Profession du père ★★☆☆

Lyon. 1961. Emile a onze ans. Son père (Benoît Poelvoorde) exerce sur lui une emprise que sa mère (Audrey Dana) peine à endiguer. Partisan de l’Algérie française, opposant enragé à De Gaulle, il l’a enrôlé dans une organisation imaginaire qui fomente des attentats en métropole. Sous la coupe de ce père autoritaire et violent, Emile est incapable de lui opposer la moindre résistance et entraîne bientôt un jeune camarade dans son délire.

Je suis un fan inconditionnel de Sorj Chalandon. Je le découvre en 2006 grâce au prix Médicis qui couronne son deuxième roman, Une promesse. Je lis dans la foulée tous les autres avec une préférence pour le diptyque Mon traître/Retour à Killybegs sur le conflit irlandais. Jean-Pierre Améris, qui a l’habitude de s’inspirer d’auteurs contemporains (Anne Wiazemsky, Olivier Adam, David Foenkinos…), adapte son antépénultième roman sorti en 2015. Il y retrouve Benoît Poelvoorde qu’il avait déjà dirigé dans Les Émotifs anonymes et dans Une famille à louer.

Ce choix de casting est peut-être un des défauts du film. Car Poelvoorde est avant tout un acteur de comédie. Il a certes fait de nombreuses incursions dans la tragédie ; mais ses apparitions souvent bouffonnes prêtent plus souvent à rire qu’à trembler. Or le père de cette histoire n’est pas un personnage drôle. Au contraire, c’est un caractère violent, terrifiant. Ses apparitions devraient nous glacer, d’autant que ni sa femme, ni son fils ne lui opposent de résistance, laissant libre cours à sa mythomanie délirante. Le problème de Benoît Poelvoorde est qu’il ne nous fait pas peur.

Il y aurait de quoi. Car l’histoire est poignante qui confronte un homme malade, emporté par sa folie, et une femme et un enfant incapables de lui résister, victimes condamnées par avance de son emprise autoritaire. Le film de Jean-Pierre Améris est hélas un peu trop sage, sa reconstitution du début des années soixante un peu trop appliquée. Sa réalisation un peu fade peine à s’élever au-dessus du standard télévisuel.

La bande-annonce

Sous le ciel d’Alice ★★☆☆

Alice est une jeune infirmière suisse qui quitte dans les années cinquante son pays natal pour s’installer au Liban. Elle y fait bientôt la connaissance d’un astrophysicien libanais, Joseph, et de son envahissante et chaleureuse fratrie : Mimi sa sœur, Georges son frère et Amal sa belle-soeur ainsi que leurs trois enfants. Alice et Joseph se marient et ont bientôt une fille, Mona. Dans la « Suisse du Moyen-Orient » qu’est alors le Liban, Joseph travaille à un projet fou, envoyer le premier Libanais sur la lune, tandis qu’Alice dessine et vend quelques unes de ses oeuvres. Mais tout bascule en 1975 avec la guerre civile libanaise qui obligera Alice à quitter la terre qui l’avait si généreusement accueillie vingt ans plus tôt.

Chloé Mazlo est une jeune réalisatrice française. Sous le ciel d’Alice est son premier long métrage inspiré de la vie de sa grand-mère. On ressent, à le voir, la nostalgie de cette femme, d’autant plus attachée à une terre ensanglantée par la guerre et réticente à l’abandonner, qu’elle a délibérément choisi de s’y installer. On imagine aussi la curiosité de sa petite-fille à écouter les souvenirs merveilleux de ce paradis perdu.

Pour faire revivre ce passé, plusieurs options s’offraient à la réalisatrice. La plus évidente était la reconstitution historique comme on en a tant vues, quitte à tourner sur un fond vert et à rajouter quelques effets spéciaux. Le parti qu’elle retient, outre qu’il est certainement moins onéreux, est autrement plus original et rappelle les bricolages géniaux d’un Michel Gondry : un tournage en studio, qui ne quitte guère les murs de l’appartement d’Alice et Joseph, des décors et des costumes très gais qui louchent vers la bande dessinée, quelques séquences en stop motion pour évoquer le départ d’Alice de Suisse…

Le tout, gentiment surréaliste, est d’une poésie charmante, d’une infinie douceur, d’un charme fou. La beauté diaphane de Alba Rohrwacher y est parfaite. On n’aurait pas imaginer interprète plus appropriée pour jouer Alice que cette actrice italienne de père allemand au français joliment maladroit. Le seul défaut de Sous le ciel d’Alice vient de sa modestie : son refus de pimenter son récit de rebondissements épiques en rend parfois le rythme un peu lent et sa fin annoncée – puisqu’on sait dès la première scène comment il se terminera – le prive de toute tension.

