté la bande originale en boucle pendant des années. je me souviens de The Fountain, de The Wrestler avec Mickey Rourke et de Black Swan avec Natalie Portman. Si Mother! était carrément raté, The Whale avec l’interprétation bluffante de Brendan Fraser était inoubliable.

Dans une telle filmographie qui est tout sauf tiède, Pris au piège a des airs de film mineur, de pas de côté. Une autre façon, moins amène, de le dire est qu’il ne faut pas se fier à la réputation de son réalisateur. Pris au piège en effet ressemble à des films qu’on a déjà vus, sympathiques, rythmés, pétaradants, délicieusement amoraux, tournés par Guy Ritchie (pour les scènes d’action), par Tarantino (pour ses tueurs sympathiques) ou par Danny Boyle (pour les séquences trash sous substance).

On passe un agréable moment, sans regarder sa montre. On serait vraiment bégueule de nier le plaisir qu’on y prend à débrancher ses neurones et à reluquer Austin Butler (Elvis, The Bikeriders) et Zoe Kravitz aussi agréables à regarder torses nus l’un que l’autre. Mais, il est à craindre que sitôt vu ce film soit sitôt oublié. L’utilité d’y adjoindre deux suites comme annoncé par ses producteurs ne saute pas aux yeux.

La bande-annonce

En première ligne ★★★☆

Floria (Leonie Benesch découverte l’an passé dans La Salle des profs et revue dans 5 septembre) est infirmière à l’hôpital cantonal de Bâle. Dans un service en sous-effectif, elle va devoir faire face sans un instant de répit à tous les imprévus d’une journée de travail en tentant de s’occuper au mieux des patients dont elle a la charge.

En voyant la bande-annonce de ce film suisse (sa réalisatrice avait signé en 2017 un film délicieux sur la tardive reconnaissance du droit de vote des Suissesses), je redoutais par avance un double écueil. Le premier : un film bien-pensant sur la grandeur et la servitude du métier d’infirmière. Le second : un scénario dont on connaît par avance le début (le commencement de la journée de travail d’une infirmière), le milieu (les mille et uns petits faits banals qui émaillent la journée d’un service) et la fin (l’héroïne épuisée mais fière du travail accompli quitte enfin l’hôpital).

« En première ligne », une expression popularisée par la pandémie du Covid-19, traduction plutôt réussie du titre original « Heldin » (« Héroïne » dont la polysémie a peut-être fait hésiter les distributeurs français) n’évite pas ces deux écueils.

C’est d’une part un film à la gloire de la profession médicale. On en a vu tellement qu’on pourrait finir par s’en lasser, qu’il s’agisse de fictions (Voir le jour avec Sandrine Bonnaire qui se déroulait dans un service de maternité, Patients de Grand Corps Malade, Pupille, un film quatre étoiles, L’Ordre des médecins avec Jérémie Renier, Sage-Femmes …) de documentaires (De chaque instant de Nicolas Philibert sur la formation de jeunes infirmières, Premières urgences dans un service d’urgences d’un hôpital public du 9.3, Notre corps de Claire Simon, H6 à Shanghai, Toubib, Madame Hoffmann, État limite… ou tout récemment encore Sauve qui peut) ou encore de séries (Urgences, Grey’s Anatomy, Dr House, Scrubs, Nip/Tuck, The Knick, Hippocrate…).

C’est d’autre part un scénario qui ne recèle aucune surprise. Comme l’annonçait la bande-annonce (!), En première ligne raconte les mille et uns petits faits banals d’une journée banale de la vie d’une banale infirmière dans un service en tension : le patient acariâtre qui réclame sa tisane, celle qui fume en douce, celui qui fait une réaction anaphylactique à un médicament contre-indiqué, celui qui refuse la sonde gastrique avant un scanner, celle que la fille à l’autre bout du monde cherche en vain à joindre au téléphone, etc.

Pour autant, En première ligne n’en est pas moins un film remarquablement réussi. La recette en est simple : un tempo qui ne se relâche jamais – et qui rappelle celui, diablement efficace de Laure Calamy dans À plein temps. Il nous tient en haleine de la première à la dernière minute. En première ligne est terriblement immersif, quasiment irrespirable. On s’identifie totalement à son héroïne, partage son stress et a envie de lui taper sur l’épaule pour lui dire : « prends cinq minutes et va faire pipi ».

