Pelé ★★☆☆

Le roi Pelé a longtemps été considéré comme le plus grand footballeur de tous les temps. Le titre lui est disputé par Maradona – dont étonnamment il ne sera pas question dans ce documentaire hagiographique mis en ligne depuis hier sur Netflix.

Très classiquement Pelé raconte la carrière du footballeur brésilien, en alternant les images d’archives et les interviews : Pelé lui-même, affaibli par l’âge, qui se déplace désormais avec un déambulateur, ses anciens coéquipiers dont on peine à croire, en les voyant si vieux et si bedonnants, qu’ils furent jadis des sportifs de haut niveau et quelques personnalités extérieures (l’ancien Président Cardoso, le musicien Gilberto Gil, des journalistes sportifs, etc.)

Pelé ne déçoit pas notre attente en nous montrant quelques uns des plus beaux buts inscrits par le jeune prodige. Son accession à la célébrité coïncide avec le développement de la télévision. Mais ses moyens sont encore balbutiants, le nombre de caméras autour du stade limité et les phases de jeux souvent mal cadrées. On revit la Coupe du monde de 1958 en Suède – dont la France s’est longtemps enorgueillie pour y avoir décroché la troisième place et le titre de meilleur buteur pour Just Fontaine… dont le nom n’est même pas prononcé – et le premier titre du jeune prodige âgé de dix-sept ans seulement qui inscrit deux buts en finale. On revoit également celle de 1962, encore victorieuse, où il est blessé en poules et celle de 1966 où le Brésil est sèchement éliminé dès le premier tour. L’apothéose de la carrière de Pelé – et le point d’orgue du documentaire – est la victoire de 1970 au Mexique où Pelé ouvre le score de la tête en finale face à l’Italie défaite 4-1.

Se serait-il borné à remontrer tous ces buts étourdissants, Pelé aurait déjà ravi des fans par avance conquis. Mais il va plus loin, tout en restant dans les limites de ce que l’hagiographie autorise. Il montre comment le jeune Brésilien à l’éternel sourire séducteur est devenu une star, la première star mondiale du football, grâce à la télévision, à la publicité et aux vols intercontinentaux qui lui ont permis d’être applaudi et connu partout sur la planète. Il montre aussi comment la carrière de Pelé s’inscrit dans l’histoire du Brésil.

Le Brésil qui avait longtemps été, selon la formule cruelle de Clémenceau, « un pays d’avenir voué à le rester », sort enfin du sous-développement dans les années cinquante. Mais ce boom économique va de pair avec une remise au pas politique marquée, en 1964, par la prise de pouvoir des militaires. Tandis que Pelé enchaîne les buts au FC Santos, la junte arrête et torture ses opposants à São Paulo, à Rio de Janeiro, à Salvador de Bahia… Pelé aurait-il pu s’y opposer ? Sans doute pas. Aurait-il dû refuser, par ses exploits sportifs sous le maillot de la Seleção, de cautionner le régime ? C’est un procès rétrospectif qu’il est bien plus confortable d’instruire aujourd’hui qu’à l’époque.

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The Prom ★★☆☆

Deux stars vieillissantes du music-hall, Dee Dee Allen (Meryl Streep) et Barry Glickman (James Corden), peinent à se blanchir du four de leur dernière pièce à Broadway. Pour redorer leur blason, elles décident de se rendre dans l’Amérique profonde, où une polémique agite la petite communauté d’Edgewater dans l’Indiana qui refuse à la jeune Emma Nolan le droit de participer au bal de fin d’année avec sa petite amie.

The Prom est d’abord une comédie musicale à succès qui joue à guichets fermés à Broadway depuis deux ans. Son adaptation à l’écran était inéluctable, comme l’est celle de toutes les comédies musicales à succès, qu’elles soient londoniennes ou new yorkaises : Cats, Chicago, Mamma Mia, Les Misérables, Sweeney Todd, etc.

