The Disaster Artist ★★★☆

En 2003 sort The Room, un film écrit, produit et réalisé à grands frais par Tommy Wiseau qui y joue le personnage principal. Le film est un nanar d’anthologie, si mauvais qu’il suscite une hilarité contagieuse et devient vite un film culte.
James Sestero avait rencontré Tommy Wiseau quelques années plus tôt dans un cours de théâtre. Il a partagé un appartement avec lui à Los Angeles et a tourné dans The Room. Il a tiré de cette expérience tragico-comique un livre publié en 2013 The Disaster Artist.

Qui est Tommy Wisseau, le producteur/réalisateur/acteur dont The Disaster Artist raconte l’histoire ? Le film de James Franco laisse planer le mystère. La notice de Wikipedia lève le voile sur son lieu et sa date de naissance ainsi que sur l’origine de sa richesse. Je vous laisse la consulter – ou pas.

Le film a raison de n’en rien dire ; car le personnage de Tommy Wiseau est d’autant plus fascinant que son passé reste nimbé de mystère. James Franco est proprement stupéfiant dans son interprétation. Son accent vaguement est-européen, son visage déformé par un accident de voiture, ses cheveux huileux, ses ceintures improbables : James Franco/Tommy Wiseau a une dégaine impayable. Le personnage nous reste étranger et c’est tant mieux. On ne saura pas si c’est un monstre d’orgueil ou un être écrasé de timidité. Les deux probablement. Sur un point en revanche, le doute n’est pas possible : Tommy Wiseau est un acteur calamiteux.

Ne partez pas avant la fin du générique. On y voit quelques extraits de The Room et on découvre avec quel soin minutieux James Franco en a recréé les scènes jusqu’aux moindres détails. Ce qui nous semblait excessif, outrancier, too much apparaît devant nos yeux ébahis et hilares pour ce qu’il est : le reflet de la réalité.

La bande-annonce

Black Panther ★★☆☆

À la mort de son père, le prince T’Challa (Chadwick Boseman) monte sur le trône du Wakanda. Ce petit pays enclavé d’Afrique connaît, à l’abri des regards envieux du monde extérieur, une prospérité enviable grâce aux réserves de vibranium que renferme son sous-sol.
Mais l’autorité du nouveau roi est bientôt menacée par son cousin, Erik « Killmonger » Stevens (Michael B. Jordan) qui a grandi aux États-Unis et entend rompre avec l’isolationnisme du Wakanda une fois qu’il sera monté sur le trône.

On m’a tant rebattu les oreilles avec Black Panther que j’ai fini par aller le voir près de deux mois après sa sortie. Pourtant je n’aime guère les films de super-héros dont je trouve les débordements pyrotechniques inutilement bruyants et les scénarios d’une affligeante pauvreté. À mon grand soulagement, Black Panther ressemble moins à un film de super-héros qu’à un film d’espionnage façon James Bond dont le héros, lesté de son lot de gadgets ingénieux (un masque de panthère et des super tongs), se déplace d’un continent à l’autre (de la Californie au Wakanda en passant par la Corée du sud – histoire de séduire le public asiatique) pour traquer un super-vilain.

Mais c’est surtout l’arrière-plan politique qui m’intéressait. On a déjà beaucoup glosé sur le sujet. Black Panther serait même le film ayant suscité le plus grand nombre de tweets de l’histoire du cinéma.
Inutile donc de rappeler que Black Panther, dont la quasi-totalité des acteurs sont noirs, est le premier super-héros noir de la franchise Marvel pourtant vieille de plus d’un demi-siècle et qu’il marquera de ce fait une étape importante dans le Black Empowerment – tout comme la place donnée aux femmes témoigne d’une attention accrue portée aux questions de genre.
Inutile de souligner l’engouement qu’a suscité dans la diaspora africaine et sur le continent noir l’image d’un pays africain épargné par la colonisation, libre de gérer ses ressources naturelles sans ingérence extérieure, et ayant brillamment réussi son développement sans renoncer à son authenticité.
Inutile aussi de critiquer l’Afrique caricaturale et fantasmée symbolisée par le Wakanda afrofuriste, qu’il s’agisse des décors construits en carton-pâte dans les studios d’Atlanta en y mélangeant les chutes d’Iguazu en Amérique latine et les chutes Victoria en Afrique australe ou des acteurs dont les caractéristiques empruntent aux coiffures zouloues, aux tenues masaïs et aux scarifications oromos.

