Flow ★★★☆

Un chat reprend conscience dans un monde post-apocalyptique dont toute vie humaine a disparu. Le niveau des eaux monte inexorablement. Pour se sauver de la noyade, il trouve refuge avec un capybara sur une felouque, portée par le vent. Trois autres compagnons de voyage l’y rejoignent bientôt : un lémurien, un labrador et un serpentaire.

N’y voyez aucun biais de ma part : le meilleur film d’animation de l’année est peut-être…. letton ! C’est en tout cas ce qu’a jugé le jury du festival d’Annecy qui lui a décerné son prix 2024. Après avoir été sélectionné en festival dans le monde entier, à Cannes, à Shanghai, à Jérusalem et à Melbourne, il est sorti cet été en Lettonie avant sa diffusion deux mois plus tard en France, précédé d’un bouche-à-oreille louangeur.

Flow est, comme les films précédents de Gints Zilbalodis, un film sans paroles qui séduira les grands comme les petits. Son histoire repose sur deux séries de questions : qu’est-il arrivé à la planète et quelle catastrophe risque d’y arriver encore ? comment ses minuscules héros pourront-ils y survivre ? La réponse est volontiers bon enfant ; elle n’en est pas simpliste pour autant.

Mais surtout Flow est un enchantement pour l’oeil. Chaque étape du voyage de notre félin héros est l’occasion de découvrir un paysage encore plus intimidant que le précédent. L’arrière-plan de l’affiche en donne un avant-goût. Les vues aquatiques sont des éblouissements. Sans y rien connaître, je crois que ce sont les plus difficiles à rendre en animation. Le résultat est époustouflant.
Mais les paysages terrestres ne le sont pas moins, qui empruntent à l’imaginaire, quelque part entre les à-pic du Seigneur des anneaux et les ruines vénitiennes du Rivage des Syrtes. Je craignais que l’odyssée de notre héros ne l’amène dans les ruines d’un Paris ou d’un New York englouti sous les eaux. Mais Flow embrasse pour le plus grand plaisir des spectateurs, un parti plus imaginatif encore.

La bande-annonce

Monsieur Aznavour ★★☆☆

Charles Aznavour (1924-2018) fut l’un des plus grands chanteurs français du siècle dernier. Il a écrit plus de mille chansons, a enregistré près de cent albums en studio, a vendu quelque quinze millions de disques à travers le monde. Monsieur Aznavour raconte, du début à la fin, sa longue carrière : son enfance dans un foyer modeste et aimant de réfugiés arméniens à Paris, ses premiers concerts dans les années 40, avec Pierre Roche (Bastien Bouillon révélé par La Nuit du 12) , sa rencontre avec Piaf qui le prend sous son aile, ses débuts hasardeux en solo, avant que le succès enfin lui sourie en 1962.

De ce biopic très académique, on pourrait recopier, sans en retirer un mot, l’excellente critique de Marie Sauvion. À commencer par sa première phrase qui vaut pour tous les biopics : « à quoi servent les biopics ? La réponse la plus évidente – à raconter la vie de quelqu’un – est aussi la moins intéressante, car elle est celle qui produit généralement le moins de cinéma. » On pourrait, comme elle, reprocher à ce Monsieur Aznavour, de ressembler à une longue notice Wikipédia, cochant méticuleusement tous les grands moments de l’artiste, sans en oublier aucune anecdote. On pourrait, avec elle, reprocher le parti pris de la mise en scène qui a essayé de coller au maximum aux personnages célèbres, transformés en autant de « chimères infécondes » : Aznavour lui-même bien sûr qu’interprète un Tahar Rahim rendu méconnaissable à force de postiches, mais aussi Piaf, Trénet, Bécaud, Johnny…. On pourrait enfin faire le procès d’un film trop sage, dûment validé par les héritiers de l’artiste, qui n’écorne pas la figure sanctifiée de ce bourreau de travail et de volonté qui, malgré sa taille (1m64) et sa voix voilée réussit à écrire son nom en haut de l’affiche. Bref, le compte serait bon : « révérence, mimétisme et tentation d’exhaustivité ».