C’est aussi une œuvre terriblement américaine. Elle joue sur l’opposition entre New York et le Midwest et s’en moque gentiment. L’ironie est d’autant plus croustillante que la comédie musicale aura été vue à Broadway, en plein cœur de New York, par des hordes de touristes venus …. du Midwest ! C’est aussi une œuvre qui s’organise autour du « prom », le bal de promo, un événement authentiquement américain, un véritable rite de passage pour tous les lycéens US, qui n’a pas (encore ?) son pareil en France mais que des décennies de films américains depuis Grease et Carrie jusqu’à American Pie et Sex Academy nous ont rendu familier.

The Prom est enfin une œuvre terriblement bien pensante. C’est une ode à la tolérance à l’égard des personnes LGTB qui résonne avec notre époque. Certains y verront un message nécessaire et bouleversant contre l’homophobie sous toutes ses formes. D’autres trouveront que le plaidoyer est bien maladroit et l’émotion qu’il suscite un peu trop racoleuse. D’autres encore – et espérons qu’ils soient une minorité – seront franchement outragés par Love Thy Neighbor, une chanson qui tourne en dérision les interdits religieux bannissant l’homosexualité.

À condition d’aimer les comédies musicales, à condition d’avoir été prévenu des lourdeurs de son scénario, on se laissera emporter par l’énergie communicative des chorégraphies de The Prom et par le talent de ses acteurs – avec une mention spéciale pour la jeune Jo Ellen Pellman qui réussit à tenir la dragée haute aux monstres sacrés que sont devenues Meryl Streep et Nicole Kidman.

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Code inconnu (2000) ★★★☆

La première scène de Code inconnu, filmée en lent traveling dans une rue parisienne très achalandée réunit la quasi-totalité des protagonistes d’un récit fragmenté. On y fait la connaissance d’Ana (Juliette Binoche), une actrice dont Georges, le compagnon, est photographe de guerre. Jean, le frère cadet de Georges, qui a quitté sur un coup de tête la ferme dont un père autoritaire voudrait lui faire reprendre les rênes, frappe à la porte d’Ana et lui demande l’hospitalité. En se promenant dans la rue, Jean jette un détritus à une mendiante roumaine, Maria, venue en France à la recherche d’une vie meilleure. La désinvolture de ce geste grossier scandalise Amadou, qui est éducateur dans un institut de sourds-muets. Le ton monte. Les esprits s’échauffent. La police doit intervenir.

Michael Haneke est sans conteste l’un des plus grands réalisateurs contemporains. Il a reçu deux Palmes d’or, en 2009 pour Le Ruban blanc et en 2012 pour Amour, des œuvres froides, violentes, traumatisantes. Lorsqu’il sort Code inconnu en 2000, Michael Haneke n’est plus tout à fait un inconnu – la tension asphyxiante de son précédent film, Funny Games, sélectionné à Cannes en 1997, avait déjà marqué les esprits – mais il n’est pas encore le maestro qu’il deviendra dix ans plus tard.

Pour la première fois, Michael Haneke, produit par son ami Marin Karmitz, tourne en France – il y reviendra souvent avec Caché, Amour et Happy End – avec des acteurs français pour la plupart (parmi lesquels on reconnaît certains jeunes talents tels Florence Loiret-Caille ou Aïssa Maïga). Il retrouve la même structure que celle de 71 fragments d’une chronologie du hasard sorti cinq ans plus tôt. Il s’agit de juxtaposer, un peu comme Georges Perec dans La Vie, mode d’emploi, des vignettes sans lien évident entre elles. Ces saynètes s’interrompent parfois brutalement, avant leur fin logique, nous rappelant que, dans la vie réelle, à la différence du cinéma « totalitaire », la réalité d’une situation est souvent tronquée.

Code inconnu peut rebuter. Son sujet peut sembler insaisissable. On peut lui reprocher ses parti-pris formels trop intellectualisants. Emblématique de l’œuvre de Haneke et annonciateur de ses plus grands films, Code inconnu n’en laisse pas moins une marque durable.

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Miss Americana ★★☆☆

Tout le monde connaît la chanteuse Taylor Swift … sauf moi qui ai provoqué chez mes enfants un regard consterné quand je leur ai demandé si c’était un homme ou une femme.
Pour avoir l’air un peu moins bête la prochaine fois à la table familiale, j’ai décidé de regarder le téléfilm que Netflix lui a consacré. Il faut bien que ma boulimie de films et de documentaires servent à quelque chose : recouvrer l’estime depuis longtemps perdue de mes enfants. Las ! Ils ont levé les yeux au ciel quand le lendemain, tout faraud, j’ai chantonné Me! en passant à table.