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Sœurs ★★★☆

Zorah (Isabelle Adjani), Djamila (Rachida Brakni) et Norah (Maïwenn) sont sœurs. Elles vivent en France auprès de leur mère. Leur père les a quittées brutalement vingt huit ans plus tôt en kidnappant leur frère cadet, Redah, dont elles n’ont depuis aucune nouvelle. Ce choc a provoqué chez elles un traumatisme qu’elles ont plus ou moins bien vécu. Norah, la benjamine, que son père avait kidnappée avec son frère mais qui a réussi à revenir en France, ne s’en est jamais remise et n’est pas arrivée à se stabiliser. Djamila, la cadette, s’est intégrée à la société française au-delà de toute espérance et est devenue maire de Saint-Quentin. Zorah l’aînée est dramaturge. Elle monte actuellement, malgré l’hostilité de ses sœurs et de sa mère, une pièce autobiographique racontant la jeunesse de ses parents. Sa fille, Farah (Hafsia Herzi) y interprète le rôle de sa mère.
C’est alors qu’une nouvelle leur parvient d’Alger d’une lointaine cousine : leur père vient de subir un AVC. Elles décident d’aller à son chevet pour découvrir enfin le sort de leur petit frère.

Yamina Benguigui a un profil original. Cette documentariste, venue à la fiction sur le tard (Sœurs est son deuxième long métrage en bientôt trente ans de carrière) a fait un détour par la politique. Adjointe au maire de Paris, elle est même devenue ministre entre 2012 et 2014. Chargée de la francophonie au Quai d’Orsay, elle y a laissé un souvenir mitigé que le devoir de réserve m’interdit de détailler.

Son film s’est fait étriller par la critique. Sorti le 30 juin, il a vite disparu des écrans. Lui furent reprochés en vrac le manque de direction de ses actrices, le didactisme de son message, sa ressemblance avec ADN de Maïwenn.

C’est un procès injuste. En particulier, on ne saurait reprocher à Sœurs les hasards du calendrier qui ont retardé sa sortie après celle de ADN qui traite en effet de la quête par son héroïne de ses racines algériennes et avec lequel il partage le même mouvement : de la France vers l’Algérie où il se conclut en pleines manifestations populaires du Hirak.

Que dire du jeu des artistes ? Yamina Benguigui a eu la chance de réunir trois stars – quatre si on inclut Hafsia Herzi injustement bannie de l’affiche. Qu’elle leur fasse la part belle n’a rien de blâmable, filmant longuement leurs déchirements. C’est l’inverse qui aurait été décevant. Maïwenn fait du Maïwenn : en colère contre le monde entier. Rachida Brakni a un peu de mal à trouver sa place. C’est Adjani qui est la plus étonnante, la peau diaphane et lisse d’une adolescente, jouant sur un mode un peu décalé le rôle de la grande sœur cathartique.

Reste le didactisme du message. Sœurs parle d’une famille franco-algérienne écartelée entre deux cultures et deux pays, traumatisée par l’amputation de l’un de ses membres, kidnappé par son père. Un tel thème n’est pas léger. Il se serait mal prêté à un traitement sur un mode mineur. Sans doute les flashbacks qui émaillent le film manquent-ils parfois de subtilité ; mais ils ont le mérite d’illustrer une histoire familiale complexe qui se déroule à trente ans de distance. D’autant que s’y superposent les répétitions de la pièce de Zorah qui produit une mise en abyme particulièrement efficace.

Sœurs ne mérite peut-être pas les trois étoiles que je lui décerne avec trop de laxisme. Mais il a reçu une telle volée de bois vert que je veux, par mon indulgence, essayer de contrebalancer cette injustice.

