Madame Claude ☆☆☆☆

Paris. Fin des années soixante, début des années soixante-dix. Fernande Grudet alias madame Claude (Karole Rocher) dirige d’une main de fer un réseau de prostituées qui ont pour clients l’élite administrative et financière de la France pompidolienne. Elle bénéficie de l’appui de la pègre et de la police qu’elle renseigne régulièrement sur ses habitués. Pour autant, elle vit dans l’angoisse permanente d’être rackettée voire éliminée.
Ses filles viennent souvent d’un milieu modeste. Ce n’est pas le cas de Sidonie (Garance Marillier), sa dernière recrue, issue de la haute bourgeoisie, qui lui devient indispensable. Entre la « maquerelle de la République » et la jeune femme se noue une relation ambigüe qui durera jusqu’à la chute de madame Claude.

Le film de Sylvie Verheyde a débarqué avant-hier, 2 avril, sur Netflix avec tambour et trompette. Le sujet est sulfureux. Mais la réalisatrice, dans les interviews qu’elle a données à la presse, se défend d’en faire un usage racoleur. Au contraire, affirme-t-elle, Madame Claude serait un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes.

Il est bien difficile de lui donner tort ou raison tant les obstacles se dressent en chemin avant qu’on puisse remettre en cause la posture qu’elle revendique.

Le premier est à mettre au crédit de ce Madame Claude. C’est la beauté du corps des filles et le luxe de la reconstitution historique, des décors, des costumes, des moindres extérieurs. Madame Claude a coûté cher. On pense au Casino de Scorsese. Et le résultat se voit à l’écran qui atteint un résultat contraire à celui que la réalisatrice s’était fixée : rendre glamour une réalité qui ne l’était pas.

Le deuxième est les personnages. Tout tourne autour de madame Claude qui est interprétée non sans talent par Karole Rocher qui, sans être une inconnue, n’est pas le genre de stars bankables sur les épaules de laquelle la réussite du film aurait pu reposer. L’idée, réussie, est d’en faire un gangster au féminin. Face à elle, en miroir, les scénaristes ont inventé le personnage de Sidonie, joué par la jeune Garance Marillier, révélée par Grave, dont on se demandera durant tout le film ce qu’elle est censée incarner : une disciple ? une rivale ? une victime ? Autour des deux femmes gravite une galaxie d’hommes recrutés parmi les meilleurs acteurs actuels du cinéma français : Roschdy Zem, dans le rôle de Jo Attia, un baron de la pègre qui a pris Fernande/Claude sous son aile depuis qu’elle est montée faire le trottoir à Paris après Guerre, Benjamin Biolay et Pierre Deladonchamps en inspecteurs des RG cauteleux, Paul Hamy en amant infidèle, etc. La liste est longue (j’ai oublié de citer Hafsia Herzi, Mylène Jampanoi et Philippe Rebot). Mais elle se heurte à un écueil : une absence totale d’empathie pour ces personnages, à commencer par les deux principaux.

La faute en est – et c’est le troisième obstacle – au scénario du film. Comme dans tous les biopics qui traitent d’une figure publique dont on connaît le destin, on sait déjà comment l’histoire de madame Claude se terminera. Du coup, le suspense en est éventé. Le fil qui tient le film se distend ; pire, il disparaît. Les épisodes se succèdent, sans transition, sans continuité. L’action est censée se dérouler en l’espace de six années – avec un épilogue vingt ans plus tard où Karole Rocher apparaît outrancièrement vieillie tandis que Garance Marillier n’a pas pris une ride – alors qu’elle pourrait aussi bien n’en occuper qu’une seule.

Madame Claude est-il un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes ? Si j’étais un féministe militant, j’en douterais. Et j’en douterais d’autant plus que ce Madame Claude fonctionne sur un ressort éculé et malsain : promettre au spectateur libidineux – et je serais malhonnête de m’exclure du lot – la perspective de reluquer de jolies pépées dénudées.

