La Chambre d’à côté ★★★☆

Ingrid (Julianne Moore), écrivaine new yorkaise à succès, avait perdu le contact avec Martha (Tilda Swinton), journaliste de guerre, qu’elle retrouve mourante, en phase terminale d’un cancer de l’utérus. Elle accepte de l’accompagner dans ses derniers jours.

À 75 ans passés, le maestro espagnol, qui a incarné la Movida et conteste à Buñuel le titre de plus grand réalisateur espagnol de tous les temps, n’a plus rien à prouver. Loin de se reposer sur ses lauriers, il continue inlassablement à réaliser des chefs d’oeuvre. Il creuse le sillon dans lequel il excelle : filmer des femmes dans des toilettes d’une folle élégance et des décors d’une flamboyance formelle millimétrée.

Si je devais me réincarner, j’aimerais être une corbeille à fruits dans un décor d’Almodovar. Dans La Chambre d’à côté, Almodovar utilise peu de décors ; mais ils frisent tous la perfection. L’action commence à New York. On y voit Ingrid dans son appartement, dans la chambre d’hôpital de Martha et, quand elle en sort après sa dernière chimio, dans l’appartement de celle-ci. La seconde moitié du film se déroule up-state, comme disent les New Yorkais, dans le nord de l’Etat, en remontant l’Hudson, près de Woodstock (j’en parle comme si la région m’était familière alors que je n’y ai jamais mis les pieds !), dans une maison sublime. Cet enchevêtrement de volumes cubiques en cascade, extraordinairement lumineux, a été construit en 2020. Cette construction n’est en réalité pas située aux Etats-Unis, comme l’action du film, mais dans la banlieue de Madrid.

La Chambre d’à côté peut se regarder comme un film sur la fin de vie, sur l’euthanasie, sur la dignité de mourir, sur l’amitié et la sororité jusque dans ces instants ultimes. Mais il ne se réduit pas à cela. Almodovar a le génie d’ajouter à son scénario une note sourde et lancinante, celle d’un thriller qu’on soupçonne et dont on attend qu’il se révèle : Martha est-elle vraiment mourante ? n’attire-t-elle pas Ingrid dans un piège ? n’entend-elle pas se venger de son amie qui, vingt années plus tôt, avait eu une liaison avec son amant, Damian (John Turturro) ?

Je serais curieux de lire le livre Quel est donc ton tourment ? de Sigrid Nunez, dont La Chambre d’à côté est l’adaptation, pour voir si, avec autant de subtilité, les deux niveaux de lecture y sont entremêlés ou bien si c’est un ajout d’Almodovar auquel l’admiration révérencieuse que je lui porte me prête peut-être à imaginer plus de talent encore qu’il n’en a.

La bande-annonce

Le Beau Rôle ★★★☆

À la scène comme à la ville, Henri (William Lebghil) et Nora (Vimala Pons) forment un couple fusionnel. L’amour du théâtre les a réunis : lui joue, elle met en scène. Leur dernière création, Ivanov de Tchekov, est en pleine répétition à la Comédie de Reims quand Henri décroche un rôle dans un film qui se tourne à Paris avec une star (Jérémie Laheurte). Leur couple y résistera-t-il ?

Pour utiliser un mot à la mode, Le Beau Rôle est une comédie du démariage, qui raconte l’explosion d’un couple. Mais qu’on se rassure, sans pour autant divulgâcher sa conclusion, Le Beau Rôle est aussi une comédie du remariage : on y verra peut-être – ou peut-être pas – nos deux amoureux renouer après avoir dépassé leurs différences et accepté de faire des compromis.

Mais avant d’en arriver là, Victor Rodendach, qui signe son premier film, mais possède une solide expérience dans l’écriture des scénarios de séries à succès (Platane, Les Grands, Dix pour Cent…), a le don d’agrémenter son récit avec bien des rebondissements auxquels on ne s’attendait pas. S’il avait suivi des rails plus paresseux, Le Beau Rôle aurait opposé la pureté de la geste théâtrale de Nora à la célébrité frelatée des plateaux de tournage parisiens de Henri. Mais il choisit une voix plus subtile et moins manichéenne, notamment dans le traitement du rôle de François (Jérémie Laheurte), moins uniment antipathique qu’on l’aurait pensé.