La bande-annonce

Brief History of a Family ★☆☆☆

Wei est un lycéen médiocre, fils unique d’un couple de riches Chinois. Son père est ingénieur ; sa mère, ancienne hôtesse de l’air, est femme au foyer. Wei se lie d’amitié avec Shuo, un camarade taiseux, et l’invite chez lui. Touchés par sa modestie, les parents de Wei le prennent sous sa coupe.

Brief History of a Family est un film étonnant. Il nous vient de Chine et évoque la politique de l’enfant unique qui y fut de mise de 1979 jusqu’il y a peu ; mais il pourrait se dérouler n’importe où dans le monde. C’est le signe sinon d’une occidentalisation de la Chine du moins d’une universalisation de son cinéma dont les standards sont de moins en moins exotiques et se rapprochent de ceux qui ont cours ailleurs.

Brief History of a Family vaut surtout par son travail sur les cadres et le son. Filmé en plan fixe, au cordeau, Brief History est un film anguleux, géométrique où chaque plan assigne les personnages à un endroit bien précis de l’espace. Aucune musique, aucun bruit de fond, mais un silence sourd, comme celui qu’on entendrait dans un caisson insonorisé. Il m’a rappelé la froideur glacée des films de Jessica Hausner (Club Zero, Little Joe…).

Le défaut de ce film est de mobiliser un dispositif si impressionnant au profit d’un scénario bien faiblard. Comme dans l’hyper-référentiel Théorème, le sujet de Brief History est la lente décomposition d’une cellule familiale au contact d’un corps étranger. Brief History utilise d’ailleurs la profession du père et quelques plans filmés au microscope pour filer cette métaphore anatomique. On y voit lentement les déceptions accumulées que cause à ses parents l’éducation de Wei nourrir l’attachement grandissant qu’ils éprouvent pour Shuo.

Tout le film nous tient en haleine. Son rythme très lent nous laisse le temps de nous perdre en conjectures : Shuo a-t-il menti sur sa famille ? nourrit-il quelque pulsion criminelle ? une révélation viendra-t-elle éclairer les liens qui l’unissent à Wei et à ses parents ?

[Spoiler] Hélas rien ne se passe. L’ennui grandit. Pire : rien ne vient et le film se termine sans que les questions qu’on s’était posées trouvent de réponses.

La bande-annonce

Sister Midnight ★★☆☆

Uma vient de se marier. Elle s’installe à Mumbai chez Gopal, son mari, dans son minuscule logement. Les deux époux se connaissent à peine et sont aussi empruntés l’un que l’autre. Le silence et les absences de Gopal, qui quitte le foyer à l’aube pour aller travailler et y revient ivre mort au milieu de la nuit, laissent Uma désemparée.

Le festival de Cannes 2024 a décidément fait la part belle au cinéma indien conjugué au féminin. Après All we imagine as Light, Grand prix du jury, après Santosh, succès surprise du box-office de l’été dernier, après The Shameless, prix d’interprétation féminine de la section Un certain regard, Sister Midnight vient compléter ce portrait kaléidoscopique de la femme indienne moderne.

Comme Renuka, l’héroïne de The Shameless, comme Santosh, la jeune policière du film éponyme, comme les trois personnages féminins de All we imagine as Light, Uma subit un système patriarcal qui ne lui laisse guère de liberté. Sa place est au foyer, destinée à attendre le retour de son mari après lui avoir préparé un bon repas et avoir pris soin de son intérieur. Mais Uma est incapable de cuisiner et a peu de goût pour le balai.

L’originalité de Sister Midnight réside dans l’expression que prend la révolte d’Uma et la façon dont le réalisateur Karan Kindhari – indien né au Koweït et installé au Royaume-Uni – la filme. Il aurait pu choisir, comme dans The Shameless le thriller ou, comme dans All we imagine as Light, le drame intime. Il prend une voie plus originale, dont on ne peut pas dévoiler grand chose sauf à se priver de la surprise que son lent dévoilement procure. Le script du film est à ce titre remarquable qui réussit à ménager ses effets et à éviter – vice commun à nombre de scénarios construits autour d’une révélation étonnante – que le film soit coupé en deux entre un avant et un après.

Il y parvient avec un montage très original qui multiplie les ellipses et laisse suspecter une action qui se déroule hors champ. Il y parvient aussi grâce au jeu burlesque et quasiment muet de ses acteurs. Il n’y a aucune parole échangée pendant les dix premières minutes du film et guère plus le reste du temps. À noter enfin la musique volontairement décalée qui mélange hard rock, blues et soul cambodgienne.

