Ocean’s 8 ★☆☆☆

Danny Ocean (George Clooney) avait une sœur, Debbie (Sandra Bullock catatonique à force de chirurgie esthétique), aussi douée que lui pour l’entourloupe.
Elle profite d’une longue peine de prison pour fomenter le casse du siècle : dérober un collier en diamant d’une valeur de cent cinquante millions de dollars à l’occasion du dîner de gala annuel du Metropolitan Museum.
Pour mener à bien son projet, avec son associée Lou Miller (Cate Blanchett), elle recrute six comparses.

On avait adoré Ocean’s Eleven, sa bande de séduisants arnaqueurs, son scénario emberlificoté. Steven Soderbergh, George Clooney et alii ont surfé sur son succès pour en réaliser deux suites dispensables.
Aujourd’hui, on passe au spin-off… et c’est l’overdose.

Ocean’s 8 est féminin sans être féministe. La sortie du film – dont l’écriture a commencé avant qu’éclate l’affaire Weinstein – semblait tomber à point nommé. Pour autant, mis à part le fait de donner les huit rôles principaux à huit femmes, le film ne véhicule aucun message. C’est peut-être le stade suprême du féminisme, celui d’une indifférenciation des genres ; mais Ocean’s 8 tombe à plat et ne tire aucun parti de ce casting hétéroclite, mis à part peut-être Anne Hathaway qui s’en donne à cœur joie dans la surenchère.

Au-delà de ce parti pris féminin/féministe, Ocean’s 8 déroule un scénario bien huilé. Dans une première partie, le recrutement ; dans une seconde, l’arnaque. Tout se déroule comme prévu et c’est précisément là que le bât blesse. Car, même si le plan est particulièrement sophistiqué, au risque d’ailleurs d’en perdre toute crédibilité, sa réalisation, qui se déroule sans l’ombre d’un incident, en devient vite lassante.

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À genoux les gars ★★★☆

Rim et Yasmina sont sœurs. La langue bien pendue, ces deux « blédardes » strasbourgeoises ne se cachent rien. Rim raconte à sa sœur ses relations avec Majid, un beau gosse dont elle est amoureuse mais auquel elle ne s’est pas encore donnée. Salim, l’inséparable ami de Majid, tourne autour de Yasmina.
Tout dérape quand Rim part en vacances scolaires, laissant Yasmina seule avec les deux garçons.

À genoux les gars raconte un drame de l’adolescence sur un mode léger. C’est ce qui fait son originalité. C’est ce qui aurait pu faire sa faiblesse tant la ligne de crête était étroite. Mais Antoine Desrosières parvient de justesse à s’y maintenir. Il avait annoncé la couleur avec Haramiste, un court métrage de quarante minutes dont À genoux les gars reprend le dispositif, les deux actrices principales, leur débit pétaradant, leur spontanéité. Il s’en dégage un parfum de vérité qu’on adorera (Télérama) ou qu’on détestera (Le Monde).

Car À genoux les gars refuse les deux veines que le cinéma emprunte traditionnellement : celle du naturalisme façon Dardenne et celle de l’esthétisation façon Kéchiche. Il se place sur un tout autre terrain, celui des vidéos des youtubeurs, tournées sans moyen ni grâce, avec pour seul ressort la folle énergie de ses acteurs, leur sens de la vanne, leur sincérité.

Plongé sans ménagement dans l’intimité de ce duo de filles, le spectateur redoute au bout de quelques minutes de s’y asphyxier. Une vidéo Youtube, c’est distrayant pendant un moment ; mais ça devient vite lassant. Il est sauvé par l’histoire. Car, sans avoir l’air d’y toucher, À genoux les gars a un scénario et ne se contente pas de filmer des ados qui se vannent. Il pose une question et il y répond.

La question est diablement sérieuse : le consentement des filles à la sexualité. Sujet dont il est inutile de souligner combien il est d’une brûlante actualité. Le film raconte le viol de Yasmina – car c’est bien d’un viol qu’il s’agit – comment elle y a consenti – car l’absence de consentement ne suffit pas à caractériser le viol de l’article 222-23 du code pénal – et comment elle en prend progressivement conscience.