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Ma part du gâteau (2011) ★☆☆☆

La quarantaine, France (Karin Viard) élève seule à Dunkerque ses trois filles adolescentes. Licenciée d’un groupe sidérurgique en faillite, elle décide, après une tentative de suicide, de remonter la pente en allant travailler à Paris. Elle y devient la femme de ménage de Stéphane, un requin de la finance qui brasse des millions entre la City et La Défense et amène en week-end à Venise dans son bimoteur les top models qui défilent dans son lit. France a tôt fait de se rendre indispensable à Stéphane en babysittant Alban, son fils de quatre ans dont il est incapable de s’occuper. Mais la confiance qui s’installe peu à peu entre eux sera brutalement brisée par une consternante révélation.

Quand il écrit et réalise Ma part du gâteau en 2011, Cédric Klapisch a cinquante ans et est au sommet de sa célébrité. Si Paris en 2008 n’a pas trouvé son public, Klapisch reste auréolé du succès de L’Auberge espagnole qui avait attiré près de trois millions de spectateurs en salles en 2002. Il avait remis le couvert en 2005 avec Les Poupées russes qui en avait attiré presqu’autant.

Avec Ma part du gâteau, Klapisch s’attaque à un sujet ambitieux : la fracture sociale traitée à travers les deux personnages archétypiques de France, une Mère courage dunkerquoise, et Steve/Stéphane, un trader hors sol. Coline Serreau avait réalisé le même film en 1989 – quatre ans après l’immense succès de Trois hommes et un couffin. Romuald et Juliette mettait en scène un PDG arrogant et une femme de ménage antillaise. Il se terminait par un happy end aussi improbable que transgressif.

On se demande longtemps comment se terminera Ma part du gâteau et on redoute qu’il suive la même voie, convenue, que Romuald et Juliette. Son épilogue, qui intervient après bien des zigzags et des virages en épingles à cheveux, de Londres à Venise, de Paris à Dunkerque, sauve le film du désastre dans lequel il semblait s’être enlisé jusque là.

Car hélas, Klapisch s’égare. Comédie romantique du rapprochement des deux contraires ou drame poignant de la fracture sociale façon Philippe Lioret (Welcome) ou Stéphane Brizé (La Loi du marché, En guerre) ? Ma part du gâteau fait du surplace faute de choisir son parti. Certes, les acteurs s’en sortent plutôt bien, même si Karin Viard porte avec trop d’aisance des hauts talons Louboutin pour nous faire croire à son personnage de prolétaire et Gilles Lellouche (qui a repris in extremis un rôle destiné à Vincent Cassel) parle trop mal l’anglais pour nous faire croire au sien. Marine Vacth gâche son talent et sa beauté dans un rôle humiliant et Zinedine Soualem, toujours juste, fait une apparition trop brève. Mais le scénario de Ma part du gâteau est trop paresseux, ses situations trop caricaturales pour jamais susciter l’intérêt.

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Unicorn Store ★★★☆

Kit (Brie Larson) est une artiste née qui vit la tête dans les nuages, au milieu des arcs-en-ciel, des paillettes et des licornes. Après avoir été renvoyée de son école d’art, parce que ses réalisations ne se conformaient pas aux canons lugubres de son professeur, elle accepte, sous la pression de ses parents, de rentrer dans le rang et de travailler dans une agence d’intérim.
Mais Kit reçoit une publicité d’une mystérieuse enseigne. Un vendeur excentrique (Samuel Jackson) l’y accueille dans un décor déconcertant et lui fait miroiter la réalisation de son rêve : accueillir une licorne dans son jardin. Contre toute raison et avec l’aide d’un charpentier débrouillard, Kit va se consacrer à ce nouveau but.