Pour autant, tout en adhérant à chacune des lignes de cette critique millimétrée, tout en étant bourré de préjugés à l’égard d’un film et d’un genre dont je savais par avance qu’il ne me réserverait aucune surprise, je mentirais en disant que je n’ai pas aimé ce Monsieur Aznavour. Je ne m’y suis pas ennuyé une seconde. J’ai trouvé la mise en scène impeccable et la direction d’acteurs, aussi classique soit-elle, meilleure encore. J’ai traversé la vie d’Aznavour comme on feuillette un livre d’images. Et surtout j’ai réalisé avec émotion le nombre de chefs d’oeuvre que ce chanteur, que j’avais tôt fait de classer au nombre des stars has been que mes parents adulaient et que, pour ce motif, je méprisais, avait signés : Emmenez-moiFor me formidableJ’me voyais déjàLa BohêmeHier encoreetc.

La bande-annonce

Chroniques chinoises ★★☆☆

Chroniques chinoises, dont le titre original An Unfinished Film est plus parlant, est un vrai-faux documentaire qui raconte le tournage de deux films inachevés. Le tournage du premier, un drame sentimental, s’est interrompu à la fin des années 2000 faute de financement. Le producteur et le réalisateur décident de réunir l’équipe du film pour l’achever dix ans plus tard. Mais ce second tournage sera lui-même à son tour interrompu par l’épidémie de Covid et par le confinement.

Chroniques chinoises présente un double intérêt.

Le premier est de nous plonger au cœur d’une équipe de production en pleine réalisation d’un film, comme l’était l’équipe libanaise de Danses sur un volcan ou l’équipe française de Coupez !

La seconde, de loin la plus intéressante, est de nous faire revivre les premiers jours du Covid. Le film nous montre comment les autorités chinoises ont brutalement réagi à l’épidémie en confinant sans préavis tous les cas-contacts. Cette présentation devrait faire réfléchir tous ceux qui, en France, criaient à la dictature, leur montrant ce qu’est une vraie dictature. Mais au-delà du cas chinois, ce documentaire nous fait revivre des heures que nous avons tous traversées et qui nous auront marqués à jamais : où étions-nous quand l’épidémie a éclaté ? comment y avons-nous réagi ? avec indifférence ? avec panique ? comment avons-nous vécu le confinement et parfois l’éloignement de nos êtres chers ?

Le Covid aura été, dans nos histoires individuelles et dans l’histoire du monde, un événement exceptionnel. Il est passionnant de voir comment le cinéma s’en empare, ce qu’il a à en dire, comment il entend le raconter…. Je réfléchis au plan en deux parties et deux sous-parties d’un article intitulé « Covid et cinéma » : I. Le Covid a arrêté la production cinématographique (A) et l’a mise au défi de se réinventer (B) II. Le cinéma a fait du Covid depuis 2020 un de ses thèmes de prédilection, soit qu’il nous raconte le déroulement de la crise (A), soit qu’il en fasse une métaphore du monde à venir (B).

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What a Fantastic Machine! ★★☆☆

Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck ont créé ensemble Plattform Produktion à Göteborg en Suède en 2013. Ils réfléchissent à l’impact des images sur notre société.

Leur documentaire, dont le titre est une interjection du roi Edouard VII, stupéfait de découvrir à l’écran la reconstitution de son couronnement filmée en 1902 par Georges Méliès, commence par un long rappel historique sur la naissance des daguerréotypes, de la photographie et du cinématographe. Il consacre notamment une séquence à Leni Riefenstahl dont on sait qu’elle mit son talent au service de la propagande hitlérienne : l’interview qu’elle donne au crépuscule de sa vie, dans laquelle elle souligne les qualités artistiques du Triomphe de la volonté (1935), sans dire un mot de l’idéologie que son film promouvait, donne froid dans le dos.

Sans guère de transition, What a Fantastic Machine! en vient à l’époque contemporaine caractérisée par  les progrès technologiques permettant à chaque individu de se mettre en scène et, en conséquence, par la multiplication exponentielle des images en circulation. Un chiffre donne le vertige : chaque minute, cinq cents heures de vidéos sont mises en ligne sur Youtube, posant notamment le défi de son impossible régulation. Dans cette masse d’images, le pire côtoie le meilleur. La démocratisation de l’image et de l’information pourrait être un fantastique instrument de diffusion du savoir. MacLuhan en avait eu très tôt l’intuition. Mais le risque est plus grand encore d’un abêtissement général et de la multiplication inquiétante de discours alternatifs, prônant des contre-vérités plus ou moins dangereuses.