Loin d’enchaîner les saynètes, À genoux les gars a un début, un milieu, une fin. C’est l’histoire d’une prise de conscience, d’une émancipation. Sa dernière scène est différente de toutes celles qui précèdent. Elle est merveilleuse. Je vous laisse la découvrir.

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Une prière avant l’aube ★★★☆

Billy Moore, un jeune Anglais, vit en Thaïlande. Il y livre à des combats de Muay Thai, un sport violent et exigeant. Billy survit avec les gains de ses combats et des petits trafic de yaba (une méthamphétamine très répandue en Asie). La police l’arrête. Il est jeté en prison.

Une prière avant l’aube est un titre déroutant. Car on ne prie pas souvent dans le film de Jean-Stéphane Sauvaire et que, si l’aube pointe, c’est au terme de nuits sans sommeil.

À ceux qui croyaient que les prisons thaïlandaises sont accueillantes, Une prière avant l’aube apportera un démenti cinglant. On est plus proches de Midnight Express et de ses cellules rongées par la vermine que de l’ambiance confraternelle du Journal de Bridget Jones 2.

La promiscuité y est étouffante, le bruit étourdissant, la violence omniprésente. La caméra de Jean-Stéphane Sauvaire, qui filme les personnages au plus près, restitue cette atmosphère étouffante. En saturant la bande-son de cris et d’invectives, sans les sous-titrer, il nous fait partager le désarroi et l’isolement de ce jeune Anglais lâché dans un environnement hostile. L’expérience est traumatisante : on assiste à une succession quasi-interrompue de scènes de violence, de viol, de meurtre… La douceur que Billy trouve dans les bras de M, un lady boy, constitue une rare oasis.

La boxe est tout à la fois l’expression et l’exutoire de cette violence omniprésente. Billy Moore va s’y adonner pour se sauver de l’addiction aux drogues. Là encore, ses combats sont filmés au plus près, sans aucune distance, nous en faisant partager l’adrénaline électrisante et la violence terrifiante.

On apprend à la fin du film que Billy Moore a vraiment existé. Comme le héros du film, il était un petit voyou et un drogué, emprisonné en Thaïlande pour trafic. Un carton nous apprend qu’il a été extradé au Royaume-Uni, qu’il a fini d’y purger sa peine et qu’il consacre désormais sa vie à aider de jeunes drogués. Il a raconté son histoire dans un livre à succès, publié en 2014 et porté à l’écran trois ans plus tard. Une prière avant l’aube a été projeté à Cannes, à la séance de minuit, en 2017. L’histoire serait édifiante si l’on n’apprenait pas par ailleurs que Billy Moore ne put assister à l’avant-première de son film en Grande-Bretagne : il avait été incarcéré quelques jours plus tôt à Liverpool pour vol à main armée.

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Sans un bruit ★★★★

Dans un futur post-apocalyptique l’humanité a été quasiment détruite par des créatures mystérieuses, dont l’ouïe ultra-sensible permet de détecter le moindre bruit et dont la motricité et la force ne laissent à leurs proies aucun sursis.
La famille Abbott a réussi à survivre, sans faire un bruit, à force d’inventivité. Mais l’équilibre qu’ils ont patiemment construit dans leur maison est menacé par la grossesse d’Evelyn et l’arrivée au monde d’un bébé forcément bruyant.

A quiet place a fait un triomphe aux États-Unis. Triomphe mérité tant ce film est un chef d’œuvre qui m’a cloué (retenez ce verbe) à mon fauteuil de la première à la dernière minute, moi que pourtant terrifient les films d’horreur.

A quiet place n’est pas seulement un film d’horreur avec des grosses bestioles terrifiantes – façon Alien – jouant au chat et à la souris avec d’innocentes victimes. C’est un film d’horreur post-apocalyptique familial et intelligent.

