Helmut Newton : l’effronté ★★☆☆

Helmut Newton (1920-2004) compte parmi les photographes les plus connus du vingtième siècle. Certains de ses clichés, comme celui du smoking Yves Saint-Laurent dans une rue nocturne du Marais, sont entrés dans l’histoire. Toute sa vie durant, il a photographié des femmes puissantes, nues, très érotisées.
Le réalisateur allemand Gero von Boehm a rencontré Helmut Newton et sa femme en 1997. Il a tourné à l’époque pour la télévision un documentaire intitulé Helmut Newton – Mein Leben. Pour le centenaire de la naissance du photographe, il en a remonté les images pour le cinéma.

Le nom de Helmut Newton et son oeuvre sentent le soufre. On lui a reproché de fétichiser la femme, d’en faire un objet, la projection de ses fantasmes pervers et violents. Un extrait d’archive d’Apostrophes montre Susan Sontag lui reprocher sa « misogynie ».

Le documentaire de Gero von Boehm répond à cette accusation, au risque de verser dans l’hagiographie. Il convoque pour ce faire douze femmes – et pas un seul homme – qui ont travaillé avec lui et qui témoignent à tour de rôle face caméra, selon un procédé documentaire dont on ne peut pas dire qu’il révolutionne les codes. Leurs témoignages décernent au défunt photographe un brevet de respectabilité. Non, elles ne se sont jamais senties humiliées ou salies par l’oeil de son appareil. Non, il n’a jamais profité des séances de pose pour leur faire des avances – ce qui, disent-elles, n’était pas toujours le cas des autres photographes de l’époque. Non, elles n’ont pas honte de leurs nus mais au contraire s’enorgueillissent de la puissance qui s’en dégage et s’en revendiquent.

Le documentaire raconte en filigrane la vie de Helmut Newton, placée sous le sceau du cosmopolitisme. Il naît et grandit à Berlin dans les années Trente sous l’ombre menaçante du nazisme. C’est là que, très jeune, il s’initie à la photographie. Il en part en 1938 et s’établit quelques années à Singapour. Arrivé en Australie – pays dont il prendra la nationalité – il y rencontre sa future femme qu’il épouse en 1948. L’amour profond qui l’unira à cette autre artiste toute sa vie durant contraste avec l’image de dandy pervers que ses photos laissent soupçonner. Il s’installe à Paris au début des années soixante et y devient vite célèbre. Il partage la fin de sa vie entre Monaco et Los Angeles où il meurt, dans un accident de la route, devant le Château-Marmont en 2004, clin d’oeil macabre d’une vie passée dans la jet-set. Il est enterré à Berlin.

Je me souviens du choc que j’avais ressenti en 2012 au Grand Palais devant sa rétrospective. Ses femmes hiératiques, leurs nudités provocatrices m’intimidaient et m’attiraient à la fois, me mettaient mal à l’aise et me séduisaient en même temps. C’est Isabella Rossellini qui analyse avec le plus de finesse les fantasmes masculins qui nourrissent cette iconographie : « Tu me plais – je te maudis ». Sans doute ne s’agit-il pas des fantasmes les plus avouables, ni les plus chevaleresques qui soient. Mais un artiste – surtout l’un de ceux qui avaient le « bon goût » en horreur – n’a-t-il pas le droit d’en appeler à autre chose qu’à nos bons sentiments ?

La bande-annonce

Minari ★☆☆☆

Jacob et Monica sont deux immigrés coréens installés depuis plusieurs années en Californie. Ils ont emmené aux Etats-Unis avec eux leur fille Anne et y ont eu un second enfant, David, affligé d’un souffle au cœur. Malgré les réticences de son épouse, Jacob a décidé de se mettre à son compte en rachetant un lopin de terre dans l’Arkansas et en y faisant pousser des légumes coréens. L’installation de cette famille, bientôt rejointe par la mère de Monica, dans un mobile home miteux ne va pas sans peine.

