Licorice Pizza ★★★☆

À Encino, près de Los Angeles, au début des 70ies, Gary (Cooper Hoffman) tombe amoureux au premier regard de Alana (Alana Haim). Il a quinze ans mais il est déjà presque autonome, assume seul la garde de son frère cadet, tourne dans une série télévisée, a un sacré esprit d’entreprise. Elle a vingt-cinq ans, est couvée par une famille juive étouffante, n’est pas sûre d’elle. S’aimeront-ils malgré leurs différences ?

Le pitch que je viens d’écrire pourrait laisser redouter le pire : une RomCom sirupeuse dont les deux héros, sans surprise, dépassant les obstacles qui s’opposent à leur amour impossible, finiront, au dernier plan du film, par courir dans les bras l’un de l’autre pour s’unir dans un baiser qui durera toujours. Sans vouloir en divulguer la fin, Licorice Pizza présente ces ingrédients-là…. mais les accommode selon une recette délicieusement originale.

Commençons par jeter un oeil à l’affiche. Il est d’usage, dans les films qui racontent une histoire d’amour, d’y voir les deux héros s’enlacer tendrement en se lançant des regards espiègles et/ou énamourés. Rien de tel ici : l’héroïne est au premier plan, les mains sur les hanches, un brin effrontée et semble nous lancer un regard de défi. Le héros est au second plan, adossé à une voiture, les mains… comment dire…. Vers où dirige-t-il un regard dont on devine qu’il s’accompagne d’un sourire ? Vers Alana. Ce sera donc l’histoire d’un garçon qui aime une fille qui lui tourne le dos.

Arrêtons nous à présent sur le choix de ces deux acteurs. On est loin des stéréotypes hollywoodiens. Le personnage de Gary est interprété par le fils du regretté Philip Seymour Hoffman (que PT Anderson avait souvent fait tourner). Il a quelques kilos en trop, le visage couvert d’acné et une coiffure impossible. Alana Haim est la révélation du film : une jeune Barbara Streisand avec un nez « tellement juif » (c’est pas moi qui le dis mais une directrice de casting), un corps athlétique, toujours en mouvement. Exit Ken et Barbie.

Un mot enfin sur le titre. Sa police rappelle celle d’American Graffiti, le film iconique de Georges Lucas sur cette période. Le surlignage qui l’entoure est le même que celui utilisé pour l’affiche de Grease. On attendra en vain pendant les deux heures du film que s’éclaire sa signification. Le réalisateur confesse dans le dossier de presse qu’il s’agissait d’un diner d’Encino où sa famille se rendait parfois, dont le nom et les sonorités lui rappellent son enfance.

S’agit-il donc d’un film autobiographique ? pas tout à fait. Paul Thomas Anderson est né en 1970. Il a donc une douzaine d’années de plus que Gary. Mais il est né et a grandi à Encino et Licorice Pizza a le parfum de madeleine de ses amours enfantines.

Paul Thomas Anderson est un des plus grands réalisateurs américains contemporains. Il a acquis cette réputation en un quart de siècle et avec moins de dix films qui, tous ou presque, ont enthousiasmé la critique : Boogie Nights, Magnolia, There Will Be Blood (son plus grand succès), Phantom Thread… Son cinéma n’est pas reconnaissable au premier coup d’oeil comme le serait celui de son homonyme, Wes Anderson, ou de Quentin Tarantino. Mais il y revisite souvent les mêmes thèmes (la famille unie, déchirée, recomposée) tire toujours le meilleur parti d’une bande musicale très riche (comme le montre évidemment Licorice Pizza qui puise abondamment dans les standards des 70ies) et attache un prix particulier à la qualité de l’image (il est un des rares réalisateurs à être resté fidèle au 35mm).