Un film post-apocalyptique. L’adjectif est à la mode. Il est devenu un genre à part entière, dans la littérature puis au cinéma (Je suis une légende, World War Z, L’Aveuglement, Le Transperceneige, Walking Dead, La Route…). Et c’est tant mieux. J’adore les interrogations que suscite le postulat de départ : que se passerait-il dans un monde détruit dans sa quasi-totalité ? quel sens métaphysique y conserverait le combat à mort que doit livrer une poignée d’humains résilients pour survivre ? La Route de Cormac MacCarthy est, à cet égard, l’un de mes romans préférés, d’autant plus terrible qu’un père et son fils ne sont pas menacés par je-ne-sais-quelle violence surnaturelle mais par la dureté des éléments et la cruauté égoïste des autres survivants.

Comme le livre de MacCarthy – et le film de John Hillcoat – A quiet place interroge le lien familial. Un lien familial mis à mal, dès les premières images du film, par un drame terrible dont on ne dira mot, mais qui nous souffle et nous glace. Sans qu’une seule parole soit prononcée, A quiet place nous fait comprendre l’amour immense qui unit Lee, Evelyn et leurs enfants. La circonstance que le couple Abbott soit interprété par John Krasinski et Emily Blunt (ah… Emily … soupirs enamourés), unis à la ville, n’est pas sans impact. On frise parfois l’indigestion familialiste très US ; mais on n’y succombe pas.

Enfin, et c’est le plus important, A quiet place est un film intelligent. S’il parle à notre cœur en mettant en scène une famille aimante, il parle tout autant à notre intelligence avec ce père bricoleur prêt à tout pour sauver sa famille, cette mère enceinte dont le courage impressionnant au moment d’accoucher dans les pires circonstances nous cloue à notre fauteuil (encore ? y aurait-il une subtile allusion ?) et cette fille futée qui saura faire de sa surdité un atout paradoxal pour combattre des créatures hyperacousiques. Pas facile a priori de raconter l’histoire sans paroles d’une famille condamnée au silence pour survivre. Le scénario aurait pu faire du surplace. Il n’en est rien.

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Le Cercle littéraire de Guernesey ★★★☆

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, Juliet Ashton, une jeune romancière londonienne à succès, reçoit de Guernesey une lettre d’un fermier qui lui raconte comment, pendant l’occupation allemande, il a participé à la création d’un groupe de lecture. Sa curiosité aiguillonnée, la romancière se rend sur l’île, y fait la connaissance des membres du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates et pressent qu’on lui cache une partie de la vérité.

The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society, écrit par une auteure américaine décédée avant sa publication en 2008, fut un best-seller mondial. Sous la forme d’un roman épistolaire, il racontait l’histoire d’une romancière londonienne séduite par l’île de Guernesey et ses habitants.
Son succès avait plusieurs causes. Le premier était l’exotisme de l’île de Guernesey, petite île anglo-normande aux rivages escarpés. Sa proximité des côtes françaises lui valut d’être occupée de juin 1940 à mai 1945. Si l’Occupation fait partie de l’Histoire de France et y inspira bon nombre de livres et de films (La grande vadrouille, L’Armée des ombres, Le vieux fusil…), le Royaume-Uni ne s’est jamais pensé, et pour cause, comme un territoire occupé, ce qui rend originale la situation, largement méconnue, des Îles anglo-normandes.
Mais Le Cercle littéraire… ne vaut pas seulement par sa reconstitution historique de temps de guerre. Son sujet principal est la lecture, les plaisirs solitaires qu’on y trouve, les prétextes qu’elle offre de rencontrer d’autres lecteurs.

Le succès du livre fut tel qu’une adaptation à l’écran était prévisible. De nombreuses difficultés l’ont retardée. Kenneth Branagh avait été annoncé à la réalisation, avant d’être remplacé par Mike Newell, un septuagénaire dont le nom reste associé à Quatre mariages et un enterrement, Donnie Brasco et le plus mauvais des Harry Potter. Kate Winslet, Anne Hathaway ou Emily Blunt avaient été évoquées pour le rôle principal avant que Lilly James – ravissante dans un rôle secondaire de Downton Abbey – ne soit retenue. Le tournage qui aurait dû se dérouler à Guernesey dut être délocalisé sur la côte anglaise, faute pour la petite île de pouvoir accueillir la lourde logistique d’une superproduction hollywoodienne.

