Burning ★☆☆☆

Quasiment orphelin depuis le départ de sa mère du foyer familial et l’incarcération de son père emprisonné pour coups et blessures, Jongsu travaille comme coursier à Séoul. C’est là qu’une camarade d’école, perdue de vue depuis l’enfance, le reconnaît. Haemi est belle, insouciante et Jongsu tombe instantanément sous son charme. Après avoir couché avec elle, il accepte volontiers de garder son appartement et son chat pendant qu’elle entreprend un long voyage en Afrique.
À son retour hélas, Haemi est flanquée de Ben. Jongsu est à la fois fasciné et jaloux de ce Coréen qui habite les beaux quartiers, roule en Porsche et mène des activités aussi mystérieuses que lucratives.

Difficile de dire du mal de Burning pour lequel toute la critique s’est enthousiasmée déplorant à l’unisson qu’il soit rentré bredouille de Cannes. Prenons cette phrase par exemple trouvée dans Cinéma Teaser sous la plume d’Aurélie Allin : « Le génie de Lee Chang-dong est de (…) faire d’une histoire où « il ne se passe rien » un récit universel imprévisible. » Elle commence par évoquer le « génie » du réalisateur, un mot à la fois éculé et enflé surtout quand on le place au début du raisonnement. Un film « où il ne se passe rien » : voici un aveu objectif qui augure bien mal car on a a priori plus de chance de s’intéresser à un film où il se passe quelque chose qu’à un où il ne se passe rien. Un récit « universel » : encore un pont-aux-ânes dès qu’il s’agit de parler d’un film coréen ou guatémaltèque, comme s’il devait à tout prix faire écho à notre situation ou nos émotions d’homme blanc occidental et s’il ne pouvait pas précisément nous charmer par son exotisme.

Une autre phrase énervante : « Un film qui parie sur l’intelligence du spectateur ». Sauf que … je n’avais rien compris de l’histoire de Burning en sortant de la salle et en étais d’autant plus énervé que d’autres plus intelligents que moi y auraient vu clair. Alors, après une patiente reconstitution, on parvient à deviner, malgré les ellipses du scénario que (attention spoiler) Ben est un meurtrier en série qui commet tous les deux mois environ un crime et que Haemi – dont la grosse valise est toujours dans l’appartement et dont la montre rose a rejoint les reliques que le serial killer garde de ses victimes dans un tiroir de sa salle de bains – n’est pas partie en voyage mais est morte de ses mains.

Pourquoi pas ? Une telle reconstitution donne une satisfaction : rejoindre le club des spectateurs soi-disant « intelligents » auxquels Burning est censé parler. Mais pour autant, l’appartenance à ce club d’happy few ne garantit pas d’aimer ce film trop long qui s’étire interminablement pendant près de deux heures et trente minutes.

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De chaque instant ★★★☆

Nicolas Philibert a suivi la scolarité des filles et des – rares – garçons d’un Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de l’est parisien. Son documentaire est organisé en trois parties annoncées chacune par un vers d’Yves Bonnefoy.
La première montre les étudiants durant leur formation théorique. La pharmacopée, la déontologie leur sont enseignées en cours magistral. Ils s’initient aux gestes de base sur des mannequins en plastique : piqûre, pansement, massage cardiaque…
La deuxième les suit durant leurs stages pratiques (ils en effectueront un par semestre durant les trois ans de leur scolarité) en hôpital, en unité de soins psychiatriques, en EPHAD…
La troisième filme les entretiens de fins de stages des futurs diplômés qui, avec un responsable de l’IFSI, rendent compte de leur expérience, extériorisent leurs joies ou leurs doutes.

Le choix d’un titre. On imagine les hésitations du réalisateur et de son producteur au moment de choisir le titre de son documentaire. On se souvient du beau titre de celui qu’il avait consacré à un instituteur de campagne : Être et avoir. Plus récemment, sa plongée dans les entrailles de Radio-France était plus sobrement titrée La Maison de la Radio. Le choix d’un titre hésite toujours entre deux partis : informer le spectateur sur le contenu du film qu’il s’apprête à voir et/ou annoncer à travers le choix d’un titre plus métaphorique un parti pris esthétique ou politique. C’est d’un côté L’Opéra de Stéphane Bron sur l’Opéra-Garnier, National Gallery de Wiseman sur le célèbre musée londonien ou la trilogie de Depardon Profils paysans. C’est de l’autre Sans adieu de Christophe Agou qui filme, comme Depardon, cette même vie paysanne, À voix haute sur le concours Eloquentia ou Le Président, le documentaire qu’Yves Jeuland consacre à Georges Frêche.