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Bonne Mère ★☆☆☆

Nora, la cinquantaine, habite les quartiers nord de Marseille. Chaque matin, elle se lève aux aurores pour aller, en métro puis en bus, à Marignane faire le ménage dans les avions. Elle doit élever seule ses enfants. L’aîné, Ellyes, est en prison. Les trois autres sont à sa charge : un garçon, gros nounours paresseux, deux filles, dont la cadette, Sabah,  à la recherche d’argent facile, est sur le point se prostituer, sans oublier sa belle-fille et son petit-fils. Nora a patiemment épargné l’argent nécessaire à une coûteuse opération dentaire. Pourra-t-elle utiliser cet argent pour elle-même ou devra-t-elle une fois de plus le sacrifier pour sa famille ?

La jeune actrice Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet, poursuit une belle carrière devant la caméra (La Source des femmes, L’Apollonide, L’Amour des hommes, Madame Claude…) et tourne avec Bonne mère son second film après Tu mérites un amour. Il est dédié à sa mère, qui comme la Nora du film, a élevé seule dans une cité HLM de Marseille Hafsia, ses deux sœurs et son frère.

Sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard, Bonne mère décrit la vie quotidienne de Nora, sa fatigue, sa bonté, sa résilience. Il fait la part belle aux scènes de groupe, filmées en plans rapprochés, à leur joyeux brouhaha où fusent les vannes et les invectives. Comme son titre, malin, l’annonce, il aspire à être la description d’une ville tout entière à travers celle d’une de ses habitantes.

Sauf à avoir un cœur de pierre, il est difficile de ne pas s’attacher à ces personnages. Pour autant, les bons sentiments ne suffisent pas à faire de bons films. Les situations de Bonne mère sont trop archétypales (l’aîné en prison, la cadette au tapin) pour être intéressantes, les acteurs pas assez dirigés pour être convaincants (Halima Benhamed, l’actrice non professionnelle qui interprète Nora, semble figée dans une seule attitude). Dommage…

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Old ★☆☆☆

Des touristes se retrouvent piégés sur une plage mexicaine où ils vivent une terrifiante expérience de vieillissement accéléré.

Old est la dernière oeuvre en date de M. Night Shyamalan, le réalisateur de Sixième Sens, Incassable, Le Village… Le twist final – c’est à dire le renversement à la fin du film qui conduit le spectateur à reconsidérer  l’ensemble de l’histoire d’un oeil neuf – est devenu sa marque de fabrique. Chacun connaît celui de Sixième Sens. La conséquence en est qu’on regarde chacun des films de Shyamalan dans la vague attente de ce fameux twist-là. Y en aura-t-il un ? Et si oui quel sera-t-il ?

Le problème de Old réside précisément dans sa conclusion que, comme je viens de le dire, le spectateur attend avec d’autant d’impatience que Shyamalan place la barre très haut en nous habituant à nous renverser.

Ce qui précède cette conclusion est sans surprise, que la bande-annonce a déjà dévoilé. Après une introduction gentillette et dispensable d’une vingtaine de minutes, qui introduit les personnages, à commencer par les deux héros, Trent (Gael Garcia Bernal) et Prisca (Vicky Krieps qu’on vient de voir la semaine dernière dans Bergman Island), et leurs deux enfants Trent et Maddox, l’action peut enfin commencer lorsque tous les personnages sont réunis sur cette fameuse plage. Là, bientôt, des indices macabres révèlent l’étonnant phénomène physique qui la caractérise : la faramineuse accélération du vieillissement biologique des cellules humaines.

À ce stade, l’action est tendue par deux questions : nos personnages parviendront-ils à s’évader de cette plage et à éviter la mort inéluctable qui les attend dans une poignée d’heures ? Ont-ils été piégés par le hasard ou par une volonté humaine perverse et manipulatrice ? La fin du film répondra à ces deux questions d’une façon plate et décevante.

Reste alors seulement à passer quelques instants de ce huis clos en plein air, façon Koh Lanta, avec cette dizaine de touristes dont on sait par avance qu’ils seront décimés les uns après les autres. Le seul suspens est de savoir dans quel ordre et à quel rythme. M. Night Shyamalan les filme avec beaucoup de brio dans des plans virevoltants qui donneront la nausée à qui font vomir les mouvements trop brusques de caméra à l’épaule. Mais hélas, les quelques considérations philosophiques qui accompagnent cette course contre la montre – sur la jeunesse qui passe trop vite et sur l’amour, seul rempart contre le temps – sont bien trop frelatées pour en rehausser l’intérêt de ce qui, in fine, se réduit à un divertissement sans intérêt.