Le résultat est sans surprise. Le Cercle littéraire de Guernesey (le titre français a été raccourci alors que le titre anglais du film est le même que celui du livre) ressemble aux meilleures séries de la BBC. Il ne manque pas un bouton aux tenues impeccables de Lilly James, pas un brin d’herbe aux paysages vallonnés de Guernesey et pas un grain de poussière aux vieux volumes de Brontë et de Shakespeare déterrés du grenier pour nourrir les veillées littéraires à la chandelle.

De là à dire que le film croule sous son académisme, il n’y a qu’un pas que des critiques sans cœur n’ont pas hésité à franchir. Je ne saurais les blâmer. Pour autant, je dois confesser un penchant coupable pour ce genre de films. Même si j’adore Black Mirror ou The Leftovers, Downton Abbey reste, de loin, ma série préférée, celle que j’emmènerais sur une île déserte (avec un lecteur de DVD et un générateur) pour revoir le froncement de sourcil de Hugh Bonneville et le sourire pincé de Maggie Smith. Les émois amoureux de jeunes gens bien habillés dans la campagne anglaise me font immanquablement verser une larme. J’en ai versé plus d’une devant ce Cercle littéraire. Faute avouée…

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Nous nous sommes tant aimés ★★★☆

Gianni (Vittorio Gassman), Antonio (Nino Manfredi) et Nicola (Stefano Satta Flores) ont combattu ensemble dans les rangs de la Résistance.
À la Libération, leurs chemins divergent. Gianni met ses talents de juriste au service d’un entrepreneur véreux dont il épousera la fille. Antonio végète comme brancardier dans un hôpital. Nicola, fou de cinéma, enseigne un temps en province avant de revenir à Rome pour y être journaliste.
Une femme, Luciana (Stefania Sandrelli) leur sert de trait d’union. Elle rencontre d’abord Antonio, tombe follement amoureuse de Gianni, manque se suicider quand elle le quitte, fréquente Nicola et finalement se marie avec Antonio.

Nous nous sommes tant aimés est un film de cinéphile, un hommage de Ettore Scola à ses maîtres, à Vittorio de Sica dont Le Voleur de bicyclette constitue l’un des fils rouges de l’histoire, à Federico Fellini dont la scène mythique du baiser de Marcello Mastroianni et de Anita Ekberg dans la fontaine de Trevi est reconstituée.

Mais Nous nous sommes tant aimés est surtout un film proustien sur le temps qui passe.
C’est un film mélancolique sur les illusions perdues de trois cinquantenaires qui, chacun à leur façon, ont raté leur vie.
Mais le regard qu’ils portent sur leur passé n’est jamais amer, jamais cynique. Le temps a passé. C’est ainsi. La vie des trois héros ne s’est peut-être pas aussi bien déroulée qu’ils l’auraient rêvé. Le temps a charrié pour chacun son lot de désillusions. Mais c’est la vie. Parfois comique, parfois tragique. Il n’y a pas à le regretter. Il faut simplement l’accepter.

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Désobéissance ★★☆☆

À la mort de son père, le rabbin Krushka, Ronit (Rachel Weisz), qui s’était exilée à New York, revient à Londres. La jeune femme avait quitté la communauté juive orthodoxe où elle avait grandi dont elle ne supportait plus les règles étouffantes.
Elle est accueillie par son ami d’enfance Dovid (Allesandro Nivola), que le rabbin avait adopté comme son fils spirituel et qui s’apprête à lui succéder. Dovid a épousé Esti (Rachel MacAdams), liée à Ronit par un indicible secret.