Les deux héros incarnent deux conceptions de la question noire et des moyens de la résoudre. L’approche non violente du roi T’Challa rappelle Martin Luther King, celle plus violente de Killmonger évoque Malcom X. Mais c’est à un parallèle plus audacieux, sans doute plus improbable, qui m’est venu à l’esprit et que je n’ai trouvé nulle part dans l’immense littérature qui prolifère autour de Black Panther : le rapprochement avec Staline et Trotski qui, au lendemain de la mort de Lénine, prône, pour le premier l’avènement du socialisme dans un seul pays (à l’instar du roi T’Challa qui n’entend pas révéler au monde les bénéfices qu’apporte au seul Wakanda le vibranium) alors que le second était favorable à la révolution mondiale (comme Kikllmonger qui veut utiliser les richesses du Wakaneda pour défendre la cause des Noirs partout où ils sont opprimés).

La bande-annonce

La Belle et la belle ★☆☆☆

Margaux I (Agathe Bonitzer) a vingt-cinq ans, vit à Paris et ne sait pas trop que faire de sa vie. Margaux II (Sandrine Kiberlain) en a vingt de plus, habite Lyon et monte à Paris enterrer une vieille amie.
Margaux I et Margaux II ne forment en fait qu’une seule et même personne. L’aînée est le produit des choix de la cadette. La cadette a devant elle l’infinie des possibles entre lesquels la vie a obligé l’aînée à arbitrer.

Diplômée, comme Noémie Lvovsky ou la regrettée Solveig Anspach, de la toute première promotion de la Femis, Sophie Fillières est une réalisatrice et une scénariste dont les films et les scénarios élégants (Gentille, Ouf, Week-ends, Arrête ou je continue) interrogent avec humour le mal-être de nos contemporains. Sa dernière réalisation ne déroge pas à la règle qui est bâtie sur un postulat fantastique : que ferions-nous si nous nous rencontrions âgé de vingt ans de plus et que nous découvrions ce que nous avons fait de notre vie ?

Sans doute céderions-nous au désespoir. Notre ambition était si grande, nos rêves si immenses et l’horizon des possibles si large… On comprend que Margaux II trouve Margaux I horripilante – même si elle porte fièrement sa quarantaine bien frappée – qui est devenue lyonnaise et prof d’histoire-géo (poke ma belle-sœur). Mais bizarrement, ce n’est pas cette veine qui est utilisée, pas plus que celle, comique, qui aurait consisté pour Margaux II à prévenir Margaux I des événements sur le point de survenir dans sa vie.

La Belle et la belle après une mise en bouche appétissante s’affadit dans un trio amoureux dépourvu d’intérêt. Tandis que Margaux II renoue avec son ex (Melvil Poupaud), Margaux I en fait la connaissance. Logiquement, une longue histoire d’amour – dont on sait hélas l’issue inéluctable – est en train de commencer entre Margaux I et le bellâtre, histoire qui, logiquement encore ( à supposer que la logique ait sa place dans ses boucles temporelles vite absurdes), doit empêcher Margaux II de renouer avec son ex. L’histoire se termine avec une belle élégance, manière de montrer que nos vies ne sont pas jouées d’avance, quel que soit son âge. Mais cet épilogue, aussi intelligent soit-il, ne suffit pas à sauver le film.

La bande-annonce

Après la guerre ★☆☆☆

Marco est un militant d’extrême-gauche italien, réfugié en France dans les années quatre-vingts. La « doctrine Mitterrand » l’y protège d’une extradition vers l’Italie. Mais cet usage vacille quand un nouvel assassinat est commis à Bologne en 2002, par un groupuscule qui se réclame de sa mémoire.
Marco quitte immédiatement Paris et se réfugie avec sa fille, Viola, seize ans, dans une maison landaise perdue au fond des bois, en attendant de passer au Nicaragua.
Pendant ce temps, en Italie, sa mère et sa sœur, avec lesquelles il a rompu tout lien, voient resurgir les fantômes du passé.