Minari s’inscrit à la rencontre de plusieurs genres. C’est d’abord une chronique familiale douce-amère, l’histoire d’un couple désassorti mais solidaire, uni par l’amour qu’il porte à ses deux enfants. Son histoire est racontée, comme c’est souvent le cas au cinéma et plus souvent encore en littérature, à travers les yeux de leur fils cadet, un peu trop mignon, propret et espiègle pour ne pas avoir envie de lui filer des baffes (oups… pardon…. tellement mignon, propret et espiègle qu’on a envie de le couvrir de poutous)
C’est ensuite, à la façon du remarquable Au nom de la terre, un drame rural sur la difficile vie paysanne et les aléas de l’agriculture.
C’est enfin un documentaire sur l’Amérique profonde des 80ies et son étonnante religiosité – qui contraste avec l’agnosticisme revendiqué des Yi qui ont notamment quitté la Californie pour fuir l’emprise oppressante de leur congrégation.

Minari fait partie de ces films dont la seule vision de la bande-annonce suffit à dévoiler le contenu sans surprise. En deux minutes à peine, tout y est révélé. Vous plaît-elle ? Allez voir le film : vous ne serez pas déçu. Vous laisse-t-elle de marbre voire vous inspire-t-elle certaines réserves, ce qui avait été mon cas ? N’y allez pas ! Un conseil que, bien évidemment, je n’ai pas suivi.

La bande-annonce

Hospitalité ★★☆☆

Mikio Kobayashi a repris la petite imprimerie familiale tenue par son père. Elle est installée au rez-de-chaussée de sa minuscule maison tokyoïte qu’il partage avec Seiko, sa sœur divorcée, Eriko, la petite fille qu’il a eue de sa première femme, et Natsuki, sa seconde épouse qui tient les comptes de la petite entreprise.
L’aimable routine familiale est rompue par l’arrivée de Hanataro, un homme qui se présente comme le fils d’un ami du père de Mikio. Profitant de l’hospitalisation de l’unique employé de l’imprimerie, Hanataro s’y fait embaucher avant de prendre ses quartiers à l’étage. Il y est bientôt rejoint par sa femme et par une cohorte d’étrangers en situation irrégulière.

Né en 1980, Kōji Fukada s’est fait une place dans le cinéma japonais contemporain pourtant déjà richement doté avec des créateurs aussi intéressants que Hirokazu Kore-eda (The Third Murder, Une affaire de famille, La Vérité), Kiyoshi Kurosawa (Creepy, Avant que nous disparaissions, Invasion) Naomi Kawase (Les Délices de Tokyo, Vers la lumière), Tatsushi Ōmori (Dans un jardin qu’on dirait éternel) ou Ryusuke Hamaguchi (Senses, Asako I & II). Étaient déjà sortis en France Sayonara et Harmonium en 2017, L’Infirmière en 2020. Art House qui le distribue en France a pris l’initiative bienvenue de combler les trous de sa filmographie en sortant Hospitalité (2010) puis, le 4 août prochain, Le Soupir des vagues.

Hospitalité est un film étonnant qui rappelle, ou plutôt qui annonce car il leur est antérieur, Un air de famille ou Parasite, deux films qui, excusez du peu, furent couronnés par la Palme d’or en 2018 et en 2019. Avec le premier, il a en commun de prendre comme sujet une famille vibrante, riche de ses adjonctions hétéroclites. Avec le second, il partage la figure du corps étranger qui pénètre brutalement un foyer et en perturbe l’équilibre.

Hospitalité joue sur le fossé des cultures. Son histoire confronte des Japonais « ordinaires » empêtrés dans leur parfaite politesse au comportement très occidental d’un intrus encombrant. Cette histoire-là n’aurait pas marché une seconde en Occident où l’entrisme de l’intrus se serait heurté à l’hostilité plus ou moins brutale de ses hôtes. Mais une telle réaction est inconcevable de la part de Japonais « ordinaires » condamnés, par leur éducation, à faire bonne figure. C’est ce décalage qui rend le sujet de Hospitalité particulièrement croustillant pour un spectateur français.