Avec De chaque instant, Philibert opte pour le second choix. Sans doute n’a-t-il pas voulu choisir Infirmières – excluant les garçons – ou Infirmiers – trop masculin – sans se résoudre à l’inclusif Infirmier-ère. D’autant que bizarrement, le mot « infirmier » est absent des dialogues où on lui préfère celui de soignant.e. On comprend volontiers ce que le titre choisi veut dire. Les infirmiers/soignants sont présents à tout instant au chevet de leurs « patients » – un substantif préféré à l’honni « malade ». Pour autant, De chaque instant montre moins cette disponibilité sans faille, cette présence maternelle au chevet d’un malade/patient que l’apprentissage d’un métier.

Car c’est moins le métier d’infirmier que la façon de l’apprendre qui intéresse Nicolas Philibert. L’apprentissage, la transmission du savoir étaient déjà au cour de La vie des sourds et de Être et avoir. Ici, c’est toute la rigueur du métier qui est scrupuleusement présenté. Rien ne nous en détourne, aucune digression sur la vie privée des élèves au pas desquels Philibert refuse de s’attacher, masse indistincte et anonyme d’apprenants attentifs et humbles.

On a parfois, devant ce documentaire trop sage, trop lisse, l’impression de voir un film de propagande sur la grandeur et les servitudes du beau métier d’infirmier. mais ce serait avoir la dent bien dure et le cœur bien sec que de porter sur ce documentaire austère et beau un jugement si cynique.

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Guy ★★★☆

Guy Jamet (Alex Lutz) est une ancienne star de la chanson. Il a connu son heure de gloire dans les années 60 et 70. Il a beaucoup vieilli mais n’a jamais quitté la scène. Installé désormais en Provence avec sa femme (Pascale Arbillot) et ses chevaux, il continue les tournées et est toujours ovationné par un public vieillissant mais fidèle.
Gauthier (Tom Dingler), un jeune documentariste, obtient l’autorisation de le suivre au jour le jour. mais Gauthier cache un secret : sa mère (Brigitte Roüan) lui a révélé que Guy Jamet était son père.

Vous ne connaissez pas Guy Jamet ? Et pour cause : il n’a jamais existé. Ce croisement improbable de Claude François et de Guy Marchand est une pure invention de Alex Lutz qui écrit le scénario, signe la réalisation et interprète le rôle principal de Guy – un titre malin qui joue sur le ringard du prénom et la polysémie du mot (en anglais, a guy signifie un type, un mec).

En anglais encore, ce genre de faux documentaire a un nom : mockumentary. Mais il n’y a pas l’ombre d’une moquerie dans le film faussement drôle d’Alex Lutz. Pourtant, ç’aurait été la solution la plus facile, la plus naturelle pour celui qui a longtemps joué dans les mini-sketchs Catherine et Liliane diffusés dans Le Petit Journal de Canal+. Façon Podium, il aurait pu se moquer de ce crooner ringard, de ses chansons kitsch, de son public passé d’âge, de sa lente décrépitude physique, de son incapacité à regarder en face une célébrité disparue et d’accepter le retour à l’anonymat. Il n’en fait rien.

Étonnamment, Alex Lutz tire Guy vers le mélo. Il décrit sans s’en moquer un homme de soixante-quatorze ans, diminué par un AVC, lucide sur son déclin, dont l’humour aiguisé vise aussi bien les autres que lui-même. Un homme qui a refait sa vie avec une femme plus jeune aux lubies épuisantes mais à laquelle le lie une vraie tendresse. Un homme qui retrouve, le temps d’un trio avec Julien Clerc au piano, la mère de son fils. Un homme qui se désespère du fossé qui s’est creusé avec ce fils-là et qu’il ne parvient pas à combler malgré ses efforts.

Si Guy est une telle réussite, c’est grâce à l’interprétation d’Alex Lutz, L’acteur, âgé de quarante ans à peine, a vaillamment supporté quatre heures de maquillage quotidien pour interpréter un septuagénaire. Le résultat est bluffant : le grain de la peau tavelée, le cheveu argenté, l’élocution pâteuse, la gestuelle à la limite de la préciosité, tout sonne juste dès le premier plan filmé face caméra dans une pinède provençale à la table d’un restaurant. Dès cette première rencontre entre Gauthier et Guy, qui allume une cigarette en questionnant celui qui lui demande de le filmer, on se laisse embarquer dans cette histoire improbable mais ô combien attachante.