Après la guerre est inspiré de l’affaire Battisti. On se souvient que cet Italien, condamné par contumace à la prison à perpétuité, réfugié en France à partir de 1990, avait été arrêté en février 2004 et menacé d’extradition vers la France (sa requête devant le Conseil d’État tendant à l’annulation du décret le concernant puis sa plainte devant la CEDH ont été respectivement rejetées en 2005 et en 2007). Battisti s’est soustrait à son contrôle judiciaire en août 2004 et s’est enfui au Brésil où le statut de réfugié politique lui  a été accordé et où il vit depuis lors.

Après la guerre s’éloigne considérablement des faits réels. Il se concentre sur les premiers jours de la cavale de Battisti. Il en modifie radicalement l’issue – dont nous ne dirons rien. Il choisit de la reconstituer moins du point de vue de son principal protagoniste que de ceux de ses proches : sa fille, sa sœur et sa mère.

Ce choix de scénario est discutable. Outre qu’il écartèle le film en deux parties nettement distinctes, l’une en Italie, l’autre dans les Landes, que rien ne rapproche, il présente l’inconvénient de raconter des histoires de famille comme on en a déjà filmé tant et plus. La jeune Charlotte Cétaire a beau être excellente, sa prestation ne suffit pas à faire échapper son rôle des sentiers trop sages de la rébellion adolescente.

Il aurait été plus intéressant de se focaliser sur le prisonnier en cavale. Après la guerre le fait, dans une scène trop brève où il est confronté aux questions d’une journaliste jouée par la toujours juste Marilyne Canto. Elle lui demande s’il regrette le crime qu’il a commis vingt ans plus tôt, s’il a de la compassion pour l’enfant de huit ans qu’il a laissé orphelin. Marco biaise, ne répond pas. C’est cet évitement qu’il aurait fallu disséquer, souligner, critiquer. C’était là le vrai sujet du film qu’hélas Après la guerre a loupé.

La bande-annonce

Mektoub, My Love : Canto Uno ★★★★

Plus intéressé par le cinéma et la littérature que par ses cours à la faculté de médecine, Amin rentre de Paris passer l’été chez sa mère  qui tient en famille un restaurant tunisien à Sète. Il retrouve son cousin Tommy, un dragueur invétéré, son oncle Kamel, sa tante Camélia. Il retrouve aussi une amie d’enfance, Ophélie, dont le mariage imminent avec Clément ne l’empêche pas de coucher avec Tony. Sur la plage, Amin et Tony font la connaissance de deux touristes de passage, la blonde Céline et la brune Charlotte.

C’est l’amour à la plage. Aou et cha-cha-cha. Le tube de Niagara date de 1986. Mektoub My Love (un titre dont rien ne viendra éclairer la signification mystérieuse) est censé se passer huit ans plus tard. On se demande d’ailleurs pourquoi avoir situé l’action du film à cette époque au risque de quelques anachronismes : le Charles-de-Gaulle, sur lequel le fiancé de Ophélie est censé voguer dans le Golfe persique, n’avait pas encore appareillé à cette date. Plus grave : le langage des ados en 1994 n’était pas émaillé des « kiff » et des « grave » qui ponctuent leurs dialogues. Au surplus, l’époque n’était pas celle de l’adolescence ni même de la post-adolescence d’Abdellatif Kechiche, né en 1960 et dont Amin constitue indiscutablement le double autobiographique.

Alors pourquoi 1994 ? Pour la musique géniale qui aligne les tubes qui nous ont fait danser sur les dance floors au temps révolu où j’avais encore des cheveux : You make me feel (qui accompagne la bande-annonce que je défie quiconque de regarder sans battre la cadence), Sing Hallelujah, Pump up the volume… Peut-être aussi pour fantasmer une époque sans racisme caractérisée par une mixité heureuse de Français et d’Arabes, de garçons et de filles, d’avant le 11-septembre et Charlie, d’avant le voile et le burkini.