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Vers la bataille ★☆☆☆

Louis (Malik Zidi) est photographe dans les années 1860 à une époque où la photographie est encore un art balbutiant et le photojournalisme un métier inédit. Il vient de perdre son fils Lazare, jeune officier prometteur fauché à la bataille de Sébastopol. Il s’est mis en tête d’aller photographier le corps français expéditionnaire au Mexique. Mais, sans escorte militaire, ralenti par son lourd équipement, il se perd dans la forêt mexicaine. Il doit la vie sauve à la rencontre de Pinto (Leynar Gomez), un paysan analphabète.

Il faut reconnaître au réalisateur Aurélien Vernhes-Lermusiaux une sacrée audace pour son premier film qu’il est allé tourner en Colombie, au cœur de la forêt amazonienne (pourquoi n’avoir pas tourné au Mexique ? parce que les conditions administratives ne le permettaient pas ? ou parce que les décors qu’il avait imaginés n’y étaient pas disponibles ?). Il n’est pas fréquent en effet que l’expédition française au Mexique (1861-1867), qui visait à doter ce jeune pays d’un empereur catholique et francophile, soit évoquée au cinéma. On cherche en vain un précédent.

Mais, film à petit budget, Vers la bataille ne montre rien des luttes de pouvoir autour de Maximilien. Il se focalise sur un homme qui, tel Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme, ne verra rien de la bataille à laquelle il était censé participer. Vers la bataille tourne bientôt à la description de son vertige, de sa folie et enfin de sa chute.

On pense à Dead Man de Jim Jarmusch. Malik Zidi porte la même pelisse que Johnny Depp et il a peut-être autant de talent que lui (j’ai toujours trouvé surcoté le héros de Pirate des Caraïbes) à défaut d’avoir le quart de sa célébrité. Mais hélas, Aurélien Vernhes-Lermusiaux n’a pas le talent de Jim Jarmusch.

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Sembène ! ★★☆☆

Ousmane Sembène (1923-2007) est souvent présenté comme le père du cinéma africain. Samba Gadjigo fut son bras droit pendant les vingt dernières années de sa vie. Il lui consacra une longue biographie, d’abord publiée aux Etats-Unis en 2010, car Gadjigo est professeur outre-Atlantique, puis traduite en français en 2013. C’est le même itinéraire qu’a suivi ce documentaire réalisé en 2015. Il sort sur nos écrans six ans plus tard seulement, à l’occasion de la réédition du Mandat, un des films les plus attachants de Sembène.

Ousmane Sembène fut un réalisateur militant. Il développe une conscience de classe dans les rangs de la CGT, à Marseille, où il avait trouvé à s’employer sur les docks. C’est à cette époque qu’il écrit son premier roman, Les Bouts de bois de Dieu, qui raconte, sur un mode volontiers lyrique, la grève des cheminots du Dakar-Bamako. Formé au cinéma en URSS, il en revient avec une caméra super-8 avec laquelle il tourne ses premiers courts-métrages.

Ses films traitent à bras-le-corps de sujets politiques. La Noire de… (1966) évoque le sort cruel des bonnes africaines employées par des petits blancs, mesquins et racistes. Ceddo (1977) dénonce l’islamisation forcée des campagnes. Camp de Tiaroye (1987) rappelle une page oubliée de la Seconde Guerre mondiale : la révolte, matée dans le sang, de tirailleurs sénégalais démobilisés qui réclamaient le paiement de leurs soldes. Moolaadé (2003), son dernier film, est un réquisitoire contre l’excision.