Brie Larson est devenue brusquement l’une des actrices les plus en vue de Hollywood. Elle le doit à deux films : States of Grace en 2013 et Room en 2015 qui lui ont valu une palanquée de récompenses, y inclus, pour le second, l’Oscar de la meilleure actrice. Une aussi soudaine renommée aurait pu lui monter à la tête à vingt-cinq ans à peine. Mais la jeune femme semble l’avoir solidement accrochée sur les épaules. Tout en interprétant Captain Marvel dans la franchise Marvel, elle est passée en 2017 derrière la caméra pour filmer son premier long métrage dont on mesure aisément la part d’autobiographie qu’il recèle.

Unicorn Store est une délicieuse comédie romantique du coming-of-age, ce genre très américain qui met en scène des adolescents confrontés aux premiers émois et aux premiers défis de la vie adulte. Pour être plus exact, Unicorn Store relève d’un sous-genre du coming-of-age movie : le coming-of-age adulescent qui met en scène des jeunes adultes qui se refusent à grandir.

Brie Larson y est de tous les plans. Loin d’être envahissante ou égocentrique, cette omniprésence constitue le principal atout du film. C’est que l’actrice est tellement jolie, tellement charmante, tellement tendre, tellement drôle qu’on ne s’en lasse pas. L’énumération trop longue de la phrase qui précède aura suscité quelques doutes légitimes sur la subjectivité de son auteur. Oui, confesse-t-il (voilà que je parle de moi à la troisième personne !), il est tombé sous le charme de l’héroïne. Comment en aurait-il pu aller autrement ?

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L’Assaut (2010) ★★☆☆

Le 24 décembre 1994, en pleine guerre civile algérienne, un commando de quatre hommes du GIA prend en otage le vol AF8969 Alger-Paris. Les revendications du commando sont floues : veut-il la libération des deux leaders du GIA ? ou veut-il transformer l’Airbus en bombe volante et l’écraser sur la Tour Eiffel ? L’avion reste bloqué à Alger pendant deux jours ; le commando libère une partie des otages mais en exécute trois avant d’obtenir l’autorisation de décoller. Détourné sur l’aéroport de Marseille Marignane, il y est accueilli par le GIGN qui a reçu des autorités française l’ordre de donner l’assaut.

La prise d’otages d’un avion est un sujet éminemment cinématographique. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Plusieurs ont déjà inspiré des films : Vol 93 de Peter Greengrass, Otages à Entebbe ou L’Intervention (oups ! L’Intervention racontait une prise d’otages dans un bus, pas dans un avion !), sans parler d’un détournement (c’est le cas de le dire !) drolatique du genre : Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et ses suites.

Le parti pris de Julien Leclercq et de son co-scénariste est de raconter les événements sous trois angles. Premièrement bien sûr depuis l’Airbus lui-même. Deuxièmement du point de vue du gendarme du GIGN qui prendra la tête de la colonne au moment de l’assaut. Le rôle est interprété par Vincent Elbaz et nous vaut hélas, quelques scènes dispensables à Satory avec sa femme et sa fille. Troisièmement – et c’est la partie la moins réussie du film que la joliesse de Mélanie Bernier n’arrive pas à sauver – à travers les yeux d’une jeune rédactrice du Quai d’Orsay participant à la cellule de crise qui, depuis Paris, adresse ses instructions au GIGN.

Accueilli par une fraîche critique, L’Assaut n’a pas trouvé son public à sa  sortie début 2011. Certes le film n’est pas un inoubliable chef d’œuvre. Il entretient un faible suspens dont on connaît déjà le dénouement. Les tons désaturés dans lesquels il est filmé peuvent sembler bien chichiteux. La scène finale, si on apprend qu’elle est fidèle à l’enchaînement des faits, est passablement illisible. Pour autant, ces objections (nombreuses) mises de côté, on mentirait en affirmant qu’on a trouvé le temps long et qu’on n’a pas été happé par l’histoire.

