Notre pain quotidien ★★★☆

Frappé par la Grande Dépression, un jeune couple new-yorkais, John et Mary Sims, s’installe à la campagne pour exploiter une ferme hypothéquée. Inexpérimentés, ils sollicitent l’assistance d’inconnus de passages pour retaper leur bicoque et cultiver leurs champs. Une coopérative se crée qui fonctionne grâce à la complémentarité des talents de chacun. Mais les ennuis s’accumulent : le manque d’argent d’abord, la sécheresse ensuite.

Notre pain quotidien (1934) est un témoignage marquant sur le New Deal. L’Amérique est alors plongée dans la crise. Elle ne sait pas encore qu’elle va s’en relever grâce à la politique volontariste de Franklin D. Roosevelt. Elle est partagée entre deux sentiments complémentaires : l’angoisse de la crise et le désir ardent d’en sortir.

Ce sont ces deux sentiments qui sont au cœur du film de King Vidor. Comme John Ford dans Les Raisins de la colère, il montre que la fraternité humaine est le meilleur antidote à la crise et viendra à bout de tous les défis. S’agit-il pour autant d’un manifeste communiste comme on en fit le reproche au cinéaste ? Pas du tout. C’est moins vers les kolkhozes soviétiques que vers le messianisme des Pères fondateurs que lorgne Vidor.

Pour le laver de tout soupçon de communisme, il suffit de comparer Notre pain quotidien à Octobre, sorti six ans plus tôt. Si le second est un hommage au prolétariat révolutionnaire, le premier est tout entier centré sur les personnages : John, sa femme Mary, Chris le paysan suédois, Louie le repris de justice… La collectivité est une somme d’individualités pas une force anonyme, comme elle l’était chez Eisenstein.

Par son optimisme indéboulonnable, par son individualisme forcené, Notre pain quotidien, loin d’être un brûlot socialiste, est déjà un film profondément américain.

La bande-annonce

Lady Bird ★★☆☆

Sacramento a beau être la capitale de la Californie, c’est une ville provinciale qui suinte l’ennui. Christine McPherson, dix-sept ans, ne supporte plus la vie qu’elle y mène et veut à tout prix intégrer une université sur la Côte Est. Mais sa mère possessive s’y refuse et son père, qui vient d’être licencié, craint de ne pas en avoir les moyens financiers.
Christine (Saoirse Ronan qui crevait l’écran dans Brooklyn) est en pétard contre elle-même et contre la terre entière. Elle n’aime pas son prénom et s’en est donné un autre : Lady Bird. Elle a honte de  ses parents et de leur maison trop banale située « du mauvais côté du rail » alors que ses amis habitent dans des résidences plus cossues. Elle ne supporte plus la discipline rigoureuse du lycée catholique où elle est scolarisée. Elle se lasse bien vite de l’atelier de théâtre où elle rencontrera pourtant son premier amoureux (Lucas Hedges déjà vu dans 3 Billboards et Manchester by the sea). Elle ne supporte plus non plus sa meilleure amie dont elle s’éloigne pour ne pas être ridiculisée par son nouveau copain, le bassiste d’un boys band qui prend des poses de poète maudit (Timothée Chalamet nommé aux Oscars pour son rôle dans Call me by your name)

Lady Bird est le premier film de Greta Gerwig, une actrice qui s’est faite une réputation dans les films de son compagnon, Noah Baumbach, où elle campe une jeune femme un peu rêveuse, un peu bohème, qui se cherche une place dans la vie. D’ailleurs, Lady Bird – qui est largement inspirée de la propre adolescence de Greta Gerwig, native de Sacramento, s’achève là où commence Mistress America ou Frances Ha dont l’héroïne entame des études à l’université à New York.

Lady Bird serait un film remarquable s’il n’était pas précédé d’une réputation aussi élogieuse. Ses cinq nominations aux Oscars et ses deux Golden Globes (meilleure comédie et meilleure actrice) le desservent paradoxalement. Car on s’attend à un grand film, un film digne de figurer au panthéon des meilleurs. Lady Bird est un film sympathique, attachant, charmant, sensible. C’est déjà beaucoup. Mais Lady Bird n’est pas un grand film.