What a Fantastic machine! voudrait nous sensibiliser au pouvoir des images. Il lance un appel à l’indispensable éducation à l’image dès le plus jeune âge. On aurait mauvaise grâce d’y trouver à redire. Mais le propos n’est pas très nouveau. Et le débat animé par l’un des deux co-réalisateurs avant-hier à l’Espace Saint-Michel, après la projection du documentaire, a enfoncé des portes ouvertes.

Si What a Fantastic Machine! vaut le détour, c’est moins par son thème, auquel on a déjà été sensibilisé, que par son contenu. Film de montage, il contient en effet des séquences incroyables. Certaines sont devenues iconiques pour des motifs d’ailleurs intéressants à décortiquer. Ainsi de cet expert en Corée du Sud dont l’intervention en visioconférence depuis son domicile est perturbée par l’irruption de sa fille.  Ainsi de ces photographes intrépides qui se filment depuis le sommet du Burj Khalifa à Dubai. Ainsi enfin de ce comptable, venu passer un entretien de recrutement au siège de la BBC, qui s’est retrouvé par erreur en direct à commenter l’actualité. Jetez un oeil à sa bande-annonce pour vous en convaincre !

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Fario ★☆☆☆

Léo (Finnegan Oldfield), jeune biologiste expatrié à Berlin, revient chez lui quelques jours dans le Doubs rendre visite à sa mère (Florence Loiret-Caille). Il a hérité de son père, récemment décédé dans de tragiques circonstances, des terres qu’il a décidé de vendre à une compagnie minière. Sa mère et ses amis sont hostiles au projet. L’observation par Léo des farios, les truites de rivière, et de la troublante évolution de leur comportement le conduit à la même conclusion.

L’an passé sortait Paula, un film dont Finnegan Oldfield partageait la tête d’affiche. Il y interprétait déjà le rôle d’un biologiste paranoïaque. Paula baignait dans une atmosphère très proche de celle de Fario, à la lisière du fantastique. C’est d’ailleurs un trait révélateur de l’évolution de nos sociétés. Le cinéma fantastique était hier un cinéma urbain, les monstres y naissaient dans les interstices des mégalopoles (sous-sols, égouts, catacombes…). Aujourd’hui de plus en plus le cinéma fantastique se déroule à la campagne où des dérèglements climatiques (pluies acides, nuées d’insectes…) mettent l’humanité en péril.

Mais Fario n’est pas seulement une fable fantastique. On comprend bientôt que le retour au pays natal de Léo est l’occasion pour lui de solder son passé familial et de se libérer du syndrome qui affecte insidieusement son équilibre (trouble de l’érection, état dépressif, addictions…).

Sur le papier, le scénario tient la route. Mais à l’image, le résultat n’est pas convaincant, malgré l’implication des deux acteurs principaux et des acteurs secondaires qui les entourent (Andranic Manet, Olivia Côte, Maxence Tual…). La faute à un scénario qui manque d’épaisseur.

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La Déposition ★★☆☆

En 1993, Emmanuel Siess, alors âgé de treize ans à peine, a été abusé par un prêtre à qui il vouait une confiance absolue. Ses parents n’ont pas cru leur enfant qui leur avait aussitôt rapporté les faits. Près de trente ans plus tard, après y avoir longuement réfléchi et contacté l’archevêque de Strasbourg, Emmanuel décide de porter plainte à la gendarmerie. Sa cousine, Claudia Marschal, une réalisatrice formée à l’école documentaire de Lussas (Ardèche), filme sa déposition.

Depuis l’admirable travail mené par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, on en sait plus sur ce sujet longtemps tabou : son rapport estime à plusieurs centaines de milliers le nombre de victimes, surtout de jeunes garçons, d’abus commis par quelque trois mille pédo-criminels au sein de l’Eglise catholique depuis les années 50.