La bande-annonce

Désigné coupable ★★★★

Désigné coupable – en version originale The Mauritanian – raconte l’histoire vraie de Mohamedou Ould Slahi (Tahar Rahim) qui fut arrêté fin 2001 en Mauritanie, transféré d’abord en Jordanie puis en Afghanistan et enfin à Guantánamo en 2004 où il resta emprisonné jusqu’en 2016.
Mohamedou Ould Slahi s’était rendu deux fois en Afghanistan au début des années 90 combattre aux côtés des talibans – qui étaient à l’époque soutenus par les États-Unis – contre le pouvoir communiste de Kaboul. Son cousin faisait partie du premier cercle d’Oussama ben Laden.
Ould Slahi fut torturé à Guantánamo afin de lui arracher des aveux. Il bénéficia néanmoins de l’assistance d’un avocat pour introduire une requête en habeas corpus qui conduisit à sa libération après une longue bataille judiciaire.
Ould Slahi réussit à faire publier en 2015 ses Carnets de Guantánamo qui sont devenus un bestseller de librairie.

Le film de Kevin McDonald raconte le calvaire de cet homme. Il le fait en introduisant trois autres personnages qui ont participé à l’instruction de son procès. D’un côté, son avocate, interprétée par Jodie Foster, le cheveu blanc, assumant comme peu de stars hollywoodiennes osent le faire, ses bientôt soixante ans, assistée d’une jeune collaboratrice, interprétée par Shailene Woodley, l’héroïne prometteuse de À la dérive, Divergente et Nos étoiles contraires. De l’autre, Benedict Cumberbatch interprète le rôle peut-être le plus intéressant du film, celui d’un lieutenant-colonel de la Marine, chargé de poursuivre Ould Slahi dont la découverte des pièces du dossier, notamment des conditions dans lesquelles les aveux du prévenu ont été obtenus, l’entraîneront à une brutale prise de conscience.

Désigné coupable est l’œuvre de Kevin McDonald, un cinéaste dont j’avais énormément apprécié les précédentes réalisations : La Mort suspendue, un documentaire sur deux alpinistes luttant contre la mort dans la cordillère des Andes, Le Dernier Roi d’Écosse, une biographie à peine romancée du dictateur ougandais Idi Amin Dada, Jeux de pouvoir, la transposition au cinéma d’une mini-série britannique que je tiens pour l’une des meilleures jamais réalisées.

Désigné coupable est autant sinon plus un film sur la justice que sur la torture. Comme souvent à Hollywood, le procès devient le prétexte à raconter une histoire et le cadre dans lequel on la raconte. Ici, c’est moins sur le procès proprement dit qu’on se concentre que sur sa préparation compliquée par une particularité procédurale. L’avocat de Ould Sahi doit d’abord se battre pour apprendre les griefs qui sont reprochés à son client. Elle doit obtenir l’accès aux procès-verbaux de ses interrogatoires puis en obtenir la déclassification. Paradoxalement, la tâche est aussi délicate pour le lieutenant-colonel instructeur qui doit venir à bout des rivalités interservices au sein de l’armée et des services secrets

Désigné coupable est un film poignant et fort qui n’est pas exempt de manichéisme et même de voyeurisme dans sa façon de filmer les scènes de torture. Lui donner quatre étoiles, ce que je fais rarement, est sans doute bien indulgent. C’est d’abord le signe que je ne le fais pas assez et qu’il faut parfois, quand un film m’emporte, que je laisse s’exprimer mon enthousiasme. C’est surtout le signe que ce genre de films, plongés dans un contexte géopolitique, mais aussi porteurs d’une histoire forte et vraie, me plaisent particulièrement. Voyez y, chers lecteurs, une part de subjectivité assumée et ne me blâmez pas trop sévèrement si vous n’êtes pas aussi emballé que moi.