Aurais-je donc perdu mon temps en regardant Miss Americana ? Sans doute. Il s’agit d’un produit très formaté qui ne prend même pas la peine de cacher son seul objectif : servir d’outil promotionnel à la chanteuse en attendant la sortie de son prochain album. Le titre en annonce la couleur : Miss Americana – qu’on pourrait traduire par « La Petite Fiancée de l’Amérique ». Les fans en auront pour leur argent avec ces quatre-vingt minutes à la gloire de leur idole.

Mais Miss Americana n’est pas seulement une enfilade de clips vidéos. Il révèle une jeune femme qui, non contente d’être incroyablement jolie et d’avoir un sacré filet de voix, a du chien – quand bien même elle préfère les chats. Taylor Swift n’est pas seulement une enfant star promue trop jeune à une célébrité qui la dépasse. C’est une artiste qui écrit et qui compose ses chansons. C’est surtout une femme intelligente qui montre une conscience aigüe des privilèges et des devoirs que son statut emporte.

Il faut attendre la seconde moitié du documentaire pour le comprendre. On y voit Taylor Swift prendre le risque de s’engager pour les causes qui la touchent, au risque de heurter une partie de ses fans. Cette chanteuse venue de la country, qui a grandi à Nashville, une des régions les plus conservatrices des Etats-Unis, prend fait et cause pour le droit des minorités LGTBQ+ (le single et le clip You Need To Calm Down) et appelle à voter contre les candidats républicains aux midterm elections. Bien entendu, ces prises de position contiennent une part de calcul. Ce que Taylor Swift perd à sa droite, elle le gagne probablement à sa gauche. Mais pour autant, ce serait lui faire un médiocre procès de n’y voir que stratégie marketing.

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À deux heures de Paris ★☆☆☆

Sidonie (Erika Sainte), une hôtesse de l’air, la petite trentaine, est une jeune femme belle et indépendante. À seize ans, alors qu’elle vivait en baie de Somme une jeunesse insouciante, passant d’un amant à l’autre, elle est tombée enceinte. Ses parents n’ont pas accepté son choix de garder l’enfant qu’elle a élevée seule. Lolo (Matilda Marty) la presse de questions sur l’identité de son père. Pour y répondre, Sidonie, accompagnée de sa fille, part « à deux heures de Paris » retrouver ses anciens amoureux : un garagiste taiseux (Fred Testot), un vieil esthète décadent (Frédéric Perrot), un patron de boîte de nuit (Bruno Slagmulder), un entraîneur de foot, un médecin de campagne infidèle….

À deux heures de Paris avait de quoi séduire. À commencer par son actrice principale, la rousse Erika Sainte, jusqu’alors cantonnée aux seconds rôles (la série Baron noir, La vie est belge, Le Serpent aux mille coutures, Jeune femme, etc.), entourée de quelques partenaires de talent : Frédéric Perrot, aussi décoiffé que dans En Thérapie, Thierry Frémont, qu’on aimerait voir plus souvent, Fred Testot qui n’utilise pas la veine comique qui l’a rendu célèbre avec Omar Sy, et même deux actrices qu’on pensait à tout jamais rangées des voitures : Fanny Cottençon et Valérie Mairesse. Autre atout : les paysages tellement zen de la baie de Somme.

Malheureusement, la réalisatrice Virginie Verrier, dont c’est le premier, et à ce jour, le dernier film, n’utilise pas toutes ces ressources. Son scénario, s’il se termine par une jolie pirouette, repose sur des bases bien fragiles : comment croire qu’une adolescente, aussi délurée et inconstante soit-elle, ait pu avoir cinq rapports avec cinq hommes différents en l’espace d’une semaine ?