Il réussit avec Licorice Pizza une sacrée gageure : réaliser un film surprenant à partir d’une trame éculée. On devine dès sa première image comment il se terminera. Et pourtant on reste en alerte pendant tout le film – les esprits chagrins pourraient estimer que son dernier quart est de trop. Pourquoi ? Parce que cette histoire est faussement commune. Gary et Alana sont des adolescents comme tant d’autres ; mais ils sont uniques. Leur différence d’âge – censée constituer le principal obstacle à leur amour – s’efface très vite. Gary s’avère beaucoup plus mature que ses quinze ans – au point parfois de laisser douter de la crédibilité de certains épisodes de sa vie ; Alana au contraire a la vie cadenassée d’une ado couvée par des parents hyper-protecteurs.

Licorice Pizza est traversé par une immense vitalité, une réjouissante fraîcheur. C’est un film plaisant, sans que se cache derrière cet adjectif dévalorisé la moindre ironie condescendante. C’est un film qui m’a plu. C’est un film qui, je l’espère, vous plaira.

La bande-annonce

Rosy ★★☆☆

En 2015, âgée de vingt-et-un ans à peine, Marine Barniéras apprend qu’elle est atteinte d’une sclérose en plaques (SEP). Elle décide alors d’entreprendre pendant six mois un extraordinaire voyage au bout du monde pour se réconcilier avec son corps. De ce voyage, elle tirera un livre, publié en 2017, Seper hero, puis un film baptisé Rosy, du nom qu’elle donne à la maladie tapie en elle et avec laquelle elle doit désormais cohabiter à jamais.

J’ai lu un jour, je ne sais où, un aphorisme un peu péremptoire, dont la pertinence pourtant ne s’est jamais démentie : une personne dépressive, qui gagne au Loto, redevient malheureuse après six mois d’euphorie ; une personne équilibrée, tétraplégique après un accident de la route, retrouve son équilibre après six mois de déprime noire.

C’est cet aphorisme (mais s’agit-il à proprement parler d’un aphorisme ou d’un adage ou d’un axiome ?) qui m’est revenu en regardant Rosy.

Est-ce un film sur la maladie, sur la sclérose en plaques ? Pas vraiment. Un film de voyages alors sur les splendides paysages de Nouvelle-Zélande, de Birmanie et de Mongolie que l’héroïne visite ? Pas vraiment non plus.
Ce film de Marine Barniéras par Marine Barniéras avec Marine Barniéras est un film sur Marine Barniéras.

La connaître c’est l’aimer. Son charme est irrésistible. Derrière ses longs cheveux blonds, elle a un visage d’ange. Mais surtout c’est son bagout qui nous fait chavirer, son enthousiasme communicatif, sa force de caractère face à l’adversité et bien sûr la compassion que suscite la maladie terrible qui lui est tombée dessus.

Rosy est un hold-up sentimental. Comment ne pas être séduit par son héroïne – dont je viens de dire qu’elle était irrésistible ? Comment ne pas être ému par l’injustice qui la frappe et la force de caractère avec laquelle elle y fait face ?

La bande-annonce

Tromperie ★☆☆☆

Londres. 1987. Un célèbre écrivain américain (Denis Podalydès), exilé à Londres, un pays dont il réprouve l’antisémitisme, travaille sans relâche à l’écriture de son prochain roman. Il reçoit dans son atelier son amante (Léa Seydoux) avec qui il entretient une liaison au long cours. D’autres femmes occupent sa vie : une ancienne maîtresse (Emmanuelle Devos) qui se bat de l’autre côté de l’Atlantique contre le cancer qui la ronge, une brillante étudiante souffrant de troubles neurologiques, une interprète tchèque qu’il a aidée à franchir le Rideau de fer. Sans oublier son épouse (Anouk Grinberg) qui jalouse ses fantômes de papier.

Arnaud Desplechin incarne jusqu’à la caricature un certain cinéma français mitonné à l’IDHEC (l’ancêtre de la Fémis). Intelligent. Élitiste. Très écrit. Réunissant le ban et l’arrière-ban des plus grands acteurs français. Parisien en diable, même s’il autorise quelques incursions dans la province française la plus lumpenprolétarisée (Roubaix, une lumière). On adore – avec une pointe de snobisme – ou pas. On aura compris de la présentation, très orientée, que je viens d’en faire que je me classe dans la seconde catégorie.