La bande-annonce

Sons of Philadelphia ★★☆☆

Peter (Matthias Schoenaerts) a grandi avec son cousin Michael (Joel Kinnaman). Leur travail dans le BTP est une façade qui cache leur activité de racket et de trafic pour la pègre irlandaise, une activité que menace la malavita italienne. Volontiers psychopathe, Michael aurait tendance à jeter de l’huile sur le feu. Plus prudent, Peter tente avec plus ou moins de succès de réfréner la violence de son cousin. Mais, plus profondément, cette guerre des gangs est l’occasion pour les deux cousins de solder de vieux comptes.

Auteur à succès de polars noirs, Jérémie Guez passe derrière la caméra et porte à l’écran pour sa seconde réalisation Brotherly Love, un livre de Pete Dexter (dont j’avais beaucoup aimé Paperboy adapté avec Matthew McConaughey et Nicole Kidman au début des années 2010).

Bien sûr, ce petit polar poisseux invoque les mânes de Martin Scorsese ou de James Gray, de leurs sagas familiales tendues et ténébreuses. Rapporté à cette aune, Sons of Philadelphia peine à supporter la comparaison. Il n’a pas la nervosité, la noirceur, l’exubérance, en un mot le génie des œuvres de ces réalisateurs d’exception. Mais qui peut se targuer de les posséder ?

Sons of Philadelphia n’en est pas pour autant un mauvais film, même s’il plaira plus aux amateurs du genre et à ceux qui acceptent de se laisser prendre à son rythme un peu lent. Il est servi par l’interprétation du toujours impeccable Matthias Schoenaerts qui, décidément, depuis De rouille et d’os, tisse une carrière exceptionnelle sur les deux rives de l’Atlantique (A Bigger Splash, Maryland, Red Sparrow, Frères ennemis, Kursk, Nevada, The Laundromat, Une vie cachée…). Son intérêt vient surtout de son scénario qui, lentement, fait ressurgir des secrets de famille trop longtemps refoulés.

La bande-annonce

Benedetta ★☆☆☆

Benedetta Carlini a été placée au couvent des Théatines à Pescia, dans le grand-duché de Toscane, à neuf ans à peine suite au vœu prononcé par ses parents alors qu’elle combattait une grave maladie infantile qui aurait pu lui être fatale. Cette enfant très pieuse prétendit parler à Jésus. Les stigmates qu’elle présentait conduisirent le nonce apostolique de Florence à diligenter une enquête. Témoigna au procès une jeune novice, Sœur Bartolomea, qui reconnut avoir eu des relations sexuelles avec son aînée.

C’est sur ce fond historique, soigneusement documenté dans les années quatre-vingts par une historienne de Stanford, Judith C. Brown, dans un ouvrage savant intitulé Immodest Acts – The life of a lesbian nun in Renaissance Italy publié en français dans la très sérieuse Bibliothèque des histoires de Gallimard sous le titre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, que Paul Verhoeven fait un retour fracassant dans les salles.

Benedetta est projeté en compétition officielle à Cannes. Le film est annoncé par une rumeur insistante que les confinements à répétition ont enflée. Sa bande-annonce tourne en boucle dans toutes les salles depuis leur réouverture. La présence de Virginie Efira à l’affiche, l’une des stars les plus bankables du moment, et son sujet sulfureux garantissent d’ores et déjà à Benedetta un succès au box office.

Pourtant sa première moitié, mal jouée (qu’est venue faire Clotilde Courau dans cette galère ?), mal éclairée, mal montée, est calamiteuse. L’action tarde à démarrer avec un préambule trop long consacré à l’enfance de la jeune moniale. On entre dans ce monastère dont on ne sortira guère et où se jouera dix-huit ans plus tard le sort de la religieuse. On comprend vite le double ressort de cette histoire. D’un côté une enquête théologique autour de prétendus miracles dont Benedetta est peut-être l’actrice sincère ou l’inventrice rouée. De l’autre la relation coupable que Benedetta entretient bientôt avec une jeune novice, aussi innocente que tentatrice, qu’elle a prise sous sa coupe.