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Cibles mouvantes ★☆☆☆

Einar et Nadja forment un jeune couple suédois aimant. Lui a passé son diplôme d’ingénieur ; elle, d’origine somalienne, étudie la médecine. Alors que Nadja vient d’apprendre qu’elle est enceinte mais ne l’a pas encore dit à son mari, Einar lui offre un week-end d’oxygénation, loin de Stockholm, dans les plaines enneigées et désertiques du nord de la Suède. Mais le couple croise en chemin une bande de jeunes chasseurs racistes…

Poursuivant sa politique volontariste de production tous azimuts, qui puise dans les cinématographies du monde entier, Netflix a mis en ligne le mois dernier ce petit polar suédois dont le pitch, à la Délivrance (le film mythique de John Boorman qui mettait en scène quatre Américains dans les Appalaches), a titillé ma curiosité. J’ai toujours aimé les survival movies et leurs histoires minimalistes qui défient la virtuosité des scénaristes : une poignée de survivants d’un naufrage coincés dans un radeau (Lifeboat de Hitchcock), un Américain qui se réveille en Irak enterré six pieds sous terre (Buried), un conducteur coréen prisonnier de son véhicule dans l’éboulement d’un tunnel (Tunnel), un skipper sur son bateau en train de couler (All is Lost), etc.

Cibles mouvantes (Red Dot dans son titre original) hélas est loin de se hisser au niveau des films remarquables que je viens d’énumérer. L’exposition, trop longue, occupe un tiers du film et le premier coup de feu dans la neige claque seulement après une bonne demie heure. La course poursuite dans la toundra ne dure ensuite que quelques minutes, le temps pour le héros d’essuyer quelques tirs qui en auraient fauché de moins robustes. [Attention spoiler] Le dernier tiers du film est lesté d’un twist – que certains indices laissaient présager – dont le rôle est de clouer le spectateur sur son fauteuil/canapé mais qui est trop abracadabrantesque pour être convaincant.

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Tout est pardonné (2007) ★★☆☆

L’action de Tout est pardonné se déroule en trois parties différentes dans le temps et dans l’espace. Elle commence à Vienne où on découvre Victor (Paul Blain), Annette (Marie-Christine Friedrich) sa compagne autrichienne et Pamela leur petite fille de six ans. Ils forment une famille en apparence unie mais dont le bonheur semble menacé par d’insidieuses failles. Victor en effet est hanté par ses démons intérieurs. De retour à Paris, la famille éclate. Victor qui n’arrive pas à décrocher de la drogue abandonne le domicile conjugal, vit un temps avec une junkie, ne laissant à Annette d’autre alternative que la fuite avec sa fille.
Onze ans passent. Pamela devient une gracile lycéenne. Grâce à Martine (Carole Franck), la sœur de Victor, elle retrouve son père et essaie de rattraper avec lui les années perdues.

À vingt-six ans à peine, Mia Hansen-Løve signait en 2007 avec Tout est pardonné son premier film. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, il emporta le prix Louis-Delluc – ex aequo avec La Naissance des pieuvres de Cécile Sciamma, une réalisatrice elle aussi promise à un bel avenir. Pas moins de sept autres films allaient lui succéder dans les années suivantes, les deux derniers attendant encore leur sortie en salles. Sur la lente reconstruction d’une quinquagénaire abandonnée par son époux, j’ai vu L’Avenir début 2016 – et ai cru y reconnaître la même colline creusoise qu’on voit à la fin de Tout est pardonné – qui ne m’avait pas emballé par la faute de Isabelle Huppert dont vous savez, lecteur fidèle, l’épidermique antipathie qu’elle me cause. Sur la toute aussi lente reconstruction d’un photographe enlevé en Syrie, j’ai vu Maya début 2019 qui m’avait déjà plus convaincu.

Découvrir, treize ans après sa sortie, le premier film de cette réalisatrice éclaire son œuvre d’un jour nouveau. On en comprend l’intelligence, la délicatesse. On est aussi bluffé par la maîtrise dont elle sait faire preuve à son âge pour son tout premier film – qui lui avait valu de la part de Jacques Mandelbaum dans les colonnes du Monde une critique hagiographique.