Tromperie coche toutes les cases de ce cinéma très cérébral. Il les coche d’autant plus qu’il est l’adaptation d’un roman du très cérébral écrivain américain Philip Roth, qui aura raté le prix Nobel d’un cheveu par la faute de vaines polémiques que le jury suédois craignait de se voir reprocher. Tromperie, écrit en 1990, n’est pas son oeuvre la plus récente. Desplechin caressait depuis longtemps le projet de l’adapter. Le Covid et l’impossibilité dans laquelle le réalisateur s’est trouvé de lancer un projet plus vaste lui en ont fourni l’occasion.

Le montage, les décors, les lumières : tout concourt à plonger le spectateur dans un état nébuleux, où les questions l’emportent sur les réponses. Quelle est la temporalité du récit ? Quelle en est la réalité ? Ces femmes existent-elles vraiment ? Ou sont-elles le produit de la – riche – imagination de l’écrivain en plein travail ? Desplechin, dans toute son oeuvre, aime nous laisser dans le flou. Et Tromperie y parvient mieux qu’à son tour.

Le film souffre toutefois de deux handicaps rédhibitoires.
Le premier est d’avoir été tourné en français avec des acteurs français alors qu’il s’agit d’une oeuvre éminemment anglo-saxonne. Quand Desplechin était allé tourner au Kansas la vie de l’ethnopsychanalyste Georges Devereux, il avait réalisé son film en anglais avec des acteurs américains. Que n’a-t-il pas fait de même avec une oeuvre qui joue sur les différences entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, leur rapport à la judéité et à la création artistique ? Par exemple, son film aurait été autrement plus riche avec des acteurs aux accents anglais et américains.
Le second est son couple vedette. Pris isolément, on ne dira aucun mal de Denis Podalydès et on s’interdira des critiques trop blessantes à l’égard de Léa Seydoux qui n’est pas une aussi mauvaise actrice qu’on le dit parfois. N’en reste pas moins que leur réunion à l’écran ne marche pas. Il n’y a entre eux aucune alchimie, aucun désir qui circule, aucune tension amoureuse ou érotique qui se crée. Leur couple est aussi insipide qu’une jelly anglaise. C’est dire…

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Loin de vous j’ai grandi ★☆☆☆

Nicolas est un adolescent qui fête son quatorzième anniversaire. Il a été élevé en foyer. Cet adolescent grand et mince aime lire les aventures d’Ulysse et les romans de Jack London. Son meilleur ami, Saïf, est arrivé de Tunisie par la mer.
Nicolas a derrière lui un lourd passé familial que le film révèle progressivement. Sa mère Belinda, qui elle aussi fut ballotée de parents d’accueil en foyer, est tombée enceinte en classe de quatrième. Elle a fait de la prison. Elle est au chômage. Au début du film, elle attend un quatrième enfant.

Il faut un sacré sous-texte pour comprendre et goûter ce documentaire.
Il faut en effet savoir que Marie Dumora suit depuis une vingtaine d’années deux sœurs yéniches, Sabrina et Belinda, natives du Bas-Rhin. En 2001, elle les découvrait en foyer dans Avec ou sans toi. En 2010, elle retrouvait Sabrina alors âgée de seize ans et son fils de dix mois Nicolas dans Je voudrais aimer personne. En 2018, elle consacre un film à Belinda.

Une telle persévérance force l’admiration et donne à voir une oeuvre qui se regarde d’épisode en épisode. Si l’objet du cinéma documentaire est de filmer la vie, sans doute le cinéma de Marie Dumora atteint-il cet objectif. Le problème est la réception d’un épisode de cette oeuvre, si on le découvre indépendamment des précédents ou, pire, si on en ignore le contexte.

Sans doute le jeune Nicolas est-il un adolescent attachant. On le voit durant de longues ballades en forêt avec Saïf, avec ses éducateurs ou en week-end, de retour chez sa mère et son beau-père. Ces quelques images parfois insignifiantes, parfois trop signifiantes (ainsi lorsque Sabrina exhorte son fils à ne pas commettre les mêmes erreurs qu’elle) ont sans doute exigé de la réalisatrice beaucoup de temps et de patience pour gagner la confiance de cette famille et y être acceptée. Mais cette qualité ne suffit pas à elle seule.