De quoi est-il question dans Mektoub, My Love ? De rien de spécial au risque de friser l’inconsistance, les plus sévères diront de s’y perdre. Mektoub raconte ce que les garçons et les filles font l’été au bord de la Méditerranée : aller à la plage, se baigner, boire des coups, sortir en boîte, draguer, coucher, s’aimer et rompre… Approfondissant la technique qui était déjà la sienne dans L’Esquive ou La Graine et le Mulet, la poussant dans ses derniers retranchements, Abdekllatif Kechiche choisit de filmer la vie comme elle est, allongeant les scènes et allongeant son film au-delà de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Il en résulte un étonnement, parfois un malaise. Il faut les dépasser. La première scène nous y aidera, qui dure pas loin de vingt minutes, qui voit Amin surprendre Ophélie avec Tony. Mektoub, My Love dure près de trois heures. Parti pris sacrément culotté à une époque où le cinéma est si étroitement corseté dans un ensemble de règles et de normes censées garantir le succès.

Autre parti pris : celui de filmer la sensualité des corps, les peaux bronzées et mouillées par l’eau de mer, les filles plantureuses et callipyges. Quand la caméra d’Abdellatif Kechiche se pose sur une fille, elle la filme de haut en bas, en s’attardant sur ses fesses, comme le fait Amin, son personnage principal, qui regarde mais ne touche pas, moitié par timidité, moitié par gêne. « Male gaze » malsain d’un réalisateur border line – dont on sait par ailleurs le comportement avec ses actrices et avec son équipe technique sur le tournage de La Vie d’Adèle ? ou hommage à la dyonisiaque beauté du corps féminin d’un artiste qui se revendique de Renoir ? Retenons, pour la défense du réalisateur, que son regard ne salit pas, n’avilit pas et que son film, s’il trahit une approche masculine de la sensualité et du désir, ne donne pas de la femme une image dégradante.

« Pointless people, pointless stories « critiqua ma voisine à la sortie de la salle où elle n’avait cessé pendant près de trois heures de pousser des soupirs irrités en se contorsionnant sur son siège. Elle n’a pas entièrement tort. Mektoub, my love raconte la vie sans intérêt de personnages sans intérêt. Mais le cinéma, la littérature doivent-ils se focaliser sur des personnages « intéressants » ? N’ont-ils pas d’autant plus de mérite, d’autant plus de génie à sublimer l’existence ordinaire de personnages ordinaires ? La caméra bouillonnante de sensualité de Abdellatif Kechiche le démontre magistralement.

La bande-annonce

Pas comme lui ☆☆☆☆

Léo, la vingtaine, débarque à Paris. Il s’installe chez son père qu’il n’avait plus vu depuis des années. Celui-ci se travestit avec quelques garçons qui, comme lui, battent le pavé. La violence de leurs souteneurs les rattrape bientôt.

Le travestisme est un sujet qui a beaucoup inspiré le cinéma : The Danish Girl de Tom Hooper, Nos années folles de André Téchiné, Lola Pater de Nadir Moknèche, Laurence Anyways de Xavier Dolan, Une nouvelle amie de François Ozon, Chouchou de Merzak Allouache, The Crying Game de Neil Jordan… et la quasi totalité des films d’Almodovar. À noter qu’on filme des hommes travestis en femmes et quasiment jamais l’inverse. Et lorsque des femmes se travestissent en hommes, ce n’est pas en réponse à une quête identitaire mais pour accéder à des fonctions ou à des privilèges réservés aux hommes : Barbara Streisand, qui joue une jeune Juive polonaise qui veut étudier la Torah dans Yentl, Glen Close dans le rôle d’une Irlandaise sans le sou employée comme majordome dans Albert Nobbs, les Iraniennes privées de football dans Hors jeu

Celui qui m’a le plus troublé n’est pas le plus célèbre. Il s’agit de Les nuits d’été, un film français sorti début 2015 passé inaperçu, couturé de défauts, mais bourré de qualités. Guillaume de Tonquédec (plus connu pour son rôle dans Fais pas çi fais pas ça) y jouait un notable de province, dans les années cinquante, marié à Jeanne Balibar, heureux en ménage qui, le week-end venu, s’isolait dans sa maison de campagne pour se travestir avec quelques amis.