Pour autant, on peut légitimement y trouver à redire. La direction d’acteurs est inégale : si la jeune Constance Rousseau – qu’on voit sur l’affiche – avec sa carnation de porcelaine est une révélation, le jeu calamiteux de Paul Blain (quasi sosie de Pierre Cosso, le héros de La Boum 2) plombe le film. Plus grave encore : on peut reprocher à Mia Hansen-Løve, dans son film comme dans les suivants, une artificialité un peu hautaine dont portent la trace des dialogues trop écrits et des ellipses trop brutales qui peinent à masquer la banalité d’un scénario languissant.

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Identités trans, au delà de l’image ★☆☆☆

Quelle image le cinéma et la télévision renvoient-ils des personnes transgenres ? Depuis la naissance du cinéma, elles ont été filmées de toutes sortes de façons. La manière de les montrer joue un rôle déterminant dans la construction de l’identité des personnes transgenres qui sont souvent privées de modèles dans leur environnement immédiat.

Ce documentaire Netflix permet d’identifier trois façons bien distinctes de filmer les trans, qui se sont succédées à travers le temps.
Longtemps, le trans fut une personne ridicule dont l’apparition grotesque sinon carnavalesque n’avait d’autre but que de susciter le rire. La référence qui vient immédiatement à l’esprit, et qui étonnamment ne figure pas dans ce documentaire, est bien sûr Les hommes préfèrent les blondes.
Parallèlement à cette veine-là et sans qu’elle disparaisse complètement, une autre, pas moins transphobe, allait lui succéder : le trans, homme ou femme, est décrit comme un malade (c’est l’assassin psychopathe de Pulsions de De Palma interprété par Michael Caine) ou comme une personne qui inspire le dégoût (le héros de The Crying Game dont la révélation du sexe fait vomir son amant).
La troisième époque est plus récente. Le regard porté sur les trans, homme ou femme, est plus aimant, plus tolérant. Il est souvent le fait de séries dont le format permet de mettre en scène des personnages complexes et fouillés : Orange Is the New Black, Pose, Transparent, Sense8

Le sujet traité par ce documentaire, diffusé par Netflix depuis le printemps dernier après sa projection en avant-première au festival de Sundance début 2020, est dans l’air du temps. Sa bien-pensance rend sa critique périlleuse. Pour autant, on peut s’autoriser à en relever les limites.

La première est son classicisme : le montage, très dynamique, alterne des extraits de films avec des interviews face caméra de quelques unes des principales personnalités transgenres de Hollywood. On reconnaît notamment Laverne Cox, qui fut la première personnalité transgenre nommée aux Emmy Awards pour son rôle dans Orange Is the New Black, Candis Cayne, l’héroïne de Dirty, Sexy Money et Lily Wachowsky, la co-réalisatrice des Matrix et de Sense8.

La deuxième est son américano-centrisme. L’ensemble des films cités sont américains ou britanniques à la seule exception du belge – et excellent – Ma vie en rose (1997). Pas un mot du cinéma de Pedro Almodovar dont la quasi-totalité des films offrent pourtant un rôle à une personnalité trans. Aucune mention de Laurence Anyways du canadien Xavier Dolan ou de Tomboy de Céline Sciamma. Et si l’on voit sur l’affiche Daniela Vega, l’héroïne du bouleversant film chilien Une femme fantastique, je n’ai pas le souvenir de l’avoir vue durant les cent minutes du documentaire.

La dernière est son conformisme. Ce documentaire baigne dans une bien-pensance pachydermique. La dénonciation, légitime, de la transphobie vire parfois dans la revendication, qui l’est moins, surtout lorsqu’elle vise l’interprétation toute en nuance de Eddie Redmayne dans Danish Girl, de réserver les rôles de trans aux seul.e.s trans. Il y a vingt-cinq ans, alors que les esprits étaient loin d’y être aussi bien préparés, The Celluloid Closet réussissait avec beaucoup plus de finesse et pas moins d’encyclopédisme à montrer comment Hollywood avait filmé l’homosexualité en faisant évoluer les mentalités tout en étant influencé par leur évolution.