La relation entre Sidonie et sa fille n’est pas assez creusée. Il en va de même du conflit jamais soldé qui a opposé Sidonie à ses parents. Autre personnage délaissé : Jeanne, la meilleure amie de Sidonie pendant son adolescence, qui, elle, est restée au pays et y a connu la vie immobile que Sidonie a refusée. Du coup, le film se réduit à la narration sans surprise des cinq rencontres successives de Sidonie. Ces cinq amants ont dans l’ensemble plutôt mal vieilli – au point qu’on se demande ce qu’elle a pu leur trouver et pourquoi elle ressent le besoin de remettre le couvert avec trois d’entre eux. Nostalgie quand tu nous tiens….

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Ava ☆☆☆☆

Ava Faulkner (Jessica Chastain) est tueuse à gages. Ancienne militaire, alcoolique en sursis, protégée par son mentor (John Malkovich), elle exécute avec sang-froid les contrats qu’une mystérieuse organisation lui assigne de Paris à Riyad. De retour à Boston auprès de sa mère malade (Geena Davis), elle est confrontée à ses vieux démons tandis que ses commanditaires ont décidé de l’éliminer.

Produit et interprété par une des actrices les plus bankables de Hollywood, Ava a le mérite de féminiser une figure ultra-virile du cinéma : le tueur à gages façon Jason Bourne ou John Wick. Jessica Chastain est de chaque plan du film – sauf peut-être de ceux trop sportifs où elle est doublée par une cascadeuse en perruque rousse. Mais cette énième resucée de Nikita – l’histoire d’une gamine mal dans sa peau transformée en machine à tuer – accumule les tares. Son scénario est d’une platitude désespérante ; ses scènes d’action réussissent à être ennuyeuses ; et pire que tout, des acteurs normalement excellents tels que John Malkovich et Colin Farrell ne réussissent pas à nous faire oublier qu’eux aussi ont des impôts à payer.

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La Foire aux vanités ★★☆☆

Rebecca Sharp (Olivia Cooke, brunette piquante qu’on avait remarquée dans Katie Says Goodbye avant qu’elle partage la tête d’affiche de Ready Player One) est orpheline. Élevée à l’institut de jeunes filles de Mme Pinkerton, elle cherche sa place dans l’Angleterre géorgienne. Elle peut compter sur sa meilleure amie Amelia Sedley (Claudia Jessie), promise au capitaine George Osborne, qui lui présente bientôt son frère Joseph, aussi gras que riche.

La Foire aux vanités est un roman immensément célèbre outre-Manche, que les adolescents britanniques lisent comme nous Les Misérables ou Sans famille mais qui, peut-être parce qu’il n’est guère enseigné dans nos écoles, n’est guère connu en France. Aussi le risque est-il grand que cette mini-série commandée par la chaîne de télévision britannique ITV en 2018 s’exporte mal.

Elle est pourtant l’occasion de réviser ses classiques et de (re)découvrir une œuvre qui n’a pas pris une ride. Le roman-feuilleton de William Makepeace (ah ! ces seconds prénoms ! Robinette, Milhous, etc…) Thackeray est d’abord, comme les œuvres de Dickens dont il est l’exact contemporain, une rebondissante cavalcade à travers l’Angleterre du début du XIXème siècle, avant et après la bataille de Waterloo qui constitue son point d’orgue. Comme chez Dickens, c’est un roman d’apprentissage qui suit, de leur sortie du pensionnat jusqu’à leur vieillesse, deux héroïnes aussi proches que dissemblables. Comme chez Jane Austen, c’est l’occasion d’une peinture toute en nuances d’une société corsetée dans ses règles.

Mais, ce qui fait le sel de La Foire aux vanités est son profond immoralisme. Becky Sharp est un personnage sans foi ni loi dont l’appétit de vie est la seule boussole. Elle a toujours un « plan » dans sa poche pour tromper les aléas du sort, quitte à trahir sa parole, tromper ses amis et… vendre ses charmes. Avec la même ambiguïté que le Choderlos de Laclos des Liaisons dangereuses, Thackeray se pose en moraliste, critiquant le comportement de Becky, sans parvenir tout à fait à cacher la sympathie que l’immoralisme du personnage lui inspire – et inspirera à ses lecteurs.