On pourrait paresseusement qualifier Désobéissance de romance lesbienne dans une communauté juive orthodoxe.
Une histoire d’amour impossible entre deux amants du même sexe. On pense bien sûr à Brokeback Moutain ou à Carol.
Une communauté juive ultra-orthodoxe, ses rites, ses règles et ses membres qui y étouffent. L’action se passe à Londres. Elle aurait pu se passer à Jérusalem (Kaddosh), à Haïfa (Prendre femme) ou à New York (Brooklyn Yiddish).

Pour autant, Désobéissance n’est pas cela. Ou, en tout état de cause, Désobéissance est plus que cela.
Que l’histoire d’amour entre Ronit et Esti rapproche deux femmes n’a tout bien considéré aucune importance – si ce n’est de donner l’occasion à deux des plus jolies actrices du moment de s’embrasser à bouche que veux-tu.
Et que l’action se déroule dans la communauté juive de Londres n’en a guère non plus, si ce n’est de nous introduire dans un milieu fascinant par l’anachronisme de ses rites et la beauté de ses chants. Elle aurait pu se dérouler dans n’importe quelle communauté régie par des règles (La mauvaise réputation, sortie la semaine dernière, décrivait le parcours d’une jeune musulmane qui avait défié l’autorité paternelle).

Le sujet de Désobéissance est ailleurs. Il est dans l’homélie du rabbin Krushka qu’il prononce dans la toute première scène du film. Il y évoque les créations divines : les anges, les animaux guidés par leur instinct et l’homme doté d’une qualité, le libre arbitre.

La liberté est le vrai sujet de Désobéissance. La liberté de choisir. La liberté de laisser l’autre choisir. C’est de cette liberté qu’a usé Ronit en décidant de quitter son père, de partir à New York, au risque de se couper de ses racines. C’est de cette liberté dont Esti va faire lentement l’apprentissage en remettant en cause les choix de vie qu’elle a effectués jusqu’alors. C’est aussi cette liberté que Dovid, personnage faussement secondaire, loin du manichéisme qu’on pouvait craindre, interprété avec délicatesse et douceur, va toucher du doigt alors que ses péripéties conjugales remettent en cause sa vocation.

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Alberto Giacometti, The Final Portrait ★☆☆☆

En 1964, à Paris, le jeune écrivain James Lord pose pour Alberto Giacomertti, l’immense artiste au sommet de sa gloire.
La séance ne devrait durer que quelques heures. Mais, par la faute du perfectionnisme du peintre, de ses sautes d’humeur imprévisibles, elle se poursuivra pendant près de trois exténuantes semaines.

Certains biopics racontent l’histoire de leur sujet, du berceau jusqu’au tombeau (La Môme, Cloclo, Yves Saint-Laurent, J. Edgar…). D’autres au contraire choisissent de se focaliser sur un épisode de leur vie (Lincoln, Jackie, Mr. Turner, Pasolini…). C’est cette deuxième voie qu’emprunte Stanley Tucci, le célèbre second rôle américain, qui a tourné avec John Huston, Woody Allen et Steven Spielberg et qui, de temps en temps, sans qu’on sache pourquoi, passe derrière la caméra.

Il n’est pas sûr que ce film-là marque durablement sa filmographie. Dans un Paris d’opérette, bizarrement reconstitué sous le ciel gris de Londres, il a rassemblé un casting cosmopolite : l’Australien Geoffrey Rush campe en anglais un artiste suisse, Sylvie Testud joue en français son épouse et Clemence Poesy, un pied de chaque côté de la Manche, interprète sa maîtresse. Le seul à tirer son épingle du jeu est Armie Hammer, aussi gay et élégant ici que dans Call me by your name.