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Kin : Le Commencement ★☆☆☆

Enfant adopté d’un couple dont l’épouse est récemment décédée et dont le fils aîné vient de sortir de prison, le jeune Eli passe moins de temps à l’école qu’à traîner dans les immeubles désaffectés de la banlieue de Détroit. C’est là qu’il découvre une arme mystérieuse que lui seul peut activer et qui lui confère une puissance hors du commun.

Kin est un drôle de mélange.

Son affiche reprend les codes, la disposition géométrique, la palette chromatique des films de super héros (Star Wars, X-Men, Avengers…). On s’attend donc à une explosion pyrotechnique telle que les films du genre, bien codifié, nous y ont habitués. Il n’en est rien. Car, si on croise dans Kin une arme aux pouvoirs surnaturels et deux motards mutiques venus d’une autre planète à sa recherche, son histoire est de celle qui font l’étoffe des drames familiaux indies.

L’action se déroule dans une banlieue défavorisée d’une grande ville américaine. On y croise Dennis Quaid – qui a bien vieilli depuis le temps révolu de sa gloire passée – qui campe le personnage d’un honnête travailleur, dépassé par une société qu’il ne comprend plus. Veuf inconsolable, père contrarié, il a reporté ce qui lui reste de tendresse humaine sur son fils adoptif, le jeune Eli.

Après un drame dont on ne dira mot, Eli doit prendre la route avec son demi-frère. Le film est l’histoire de sa cavale. Eli et son frère croisent le chemin d’une jolie stripteaseuse (Zoe Kravitz) – un peu grande sœur, un peu maman. Une bande de voyous dirigée par un caïd psychopathe (James Franco en roue libre) est à leurs trousses.

Le sous-titre de Kin l’annonce : c’est le début d’une saga. Son sens ne s’éclaire qu’à l’épilogue de ce premier volet, épilogue qui emprunte à la fois à Terminator (l’irruption dans l’Amérique provinciale de créatures venues d’un autre monde) et à Superman (un enfant ordinaire doté de pouvoirs extraordinaires). Il y sera – peut-être – question de superhéros. Mais, avant de prendre cette direction là, Kin ressemble à un drame familial sans grand relief.

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22 Miles ★★☆☆

James Silva (Mark Wahlberg) est un agent spécial de la CIA. Il appartient au groupe ultra-secret Overwatch qui accomplit des opérations homicides pour le compte de l’agence américaine. C’est avec son équipe qu’il liquide une cellule d’espions russes infiltrés aux États-Unis avant de recevoir une nouvelle affectation en Asie.
En Indocarr (sic), un agent double vient lui proposer, en échange de l’asile sur le sol américain, les moyens de retrouver un stock de césium qui court dans la nature. Silva doit parcourir 22 miles pour l’escorter de l’ambassade américaine jusqu’à l’aéroport.

Le pitch de 22 Miles (étrange traduction en français de Mile 22) rappelle à la virgule près celui de 16 Blocs où Bruce Willis interprétait un policier chargé d’escorter un témoin à charge du commissariat au palais de justice de New York où il doit être entendu. Mais la comparaison s’arrête là ; car entre 2006 et 2018, le cinéma d’action américain a bien changé. Sous l’influence des jeux vidéo, il n’hésite plus à filmer sans état d’âme la mort en face. 22 Miles enchaîne, non sans complaisance, les scènes meurtrières mettant en présence l’équipe de James Silva, son précieux colis et les forces de police lancées à sa poursuite

Les MMA (mixed martial arts), le krav maga, le jiu-jitsu se sont mondialisés. Et il n’est plus un blockbuster hollywoodien, depuis Star Wars jusqu’à Mission impossible, qui n’en utilise les recettes éprouvées pour épicer ses scènes de combat. Ici, c’est le pencak silat, un art martial indonésien , qu’utilise Peter Berg, l’efficace réalisateur de Deepwater, Traque à Boston, Du sang et des larmes. Aux côtés de Mark Wahlberg, son acteur fétiche, il fait jouer Iko Uwais, rendu célèbre par The Raid. Le garçon a de la santé et le démontre dans une scène de combat impressionnante censée se dérouler dans l’infirmerie de l’ambassade américaine.