Ce double ressort n’a rien de très passionnant. Il y a bien longtemps que les miracles de l’Église n’intéressent plus personne. En revanche, les ébats de Benedetta et de Bartolomea, surtout lorsqu’ils sont joués, dans leur crâne nudité, par Virginie Efira et Daphné Patakia (une jeune première que j’ai passé le film à confondre avec Marina Vacth) sont beaucoup plus stimulants, au point qu’on hésite à avouer, au temps de #MeToo, l’intérêt suspect qu’on prend à les regarder et qu’on finit, correction politique oblige, par reprocher à Paul Verhoeven de leur consacrer une place disproportionnée.

On en est donc là au milieu du film : se désintéresser superbement des enjeux théologiques de cette histoire et en être réduit à jouir d’un plaisir coupable du spectacle dénudé de ses deux actrices. Et on se dit que la seconde moitié risque d’être bien longue.

Et c’est là que le film est sauvé par là où on ne l’attendait pas. Après avoir fait du surplace pendant une heure, il met enfin en présence des personnages, crée une tension, bref, raconte une histoire. On se prend donc au jeu de ce suspens dont on ignore encore l’issue. C’est aux personnages secondaires qu’on le doit : Charlotte Rampling, Lambert Wilson, des vieux chevaux sur le retour auxquelles les critiques pourtant nombreuses, aimantées par la staritude de Virginie Efira et par la révélation de Daphné Patakia, n’ont pas consacré une ligne.

La bande-annonce

Une histoire à soi ★★☆☆

Une histoire à soi est un documentaire consacré à l’adoption internationale. La réalisatrice Amandine Gay, après un appel à contributions, a rencontré près d’une centaine d’enfants adoptés et a écouté leurs histoires de vies. Elle s’est focalisée sur cinq d’entre eux, qui disposaient de suffisamment d’archives pour illustrer leur discours : Anne-Charlotte, Joohee, Céline, Niyongira, Mathieu, respectivement originaires d’Australie, de Corée du Sud, du Sri Lanka, du Rwanda et du Brésil.

Documentariste engagée, afro-féministe et LGBT, Amandine Gay avait réalisé en 2017 Ouvrir la voix, portrait kaléidoscopique de vingt-quatre femmes noires racontant face caméra les discriminations racistes et sexistes dont elles sont victimes. Son second documentaire est aussi intelligent que le premier. Il emprunte une forme différente : aux interviews face caméra, Amandine Gay préfère utiliser le fonds d’archives très riche que chacun des témoins a conservé de son enfance.

Le titre de ce documentaire a des accents woolfiens. Une histoire à soi renvoie à Une chambre à soi, le célèbre essai de l’écrivaine anglaise qui décrivait les conditions matérielles indispensables à l’émancipation féminine. Dans le jargon  franglais contemporain, on parle désormais d’agentivité : la capacité pour un être à devenir l’agent, le responsable de sa propre vie.

Ce que pointe Une histoire à soi est précisément le déni d’une telle agentivité aux enfants adoptés. L’adoption internationale les présente comme des enfants « sauvés », sauvés d’un destin misérable dans un pays du Tiers monde en proie à la guerre et/ou à la famine, sauvés par des familles d’adoption bienveillantes qui leur ont offert amour et confort. Dans une démarche qui n’est pas exempte de parti pris, Une histoire à soi veut montrer le traumatisme que  cette adoption provoque chez un enfant, souvent très jeune, coupé de ses racines, obligé sa vie durant, à vivre « le cul entre deux chaises », entre sa famille d’adoption et sa famille biologique, entre son identité française et une autre identité souvent stigmatisée.