Pas comme lui aurait pu avoir la même sensibilité, évoquer la découverte par un fils du travestisme de son père ou celle par une mère de son travestisme de son fils. Hélas le film de Franck Llopis n’a pas cette finesse là. Mal tourné, mal éclairé, mal joué, il se perd dans une histoire sans intérêt et dépourvue de toute crédibilité de vengeance façon Un justicier dans la ville : après la mort de son père, Léo décide de tuer, les uns après les autres, les auteurs de son crime. On décroche le pompon quand le flic qui le poursuit l’absout de ses fautes. Un navet monumental à ranger avec The Room de Tommy Wiseau parmi les nanars les plus tristement mémorables.

La bande-annonce

Les Bonnes Manières ★★☆☆

Ana, une riche Brésilienne enceinte, embauche Clara pour l’aider dans les tâches ménagères et avec l’enfant à naître. Ana, qui a conçu son enfant dans des circonstances nimbées de mystère, a une grossesse compliquée. Tandis que l’attirance mutuelle des deux femmes grandit, Ana manifeste, les nuits de pleine lune, un comportement inquiétant.

Les Bonnes Manières n’a pas volé le Prix du public qui lui a été décerné à Géradmer. C’est un film intrigant, à la frontière de plusieurs genres.

C’est, en première approche, un film qui traite de l’ambiguïté des relations ancillaires entre une patronne et sa bonne. Le cinéma latino-américain s’en est fait une spécialité – signe tout simplement que l’emploi de domestiques y est plus fréquent que sous d’autres latitudes : le chilien La Nana (2009), le brésilien Une seconde mère (2015), l’argentin La Fiancée du désert (2017).

C’est aussi un film d’amour entre deux femmes que tout a priori sépare – au point d’ailleurs de rendre leur relation improbable : le statut social, la couleur de la peau… La tendresse que Clara porte à Ana, sa compassion avec sa souffrance, son désir qu’on découvrira bientôt immense de la secourir ne peuvent que toucher.

Et bien sûr c’est enfin un film de loup garou comme on les aime : avec des pleines lunes, des poils en pagaille et des jets d’hémoglobine. Ce n’est pas la seule dimension du film. Je l’ai dit. Mais ce n’est même pas sa dimension essentielle. Car si le jeune lycanthrope avait été affligé de n’importe quelle autre maladie honteuse nécessitant l’attention de chaque instant de sa mère, le film aurait fonctionné de la même façon.

La richesse de ce curieux film brésilien, comme on en avait jamais vu, constitue sa principale faiblesse. car il peinera à trouver son public. Les amateurs du genre le trouveront trop alambiqué, pas assez sanglant. Ceux au contraire que les loups-garous effraient s’en tiendront à distance.

La bande-annonce

The Captain ★★★☆

Dans les derniers jours de la guerre, alors que l’ordre nazi se fissure inexorablement en Allemagne, le caporal Herold déserte. Pour sauver sa peau, il usurpe l’identité d’un Hauptmann de la Wehrmacht. Pour justifier son uniforme, il s’invente une mystérieuse « mission spéciale » que lui aurait confiée personnellement le Führer.

Il y aurait eu mille et une façons de raconter les aventures d’un déserteur au crépuscule du Troisième Reich. Une possibilité aurait été l’humour loufoque façon Begnini (La Vie est belle) voire Monthy Python. Une autre, vers laquelle louche par moments The Captain, aurait été le cinéma de guerre pop – si tant est qu’on puisse ainsi le décrire – de Tarantino façon Unglorious Basterds.