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Conversation secrète (1974) ★★★☆

Harry Caul (Gene Hackman) est un professionnel de la surveillance. Grâce aux technologies de pointe qu’il utilise, il est capable, avec les collaborateurs qu’il s’est adjoint, d’enregistrer n’importe quelle conversation.
Un mystérieux donneur d’ordre lui a demandé d’espionner un couple adultère. La filature est un défi, en plein midi, sur une place bondée du centre de San Francisco, au milieu de toutes les discussions. Mais Caul et ses hommes parviennent à collecter un enregistrement qui laisse penser que le couple court un danger mortel. Échaudé par un précédent malheureux où ses bandes avaient causé la mort d’une famille, Caul va tout mettre en œuvre pour lui venir en aide.

Francis Ford Coppola est un réalisateur d’anthologie, l’auteur multiprimé de la trilogie des Parrains et d’Apocalypse Now. Conversation secrète, tourné entre les deux premiers Parrains, n’est pas son film le plus connu. Il a pourtant obtenu la Palme d’or à Cannes en 1974.

On rapproche souvent Conservation secrète de Blow Up. le film d’Antonioni, sorti huit ans plus tôt, traite en effet d’un sujet similaire : un photographe prend un cliché dans un parc qui pourrait apporter la preuve du meurtre qui vient d’y être commis. En 1981, sur un thème toujours aussi proche, Brian De Palma tournera Blow Out avec John Travolta et Nancy Allen : un ingénier du son, témoin d’un accident de la circulation, cherche à prouver qu’il s’agit d’un crime au moyen de l’enregistrement qu’il en a fait. Les trois films ont en commun d’interroger les techniques modernes d’enregistrement et la fiabilité qu’on peut leur prêter. Le film d’Antonioni en particulier se termine par une scène d’anthologie en forme de pied de nez.

Conversation secrète a deux dimensions supplémentaires. Ce n’est pas seulement un film sur les technologies modernes. C’est aussi un film politique sur l’usage qu’on en fait dont la sortie au même moment que le Watergate, cette sombre affaire d’espionnage qui allait entraîner la chute de Nixon, allait lui valoir un retentissement que même Coppola n’imaginait pas. Mais c’est aussi un film psychologique sur son héros interprété par Gene Hackman qui était à l’époque encore un quasi-inconnu – tout comme Harrison Ford qu’on croise dans les couloirs des bureaux où Caul est censé remettre le fruit de ses investigations.

Caul ressemble à ces personnages des romans de Graham Greene, tiraillé entre une foi exigeante (Caul est catholique pratiquant) et de sombres menées. Maladivement solitaire, Caul se méfie de tout et de tous. La longue scène où on voit une demi-mondaine tenter vainement de le séduire et de le détourner du décryptage d’une bande sonore qui l’obsède est fascinante. Cette névrose paranoïaque aurait été filmée aujourd’hui avec plus de nervosité. Conversation secrète dure peut-être une vingtaine de minutes de trop. Mais il n’en demeure pas moins une oeuvre à (re)découvrir dans une filmographie flamboyante.

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Mucho, mucho amor. La Légende de Walter Mercado ★★☆☆

Walter Mercado est une star de la télévision dans toute l’Amérique latine. Ce jeune premier, originaire de Porto Rico, a commencé sa carrière au théâtre et à la télévision avant d’y présenter l’horoscope. Il y est devenu immédiatement célèbre grâce à ses accoutrements kitsch, ses décors grandioses et ses prévisions toujours bienveillantes. En 2006, Walter Mercado a brusquement quitté l’écran. Un documentaire produit par Netflix est parti à la recherche de la star.