La mini-série écrite par Gwyneth Hughes et réalisée par James Strong ne brille pas par sa modernité. Tout y est très classique, des costumes aux décors (largement reconstitués en Hongrie, économies budgétaires obligent). Le film de Mira Nair sorti en 2004, avec Reese Whitherspoon dans le rôle de Becky Sharp, souffrait des mêmes défauts. Mais l’un comme l’autre ont eu la bonne idée de se mettre au service d’une œuvre exceptionnelle dont l’intérêt suffit, à lui seul, à aller en voir toutes les adaptations aussi quelconques soient-elles.

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L’Incroyable Histoire de l’île de la rose ★★☆☆

À la fin des années soixante, Giorgio Rosa, un ingénieur italien épris de liberté, décide de construire en mer Adriatique, en face de Rimini, juste au-delà des eaux territoriales italiennes, une plateforme soutenue par des piliers posés au fond de la mer. Quatre compagnons le rejoignent : un ami d’études qui étouffe dans l’entreprise de son père, un Allemand apatride, un plaisancier naufragé et taiseux et une serveuse de bar enceinte. Cette joyeuse équipée entend vivre comme elle l’entend. Mais son entreprise prend un tour plus politique, au risque d’irriter les autorités italiennes, lorsque Giorgio déclare l’indépendance de l’île de la rose, la dote d’un drapeau, d’une langue officielle, d’un service postal, émet des passeports et dépose à l’ONU puis au Conseil de l’Europe une demande de reconnaissance officielle.

L’Incroyable Histoire de l’île de la rose s’inspire de faits réels qui se sont déroulés au large de l’Italie à une époque où la transgression de l’ordre bourgeois et le rêve d’une vie sans interdits constituaient encore de sympathiques et inoffensives vertus. Il rappelle une autre histoire similaire qui avait inspiré Good Morning England, un film très réussi de Michael Curtis (le réalisateur de Quatre Mariages et Un Enterrement, du Journal de Bridget Jones et de Love Actually) : celle de Radio Caroline, la radio pirate qui, dans les années soixante, émettait depuis les eaux internationales vers l’Angleterre.

L’Incroyable Histoire de l’île de la rose soulève de passionnantes questions de droit international public : qu’est-ce qu’un État ? comment manifeste-il sa souveraineté ? comment s’organise-t-il ? comment peut-il être reconnu et trouver sa place sur l’échiquier international ? Hélas, ces questions ne sont qu’à peine effleurées et le MdC qui chercherait désespérément à distraire intelligemment ses étudiants ne serait qu’à moitié inspiré en leur recommandant le visionnage de ce film. En particulier, le long épisode au Conseil de l’Europe, dans un Strasbourg en carton pâte (qui ressemble plus à une station de sport d’hiver suisse qu’à la capitale alsacienne), manque de convaincre.

A défaut de nourrir une stimulante réflexion juridique, L’Incroyable Histoire de l’île de la rose peut revendiquer d’autres qualités. C’est une savoureuse comédie italienne, qui fait revivre les années soixante, qui s’égare parfois dans une histoire d’amour sans intérêt sinon celui d’être jouée par la ravissante Matilda De Angelis et qui surtout raconte avec nostalgie un rêve de liberté.

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13 novembre : Fluctuat nec mergitur ★★★☆

Dans la nuit du 13 novembre 2015, trois commandos terroristes sèment la terreur à Paris : le premier aux abords du Stade de France où trois assaillants essaient de pénétrer pendant le match France-Allemagne, le deuxième dans les rues de l’Est parisien en rafalant les badauds en terrasse de plusieurs établissements, le troisième à l’intérieur du Bataclan.
Jules et Gédéon Naudet ont interviewé les survivants.

Dans un format hors normes de près de trois heures, découpé par Netflix en trois épisodes d’une mini-série, si captivants qu’on ne peut se retenir de les regarder à la file, 13 novembre présente deux qualités.

La première est de nous faire revivre minute après minute, presqu’en temps réel, le macabre enchaînement de cette funeste soirée. On le fait grâce aux témoignages informés de François Hollande, de Bernard Cazeneuve ou d’Anne Hidalgo. On le fait aussi grâce à un montage très pédagogique enchaînant interviews, vidéos d’archives, plan des lieux….