On est dans la comédie-doudou – comme l’écrit excellemment l’excellente Marie Sauvion pour Télérama – dans le feel good movie mais pas dans la comédie gnangnan ni dans la comédie ouin-ouin. Victor Rodendach nous donne à réfléchir à ce qui fait un couple, ce qui en construit la solidité, ce qui en menace la cohésion : des opinions différentes ? des parcours professionnels divergents ?

Le Beau Rôle est surtout servi par un couple d’acteurs épatants. William Lebghil fait beaucoup parler de lui ces temps-ci avec deux films qui sortent quasiment en même temps : Joli joli et ce Beau Rôle. Mais c’est surtout l’interprétation de Vimala Pons qui m’a enthousiasmé. On connaît depuis une quinzaine d’années environ cette actrice au prénom (indien) à nul autre pareil. On l’a vue chez Bruno Podalydès (Adieu Berthe, Comme un avion, Bécassine !) et dans les films joyeusement branques de la Nouvelle nouvelle vague  française (Betbeder, Peretjatko, Salvador). On la découvre ici dans un registre moins comique, plus grave que celui auquel elle nous avait habitué. Dans certains plans, comme dans une scène de dispute dans la voiture où sans un mot, son visage reflète toute une panoplie de sentiments, elle est sidérante de talent.

La bande-annonce

Bird ★★☆☆

Bailey, garçon manqué de douze ans à peine, entrée trop tôt dans l’adolescence, n’a pas la vie facile. Dans une sinistre cité portuaire du Kent, Bailey vit dans un squat insalubre avec son père, indécrottable adolescent sans le sou, et son demi-frère. Sa mère vit quelques blocs plus loin sous l’emprise des hommes violents qui se succèdent dans son lit. Le jour où son père lui annonce son mariage, Bailey fait la rencontre étonnante d’un homme au comportement bizarre qui s’est donné un étrange prénom : Bird.

Andrea Arnold est de retour, trois ans après Cow, son déroutant documentaire animaliste, et près de huit ans après American Honey que je n’avais guère goûté. Elle reste pour moi la réalisatrice de l’un des films les plus décoiffants du dernier quart de siècle : Fish Tank. Cousine punk de Ken Loach et de Mike Leigh, elle n’a pas son pareil pour filmer l’Angleterre pauvre et trash.

Pourtant Bird commençait mal. J’ai eu l’impression d’une resucée sans valeur ajoutée de Fish Tank : même adolescente rebelle, même environnement social déprimant. Mais je me suis progressivement laissé happer par l’histoire, par le scénario très bien construit, et surtout par le jeu des acteurs incroyables : la jeune Nykiya Adams dans le rôle principal, l’étonnant Barry Keoghan (qui ressemble tellement à mon ami Tom Fletcher) déjà vu dans Dunkerque et dans Les Banshees d’Inisherin, et le déroutant Franz Rogowski, acteur fétiche du réalisateur allemand Christian Petzold.

L’acteur allemand au bec-de-lièvre interprète le rôle titre. Ce personnage étrange – dont je me suis demandé à un moment s’il n’était pas le produit de l’imagination de Bailey – a-t-il sa place dans ce film qui vaut surtout par son naturalisme coup de poing ? Ne le déséquilibre-t-il pas en lui donnant une coloration trop fantastique façon Le Règne animal ? Bird aurait-il été meilleur sans Bird ?

La bande-annonce

Le Déluge ★★★☆

Louis XVI (Guillaume Canet), discrédité par sa tentative avortée de fuite à l’étranger l’année précédente, chassé des Tuileries trois jours plus tôt, bientôt déchu de tous ses titres, est emprisonné au Temple le 13 août 1792. Il y restera jusqu’à son exécution cinq mois plus tard. Ont été seuls autorisés à demeurer auprès de lui sa femme, Marie-Antoinette (Mélanie Laurent), qui désespère de la docilité de son époux, sa sœur cadette Madame Elisabeth (Aurore Broutin), confite en dévotion, ses deux enfants, Louis et Marie-Thérèse, et son fidèle valet Cléry (Fabrizio Rongione)

L’Italien Gianluca Jodice évoque une page bien connue de l’histoire de France, celle de l’emprisonnement de Louis XVI, de son procès et de son exécution. On sait quelles critiques s’est attirées le Britannique Ridley Scott pour oser s’être emparé de la figure de Napoléon et on voit ici ou là, même si ce film-ci a moins d’écho que ce film-là, fleurir le même genre de reproches xénophobes à l’encontre du Déluge.