Autant le dire sans détour : le suspense sur lequel est soi-disant bâti ce documentaire est levé dès ses toutes premières minutes. On y retrouve en 2018 Walter Mercado, vieilli, mais portant toujours beau, impeccablement maquillé, peigné et costumé, dans sa somptueuse demeure portoricaine, entouré des souvenirs kitschissimes d’une vie bien remplie. La star a quatre-vingts ans bien sonnés mais n’a rien perdu de sa radieuse énergie ni de son exubérante folie.

On apprend bien vite que son éclipse est due aux différends qui l’ont opposé à son agent, qui lui avait fait signer un contrat léonin se réservant le droit sans limitation de durée à son nom et à son image. Ce contentieux a fermé l’accès aux chaînes de télévision à Walter Mercado pendant six longues années. À quoi se sont ajoutés quelques soucis de santé. Si bien que c’est in extremis, début 2019, que la star peut inaugurer, quelques mois avant sa mort, l’exposition que lui consacre le musée d’histoire de Miami pour le cinquantième anniversaire de ses premières émissions d’astrologie.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans la découverte de cette personnalité hors du commun, si célèbre dans le monde hispanophone mais quasi-inconnue au-delà. Dans un environnement macho et homophobe, Walter Mercado a brisé les codes. Aussi maniéré que Liberace, aussi diva que Dalida, aussi botoxé que les frères Bogdanoff, Walter Mercado joue de son androgynie. Il refuse de répondre aux questions sur sa sexualité – même si le spectateur, à qui on ne la fait pas, n’en pensera pas moins. Les documentaristes le titillent sur l’astrologie et sur la scientificité de ses prédictions. Mercado, qu’on aurait pu suspecter de camoufler derrière ses capes et ses bijoux une bien triste arnaque, répond avec une honnêteté convaincante : il n’a jamais prétendu donner les résultats du loto mais vendre à quelques malheureux un peu de paix et beaucoup d’amour.

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La femme est l’avenir de l’homme (2004) ☆☆☆☆

La neige tombe sur Séoul. Deux amis d’université se retrouvent et prennent un verre ensemble. Munho s’est marié avec une femme qui le caporalise et enseigne les arts plastiques. Hunjoon rentre d’un long séjour aux Etats-Unis et hésite à enseigner le cinéma ou à sauter le pas de la réalisation. Emportés par leurs rêveries, les deux amis se remémorent Sunhwa, une femme qu’ils ont tous les deux aimée, et décident de la revoir.

Depuis plus de vingt ans, Hong Sangsoo tourne encore et encore le même film. On y croise toujours des hommes d’une trentaine d’années qui se retrouvent dans des restaurants enfumés autour de repas lourdement alcoolisés qui délient leurs langues et embrument leurs souvenirs. Ces hommes retrouvent des femmes plus jeunes qu’eux, souvent des anciennes étudiantes, qu’ils ont aimées et qu’ils aiment encore, avec qui ils ont eu une liaison ou auraient aimé en avoir une. Le film se termine à peu près là où il a commencé, laissant ces héros tristes à leurs rêves d’amour et de succès inaboutis.

La femme est l’avenir de l’homme (un titre qui aurait pu être celui de n’importe lequel des autres films de Hong Sangsoo, un titre auquel aurait pu être substitué n’importe lequel des titres des 25 autres films qu’il a réalisés) a été tourné en 2003. C’est un de ses tout premiers films. C’est le premier à être projeté en compétition officielle à Cannes en 2004 (trois autres le seront ensuite en 2005, 2012 et 2017 mais sans jamais décrocher la moindre récompense).

Je l’avais raté à sa sortie et dois à la rétrospective programmée par Arte.tv de le revoir. Dois-je m’en réjouir ? Non car décidément, je ne comprends rien au cinéma de Hong Sangsoo et n’y adhère pas. J’ai déjà écrit plusieurs fois le mal que j’en pensais, notamment dans mes critiques de Yourself and yours ou de Hotel by the River. Le répèterai-je au risque de me voir retourner le reproche que j’adresse à ce cinéaste répétitif ? Non.

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