The Final Portrait traite de l’insatisfaction chronique de l’artiste, de l’incapacité à mettre un trait final à son oeuvre, de son perfectionnisme maladif qui dévore tout, sa vie et celle de ceux qui l’entourent. Il faut une trentaine de minutes pour le comprendre. Hélas, le film dure une heure de plus. Une heure pendant lequel Geoffrey Rush éructe la clope au bec, Armie Hammer soupire silencieusement sur sa chaise, Sylvie Testud fulmine dans sa cuisine et Clémence Poesy minaude en talons hauts. C’est long…

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Morocco/Cœurs brûlés ★★★☆

Sur le bateau qui l’amène au Maroc, Amy Jolly (Marlene Dietrich), artiste de cabaret, fait la connaissance de La Bessière (Adolphe Menjou), un riche esthète qui s’entiche d’elle. Mais la chanteuse, qui semble fuir un lourd passé, repousse ses avances et lui préfère Tom Brown (Gary Cooper), un beau légionnaire.
Tom Brown est envoyé au combat par un adjudant jaloux dont il avait séduit l’épouse. Son escouade est prise sous le feu ennemi. De lourdes pertes sont annoncées. Amy Jolly se résout à épouser La Bessière. Mais Tom Brown a survécu.

Morocco (parfois diffusé en France sous le titre Cœurs brûlés) est le deuxième des sept films tournés par von Sternberg avec « la » Dietrich, le premier à Hollywood avant même la diffusion aux États-Unis de L’Ange bleu. La Paramount avait repéré l’actrice berlinoise et l’avait mise sous contrat avec son réalisateur pour concurrencer Greta Garbo signée par MGM.

Morocco vaudra à Dietrich une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice en 1931 et une notoriété mondiale. Utilisant tout le potentiel de sa star, Sternberg fait d’une bluette un drame antique. La « scandaleuse de Berlin » (c’est le titre du film de Billy Wilder dont elle jouera le rôle titre vingt ans plus tard) joue avec un étonnant modernisme le rôle d’une femme libre. Son numéro de cabaret est un morceau d’anthologie. En queue-de-pie et haut-de-forme, elle embrasse à pleine bouche une spectatrice (c’est dit-on le premier baiser lesbien de l’histoire du cinéma) et, renversant les stéréotypes, drague Gary Cooper, la pose alanguie, la fleur à la boutonnière.

Alors que le cinéma parlant en est à peine à ses balbutiements, Morocco utilise les dialogues et le son avec une étonnante maîtrise. Mais ce qui frappe peut-être le plus aujourd’hui, c’est l’utilisation des décors. L’action de Morocco est censée se dérouler au Maroc. Un Maroc reconstitué en carton pâte sous le soleil de Californie. Une reconstitution qui d’ailleurs n’a pas la prétention de leurrer le spectateur. Mais ce Maghreb fantasmé, où l’on aperçoit en arrière-plan l’ombre d’un minaret, la silhouette d’un chameau, une moukère voilée, inspirera aussi bien le cinéma américain (Casablanca) que français (La Bandera, Pépé le Moko, La Maison du Maltais…).

Sicilian Ghost Story ★★☆☆

Le fait divers avait glacé l’Italie : un adolescent de treize ans, fils d’un maffieux repenti, est kidnappé, emprisonné pendant plus de deux ans et finalement assassiné par ses ravisseurs en 1996 qui dissolvent son corps dans l’acide.
Fabio Grassadonia et Antonio Piazza décident de raconter l’histoire morbide de Giuseppe Di Matteo par les yeux de Luna, son amoureuse. Julia Jedlikowska campe une adolescente têtue qui met tout en œuvre pour briser la loi du silence et retrouver son ami. Son obstination émeut, surtout si l’on en sait par avance l’insuccès.

Les réalisateurs auraient pu filmer cette histoire avec naturalisme. Ils optent pour un autre choix artistique. Leur caméra se fait poétique, onirique, filmant les rêves d’évasion de Giuseppe et de Luna, dissipant bientôt les frontières entre la réalité et le songe. Ce que le film gagne par ce choix en beauté plastique, il le perd en efficacité. D’une durée de près de deux heures il aurait pu sans peine en être amputé du quart.

Projeté à la Semaine de la critique à Cannes en 2017, Sicilian Ghost Story a peiné à trouver un distributeur en France malgré son succès en Italie. Sorti en catimini dans un petit réseau de salles, il n’est pas sûr qu’il réussisse à trouver un public.

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