Emmanuel fut l’un d’entre eux, dont l’histoire serait banale si elle n’était pas dramatique. Elle a pour cadre le Sundgau haut-rhinois, à la frontière de l’Allemagne et de la Suisse. Benjamin d’une fratrie de trois enfants, délaissé par ses parents que la gestion quotidienne de leur bar-restaurant accaparait, hypersensible, Emmanuel est très pieux depuis sa tendre enfance. Il devient servant de messe et se rapproche du nouveau curé de la paroisse. Emmanuel raconte comment, un jour d’orage, le prêtre prenant prétexte de la pluie, l’a dénudé et caressé. Les faits sont prescrits car ils constituent des agressions sexuelles. Y aurait-il eu viol, ils ne l’auraient pas été, la prescription s’étendant désormais trente ans après la majorité du mineur violé.

Le documentaire de Claudia Marschal utilise les vieilles photos et les films Super-8 tournés pendant l’enfance d’Emmanuel. On y voit une France profondément rurale, qui me rappelle celle de mon enfance dix ans plus tôt, avec ses fêtes familiales copieusement arrosées. Emmanuel est le héros du film. Il a aujourd’hui près de quarante ans. C’est un bel homme qui assume son homosexualité sans ambages et qui est toujours en quête spirituelle : il a quitté l’Eglise catholique pour l’Eglise évangélique. Le père d’Emmanuel est l’autre héros du film : c’est un homme fruste qui s’exprime avec un très fort accent, animé par une foi profonde, presqu’idolâtre. Il est taraudé par le remords d’avoir fait la sourde oreille au témoignage de son fils et voudrait maladroitement rattraper le temps perdu.

J’ai eu la chance d’assister au Saint-André-des-arts au débat qui a suivi la projection du film, le jour de sa sortie, en présence de sa réalisatrice. Claudia Marschal a expliqué sa démarche avec beaucoup d’intelligence, refusant d’en faire le film d’un thème – les abus sexuels dans l’Eglise – ou d’une cause – la condamnation du père Hubert qui continue, comme si de rien n’était, à officier dans la même Église, située juste à côté du domicile familial.

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Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde ★★☆☆

Adi, dix-sept ans, est pensionnaire à la ville. Son baccalauréat en poche, il passe les vacances dans le petit village de pêcheurs de ses parents, perdu dans un bras du delta du Danube. Une nuit, il y est sauvagement agressé. Le chef de la police locale identifie rapidement les deux auteurs de l’agression ; mais la découverte de leur mobile va le conduire à chercher à étouffer l’affaire, avec la complicité des propres parents d’Adi et du prêtre de la paroisse.

Le cinéma roumain filme décidément à l’os. Depuis la Palme d’or ô combien méritée de Christian Mungiu, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, nous viennent régulièrement de ce pays des films dérangeants qui dénoncent la corruption de l’administration et placent ses personnages face à des dilemmes moraux insolubles. Emanuel Parvu, un acteur dans la force de l’âge, a d’ailleurs joué dans plusieurs d’entre eux : Contes de l’âge d’or, Baccalauréat, Dédales… J’avais beaucoup aimé ces deux films-là : Baccalauréat racontait les compromissions d’un père déterminé à aider sa fille à décrocher le sésame qui lui ouvrirait la porte de ses études supérieures, Dédales la disparition d’une jeune moniale et l’enquête policière menée pour la retrouver.

Présenté en sélection officielle au dernier festival de Cannes, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde souffre, à mes yeux, du handicap de cette lourde généalogie. Je reconnais volontiers que ce défaut est excusable et qu’il ne vaudra pas pour ceux des spectateurs qui iront le voir sans avoir vu au préalable d’autres films roumains.

J’articulerai à l’égard de ce film, au demeurant remarquablement écrit et joué, deux autres griefs. Le premier est d’avoir pour mobile une situation qui, pour désolante qu’elle soit, est passablement banale et surtout politiquement très (trop ?) correcte : l’homophobie ordinaire d’une campagne reculée. Le second de se conclure par une fin prévisible, où tous les protagonistes trouvent leur compte, quitte à bafouer la Justice.

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Miséricorde ★★★☆

À la mort du boulanger dont il fut longtemps l’apprenti, avant de partir s’installer à la ville, Jérémie (Félix Kysyl) revient dans son village natal de l’Aveyron. Il y retrouve Martine (Catherine Frot), la veuve du boulanger, Vincent, son fils soupe-au-lait, et Walter, un ami d’enfance.