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La Main de Dieu ★★★☆

Naples. Années 80. Fabietto est un adolescent, le Walkman vissé aux oreilles, qui grandit au cœur d’une famille aimante avec trois choses en tête : les filles, le football et le cinéma. Nourrissant une attirance trouble pour sa tante, la gironde Patrizia, il a hâte de perdre son pucelage comme son frère aîné avant lui. Fan du SSC Napoli, il atttend avec impatience l’arrivée de Maradona au club napolitain et applaudit au but que la star argentine marque en demi-finale du Mondial grâce à la « main de Dieu ». Fasciné par le cinéma et le théâtre, il sent sourdre en lui une vocation qui ne demande qu’à s’exprimer.

Tous les amoureux de Rome – et ils sont légion – s’accordent sur un point : nul mieux que Sorrentino n’a jamais filmé la capitale italienne dans La Grande Bellezza. Les amoureux de Naples s’accorderont presque sur le même. La Main de Dieu annonce dès son premier plan son intention : rendre un hommage à Naples, la ville natale du réalisateur. On s’étonne d’ailleurs que son nom n’ait pas été choisi comme titre du film.

Choisir comme titre La Main de Dieu, c’est risquer d’induire le spectateur en erreur. C’est risquer de lui faire croire qu’il s’agit d’un film sur Maradona ou, à tout le moins, sur son passage à Naples. Tel n’est pas le cas. La star argentine n’est tout au plus qu’une silhouette, un élément de contexte. Qui s’intéresse à son parcours serait mieux inspiré de voir – ou de revoir – le superbe documentaire d’Asif Kapadia sorti en juillet 2019.

La Main de Dieu est une autobiographie à peine déguisée du réalisateur, né à Naples en 1970. On pourrait renâcler à cet exercice nombriliste et complaisant dont on attend, sans guère de surprise que son jeune héros découvre l’amour, applaudisse Maradona et achète sa première caméra. Le scénario prend toutefois quelques libertés par rapport à cette trame convenue, l’une notamment dont on ne dira rien de plus sous peine de divulgâchage.

Mais moins que la richesse du scénario – qui réussit à nous embarquer pendant plus de deux heures sans qu’on voit le temps passer – c’est la truculence du jeu des acteurs qui donne tout son sel à La Main de Dieu. Les premières scènes de famille donnent un peu le tournis. Oncle paternel ? Grand-père ? Simple voisin ? On ne comprend pas qui est qui. Mais peu importe. Le cinéma italien est ici à son meilleur, dans ces bruyantes scènes de groupes où les altercations fusent. On pense à Fellini bien sûr, à ses monstres, à ses sabbats joyeux. On rêve aussi à ses prochaines vacances d’été en espérant peut-être retourner à Capri ou à Sorrente pour regarder le soleil se coucher sur Naples.

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The Card Counter ★☆☆☆

Un ancien taulard, qui se fait appeller William Tell (Oscar Isaac), mène une existence solitaire en sillonnant l’Amérique. Il a profité de son long séjour en prison pour apprendre à jouer aux cartes et pour en faire profession. La Linda (Tiffany Haddish) le repère et lui propose de s’associer pour gagner des tournois plus ambitieux. Un troisième personnage vient s’adjoindre au duo : Cirk (Tye Sheridan) a reconnu en William un ancien collègue de son père, qui s’est suicidé après avoir été condamné pour les exactions commises à Abu Ghraib en Irak. Cirk n’a qu’une idée en tête : venger son père en kidnappant et en tuant l’ancien chef de son unité, le colonel Gordo (Willem Dafoe).

The Card Counter joue sur deux registres. Son titre, son affiche, les premières lignes de son pitch nous promettent un film de poker qui verra son héros anonyme et taiseux voler de succès en succès grâce à des dons hors du commun et au soutien de la fine équipe qu’il a rassemblée autour de lui. Mais le film prend un chemin différent et nous frustre de cette histoire là – qui certes aurait été un peu trop cousue de fil blanc. Elle nous entraîne dans la psyché d’un homme traumatisé façon Taxi Driver – dont Paul Schrader avait signé le scénario avant d’écrire ceux de Raging Bull et de La Dernière Tentation du Christ.