Ces critiques sont bien injustes. Depuis quand reproche-t-on à un réalisateur sa nationalité ? D’autant que Gianluca Jodice se sort fort bien d’un sujet piégeux. On en connaît par avance l’issue. Le scénario doit par conséquent utiliser d’autres ficelles que celle d’un suspense inexistant. Ici il repose sur une tension : non tant celle qui oppose les prisonniers à leurs geôliers qu’une double tension au sein même de ces deux groupes.
D’un côté les geôliers avec, d’une part, incarné par le gardien de la famille royale, la vulgarité et la furie vengeresse de la populace qui entend se venger sur Louis XVI et sa famille de la misère crasse dans laquelle elle a vécu depuis des générations ; et d’autre part, incarnée par le jeune procureur, pourtant imbu de l’idéologie révolutionnaire, la pitié qu’inspire le commerce quotidien avec des prisonniers réduits au plus strict dénuement.
De l’autre côté la famille royale. On a dit beaucoup de mal de Guillaume Canet et de son maquillage empesé. Je trouve tout au contraire qu’il s’est parfaitement glissé dans le personnage. Il incarne à la perfection un benêt perdu dans un costume trop grand pour lui, tentant tant bien que mal d’opposer sa piété et son optimisme à la perspective quasi-certaine de sa mort prochaine. Face à lui, Marie-Antoinette est autrement plus lucide. Mélanie Laurent la fait vibrer d’une énergie désespérée. On est loin des frivolités sucrées filmées par Sofia Coppola. Il faut reconnaître que les sombres cachots du Temple ne se prêtent guère à la luxure. La reine se lamente de la myopie de son mari qui, en retour, ne sait que lui opposer la sincérité de l’amour qu’il lui porte. Un regret : le silence de Madame Elisabeth qui, on le sait, a eu un rôle funeste dans les décisions politiques de son frère.

Gianluca Jodice a fait le pari de la stylisation et du minimalisme. Aucune scène de foule dans cette histoire qui s’y serait pourtant prêtée. On ne verra ni le procès du Roi, ni son exécution. Le film se déroule tout entier au Temple, dont les alentours bucoliques font oublier qu’il se situe aujourd’hui en plein Paris. On ne voit quasiment pas un rayon de soleil dans cet automne sépulcral baigné d’une lumière blafarde. On a beau en connaître la conclusion, ce huis-clos étouffant n’en demeure pas moins passionnant.

La bande-annonce

Six Jours ★☆☆☆

Un inspecteur de police lillois (Sami Bouajila) ne se remet pas d’une affaire dont il a eu la responsabilité dix ans plus tôt et dont les faits seront prescrits dans six jours à peine. Une fillette avait été kidnappée. Elle était morte dans les bras de sa mère (Julie Gayet) et le ravisseur avait réussi à s’enfuir avec la rançon au nez et à la barbe de l’inspecteur chargé de l’arrêter.

J’ai pris devant Six jours le même plaisir et ai éprouvé la même déception qu’à la lecture d’un (mauvais) polar. Certes je n’ai pas regardé ma montre – comme on tourne les pages d’un polar en perdant la notion du temps – tout entier happé par la résolution d’un mystère qui révèle progressivement son double fond. Mais j’ai trouvé ce film d’une grande banalité, son scénario lesté de rebondissements extravagants, son casting rempli de gloires recyclées, son image grise et laide. J’ai cru un temps m’être égaré devant une publicité sponsorisée par Lille métropole. J’ai failli crier au plagiat devant son affiche et devant l’une de ses scènes principales pompées du chinois Une pluie sans fin.