Alain Guiraudie est un réalisateur hors normes. Communiste, homosexuel, aveyronnais, il s’est fait connaître en 2013 avec L’Inconnu du lac. En 2016, Rester vertical divisait la critique. Zéro étoile pointé dans mon blog et un commentaire lapidaire :  » Rester vertical est peut-être un bon film. Mais je l’ai détesté. »

« J’imagine qu’aujourd’hui, un spectateur de mes films s’attend à quelques trucs de ma part. Il voit à peu près vers où je vais aller. J’ai bien conscience de travailler toujours un peu les mêmes questions., les mêmes motifs, et je joue avec ça, avec ce qu’on attend de moi. Mais j’ai aussi envie de surprendre, de me surprendre, de me renouveler » écrit-il fort intelligemment dans le dossier de presse.

Miséricorde – dont le titre m’est resté longtemps obscur et que je ne suis pas absolument certain d’avoir compris – se passe certes dans les mêmes paysages ruraux que Rester vertical. Mais il a une lueur automnale, presque crépusculaire, que n’avait pas L’Inconnu du lac, noyé dans la dionysiaque luminosité de l’été provençal.
Cette lumière et les hasards de la programmation m’ont évoqué Quand vient l’automne sorti deux semaines plus tôt. Les deux films se ressemblent. Même cadre rural, mêmes personnages lestés de lourds secrets, même intrigue policière autour d’un crime dont le spectateur est le seul à connaître l’auteur. Mais si le Ozon louche du côté de Chabrol, l’ironie transgressive de Guiraudie évoque plutôt Buñuel.

Car Miséricorde – et son titre aurait dû me mettre la puce à l’oreille – met en scène un homme d’Eglise peu habituel, Philippe, le curé du village qui surgit toujours quand on l’attend le moins, dans la cuisine de Martine ou dans le bois aux champignons. Le rôle qu’il va jouer dans l’enchaînement des mensonges dans lesquels Jérémie s’enferre est pour le moins surprenant. On n’en dira pas plus…

Un mot sur l’usage étonnant que Guiraudie fait de ses décors et de la manière dont il utilise sa caméra. Miséricorde, l’air de rien, est construit comme une pièce de théâtre avec un nombre très limité de décors que l’on revoie sans cesse, filmés sous des angles légèrement différents : l’appartement de Martine à côté de la boulangerie de son mari, sa cuisine où se retrouvent régulièrement les protagonistes, la maison de Walter, le sous-bois à champignons, la cure de Philippe….

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L’Amour ouf ★★★★

À Dunkerque dans les années 80, Jackie (Mallory Wanecque) et Clotaire (Malik Frikah) se rencontrent devant le lycée dont elle est une élève studieuse et qu’il a quitté prématurément. Orpheline de mère, Jackie est élevée par un père aimant (Alain Chabat) dans une banlieue bourgeoise. Aîné d’une nombreuse fratrie, Clotaire est issu d’un milieu ouvrier plus modeste.
Les deux adolescents tombent follement amoureux l’un de l’autre. Mais les mauvaises fréquentations de Clotaire, devenu l’un des hommes de main d’un mafieux, La Brosse (Benoît Poelvoorde), le conduisent en prison. À sa sortie, une dizaine d’années plus tard, Clotaire (François Civil) n’a qu’une seule obsession : retrouver Jackie (Adèle Exarchopoulos).

L’Amour ouf est le film du mois. Sa sortie a été précédée d’un battage publicitaire impressionnant et de l’omniprésence de ses acteurs sur les plateaux. Une foule nombreuse, étonnamment hétérogène, s’y presse. L’Amour ouf a fait l’un des meilleurs démarrages de l’année après Un p’tit truc en plus et Le Comte de Monte Cristo. Ce tohu-bohu m’avait un peu effrayé, et j’ai mis quelques jours à me décider à aller le voir, d’autant que la critique était très divisée, au sein même parfois de la même rédaction (Télérama) : parfois dithyrambique, souvent franchement mauvaise.