Oscar Isaac est parfait dans ce rôle-là, dont le mutisme et l’hypercontrôle de chaque instant laissent augurer la violence qui ne manquera de s’exprimer. Il a beau ressembler à George Clooney – et The Card Counter avoir des relents de Ocean Eleven – sa prestation pourrait lui valoir une nomination voire une statuette aux prochains Oscars.

Le problème est que les deux fils narratifs que tissent The Card Counter s’accordent mal. Son héros est un joueur de poker qui fuit son passé ; aurait-il été guitariste ou hockeyeur, c’eût été du pareil au même. Le film sur le poker qu’on attendait avec gourmandise fait long feu et nous frustre du triomphe qu’on attendait contre cet autre joueur, aussi braillard que Tell est silencieux, déguisé en porte-drapeau d’une Amérique triomphante et sûre d’elle-même. La plongée cathartique dans la psyché tourneboulée du héros et dans celle de son jeune coéquipier ivre de vengeance n’est guère plus convaincante. Il faut attendre près de deux heures pour qu’elle se termine par un épilogue mielleux dont la morale gentillette est aux antipodes de l’atmosphère oppressante que The Card Counter avait su créée grâce notamment à la musique de Robert Levon Been.

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Last Night in Soho ★☆☆☆

Eloise Turner  (Thomasin Mac Kenzie, révélée par Leave no Trace et Jojo Rabbit) est une jeune fille romantique, élevée par sa grand-mère en Cornouailles après la mystérieuse disparition de sa mère, à Londres, quelques années après sa naissance. Eloise a deux passions, la couture et les années soixante, qu’elle espère concilier en allant étudier dans une école de mode à Londres. Mais Ses premiers pas dans son nouvel environnement sont difficiles. Devenue la risée de ses camarades, elle quitte le dortoir et trouve une chambre en ville. C’est là que d’étranges visions viennent la hanter. Une jeune femme lui apparait en rêve, dans les années soixante. Elle s’appelle Sandie (Anya Taylor-Joy, l’héroïne du Jeu de la dame) ; elle est jeune, innocente et jolie en diable.

À quel genre appartient Last Night in Soho ? « Épouvante/horreur » nous indique l’Officiel des spectacles. « Thriller, Épouvante/horreur » confirme Allociné. Et pourtant….
Et pourtant, rien d’horrifique dans la première moitié de ce film qui accompagne gentiment la jeune Eloise et ses rêves candides de provinciale dans les premières semaines de sa vie londonienne. Même quand elle se met à rêver de Sandie, les années soixante lui apparaissent telles qu’elle les avait fantasmées : follement glamour.

Mais bientôt le rêve se transforme en cauchemar. Sandie est la victime de la prédation des hommes. Et Eloise ne peut qu’assister impuissante à sa lente descente en enfer. C’est là que, bien tardivement, Last Night in Soho prend la tournure horrifique que la classification de L’Officiel et d’Allociné annonçait. Mais c’est là aussi qu’hélas le film, qui peinait à décoller dans sa première partie, s’embourbe définitivement dans sa seconde jusqu’à une conclusion « plus grotesque que flippante » (j’emprunte l’expresion à mon ami Damien Vabre)

J’ai vu ce film dans une salle archicomble, remplie d’adolescents et de post-adolescents, souvent en couples, bruyants mangeurs de pop-corn (cette dernière incise, inutile à la démonstration, témoigne simplement de mon âge avancé, de mon irritabilité exacerbée et de ma joie mauvaise devant l’interdiction soi-disant liberticide de ces mastications dérangeantes). Pourquoi un tel succès ? Parce que les jeunes filles s’identifient aux deux héroïnes tellement glamour et que les garçons qui les accompagnent se réjouissent in petto d’un aussi jolie spectacle ? Parce que les garçons aiment les films d’horreur et que les filles, bien qu’elles s’en défendent aussi ? Parce qu’ils n’ont pas lu le résumé du film et ont cru, à son affiche hideuse et à son titre anglo-saxon, qu’ils verraient un film à la Star Wars ou à la Blade Runner ? Mystère….