Lady Bird ressemble aux dizaines, aux centaines de films qu’on a déjà vus sur le même sujet : le coming of age d’une adolescente tourmentée dans un environnement lénifiant. Les critiques soutiennent que Lady Bird se distingue de cet archétype usé jusqu’à la corde par je-ne-sais quelle magie. Je n’y ai pas été sensible. J’y ai au contraire vu la reproduction des mêmes recettes : la meilleure amie obèse, la star du lycée qui roule en 4×4, le copain gay, le dépucelage décevant, etc. Sans doute l’ensemble est-il joliment troussé, bien joué et intelligemment amené. Mais rien qui justifie que Lady Bird figure au hit parade des meilleurs films de l’année.

La bande-annonce

Les Garçons sauvages ☆☆☆☆

Cinq garçons de bonne famille commettent une crime sauvage sur leur ancienne professeure. Ils passent en jugement. Ils sont remis à un capitaine louche qui promet de les redresser. Commence pour eux une longue odyssée vers une île mystérieuse.

Les Garçons sauvages arrivent sur les écrans nimbé d’un parfum de scandale. Bertrand Mandico s’est fait un nom dans les courts et moyens métrages. Le nom d’un réalisateur au style unique, qui n’hésite pas à bousculer les genres, à transgresser les frontières. Son premier long est lesté de références aussi écrasantes qu’hétéroclites : Robert Louis Stevenson pour le récit d’aventures et le capitaine cruel,  William Golding pour cette histoire de jeunes garçons échoués sur une île déserte, William Burroughs pour l’onirisme halluciné, David Lynch pour le bizarre et le fantastique, Alain Robbe-Grillet pour l’esthétique érotique, Guy Maddin pour le noir et blanc satiné, etc.

J’ai tout détesté dans Les Garçons sauvages. Son esthétique prétentieuse qui se voudrait gothique et queer à la fois. Son maniérisme. Son noir et blanc chichiteux – entrelardé de quelques plans en couleurs d’une rare laideur. Son attachement fétichiste à une forme d’autant plus sophistiquée qu’elle peine à cacher un contenu totalement creux. Les giclées de sperme et les jets d’urine qui ponctuent son film et qui voudraient choquer le bourgeois – qui en a vu d’autres. Ses dialogues ridicules (« l’espérance est un bonheur presque égal au bonheur »). La fausse bonne idée qui consiste à faire endosser le rôle des ces cinq jeunes hommes par cinq actrices. Sa longueur interminable (près de deux heures) là où un format plus court aurait amplement suffi.

Mais mon opinion est personnelle et mon « coup de gueule » subjectif. Tout en détestant ce film et en m’y étant copieusement rasé, j’en reconnais de bonne grâce l’originalité sinon la qualité. Mon goût pour des formes de cinéma plus conventionnelles, moins audacieuses, ne doit pas me conduire à vouer aux gémonies celles qui s’en écartent pour explorer d’autres voies moins balisées et à reprocher aux critiques unanimes leur enthousiasme excessif pour un film surfait.

La bande-annonce

La Fête est finie ★★★☆

Céleste (Clémence Boisnard) a dix-neuf ans. Elle ne connaît pas son père et sa mère, trop jeune et vite débordée (Marie Denarnaud, abonnée aux rôles de jeunes filles dont on réalise avec effroi qu’elle a déjà quarante ans) n’a pas su s’occuper d’elle. Clémence fume/sniffe/croque tout ce qui passe : shit, coke, héroïne, MDMA… Après un accident sur la voie publique, elle se retrouve (de son propre chef ? sous la contrainte ?) en centre de détoxication. Le même jour y arrive Sihem (Zita Henrot), vingt-six ans, dont les antécédents sont moins claires. Entre les deux filles, la complicité est immédiate : complicité pour faire face au régime quasi-carcéral du centre dont elle défie allègrement la dureté des règles, mais complicité aussi pour reprendre en main leurs vies dont elles ont bien conscience qu’elles prennent un tour suicidaire.

La Fête est finie raconte sur un mode quasi-documentaire le parcours de ces deux jeunes filles pour sortir de la dépendance. La réalisatrice connaît son sujet qui confie avoir été toxicomane et être sortie de la dépendance. On voit d’abord Céleste et Sihem en centre au milieu d’autres dépendants avec lesquels les échanges ne sont pas toujours fluides. On les voit ensuite rendues à la vie civile, l’épée de Damoclès de la rechute pesant au dessus de leurs vies.