Le documentaire de Samba Gadjigo déroule révérencieusement cette prestigieuse filmographie. Il alterne très classiquement les images d’archives et les interviews face caméra. Il évite de justesse l’hagiographie en ne passant pas sous silence les défauts du grand réalisateur qui fut peut-être un immense homme de cinéma, mais aussi un être irascible et un père exécrable (le témoignage d’Alain Nidaye, son premier fils, est particulièrement impitoyable).
Samba Gadjigo évoque sa relation avec Sembène, son admiration pour son oeuvre, les conditions de leur rencontre. Assez paradoxalement, cette dimension du documentaire, qui décentre le regard trop longtemps fixé sur le réalisateur et son oeuvre édifiante, est la plus touchante et on regrette qu’elle n’ait pas été plus explorée.

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Zero Kelvin (1995) ★★★☆

À Oslo, dans les années 1920, le jeune poète Henrik Larsen (Gard B. Eidsvold) essaie sans succès de vivre de sa plume. Il est amoureux de Gertrude mais n’est pas certain des sentiments qu’elle lui porte en retour. Pour amasser un pécule, il décide d’aller passer une saison de chasse au Groenland. Il y rejoint un trappeur irascible (Stellan Skarsgård) et un scientifique placide (Bjørn Sundquist). La cohabitation entre les trois hommes tourne vite à l’aigre.

Kjærlighetens kjøtere est le titre original de ce film norvégien, le seul à figurer parmi les 1001 Movies You Must See Before You Die. Il a été diffusé à l’étranger sous le titre anglais Zero Kelvin. Il n’est jamais sorti en salles en France.

Le film, tourné au Svalbard, au-delà du cercle polaire arctique, vaut d’abord pour ses paysages majestueux. On regrette de ne pas les voir dans une salle de cinéma ; et on se console devant l’écran de sa télévision.

Il vaut ensuite pour le jeu halluciné de Stellan Skarsgård, qu’on reconnaît à peine, emmitouflé qu’il est sous d’épaisses fourrures. Cet acteur suédois hors normes, à l’impressionnante filmographie, a roulé sa bosse sur tous les plateaux du monde. Il sait jouer aussi bien les pères de famille bonhommes (dans Mamma Mia) que les assassins sadiques (dans Millénium). Il interprète ici le rôle d’un homme enragé, prompt aux plus subites colères, qui prend vite comme tête-de-turc le jeune poète Henrik Larsen.

Comment leur face-à-face se dénouera-t-il ? S’entretueront-ils ? ou devront-ils faire taire leur rivalité pour unir leurs forces afin de survivre dans le froid arctique ? J’ai été surpris du dénouement que je n’attendais pas et je vous laisserai l’être si, par hasard, vous croisez un jour ce film étonnant.

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Je voulais me cacher ★★☆☆

Antonio Ligabue (1899-1965) fut un peintre naïf qui acquit tardivement une relative célébrité dans l’Italie de l’après-guerre. Il souffrit toute sa vie de graves troubles psychiatriques qui provoquèrent de multiples internements en institutions spécialisées et le maintinrent en marge de la société.
Né à Zurich d’une fille mère italienne, il prit le nom du mari de celle-ci. Il fut placé dans une famille de Suisses allemands qui n’avaient pas eu d’enfant naturel mais y fut très vite en butte à l’hostilité de son père adoptif. Sa scolarité fut difficile, son originalité en faisant vite la tête de Turc de ses jeunes camarades. En 1919, il est expulsé vers l’Italie, le pays du mari de sa mère. Il ne connaissait rien de sa patrie et ne parlait pas un mot de sa langue. En Emilie-Romagne, il vit de l’aumône populaire, s’emploie comme journalier, est interné épisodiquement. Il ne trouve de soulagement que dans le dessin. En 1928, Marino Mazzacurati, un sculpteur renommé, le prend sous son aile. Il lui enseigne la peinture et la sculpture.

Une vie en morceaux. Je ne connaissais rien d’Antonio Ligabue. Ni ses oeuvres qui rappellent celles du Douanier Rousseau, ni sa vie passablement chaotique. Le moindre mérite du film de Giorgio Dritti est de me l’avoir fait découvrir. Ce biopic aurait pu paresseusement raconter la vie de Ligabue en en suivant le fil chronologique. Mais le procédé utilisé, qui évite l’académisme qui menaçait ce film, est beaucoup plus astucieux et captivant. Il procède par une succession de courtes saynètes qui se jouent des époques et des lieux. Leur montage désoriente d’abord ; mais très vite, on retrouve ses marques et on se pique à ce jeu de l’oie qui, à force d’allers-retours, finira néanmoins à nous raconter l’histoire d’une vie de ses débuts à sa fin.