Mais c’est décidément la veine la plus âpre que choisit Robert Schwentke, un cinéaste allemand, qui est allé perdre son âme – et remplir son compte en banque – à la réalisation de quelques superproductions hollywoodiennes (Flight Plan, RED, les suites de Divergente…) avant de revenir en Allemagne la regagner. The Captain (le titre international, en France comme aux États-Unis, de Der Hauptmann) rappelle ces films soviétiques ou russes d’une dureté d’airain sur la Seconde guerre mondiale et ses atrocités : Requiem pour un massacre de Elem Klimov (1985), Dans la brume de Sergei Loznitsa (2012) voire L’Enfance d’Ivan de Andrei Tarkovski (1962).

Mais c’est surtout à un livre que ce film perturbant m’a fait penser : Les Bienveillantes, le prix Goncourt 2006 de Jonathan Littell. Car, en mettant en scène un salaud ordinaire, un homme que l’horreur de la guerre et la seule obligation de sauver sa peau ont privé de tout discernement moral, The Captain décrypte avec une délectation sadique la même mécanique qui transforme un homme en monstre.

Ne quittez pas la salle avant de voir le générique de fin jusqu’à sa dernière image. Glaçante mise en abyme qui nous fait toucher du doigt l’actualité traumatisante d’une logique de déshumanisation qu’on aurait tort de cantonner aux livres d’histoire.

La bande-annonce

 

La Prière ★★★★

Thomas est à peine sorti de l’adolescence. Après une overdose, il rejoint une communauté de prière, perdue au cœur des montagnes, dont les membres sont d’anciens toxicomanes. La règle y est dure : pas de sorties, pas de tabac, pas de filles. Une vie confraternelle consacrée à la prière et au travail. Les rechutes sont fréquentes. Thomas en connaîtra sa part. Mais, au bout du tunnel, l’espoir de la rédemption existe.

Étonnant Cédric Kahn qui, après avoir fait ses premières armes comme monteur stagiaire chez Maurice Pialat sur le tournage de Sous soleil de Satan, réalise trente ans plus tard un film sur la grâce produit par la veuve du réalisateur,, Sylvie Pialat. Entretemps, il aura adapté Moravia (L’Ennui, 1998) ou Simenon (Feux rouges, 2004), filmé un fils en mal de père (L’Avion, 2005), un homme qui ne parvient pas à faire le deuil de son amour de jeunesse (Les Regrets, 2009), un père qui décide d’élever ses enfants en marge de la société (Vie sauvage, 2014).

À cinquante ans passés, Cédric Kahn prend un risque radical qui marque un tournant dans sa carrière. Lui qui a fait tourner Carole Bouquet, Charles Berling, Yvan Attal, Mathieu Kassovitz et Guillaume Canet fait le pari d’un film sans star – dont le principal protagoniste, dont c’est le premier grand rôle, se verra décerner l’Ours d’argent du meilleur acteur. Lui dont les films étaient souvent des drames urbains, des histoires de couples qui se brisent ou qui se forment, ose filmer un drame rural, sous les cimes enneigés des Alpes, où l’action se déroule lentement au fil des saisons qui passent. Lui surtout dont le cinéma ressassait parfois au risque de l’épuisement les thèmes où s’épuise le cinéma français (le couple, la paternité…) ose prendre à bras le corps un sujet audacieux : la foi.

Car La Prière doit être pris au pied de la lettre. Ce n’est pas, comme son pitch le laisse augurer, comme on vient de le voir dans l’excellent La fête est finie, un film sur la désintoxication. Comme son titre et son affiche l’annoncent frontalement, c’est l’histoire d’un garçon sauvé par la foi. Ce garçon est interprété par Anthony Bajon. Il a les bajoues poupins et le poil follet d’un gamin mal dégrossi. Il s’est vu, je l’ai dit, décerner l’Ours d’argent du meilleur acteur et sera probablement nominé sinon nommé César du meilleur espoir masculin l’an prochain. Le mérite-t-il ? S’agit-il d’une future star comme Gaspard Ulliel ou Tahar Rahim ? Ou au contraire d’un feu de paille comme Gérald Thomassin, que révéla Doillon dans Le petit criminel, avant de sombrer dans l’alcool et la drogue ?