Le sujet a déjà été souvent traité. Le Dernier pour la route avec François Cluzet et Mélanie Thierry le racontait avec la même finesse. On pense aussi à La Tête haute avec Benoît Magimel, Catherine Deneuve et Rod Paradot (César du meilleur espoir masculin en 2016 mais hélas disparu des radars depuis lors) dont le jeune héros n’était pas dépendant mais qui se déroulait en milieu de rééducation fermé. Dans trois semaines, précédé d’une critique élogieuse, sortira La Prière, qui met en scène un jeune drogué qui rejoint une communauté religieuse (Anthony Bajon vient de recevoir à Berlin l’Ours d’argent du meilleur acteur pour ce rôle).

Comme l’annonce la riante photo de l’affiche, La Fête est finie est l’histoire d’une amitié entre filles – qui rappelle les duos féminins de Divines ou de Tout ce qui brille. Ce duo évite les stéréotypes. D’origine maghrébine, Sihem est issue d’une famille unie qui pourrait constituer pour elle un cocon et dont les autres enfants ont brillamment réussies. En revanche, c’est Céleste qui accumule les handicaps sociaux. C’est elle qu’on sent plus immature, moins entourée et du coup plus menacée par la rechute alors que l’expérience de la zone a instruit Sihem de l’urgente nécessité de se réinsérer par un travail stable.

Cette belle histoire d’amitié – dont la dimension homosexuelle est élégamment esquissée – est remarquablement servie par deux comédiennes hors pair. On retrouve Zita Henrot, la révélation de Fatima qui lui valut en 2016 le César du meilleur jeune espoir féminin. C’est elle qu’on aperçoit ces jours-ci dans la publicité pour le Printemps du cinéma aux côtés de Finnegan Oldfiled. Mais c’est surtout Clémence Boisnard qui crève l’écran. La première scène la voit défigurée par le manque, les traits tirés, prématurément vieillie. Plus tard, elle retrouve des traits poupins, une coiffure sage. Elle a des rires qui irradie, des rougissements d’adolescente – comme lorsqu’elle demande en boîte de nuit à un garçon de l’embrasser pour dissiper le malaise qui précède le premier baiser.

Sans doute suis-je bien généreux en donnant trois étoiles à ce film qui ne bouleversera pas l’histoire du cinéma. Mais, écrasé par d’autres sorties plus commentées, mal distribué, il risque fort de passer inaperçu. Donnez lui sa chance…

La bande-annonce

Fortunata ★☆☆☆

Fortunata n’a pas la vie facile. Son ex-mari bas-du-front la harcèle. Elle doit s’occuper seule de sa fille de huit ans et veiller comme une sœur sur son voisin, un tatoueur camé qui a la charge de sa vieille mère démente. Juchée sur de hauts talons, le cheveu en pétard, elle arpente Rome avec son Vanity pour aller coiffer ses clientes à domicile. Son rêve : ouvrir son salon de coiffure.

Fortunata rappelle Mamma Roma, le chef d’œuvre de 1961 qui valut la célébrité à Pasolini. Il est tourné dans les mêmes banlieues pauvres de la capitale italienne, entre un aqueduc romain et une barre HLM. Si elle n’exerce pas le même métier qu’Anna Magnani (qui interprétait le rôle d’une prostituée en mal de respectabilité), la flamboyante Jasmine Trinca (déjà aperçue chez Nanni Moretti et chez Michele Placido) en a les tenues décolletées et surtout le grand cœur.

Le problème est que Fortunata ne peut compter que sur ses interprètes pour retenir l’intérêt. Le scénario échoue cruellement à leur donner vie. On en est d’autant plus frustré qu’ils sont attachants. Mais la rencontre entre Fortunata et le séduisant psychologue chargé de sa fille (Stefano Accorsi, sans doute l’un des acteurs italiens les plus connus de ce côté ci des Alpes) est tellement cousue de fil blanc qu’on s’en désintéresse dès la première embrassade. Dommage…

La bande-annonce

Remorques ★★☆☆

Le capitaine André Laurent (Jean Gabin) commande Le Cyclone, un remorqueur basé à Brest qui secourt les navires en perdition en haute mer. Sa femme Yvonne (Madeleine Renaud) lui cache la grave maladie qui la ronge. À l’occasion d’une opération de sauvetage, le capitaine Laurent rencontre Catherine (Michèle Morgan) et en tombe éperdument amoureux au point de délaisser et sa femme et son équipage.