Peter Berg semble renouer avec ses meilleurs réalisations, comme Le Royaume ou Lions et Agneaux, en donnant à son histoire un arrière-plan politique : il s’agit ici de dénoncer un régime asiatique corrompu (on reconnaît sans peine l’Indonésie que les producteurs n’ont pas osé citer de peur de se fermer un public de deux cents millions de spectateurs) sur fond de Grand Jeu américano-russe. Mais son ambition est moindre. Il filme des scènes d’action. Certaines sont bluffantes comme la prise d’assaut du repère d’espions russes en prologue ; d’autres le sont moins comme la scène de l’immeuble qui louche trop ostensiblement du côté de The Raid.

L’épilogue – qui se donne les apparences d’un twist final renversant – annonce une suite. On ira la voir par curiosité ; mais on le regrette déjà.

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The Intruder ★★★☆

Nous sommes en 1961 au lendemain des lois de déségrégation qui notamment font obligation aux établissement scolaires, jusqu’alors réservés aux seuls Blancs, d’accueillir des élèves noirs. Un bus interurbain entre dans la petite ville de Caxton au Missouri. Un homme, jeune, séduisant, élégant, en descend. Il s’appelle Adam Cramer (William Shatner, le futur capitaine Kirk de Star Trek). Il prend une chambre dans un hôtel.
La raison de sa présence ? Exciter la population locale, massivement hostile à la déségrégation à la désobéissance civile.

The Intruder (également diffusé aux États-Unis sous les titres I Hate your Guts et Shame) était jusqu’à présent inédit en France. Carlotta Films a la bonne idée de le distribuer fût-ce dans un réseau  de salles bien timide. Le film était pourtant connu des cinéphiles auquel le nom de Roger Corman, un réalisateur de séries B, était familier. Il était connu à Hollywood pour la médiocrité de ses réalisations et pour sa rigueur budgétaire. Cette célébrité ambiguë lui inspira un livre : Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime.

The Intruder met en scène un héros comme Hollywood les aimait à l’époque : un maverick solitaire débarquant dans une bourgade où il ne connaît personne. On pense à Spencer Tracy dans Un homme est passé (1955) ou Burt Lancaster dans Elmer Gantry le charlatan (1960). Le héros se révèle ici bien vite pour ce qu’il est : un raciste fanatique, brillant orateur, manipulateur, prêt à tout pour parvenir à ses fins.

Mais The Intruder vaut moins pour son personnage principal que pour l’histoire qu’il raconte. Il traite d’un sujet qui était alors d’une brûlante actualité ; et il le fait non sans courage sur les lieux mêmes de l’action, le Deep South indécrottablement ségrégationniste, que seul le respect de la Loi retient de verser dans la violence. Le tournage dans le Missouri fut d’ailleurs dit-on difficile. Les figurants que Corman avait recrutés s’enflammèrent aux discours du personnage interprété par William Shatner et se retournèrent contre l’équipe du film quand ils comprirent quel était son propos.

Sans doute The Intruder n’est-il pas un chef d’œuvre. Sans doute William Shatner n’est-il pas un grand acteur ni Roger Corman un réalisateur d’exception. Si tel avait été le cas au demeurant, The Intruder ne serait pas resté inédit si longtemps. Pourtant, bien avant Mississippi Burning ou Selma, il dénonce avec une rare efficacité le racisme qui ronge le Sud. Et il le fait dans ce noir et blanc lumineux et avec ses toilettes d’une folle élégance qui donnent au film de l’époque leur grain inimitable. Au point que je mettrais sans doute trois étoiles à une pub pour lave-linge tournée aux États-Unis en 1961.

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Vierges ★★☆☆

Lana a seize ans et elle s’ennuie à Kiryat-Yam, une station balnéaire sans âme, à une encablure d’Haïfa, dans le bar glauque que sa mère Irena, immigrée russe de fraiche date, a racheté sur le front de mer. L’arrivée de Tamar, une lointaine cousine, âgée de six ans à peine, qu’elle a la charge de surveiller, concourt à l’accabler.
Un vieux client du troquet prétend avoir vu une sirène dans le bateau qui jadis l’emmena en Israël. Sans chercher malice, Lana colporte cette légende à Tchipi, un journaliste échoué dans le coin. Celui-ci en fait pour Haaretz une brève qui, de fil en aiguille, place la paisible villégiature sous les feux de l’actualité.