La bande-annonce

Sous hypnose ★☆☆☆

André et Vera sont deux jeunes startuppers suédois qui ont développé une application destinée à améliorer la santé féminine dans les pays en développement. Ils doivent en faire la présentation devant un parterre d’investisseurs et s’y préparent en suivant un stage avec d’autres développeurs. Pour s’arrêter de fumer, Véra a suivi une séance d’hypnose. Mais ses résultats se révèlent déconcertants.

On voit émerger au cinéma un néologisme. « Östlundien » désigne un film qui défie les convenances et suscite un rire gêné. La mode en a été lancée par les films de Ruben Östlund, notamment par ses deux Palmes d’or The Square en 2017 et Sans filtre en 2022. Ces deux éminentes récompenses nous disent beaucoup du monde dans lequel nous vivons, des conventions qui l’étouffent comme de la rage destructrice avec laquelle nous essayons de nous en libérer. Ces temps-ci, on voit se multiplier les films östlundiens : ceux de Quentin Dupieux et, au premier chef, son dernier, L’Accident de piano, l’autrichien Peacock (qui s’inscrit dans la veine des non moins östlundiens Ulrich Seidl et Jessica Haussner), voire le dernier film de Roman Polanski The Palace.

Les films östlundiens mettent mal à l’aise. C’est d’ailleurs leur but. J’ai trop souvent évoqué mes réserves à l’égard des feel-good movies, et j’ai suffisamment répété que le cinéma n’avait pas pour vocation de nous faire du bien, pour m’en plaindre. Sous hypnose met mal à l’aise, provoquant un rire gêné devant l’outrance de certaines situations. Comme la pâtisserie, le genre est affaire de dosage. À partir de quand le malaise au cinéma devient-il malaisant ?

Le problème de Sous hypnose est d’avoir dépassé cette limite. Les outrances de Véra sont d’abord amusantes ; elles deviennent bientôt embarrassantes ; elles finissent par être lassantes. Le problème aussi est qu’elles ne riment à rien, sinon à exprimer un malaise dont on a vite fait le tour avec un « système » formaté dont le procès a déjà été mille fois instruit.

La bande-annonce

Cloud ★☆☆☆

Ryosuke achète en ligne des produits qu’il débusque à bas prix et, profitant des effets de mode, les revend avec une marge confortable. Les profits qu’il tire de ces transactions le conduisent à démissionner de son emploi, dans une usine, à quitter la chambre minuscule qu’il occupait à Tokyo, et à s’installer avec sa fiancée dans une immense maison à la campagne.

Sortent coup sur coup en France trois films de Kiyoshi Kurosawa : Chime le 28 mai, Cloud le 4 juin et La Voie du serpent le 3 septembre. Les sentiments mitigés que m’avait inspirés Chime m’ont conduit à retarder le visionnage de Cloud. Tout bien considéré, j’aurais dû y renoncer tant ce film m’a déplu.

J’ai trouvé son installation très poussive. On a tôt fait de comprendre les petits trafics auxquels se livre Ryosuke et on n’a pas besoin qu’ils nous soient expliqués  pendant plus d’une demi-heure. Le film prend ensuite un tour différent dans la maison reculée où Ryosuke s’est installé et a recruté un assistant. Des clients mécontents manifestent en ligne leur insatisfaction, exigent d’être remboursés, crient vengeance. Cette menace virtuelle devient vite bien réelle. Ryosuke doit se défendre contre de dangereux assaillants qui attaquent sa maison.

Dans sa seconde partie, Cloud se réduit à une longue course poursuite. Elle s’achève par un interminable jeu de cache-cache dans une usine désaffectée. L’exercice ne présente aucun intérêt sinon celui de s’amuser à deviner qui sera l’ultime survivant de cette tuerie à la Reservoir Dogs.

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À feu doux ★★☆☆

Ruth Goldman est une octogénaire encore ingambe qui, après avoir toute sa vie travaillé en cuisine, aime encore mitonner de savoureux repas. Mais, souffrant d’Alzheimer, elle doit quitter son domicile pour aller finir ses jours dans une luxueuse maison de retraite.

Le pitch d’À feu doux n’a rien de bien euphorisant. On se demande quel public il vise sinon le troisième âge. J’étais d’ailleurs quasiment le plus jeune spectateur de la salle hier soir – ce qui m’arrive de plus en plus rarement. Sans doute faut-il avoir, avoir eu ou être sur le point d’avoir un parent en EHPAD pour y être particulièrement sensible. Tel est mon cas hélas.