La bande-annonce

Quiet Life ★★★☆

Après avoir été agressé par la police en Russie, Sergueï a fui son pays pour la Suède avec sa famille. Il y a déposé une demande d’asile qui lui est refusée. Au lendemain de ce refus traumatisant, sa fille cadette, Katja, qui fut témoin de l’agression de son père et dont le témoignage lui permettrait peut-être d’obtenir le titre de réfugié, tombe dans un coma profond. Elle est victime d’un mal fréquent chez les réfugiés et leurs enfants : le syndrome de résignation.

Quiet Life n’est pas un documentaire même si les faits qui l’inspirent ont été médicalement documentés en Suède. C’est une fiction qui fait un pari radical, similaire à celui du film tunisien La Source ou au Nosferatu de Robert Eggers, avec lesquels j’ai eu la dent (trop ?) dure ces jours derniers : celui de l’hyperstylisation.

Quiet Life tangente la dystopie. La froideur glaciale doublée du respect scrupuleux des droits humains avec laquelle les demandes d’asile sont traitées en Suède pourrait ressembler à ce qu’on voit dans le film mais s’en distingue néanmoins. Les réfugiés n’y sont pas accueillis dans des appartements aussi confortables (et c’est dommage) ; ils ne sont pas soumis à un stage aussi débilitant si leurs enfants sont hospitalisés (et c’est tant mieux). Mais comme dans toutes les dystopies réussies (on pense à Orange mécanique ou à Bienvenue à Gattaca), Quiet Life exagère certains traits de nos sociétés contemporaines pour en interroger les ressorts.

Comment traiter les demandeurs d’asile ? Quelles preuves leur demander pour attester des persécutions qu’ils prétendent avoir subies dans leur pays d’origine ? En demander trop, c’est courir le risque de refouler des réfugiés authentiquement persécutés ; en demander trop peu et se fier à leur seule parole, c’est courir celui d’accorder le titre de réfugié à des personnes qui n’y ont pas droit. Quel statut octroyer aux enfants des demandeurs d’asile ? Leur témoignage est-il recevable à l’appui de la demande déposée par leurs parents ? Peut-on les en séparer, dans quelles circonstances et à quelles conditions ? Leur état de santé peut-il faire obstacle à leur reconduite et à celle de leurs parents ?

Autant de questions juridiques et éthiques passionnantes que pose Quiet Life. Il le fait avec une froideur glaçante, à rebours du mélodrame. Son scénario, remarquablement écrit, distille son lot de rebondissements. Ses acteurs, dont Chulpan Khamatova qui a fui la Russie au lendemain de l’invasion de l’Ukraine en 2022 et s’est réfugié en Lettonie, sont parfaits.

Sur le même sujet, L’Histoire de Souleymane, l’un de mes films préférés de 2024, optait pour un parti bien différent : celui du naturalisme. Les deux films contiennent une scène quasiment identique : celle d’un témoignage, fébrilement préparé mais que le spectateur sait mensonger, devant un fonctionnaire de l’immigration. Les bonnes écoles de cinéma auront sans aucun doute l’idée de montrer à leurs étudiants ces deux scènes et d’en analyser les points communs et les différences.

La bande-annonce

La Source ★☆☆☆

Deux frères tunisiens, Mehdi et Amine, partent s’enrôler en Syrie dans les rangs de Daech. Leurs parents, Aicha et Brahim, de modestes pêcheurs, en sont désespérés. Quelque temps plus tard, Mehdi revient sans son frère. Une mystérieuse jeune femme, Reem, entièrement voilée, l’accompagne. Aicha décide de les cacher de la police qui pourrait les arrêter.

Deux films tunisiens récents ont évoqué le départ en Syrie de jeunes recrues et le vide qu’il laissait chez leurs parents, rongés par la culpabilité : Mon cher enfant et Les Filles d’Olfa. J’espérais que ce troisième soit aussi percutant que les deux premiers. Sa bande-annonce m’avait intrigué. J’ai hélas été fort déçu.

La jeune réalisatrice Meryam Joobeur, dont c’est le premier long, prend le parti de la stylisation. Stylisation de l’image, avec une palette de couleurs froides (on se croirait plus sur une lande bretonne que sur les rivages de la Méditerranée) brutalement illuminées par le fuchsia des vêtures. Avec une caméra qui filme les personnages au plus près, laissant les arrière-plans dans le flou. Stylisation d’un récit dont on comprend (mais suis-je sûr d’avoir bien compris ?) qu’il emprunte plus au conte voire au récit fantastique qu’au documentaire ou au thriller comme son résumé  le laissait à tort augurer.