Vierges est le premier long métrage de la jeune réalisatrice Keren Ben Rafael. Il tient la corde raide entre le fantastique fantasmé (cette sirène qu’on sait chimérique mais dont on attend tout au long du film l’apparition) et le réalisme le plus trivial du quotidien de ces trois femmes : une adolescente mal dans sa peau, une gamine abandonnée de tous, une mère en pleine crise de la quarantaine.

Le personnage de Lana est au centre du film. Ce n’est pourtant pas le plus intéressant  qui répète celui, déjà mille fois filmé, de l’ado rebelle, pressée de perdre sa virginité pour enfin rentrer dans le monde des adultes. Elle le fera dans les bras d’un séduisant journaliste au risque de briser le cœur d’un ami d’enfance qui se consumait d’amour pour elle.

Le personnage de Irena est autrement plus riche. Cette – belle – femme sent la vie lui glisser entre les doigts dans un bar qu’elle a racheté en se couvrant de dettes mais qu’elle ne parvient pas à faire prospérer, la faute à une promenade, construite par la mairie, qui attire les rares touristes loin de son établissement. Le père de Lana a disparu depuis longtemps. Irena couche de temps en temps avec le maire, malgré le lourd passif qui les oppose. Son désarroi et l’énergie qu’elle met à en venir à bout sont l’occasion des plus beaux passages de ce film inabouti mais prometteur.

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La Belle ★☆☆☆

La petite Irma vit seule avec sa mère. L’adorable fillette a trouvé chez les enfants des voisins, en pâmoison devant sa grâce, une cour d’admirateurs conquis. Mais l’arrivée d’un nouveau petit voisin qui refuse de reconnaître sa beauté la plonge dans le désespoir.

Inédit en France, La Belle a été tourné en noir et blanc en 1969 par le réalisateur lituanien Arunas Žebriūnas. Sa sortie – confidentielle – sur quelques écrans parisiens est l’occasion de découvrir qu’existait avant la Chute du Mur, avant Sharunas Bartas et Alanté Kavaïté, un cinéma en Lituanie.

Ce film de soixante-trois minutes est minimaliste. Il ne quitte pas d’une semelle la gracieuse Inga Mickyté – dont on serait bien curieux de savoir ce qu’elle est ensuite devenue. L’inspiration de Arunas Žebriūnas est aisément identifiable : la Nouvelle Vague et Les Quatre cents coups de Truffaut. Pour autant, il ne s’agit pas, comme chez Truffaut de filmer les facéties de l’enfance ou ses révoltes rentrées. Le cinéma de Žebriūnas emprunte plutôt au réalisme poétique, embarquant la gamine dans une quête, un brin poseuse, de l’essence de la beauté qu’elle recherche dans un bouquet d’aurone en fleurs. Le tout sur une musique très référencée qui rappelle l’acoustique de François de Roubaix.

Ce qui frappe aujourd’hui dans ce film tourné un an seulement après le Printemps de Prague est son absence de tout caractère politique – sauf à considérer que l’histoire d’une enfance qui s’ennuie dessine en creux le portrait d’un système qui l’étouffe. Témoignant de ce que le pouvoir soviétique autorisait l’expression des cultures locales, on s’exprime en lituanien tout le long du film et non en russe (mais je n’ai pas réussi à vérifier que les dialogues étaient d’origine ou résulteraient d’une post-synchronisation plus récente). Et La Belle montre Vilnius, le va-et-vient indolent de ses habitants, les berges paisibles de la rivière qui la traverse, comme n’importe quelle ville au monde.

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Caniba ★☆☆☆

En juin 1981, Issei Sagawa attire dans sa chambre d’étudiant à Paris une camarade néerlandaise, la tue d’un coup de fusil à bout portant puis découpe et cuisine sa chair morte. Trois jours plus tard, il sera arrêté après avoir maladroitement tenté de se débarrasser de ses restes humains dans deux lourdes valises au bois de Boulogne.
Expertisé par un collège de psychiatres, il est déclaré pénalement irresponsable. La justice prononce un non-lieu. Il est d’abord interné à l’Unité pour malades difficiles de Villejuif puis transféré au Japon et rendu à la vie civile en 1984.
Dans l’impossibilité de cacher à ses employeurs son lourd passé, il décide d’en faire le commerce. Il publie des mangas qui décrivent avec complaisance son crime et les fantasmes de cannibalisme qui continuent à l’habiter ; il tourne dans des films pornographiques ; il passe régulièrement à la télévision pour commenter des affaires criminelles ou faire la publicité d’une chaîne de restaurant de viande.