Je voulais me cacher est porté par l’interprétation exceptionnelle de Elio Germano, qui lui a valu l’Ours d’argent et le Donatello – l’équivalent du César. L’acteur – qui a quarante ans à peine et qu’on avait repéré dans Alaska, dans Suburra et dans L’Incroyable Histoire de l’île de la rose – est méconnaissable. Le film repose sur ses épaules, des épaules de guingois déformées par le rachitisme dont Ligabue fut affecté pendant son enfance.

Le seul reproche qu’on pourrait adresser à ce film est de ne pas suffisamment mettre en valeur la peinture de Ligabue et son processus créatif. Je voulais me cacher nous montre moins un peintre maudit que la souffrance d’un homme en butte à la cruauté d’autres hommes à une époque où la folie était moins considérée comme une maladie que comme une malédiction.

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Bergman Island ★★★☆

Tony (Tim Roth) et Chris (Vicky Krieps) laissent derrière eux leur fille, June, pour s’installer quelques jours d’été sur l’île de Fårö en Suède, où vécut Bergman et où le grand réalisateur suédois tourna quelques uns de ses films. Tony est un cinéaste réputé, invité à Fårö pour y animer une master class. Chris, beaucoup plus jeune, réalisatrice elle aussi, peine à écrire son prochain film. Elle en raconte la trame à son conjoint qui l’écoute d’une oreille distraite : il y sera question de deux anciens amants, Amy (Mia Wasikowska) et Joseph (Anders Danielsen Lie), réunis par hasard sur une île suédoise pour le mariage d’un ami commun, qui, à l’occasion de la noce, renouent leur liaison.

La jeune Mia Hansen-Løve poursuit une oeuvre décidément originale, à cheval sur les pays (Bergman Island se déroule en Suède, Maya prenait la tangente dans le sud de l’Inde, Tout est pardonné commençait à Vienne) et sur les registres, puisant son inspiration dans un fonds qu’on imagine volontiers autobiographique : le couple que forment Tim Roth et Vicky Krieps, sa cadette de vingt-deux ans, n’est pas sans rappeler celui que forma longtemps Mia Hansen-Løve elle-même avec Olivier Assayas, son aîné de vingt-six ans. Pour une réalisatrice de son âge, elle démontre une étonnante maîtrise à diriger un casting international impressionnant et à organiser un récit dans lequel beaucoup d’autres se seraient égarés.

Car Bergman Island est constamment menacé par le narcissisme et l’insignifiance. Le narcissisme : n’y a-t-il pas un certain nombrilisme à vouloir raconter le travail d’un couple de cinéastes en atelier sur l’île du grand Bergman ? à qui ce genre d’histoires là va-t-il parler ? L’insignifiance : le récit prend son temps à s’installer, au rythme languide de vacances d’été en espadrilles. On se croirait presque dans un clip video de l’office de tourisme de Suède où on filme des paysages marins battus par le vent et des touristes heureux et bronzés festoyant au crépuscule un verre d’aquavit à la main.

Ce genre de cocktail pourrait être calamiteux. Et il manque bien l’être. Au bout d’une heure, on accroche ou on décroche. J’ai eu la chance de ne pas décrocher. Bien m’en a pris. Car la seconde moitié du film se révèle beaucoup plus riche que la première. Une mise en abyme un peu artificielle – Chris raconte à son conjoint le sujet de son scénario – conduit à un troublant jeu de miroirs : au couple bien réel de Chris et Tony répond celui, imaginé par Chris, de Amy et Joseph. Pour fantasmé qu’il soit, ce couple là n’est pas plus épanoui que celui que Chris et Tony forment. Car, même si Amy et Joseph ont fait leur vie avec leur conjoint respectif, Amy reste rongée du désir de retrouver son ancien amant et de renouer la chaîne des temps.

L’air de rien, comme un conte de Rohmer ou un film cérébral de Woody Allen, Bergman Island distille sa petite musique mélancolique. Seul bémol : son dernier plan inutilement moralisateur. En compétition à Cannes, Bergman Island n’en a ramené aucune récompense. Un oubli injuste.

La bande-annonce