La bande-annonce

Lingui, les liens sacrés ★☆☆☆

Amina, la trentaine, vit seule à N’Djamena, la capitale du Tchad. Sa famille l’a rejetée lorsqu’elle est tombée enceinte et a accouché d’une petite fille. Maria a quinze ans aujourd’hui et sa mère a tout sacrifié pour lui donner une bonne éducation dans l’un des meilleurs établissements de la ville. Mais Amina apprend que Maria, qui depuis quelques temps s’était renfermée sur elle-même, est enceinte à son tour. Sachant que l’avortement est doublement interdit au Tchad, par la loi de l’Etat et par la loi religieuse, Amina aidera-t-elle Maria à avorter pour lui éviter la réprobation que son statut de fille-mère lui a value ?

Mahamat-Saleh Haroun est un vieux routier du cinéma africain. La quasi-totalité de ses films ont été sélectionnés en compétition officielle à Cannes sans qu’on sache avec certitude s’il doit cet honneur à leur qualité ou au fait d’être le seul représentant connu du cinéma tchadien. Un temps ministre de la culture dans son pays, il partage sa vie entre la France et le Tchad.

Son dernier film a été une fois encore sélectionné à Cannes l’été dernier. Hasard du calendrier : il sort quasiment en même temps que L’Evénement, le film-choc d’Audrey Diwan inspiré du livre d’Annie Ernaux qui racontait un avortement clandestin dans la France des années soixante. Les deux films pourraient former un stimulant diptyque sur l’avortement et la condition féminine, en France et au Tchad, hier et aujourd’hui.

Et il faut reconnaître à Lingui une certaine maîtrise à raconter une histoire dont l’issue tient en haleine (Maria réussira-t-elle ou pas à interrompre sa grossesse en dépit de tous les obstacles qui se dressent sur son chemin ?) tout en évoquant des sujets brûlants : le patriarcat, l’Islam, le rôle de l’Etat, la vibrante sororité des femmes….

Le problème est qu’on a parfois l’impression que Mahamat-Saleh Haroun s’est scrupuleusement senti obligé de suivre un cahier des charges excessivement bien-pensant. Le problème aussi est que son film pâtit de l’interprétation calamiteuse de ses deux héroïnes.

La bande-annonce

Don’t Look Up ★★★☆

Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), une doctorante en astronomie de l’université du Michigan et le professeur Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) identifient aux confins du système solaire une comète qui se dirige à grande vitesse vers la Terre. Selon leurs calculs, elle la percutera dans six mois à peine et y détruira toute vie humaine. Les deux chercheurs en avertissent aussitôt les plus hautes instances à Washington et sont immédiatement convoqués à la Maison-Blanche. Mais leur révélation se heurte au scepticisme de la présidente des États-Unis (Meryl Streep). Effarés par sa réaction, les deux lanceurs d’alerte décident d’informer l’opinion publique directement ; mais leur message restera longtemps inaudible…. jusqu’à ce que l’imminence de la catastrophe ne s’impose à tous.

Netflix réussit presque tous les mois à monopoliser l’attention des cinéphiles. Après The Power of the Dog, après La Main de Dieu, LE film dont on parle ces jours-ci est la dernière superproduction hollywoodienne d’Adam McKay, le réalisateur de The Big Short et de Vice avec son casting plaqué or : Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett, Timothée Chalamet…

Le sujet en est savoureux et se lit comme une bouffonne métaphore du changement climatique et du climato-scepticisme qu’il a dû affronter aux plus hauts sommets de l’État américain (le scénario a été écrit durant la présidence Trump).