Il y a deux façons d’aborder Caniba. La première est d’avoir lu ce qui précède, d’être informé de l’affaire du « cannibale japonais » et d’espérer comprendre les ressorts de son comportement monstrueux. La seconde est de n’en rien savoir, d’arriver vierge de tout préjugé et de toute information dans la salle, et de découvrir, un peu éberlué, filmé en très gros plan, en de longues séquences immobiles, le visage glabre d’un vieillard grabataire, qui ne survit guère que par les bons soins d’un frère, au moins aussi psychotique que lui, et d’une infirmière en cosplay.

Dans un cas comme dans l’autre, on sera déçu voire furieux. Certes, le travail tout en finesse de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, dont on avait déjà admiré l’étonnant Leviathan, tourné dans un chalutier de haute mer, sans un dialogue, est d’une autre facture qu’un vulgaire épisode de Faites entrer l’accusé. Ici, pas de flashbacks à l’emporte-pièces, pas de coups de théâtre faussement dramatiques. Mais d’interminables plans fixes filmés au plus près du visage de Sagawa – et de sa bouche qui s’ouvre pour manger un morceau de chocolat. Pourquoi ce parti pris ? pour nous faire ressentir l’humanité d’un monstre qui n’en est pas moins homme ? ou la monstruosité d’un homme emporté dans ses délires psychotiques, qui a commis l’acte le plus tabou qui soit et qui, loin de s’en excuser, le revendique ?

Caniba déçoit car il n’explique rien. Il ne nous dit rien des causes de ce comportement – que les médecins ont attribué à l’encéphalite dont Sagawa fut atteint dans sa prime enfance, de sa constitution chétive et de sa mère qui le forçait à manger de la viande pour se ragaillardir.
Mais, pire, Caniba choque par la complaisance avec laquelle les documentaristes filment Sagawa. Ils s’en défendent dans un carton que l’on ne lira qu’à condition de rester jusqu’à la fin du générique. « Caniba ne justifie ni ne légitime les actes de Issei Sagawa ». La phrase sonne comme un aveu caché : quand bien même les réalisateurs n’avaient nullement le projet de cautionner Sagawa, leur maladresse donne parfois cette impression dérangeante.

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Tom of Finland ★★☆☆

Touko Laaksonen est devenu mondialement célèbre dans les années soixante-dix par ses dessins homo-érotiques. Il a inventé un univers fétichiste de chair et de cuir, hyper viril et hyper sexué, qui a durablement influencé l’iconographie gay. Tom of Finland raconte sa vie depuis la Seconde Guerre mondiale où il a combattu les Russes jusqu’à l’épidémie du Sida dans les années quatre-vingts.

Pas besoin d’être exposé au musée d’Orsay pour avoir son biopic. Après Gauguin, Rodin et Lautrec, ce biopic finlandais est arrivé sur nos écrans à l’été 2017 et est rediffusé ces jours-ci au MK2 Beaubourg. Il n’est pas sans similitude, dans sa construction par exemple, avec ceux consacrés aux grands maîtres de l’impressionnisme. Mais il décrit un artiste et une époque si différents que la comparaison s’arrête là.

Avant d’être la description d’une œuvre, Tom of Finland est l’histoire d’un homme qui dessine pour sublimer une homosexualité que la société condamne. Sa vie est filmée dans les mêmes tons gris et marrons auxquels le cinéma finlandais de Aki Kaurismäki nous a habitué. Il ne faisait pas bon être homo à Helsinki dans les années cinquante. On se frôlait dans les parcs. On se retrouvait dans des bars clandestins. On vivait dans la peur des raids de police (non ! ce n’est pas une contrepèterie … quoique). On habitait chez sa sœur pour donner le change.

Tom of Finland prend une toute autre orientation – et s’éclaire d’une toute autre lumière – dans sa dernière partie. Touko Laaksonen s’exile en Californie où il rencontre le succès. Il y découvre une société libérée où des flics peuvent débouler dans une orgie gay sans arrêter personne. On le sent en décalage face à cette société trop libérale, trop libérée. Comme si, l’auto-censure à laquelle l’avait condamné la Finlande était devenue une seconde peau.

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