Remorques est un grand classique du cinéma français dont l’entrée en guerre de la France en septembre 1939 et la mobilisation de Gabin (qui obtiendra une permission spéciale pour achever ce film) et de Grémillon avaient retardé de deux ans le tournage : réalisation de Jean Grémillon, dialogues de Jacques Prévert (qui avait déjà signé pour Gabin ceux de Quai des Brumes et de Le Jour se lève), scénario de André Cayatte inspiré d’un livre de Roger Vercel (qui avait décroché le Goncourt quelques années plus tôt pour Capitaine Conan). Et Gabin-Morgan le couple le plus photogénique de l’époque qui répète à l’identique la scène mythique de Quai des brumes : « T’as de beaux yeux tu sais / Embrassez moi ». On a tous vu, sans l’identifier toujours, leur photo sur la plage du Vougot à Guissény, les cheveux battus par les vents.

Remorques s’inscrit volontiers dans une veine naturaliste – comme le cinéma de Renoir qui filmait la vie du rail dans La Bête humaine. Ici c’est la vie ô combien héroïque des sauveteurs en mer que Grémillon entend dépeindre, une activité qui perdure jusqu’à nos jours dans le port de Brest avec le remorqueur Abeille Bourbon. Mais les moyens de l’époque – qui reconstituent une tempête aux studios de Billancourt avec des maquettes dérisoires noyées dans un seau d’eau – prêtent aujourd’hui à sourire à supposer qu’elles aient semblé crédibles aux spectateurs de l’époque.

Remorques a donc vieilli. Mais il a bien vieilli. Ses artifices désuets, ses personnages mélodramatiques portent la marque d’une époque révolue. Remorques enchantera les cinéphiles qui aiment les films de cette époque. Pas sûr en revanche qu’il enthousiasme les autres.

Moi, Tonya ★★★☆

Une petite leçon de rattrapage pour ceux qui, en janvier 1994, ne s’intéressaient pas au patinage artistique et/ou n’avaient pas encore atteint l’âge de raison : à quelques semaines des Jeux olympiques de Lillehammer, la patineuse Nancy Kerrigan était tabassée. Une autre patineuse, Tonya Harding, elle aussi en lice pour la qualification aux J.O., fut  accusée d’avoir fomentée cette agression.

Moi, Tonya est un faux documentaire qui revient sur un fait divers qui, quelques mois avant l’affaire O.J. Simpson, avait tenu l’Amérique en haleine et marqué les débuts de l’info en continu. Ses principaux protagonistes, interprétés par des acteurs professionnels, sont interviewés face caméra, comme le seraient les participants à une enquête télévisée.

Mais Moi, Tonya s’intéresse moins à « l’incident » de janvier 1994 qu’à la vie de Tonya Harding. Abandonnée par son père, élevée par une mère violente, trop tôt mariée à un parfait loser, Tonya Harding était une « white trash » dans un sport qui ne lui a pas laissé sa chance.

Le scénario de Steven Rogers est subtil qui évite le manichéisme. Il donne la part belle à Tonya Harding, que campe une Margot Robbie enlaidie, une gageure pour l’actrice sans doute la plus sexy du moment (je ne me suis pas remis de sa scène dans Le Loup de Wall Street). Mais pour autant, Moi, Tonya n’instruit pas le procès en réhabilitation de l’athlète la plus haïe de l’histoire du patinage artistique. Si Tonya démontre un courage admirable, physique et psychologique, face à l’adversité, elle n’en affiche pas moins un refus buté d’accepter ses responsabilités.

C’est avec un humour jubilatoire, qui rappelle celui des frères Cohen, que ces pauvres types décérébrés et violents sont croqués. Il faut rester jusqu’au bout du générique, qui nous montre les interviews des véritables protagonistes pour constater avec effarement que la réalité surpassait la fiction : Tonya, sa coiffure ridicule, ses tenues impayables, son mari bas du front avec son inénarrable moustache, sa mère (interprétée avec une délectation sadique par Allison Jeanney l’inoubliable porte-parole de la Maison-Blanche dans West Wing) et un garde du corps glouton et mythomane…

La bande-annonce

Wajib – L’invitation au mariage ★☆☆☆

Un père marie sa fille. Comme le veut l’usage en Palestine, il sillonne Nazareth pour remettre en mains propres aux invités les invitations à la cérémonie. Son fils l’accompagne, qui a choisi le chemin de l’exil.