La Prière a un sacré culot. À une époque où il est de bon ton de rire de tout, où la « vanne » est devenue un mode de communication à part entière, où l’humour est l’accessoire obligé de tout discours auquel on reprochera sinon son sérieux et sa morgue, La Prière ose le premier degré. D’ailleurs certains spectateurs s’y trompent qui rigolent, vaguement gênés, devant certaines scènes, au début du film, tant les situations décrites détonnent de ce que nous vivons dans nos quotidiens. Les minutes passant, on ne les entendra plus. Car La Prière peu à peu aura imposé son ton et son sujet grave.

Comme Thomas, on entre à reculons dans cette communauté. On se braque contre ses règles oppressantes. On renifle la supercherie, la secte, qui va nous endormir pour mieux nous enfermer, ou nous enfermer pour mieux nous endormir. Et puis on lâche prise. On comprend qu’ici tout n’est qu’amour, tout n’est que grâce – pour reprendre les dernières paroles d’une œuvre elle aussi toute baignée par la grâce : Le Journal d’un curé de campagne.

Il faut un sacré culot pour traiter d’un tel thème à une époque où si 60 % des Français se disent catholiques, 4 % seulement vont régulièrement à la messe. Pour autant La Prière n’est pas un OVNI dans un cinéma qui n’aurait jamais traité la foi. Il y a quelques semaines à peine sortait L’Apparition qui, comme La Prière, évoquait sans rire un miracle. Thérèse, le chef d’œuvre d’Alain Cavalier, avait obtenu le César du meilleur film 1986. Des hommes et des dieux remportait la même distinction au titre de l’année 2010 et attirait un public immense, constitué en partie de spectateurs qui ne fréquentaient guère les salles obscures. C’est tout le mal qu’on souhaite à La Prière.

La bande-annonce

Chien ★★★☆

Rien ne va plus pour Jacques Blanchot (Vincent Macaigne). Sa femme (Vanessa Paradis) prétexte une allergie cutanée pour le mettre à la porte du domicile conjugal avant de l’interdire de carte bleue et de mettre un autre homme dans son lit. Le patron du médiocre commerce où il travaille le licencie. Jacques est bientôt à la rue.
Il sera hébergé par un dresseur (Bouli Lanners) qui lui avait vendu un chien tôt écrasé. À son contact, le comportement de Jacques évolue.

Il y a deux façons de regarder le film que Samuel Benchetrit a tiré de son propre livre publié en 2015 chez Grasset. Les deux sont aussi intéressantes l’une que l’autre.

La première consiste à adopter le point de vue de Vincent Macaigne, le quarantenaire le plus en vogue du cinéma d’auteur français, qui promène sa bouille de clown triste, sa calvitie mal coiffée et sa diction traînante de film en film. De son point de vue Chien est un film sur un loser, un déclassé, victime de sa gentillesse, de sa naïveté, un homme doux qui se fracasse dans un monde trop dur pour lui. On pense à Gérard Jugnot dans Une époque formidable.

La seconde consiste à adopter le point de vue de Bouli Lanners, qui interprète le rôle d’un dresseur sadique. Chien devient plus politique. Comme dans les films du duo grolandais Kervern & Délépine (Aaltra, Avida, Louise-Michel, Mammuth, Le grand soir…), dont Bouli Lanners était déjà le héros, il s’agit d’un procès en règle de nos sociétés organisées autour d’implacables relations de domination et d’aliénation. Une société où l’homme est un loup/un chien pour l’homme, son meilleur ennemi ou son pire ami.

Il y a bien sûr une troisième lecture possible : celle de la parabole canine. Samuel Benchetrit est sur le fil du rasoir dont le film pourrait basculer en un instant dans le comique façon Didier ou dans le fantastique façon La Belle et la bête. Il réussit à éviter et l’un et l’autre. L’écueil de la loufoquerie ou d’un grunge est tenu à distance. Ce n’est pas la moindre qualité d’un film qui réussit à rendre crédible une situation qui évidemment ne l’est pas.

La bande-annonce