Mais cette reconstitution documentaire n’est pas la principale qualité de ce documentaire. On pourrait d’ailleurs lui reprocher de rester muette sur les terroristes, leurs motivations et leur sort (la plupart mourront le soir même, les deux derniers se donnant la mort cinq jours plus tard à Saint-Denis avant leur interpellation).

13 novembre bouleverse avant tout par l’incroyable humanité des témoins des attentats. Ils se partagent en deux catégories. D’un côté, les pompiers qui ont porté secours aux victimes et les policiers qui ont traqué les assaillants. Confrontés à une situation extraordinaire qu’ils n’avaient jamais vécue, ils ont tous, depuis le général commandant les sapeurs pompiers de Paris jusqu’au chef de la BRI qui a mené l’assaut à l’intérieur du Bataclan, fait preuve d’un professionnalisme qui force l’admiration. Leurs témoignages n’occultent pas leur émotion mais glorifient leur héroïsme – au risque de faire naître le soupçon que les réalisateurs aient sciemment gommé tous leurs défauts.

Plus émouvants encore sont les témoignages des rescapés, notamment de ceux du Bataclan. Je ne me souvenais pas que la fusillade – qui causa pas moins de quatre-vingt dix victimes – s’était conclue par une prise d’otages. Les frères Naudet ont recueilli le témoignage de six des otages, tout à la fois glaçants par la mort qu’ils ont frôlée et qui aurait dû les faucher, galvanisants par l’énergie qu’ils ont manifestée pour survivre et absurdement drôles par les détails triviaux qui émaillent leurs récits. Le phénomène d’identification fonctionne à plein, face à ces Français ordinaires qui nous ressemblent, plongés dans une situation extraordinaire que nous aurions pu comme eux vivre. Dans quel état en serions-nous sortis ?

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Tigertail ★★★☆

Orphelin de père, le jeune Pin-Jui grandit à Taïwan dans les années cinquante. Près de l’usine où il travaille avec sa mère, il retrouve, adulte, Yuan Lee, une jeune femme qu’il avait rencontrée durant son enfance. Mais l’idylle qui les rapproche se brise sur le rêve du jeune homme de quitter Taïwan pour les États-Unis, un rêve qu’il ne peut réaliser qu’en épousant Zhenzhen, la fille de son patron. Arrivé à New York, le couple peine à s’intégrer et ne réussit pas à se cimenter. Pin-Jui travaille ; Zhenzhen s’ennuie. L’arrivée de deux enfants n’y fera rien. Pin-Jui, toute sa vie durant, gardera la nostalgie de son amour perdu.

Tigertail est un film produit par Netflix et diffusé depuis avril 2020 sur cette plateforme. On pourrait lui reprocher son formatage : il vise tout spécifiquement la communauté sino-américaine qui sera touchée d’y retrouver quelques unes de ses figures les plus caractéristiques (la matrone attachante qui ne vit que par l’amour qu’elle porte à son fils, le père tiraillé entre deux mondes, sa fille, les deux pieds désormais solidement ancrés aux États-Unis, mais en mal de racines, etc.). On pourrait surtout lui reprocher sa banalité : Tigertail raconte, sans rebondissement ni coup de théâtre, la vie d’un homme qui a raté sa vie, incapable d’aimer la mère de ses enfants, incapable de nouer avec sa fille qui lui en fait l’amer reproche des liens de père à fille.

Si je lui attribue, avec beaucoup d’indulgence, trois étoiles, c’est que Tigertail fonctionne avec un carburant qui me touche infiniment : la nostalgie. La vie de Pin-Jui est présentée à travers ce prisme : la rizière où il rencontre, encore enfant, Yuan rappelle le vert paradis des amours enfantines, les troquets où ils dansent ensemble ont les tons sépia des vieux clichés oubliés…

L’histoire de cet « homme sans qualités » est racontée en voix off par un Pin-Jui au crépuscule de sa vie (le rôle est interprété par Tzi Ma qu’on avait déjà croisé dans L’Adieu, dans Mulan et dans la série The Man in the High Castle). C’est le même procédé qui est utilisé dans des films immensément connus et terriblement romantiques : Out of Africa, Sur la route de Madison, Titanic… Cette construction rétrospective leste le film d’une gravité supplémentaire, lui donne un sens inéluctable.

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