Le problème de ces partis pris, de cette caméra myope, de ce récit à trous, est qu’ils laissent bien des zones d’ombre. On me rétorquera qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un défaut. Dont acte. Pour autant ici, après une moitié de film où l’on accepte de se laisser envoûter, le pacte implicite noué entre le spectateur et le réalisateur se dissout progressivement. Quand l’intrigue se dénoue, quand on comprend qui est Reem et comment sont morts les disparus qui mettent au défi Bilal le policier (on reconnaît Adam Bessa, premier rôle des Fantômes et de Harka), près de deux heures se sont écoulées et la patience du spectateur est à bout.

La bande-annonce

Un ours dans le Jura ★★★☆

Michel (Franck Dubosc) et Cathy (Laure Calamy) exploitent bon an mal an une sapinière dans une forêt reculée du Jura avec leur fils Doudou (Timéo Mahaut, l’autre révélation des Pires). Alors que jamais on n’en avait croisé dans ce massif, un ours provoque un accident de la circulation. Michel en sort indemne ; mais les deux passagers d’une BMW sont tués. Le coffre de leur berline contient un sac de voyage rempli de billets de banque. Michel et Cathy, en indélicatesse avec leurs créanciers, décident de s’approprier le pactole à sept chiffres.

Franck Dubosc change de registre. L’humoriste, tête d’affiche de Camping 1, 2 et 3, opte pour sa troisième réalisation pour la comédie noire façon Fargo. S’il joue l’un des rôles principaux, il sait s’effacer derrière ses partenaires et joue avec une retenue à laquelle ses rôles de macho bronzé en maillot de bain ne nous avaient pas habitués.

L’histoire est réjouissante à condition d’accepter son manque de crédibilité. Si le film dure près de deux heures, on ne regarde pas sa montre une seule fois. Mais ses péripéties (trop ?) nombreuses ne sont pas le principal atout du film. Elles ne sont, comme dans Fargo, qu’un prétexte pour mettre en scène des personnages dont la balourdise apparente cache plus de finesse qu’on ne le pensait.

À ce titre, c’est Benoît Poelvoorde qui tire le mieux son épingle du jeu. Dans le rôle d’un major de gendarmerie en pleine déconfiture (sa femme l’a quitté pour son dentiste et sa fille, en année de césure après le bac, fait son désespoir), c’est à lui qu’incombe de mener l’enquête sur les cadavres qui s’accumulent – au point, dit-il malicieusement, qu’on en comptera bientôt plus que d’habitants dans cette petite commune du Haut-Jura. Laure Calamy, qu’on a beaucoup vue au risque de se huppertiser (et qu’on a vue pas plus tard que la semaine dernière dans Mon inséparable), est un diapason en-dessous. Ses meilleures répliques se trouvent quasiment toutes dans la bande-annonce.

Délicieusement amoral, plein de rebondissements, Un ours dans le Jura tient ses promesses : des acteurs bien dirigés (un coup de chapeau à Joséphine de Meaux en gendarmette empathique), des paysages enneigés, un suspens prenant, des situations désopilantes… Un cocktail réussi pour bien commencer l’année !
[En revanche, cette critique est écrite avec les pieds : il me faut un litre de café et deux Advil pour commencer l’année d’un bon pied]

La bande-annonce

Nosferatu ☆☆☆☆

La jeune Ellen (Lily-Rose Depp) est hantée depuis son plus jeune âge par des cauchemars. Son époux, Thomas (Nicholas Hoult), travaille à Wisborg en Allemagne dans une étude de notaire. Il a été missionné en Transylvanie par son employeur pour en ramener le comte Orlock, un riche propriétaire terrien qui souhaite faire l’acquisition d’une belle demeure. Le vieil homme, à la table duquel Thomas est convié au terme d’un long voyage, se révèle être un vampire qui a passé un pacte de sang avec Ellen dont il hante les nuits. Thomas parvient de justesse à lui échapper mais Orlock réussit à embarquer à bord d’un navire qui fait voile vers Wisborg.