On connaît Gilles Lellouche, l’acteur au cœur gros comme ça, abonné aux rôles de vrais/faux durs. Il filme comme il joue : à la truelle ! L’Amour ouf n’est pas sa première réalisation. Il avait déjà signé en 2018 Le Grand Bain qui avait déjà engrangé un beau succès populaire – et que j’avais absolument adoré. Gilles Lellouche ne fait pas dans la dentelle. Fans de Rohmer et d’Antonioni, passez votre chemin ! Son cinéma déborde de partout : bluette adolescente façon La Boum, film de banlieue façon La Haine, gun fights façon John Woo, et même comédie musicale façon La la Land !

Mais si trop embrasse, Lellouche – un peu comme son homonyme Claude – bien étreint. L’Amour ouf dure 2h40, une durée obèse pour ce genre de film ; mais on n’y regarde pas sa montre une seule minute. Mieux : on ne souffle pas une seule seconde, embarqué dans une histoire qui nous tient en haleine de bout en bout, et qui se paie le luxe, après sa prolepse qui nous en raconte la fin, de jouer, comme dans Fight Club ou Memento, avec le pacte de vérité censé lier le narrateur au spectateur.

Il faut dire que Gilles Lellouche met tous les atouts de son côté. Il confie les quatre rôles principaux à un quatuor de jeunes acteurs éblouissants. On connaissait déjà Adèle Exarchopoulous et François Civil, aussi incandescents et sexy en diable l’un que l’autre. On avait aussi déjà remarqué Mallory Wanecque, la révélation de Les Pires. On découvre Malik Frikah, mélange de James Dean et de Marlon Brando pas encore sorti de l’enfance. Une pléiade de seconds rôles plaqués or les entoure dont l’énumération ressemble au Bottin mondain du cinéma français : Chabat, Poelvoorde, déjà mentionnés, Lacoste, Zadi, Quénard, Bajon (méconnaissable !), Leklou, Bouchez…. Et le tout est enrobé dans une b.o.f qu’on appréciera d’autant plus qu’on est né quasiment en même que le réalisateur et que son adolescence a été bercée des mêmes singles.

Je comprends volontiers qu’on puisse ne pas aimer L’Amour ouf, qu’on puisse y voir un fourre tout excessif, qu’on puisse même rire à certaines scènes maladroites (ah ! ce soleil couchant sur cette plage où Jackie et Clotaire s’embrassent fougueusement !). L’Amour ouf est un film binaire : on marche ou pas ! Moi j’ai couru à donf !

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Sauvages ★☆☆☆

Kéria, onze ans, a grandi seule avec son père à la ville. Sa mère faisait partie des Penan, une population nomade menacée par l’industrie de l’huile de palme. À l’occasion d’une expédition dans la jungle environnante, Kéria recueille Oshi, un bébé orang-outan dont la mère est abattue sous ses yeux par les garde-chasse. La fuite d’Oshi dans la jungle, avec Selaï, le cousin de Kéria, un Penan, , la conduit à renouer avec ses racines alors que les bulldozers de la multinationale qui emploie le père de Kéria continuent leur entreprise funeste de déforestation.

Claude Barras est de retour huit ans après Ma vie de Courgette, son premier film d’animation qui avait reçu un accueil enthousiaste et mérité. On retrouve sa technique : une animation artisanale en stop motion, avec du relief, des couleurs et un soin infini apporté au détail. On retrouve aussi ce qui avait fait le charme de son premier film : un scénario rebondissant et des personnages attachants.

Cette fois-ci, le réalisateur suisse nous propose un voyage dépaysant dans la jungle de Bornéo. L’enjeu nous en est connu : la survie des peuples primitifs face à l’appétit des multinationales qui exploitent leurs forêts pour en extraire la précieuse huile de palme nécessaire à la production de notre fameux Nutella (une fiction récente avec Alexandra Lamy utilisait déjà cette toile de fond, La Promesse verte).

Si l’effet de surprise provoqué par Ma vie de Courgette est nécessairement émoussé, Sauvages est tout aussi réussi. Il réjouira les enfants à partir de six ans et les parents, grands-parents, oncles et tantes, parrains et marraines qui cherchent pour les vacances de la Toussaint un film intelligent pour leurs chères têtes blondes. Mais, s’ils n’ont pas ce prétexte pour aller le voir, les adultes isolés ne trouveront guère de sel à ce film d’animation bien-pensant, sinon celui d’y reconnaître les voix reconnaissables entre mille de Benoît Poelvoorde et de Laetitia Dosch.

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