Il courait le risque de faire long feu et la métaphore de vite devenir pesante. Mais il n’en est rien grâce à l’ingéniosité d’un scénario rebondissant ponctué de quelques scènes vouées à devenir cultes. Parmi elles, chacune des apparitions de Meryl Streep, double féminin à peine outrancier de Donald Trump, conjuguant comme lui la démagogie et le court-termisme, et de Jonnah Hill dans le rôle de son fils et chef de cabinet, double masculin de Ivanka Trump, déclenchent l’hilarité. Paradoxalement, les premiers rôles interprétés par les deux superstars Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio sont obligés à plus de retenue, sauf à faire basculer Don’t Look Up dans la farce grasse.

Rien ne résiste à la charge sardonique de Don’t Look Up : ni bien sûr le populisme de la présidente Orlean/Trump (auquel ne fait contrepoids aucune opposition), ni la vulgarité des médias, ni même la bienpensance de Hollywood. Tant de bassesse aurait de quoi désespérer face à laquelle le scenario ne propose guère d’alternative ou de contre-modèle (Spielberg aurait fait des deux personnages principaux des héros entiers là où Adam McKay a trop de cynisme ou trop d’ironie pour ne pas taire leurs faiblesses). Et la fin du film, qui veut conserver un ton badin, ne rassurera pas les spectateurs que la fin du monde effraie en secret.

Ne manquez pas les deux séquences post-générique. La première arrivera suffisamment vite pour vous faire rire ; mais la seconde, presqu’aussi hilarante, se mérite.

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Ham on Rye ☆☆☆☆

Tous les adolescents d’une banlieue américaine anonyme se préparent pour une soirée importante. Il ne s’agit pas du bal de fin d’année, organisé à grands frais au lycée, mais d’un rendez-vous dans un diner sans âme, Monty’s, dont les jeunes dévorent la spécialité, le « ham on rye » (jambon sur seigle). Après la soirée, la descente est brutale.

Le coming-of-age movie est un genre cinématographique à part entière qui prend pour sujet la sortie de l’enfance, ses rites initiatiques et le passage, plus ou moins traumatisant, à l’âge adulte. Il se noue souvent autour de la prom ou prom night, le bal de promo organisé avant le départ des jeunes lycéens à l’université loin du cocon familial. Les films qui lui sont consacrés sont légion : Carrie, Grease, Footloose, American Pie, Twilight

Je n’ai rien compris à ce premier film indé américain, qui a pourtant écumé les festivals. Ses premières minutes ont fait naître une curiosité vite déçue. Elles montrent les préparatifs de la soirée et introduisent plusieurs personnages, laissant escompter que se nouent une ou plusieurs histoires autour de cet événement et de ses participants. Mais rien ne se passe ; aucun personnage n’émerge, sinon la jeune Haley qui semble être la seule à ne pas partager la liesse générale.

Pendant toute la première moitié du film, on attend quelque chose qui ne vient pas. L’histoire prendra-t-elle un tour tragique façon Virgin Suicides de Sofia Coppola qu’évoquent les robes virginales de trois jeunes filles en fleur ? un meurtre sera-t-il commis comme dans Twin Peaks de David Lynch auquel ces banlieues anonymes font penser ? je-ne-sais-quel tabou sexuel sera-t-il violé comme dans les films malaisants de Larry Clarke ? l’histoire versera-t-elle dans le gore comme dans Carrie ? Non. Rien de tout cela. L’histoire ne va nulle part.

Au milieu du film, coupé en deux, la fête qu’on avait tant attendue est un non événement, un trou noir. On se dit qu’on s’est assoupi ou bien qu’il s’agit d’une ellipse dont la signification s’éclairera durant la seconde moitié du film ? Là encore, cette attente est déçue. Cette seconde moitié, aussi cataleptique que la première, maintient sans s’en écarter le refus de toute narration. On retrouve la même bande de jeunes à présent désenchantés (se sont-ils drogués ? sont-ils en pleine descente ?). On pourrait se demander s’il s’agit d’une métaphore de la vie d’adulte, une vie qu’on a attendue avec impatience mais qui s’avère désespérément triste. Mais l’ennui nous a depuis longtemps à ce point submergés qu’on refuse de faire cet effort pour sauver ce film du marasme dans lequel il nous a entraînés.

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