Le sujet de la vieillesse et de la dépendance est à la mode : Un beau matin, Tout s’est bien passé, Falling, Supernova, The Father… Pour moi, le meilleur film sur ce thème reste Loin d’elle de Sarah Polley, adapté d’une nouvelle de Alice Munro, prix Nobel de littérature. Son héroïne, frappée par la maladie d’Alzheimer, est placée en maison de retraite par son mari dont elle perd inexorablement le souvenir, au point de tomber amoureuse d’un autre résident.

Rien de tel dans À feu doux même si Ruth y ressent la frustration du sevrage de toute sensualité et y vibre au seul contact de la main de son docteur. Avec une grande finesse, Sarah Friedland, qui s’est longuement documentée, montre la lente dégradation des fonctions cognitives de Ruth, par exemple dans sa façon de choisir son vêtement et de le passer.

Cette précision documentaire est d’ailleurs paradoxalement le principal défaut du film, qui lentement égrène les différents symptômes de la maladie et ses stades successifs. Je me suis demandé comment il se terminerait et comment il traiterait l’issue inéluctable de cette fatale trajectoire. Je n’aurais pas aimé qu’il se close avec son avant-dernière scène trop optimiste et j’ai apprécié qu’on lui rajoute la toute dernière.

Mais de toutes, c’est la première qui ouvre le film que j’ai trouvée la plus intéressante. On y voit Ruth préparer un repas et accueillir un invité dont elle a manifestement perdu la mémoire de l’identité. On comprendra ensuite qu’il s’agit de son fils et de son dernier repas chez elle avant son départ pour cette maison de retraite dont elle ne sortira plus. L’écriture de cette scène est remarquable car elle semble construite sur un double mystère (qui est cet invité et vers quelle destination se rendent ils ?) qui n’en est pas un pour tous les spectateurs qui connaissent déjà le sujet du film. « Je fais semblant de croire que vous ignorez ce que vous savez déjà » pourrait être le non-dit de cette scène maligne.

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Voyage au bord de la guerre ★☆☆☆

Alors que la Russie vient d’attaquer l’Ukraine, Antonin Peretjatko entreprend en mai 2022 un voyage au pays de son grand-père. Il traverse l’Europe avec Anton, un ami ukrainien réfugié en France, à bord d’une voiture chargée d’effets et de vivres. Il filme son odyssée avec une antique caméra Bolex 16mm.

Antonin Peretjatko a fait partie il y a une dizaine d’années, avec Justine Triet, Guillaume Brac  ou Yann Gonzalez, de la nouvelle Nouvelle vague française, signant de petites comédies loufoques filmées avec deux bouts de ficelle avec Vincent Macaigne ou Vimala Pons comme acteurs fétiches. Chacun a creusé son sillon : Justine Triet est devenue la star que l’on sait avec sa Palme d’or pour Anatomie d’une chute, Guillaume Brac a enchaîné des films rohmériens minuscules et délicats, Yann Gonzalez a assumé le cinéma queer d’une réalité fantasmée.

Antonin Peretjatko semble, à cinquante ans passés n’avoir pas encore trouvé sa voie ou, pour le dire positivement, refuse de s’enfermer dans un genre. La Loi de la jungle avec Vincent Macaigne et Vimala Pons louchait vers le burlesque ; La Pièce rapportée avec Anaïs Demoustier et Philippe Katerine était un vaudeville assumé. Ce Voyage est un pas de côté qui n’avait pas nécessairement vocation à trouver un chemin en salles. Il a d’ailleurs mis plusieurs années à y arriver.

Il ne nous apprendra rien sur la guerre en Ukraine qu’on ne sache déjà ou qu’on ait déjà vu sur la brutalité de l’invasion russe, sur l’ampleur des destructions infligées et sur la résilience du peuple ukrainien. Le point de vue de Peretjatko est éminemment personnel et subjectif. Le parti pris n’est pas celui de la dramatisation ou de l’émotion mais au contraire de la légèreté teintée d’humour. Etait-ce le plus approprié pour traiter de cette guerre ?

Le film est précédé d’un court métrage intitulé Cinq minutes en Russie. Peretjatko y montre quelques images de sa traversée de la Russie en Transsibérien. Paradoxalement, on aurait aimé que ces cinq minutes-là durent plus longtemps et que le film mette en miroir ces deux voyages des deux côtés de la ligne de front qui sépare désormais ces peuples frères.

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