Fort de la célébrité que lui ont value ses précédents films (The Lighthouse, The Nothman), Robert Eggers s’attaque à l’un des films les plus mythiques du cinéma. Nosferatu le vampire de F.W. Murnau a créé en 1922 un genre appelé à un succès immense : le film d’horreur (les puristes objecteront, et ils auront raison, que Méliès en signa le tout premier dès 1896, Le Manoir du diable). Il s’agissait de l’adaptation du roman de Bram Stoker Dracula, dont le studio de Murnau n’avait pas eu les moyens d’acheter les droits.

Roberte Eggers a quasiment tout gardé du film de Murnau : le nom des personnages, l’intrigue et son dénouement. Cette fidélité à l’original interroge. Pourquoi un cinéaste réalise-t-il, sans rien y apporter de nouveau, le remake d’un grand film indépassable ? Ne sait-il pas son entreprise condamnée par avance ? Les plus grands pourtant s’y sont aventurés sans succès : Gus van Sant avec Psycho, Steven Spielberg avec West Side Story.

Le film de Murnau, muet et en noir et blanc, a plus de cent ans. Celui de Robert Eggers peut raconter la même histoire autrement, avec des techniques beaucoup plus sophistiquées. Il ne s’en prive pas. À condition de ne pas être allergique aux jump scares et aux coups de cymbales, son Nosferatu est un émerveillement pour l’oeil. Il contient sans doute quelques-uns des plans les plus beaux qu’il ait été donné de voir dans cette année qui s’achève.  Mais – et c’est à mes yeux le second défaut rédhibitoire de ce film – il se réduit vite à cela : une surenchère de plans tous plus parfaits les uns que les autres mais qui, mis bout à bout, ne font guère de sens.

Pourtant, la figure du vampire ouvre à des questionnements angoissants : la vie après la mort, le sang et sa transmission, la relation au corps, la sexualité et sa découverte (qu’on songe au succès planétaire de Twilight). Ces thèmes sont ici à peine ébauchés. Tout se passe comme si – et c’est là que ma seconde critique rejoint la première – prisonnier d’une « sur-esthétisation maniaque » (l’expression est de Mathieu Macheret dans Le Monde), Eggers s’en était remis à Murnau pour raconter une histoire dont il se désintéresse.

La bande-annonce

Une langue universelle ★☆☆☆

Matthew, la quarantaine, quitte Montréal pour revenir à Winnipeg sa ville natale après la mort de son père pour s’occuper de sa mère vieillissante. Il y découvre une ville métamorphosée où l’anglais a été remplacé par le farsi. Son chemin croise celui de Massoud, un guide touristique, et de deux jeunes sœurs qui ont découvert un billet prisonnier d’un bloc de glace.

Jetez un oeil à la bande annonce de ce film hors normes, qui représentera le Canada à la prochaine cérémonie des Oscars (où il aura fort à faire face à Emilia PerezFlow ou Les Graines du figuier sauvage). C’est un croisement étrange entre Jacques Tati, Wes Anderson, Roy Andersson, Abbas Kiarostami et Guy Maddin – l’autre cinéaste de Winnipeg et figure tutélaire du cinéma canadien.

Matthew Rankin filme une ville sans charme sous la neige, pour laquelle néanmoins il a la tendresse qu’on porte à sa ville natale. Sa caméra est statique et son film organisé en longs plans immobiles, dépourvus de lignes d’horizon, enfermant ses personnages dans des cadres dont ils semblent condamnés à ne pas sortir. Le tout baigne dans une ambiance loufoque sinon absurde dont on ne sait que penser : le farsi est devenu la langue véhiculaire de Winnipeg sans qu’on sache pourquoi, les dindes y sont l’animal domestique le plus familier, en lieu et place des chats et des chiens.

Le résultat est déconcertant. On pourra s’y laisser prendre, à condition d’aimer être surpris et de lâcher prise. On pourra tout au contraire n’y pas adhérer et considérer, comme l’écrit excellement Clarisse Fabre dans Le Monde, que ce film fait trop d’effort à « décréter le bizarre » pour être totalement convaincant.

La bande-annonce