Les cinq enfants adoptés qui témoignent ont tous entrepris une démarche pour retrouver leurs origines. On les suit dans les voyages qu’ils ont entrepris dans leur pays de naissance, y renouant avec une immense émotion les liens avec leurs familles biologiques. On en déduit, à tort ou à raison, que cette quête des origines est très fréquente sinon omniprésente chez les enfants adoptés. Elle s’effectue le plus souvent avec l’accord des familles d’adoption, même si elle suscite chez celles-ci des réticences bien compréhensibles – c’est notamment le cas semble-t-il chez les parents de Anne-Charlotte.

On voit mal que quiconque s’intéresse à l’adoption internationale (enfants adoptés, familles adoptantes, associations….) ne soit pas encouragé à le visionner, ce qui promet à Une histoire à soi un bel avenir en VOD.

La bande-annonce

Un espion ordinaire ★★★☆

Greville Wynne (Benedict Cumberbatch), la quarantaine, est un VRP anglais que le MI6 et la CIA recrutent pour se rendre à Moscou sans attirer l’attention du KGB. Sa mission : contacter une taupe soviétique, Oleg Penkovsky et recueillir de lui des informations classifiées sur le programme nucléaire soviétique.

Pendant le mois de juin passait en boucle dans tous les cinémas la bande-annonce de cet Espion ordinaire. J’en adorais les images, filmées dans un gris-bleu sans âge, les décors et les costumes, ressuscitant l’élégance folle du début des années soixante, la musique qui me rappelait celles de Dunkerque et de La Taupe. Bref, Un espion ordinaire fut pendant un mois le film dont j’ai attendu avec le plus d’impatience la sortie.

C’est peut-être pour cette bande-annonce et pour cette impatience que je lui mets aujourd’hui, avec une indulgence laxiste, trois étoiles. C’est aussi parce qu’il revisite un sous-genre que j’adore : le film d’espionnage historique. Un sous-genre qui compte quelques pépites parmi mes films préférés : L’Espion qui venait du froid, Le Rideau déchiré, La Mort aux trousses

J’ai aimé l’interprétation tendue de Benedict Cumberbatch, décidément l’un des acteurs les plus intéressants et les plus polymorphes de sa génération. Sa femme est interprétée par Jessie Buckley, une jeune actrice britannique dont on suit avec curiosité la carrière depuis Jersey Affair et Wild Rose. Elle n’a pas le glamour de Rachel Brosnahan – qui interprète ici une agent de la CIA – mais elle a certainement plus de talent qu’elle.

J’ai lu qu’après une première moitié prometteuse – qui raconte le recrutement de Greville Wynne et son premier voyage à Moscou – le film basculait dans un registre plus sentimental et plus convenu. Je ne suis pas d’accord. Je trouve que la tension est maintenue tout du long et que ce qu’il advient des deux espions, britannique et soviétique, entre lesquels une relation trouble se noue (ai-je à ce point l’esprit mal placé que j’ai cru deviner l’esquisse d’une romance queer ?), est à la fois crédible et touchant.

La bande-annonce

Solo ★★☆☆

Martín Perino fut un jeune pianiste prodige, couvé par sa mère, pianiste professionnelle elle aussi, avant de sombrer dans la paranoïa et la schizophrénie. Le réalisateur Artemio Benki est allé le débusquer dans un hôpital psychiatrique de Buenos Aires où il était interné. Il l’accompagne à la sortie de l’hôpital et l’aide à retrouver une vie normale, dans l’appartement désaffecté de ses parents décédés, au contact de ses anciens professeurs, à la recherche de nouveaux cachets.

Piano et folie. En 1997 Shine s’inspirait de la vie du pianiste David Helgfoot, un prodige du clavier que de graves troubles psychiatriques éloignèrent de la scène avant un retour triomphal. Le film australien valut à son acteur principal, Geoffrey Rush, l’Oscar, le Golden Globe et le BAFTA du meilleur acteur.
En 1993 déjà le canadien François Girard avait réalisé une oeuvre originale, à mi-chemin du documentaire et de la fiction autour de la vie de Glenn Gould : Twenty Short Films About Glenn Gould que le confinement m’a permis de voir et qui n’a pas pris une ride.

C’est du même sujet que traite le documentaire d’Artemio Benki. Il a pour héros un pianiste moins célèbre que le génial Canadien, mais pas moins attachant. Martín Perino est un gros nounours attachant aux paluches monstrueuses dont on n’imagine pas qu’il puisse jouer avec une telle sensibilité et avec une telle virtuosité. Il présente manifestement tous les signes d’un grave déséquilibre psychiatrique dont attestent ses internements à répétition et sa consommation massive de médicaments. Sa maladie le rend d’autant plus attachant.

J’ai pensé devant ce documentaire à l’héroïne du Jeu de la dame, la mini-série à succès que le monde entier a regardé pendant le confinement. Comme Beth Harmon, Martín Perino ne vit que par et pour son art. Sans piano, il dépérit. Avec un piano, il s’isole du reste du monde dans une spirale suicidaire. Le Jeu de la dame se terminait sur une note d’optimisme, happy ending hollywoodien oblige. Solo ne subit pas les mêmes injonctions et peut s’autoriser une fin plus ouverte, mais moins euphorisante.

La bande-annonce

Annette ★☆☆☆

Henry (Adam Driver), un comédien de stand-up à l’humour féroce, et Anne (Marion Cotillard), une cantatrice française, forment l’un des couples les plus glamours et les plus adulés de Hollywood. Ils ont bientôt ensemble une fille qu’ils prénomment Annette. Mais le comportement de Henry change imperceptiblement…

Le nouveau film de Leos Carax est sans doute le plus attendu du moment. On a vu tourner sa bande-annonce pendant tout le mois de juin. Il fait l’ouverture du festival de Cannes. Il constitue seulement le sixième film de ce réalisateur hors normes, aussi fantasque qu’exigeant, révélé dans les années quatre-vingts par l’énergie et la poésie de ses deux premiers films Boy Meets Girl et Mauvais Sang avant de se brûler les ailes dans le pharaonique Amants du Pont-Neuf.

Reconnaissons honnêtement que cette impatience n’était pas vaine – même si la bande-annonce, comme souvent hélas, a déjà dévoilé l’essentiel. Somptueux opéra rock au lyrisme revendiqué, Annette nous en met plein les mirettes pendant plus de deux heures. Leos Carax réussit, avec une audace inentamée, à revisiter toutes les formes du cinéma – la comédie musicale, le drame shakespearien, le thriller, le film fantastique – à les malaxer et à faire naître une forme nouvelle d’une vibrante énergie.

Mais c’est bien là le seul atout d’un film qui devient très vite désagréable à force de prétention. On a l’impression qu’à chaque plan, Leos Carax veut nous démontrer qu’il est toujours un cinéaste qui compte, capable de nous étonner. Tant d’application m’as-tu-vu dans la démonstration devient hélas vite contreproductif. Surtout si elle ne s’accompagne pas d’un minimum de sens. Or, de sens, Annette n’en a guère. Quel en est le sujet ? un homme qui sombre dans la folie meurtrière ? un couple que la célébrité étouffe ? une enfant prodige qui trouve le courage de rompre avec son père toxique ? les trois à la fois ?

On a l’impression que Carax se désintéresse de l’histoire qu’il raconte, obnubilé qu’il est par la perfection formelle de chacune des scènes qui la composent. C’est peut-être une façon efficace d’écrire un opéra – et Annette, grâce à la musique indémodable des Sparks, contient en effet quelques scènes d’anthologie. Mais ce n’est pas la meilleure pour réaliser un film.

La bande-annonce