On comprend vite l’intention de Annemarie Jacir, une jeune réalisatrice palestinienne à l’œuvre délicate. Elle est double. D’une part, faire la radioscopie de la société palestinienne à travers les amis que les deux protagonistes rencontrent au fil de leur pérégrination : Chrétiens ou Musulmans, riches ou pauvres, conservateurs ou modernistes, pro- ou anti-OLP… D’autre part, brosser le portrait d’un père et de son fils que la vie a éloignés, sur lesquels plane la figure de la mère absente, partie vivre avec un autre à l’étranger. Le père a choisi de rester en Palestine et de s’y accommoder des difficultés d’un régime d’occupation, quitte à nouer avec des Juifs des liens d’amitié que le fils réprouve. Le fils lui, a choisi de vivre à l’étranger, en Italie, dans le souvenir idéalisé d’un pays qui a bien changé depuis son départ.

Le projet du film est estimable. Sa réalisation est loin d’être mauvaise, servie par l’interprétation impeccable de ses deux protagonistes principaux, père et fils à l’écran comme à la ville. Le problème de Wajib est que le fil qui le tient est trop ténu pour susciter l’intérêt. On se lasse vite de la déambulation de ce père et de son fils, de leurs rencontres répétitives, de leur dialogue à fleurets mouchetés et de leurs franches engueulades.

La bande-annonce

La Forme de l’eau ★☆☆☆

C’est l’histoire d’un homme-poisson que des méchants ont emprisonné et que des gentils veulent libérer.

Je pourrais – comme je  m’évertue à le faire chaque matin – faire un effort et vous présenter un résumé autrement plus élaboré de La Forme de l’eau. Je pourrais vous dire que son action se déroule au début des années soixante, en pleine Guerre froide, à Baltimore, que son héroïne est une jeune femme muette employée comme femme de ménage dans une base secrète de l’armée américaine, qu’une créature aquatique, mi-poisson, mi-homme, y a été capturée et y est soumise aux pires sévices par un gardien sadique, que notre héroïne se prend de compassion pour la mystérieuse créature et décide de la libérer avec l’aide d’une collègue noire, d’un voisin homosexuel et d’un espion russe. Mais ce serait bien long pour un scénario qui, tout bien considéré, se résume aisément en une phrase plus courte.

Je plaide coupable par avance car La Forme de l’eau est le grand favori des Oscars – et que je n’aurais rien à redire à sa victoire annoncée sur les autres films nommés, tels Get OutPhantom Thread ou 3 Billboards qui ne m’ont guère plus convaincu. Mais ce plébiscite critique et public ne m’empêchera pas de faire entendre une voix dissonante. La créature filmée « dans une diaprure bleu-vert » (dixit Le Monde) ? Le copier-coller de la créature du lagon noir sorti en 1954 – qui fut le premier film visionnable en trois dimensions grâce à des lunettes bicolores. L’héroïne muette ? Un personnage dont on ne comprend pas le traumatisme originel et l’étonnante attirance pour l’eau – dans laquelle elle se livre chaque matin à des libations étonnamment lestes pour un film tout public. Les autres personnages ? une galerie politiquement correct de ce que tout ce que l’Amérique compte de minorités opprimées.

Vous avez aimé La petite sirène de Walt Disney ? Vous aimerez peut-être Le grand triton de Guillermo del Toro [je viens de passer deux heures à chercher l’équivalent masculin de la sirène et ne me cherchez pas des poux dans la tête si le triton ne correspond pas tout à fait]. La somptuosité gothique des décors ? la merveilleuse histoire d’amour ? l’hymne à la tolérance ? Je n’ai vu dans le conte de fées de Guillermo del Toro à la naïveté assumée qu’une historiette simpliste aux personnages manichéens et à l’intrigue cousue de fil blanc.

La bande-annonce

Corps étranger ★☆☆☆

Samia a fui son son pays pour gagner la France. Elle y retrouve Imed, un ami de son frère, qui lui offre l’hospitalité. Samia, qui vit dans la peur d’être arrêtée et expulsée, trouve un travail chez Laila, une riche bourgeoise, qui vient de perdre son époux. Laila prend Samia sous son aile. Mais Imed se montre vite jaloux.

Raja Amari s’était fait connaître en 2002 en tournant Satin rouge, un film sur une mère de famille trop sage qui s’adonne à la danser du ventre dans un cabaret. C’était la première fois qu’Hiam Abbas occupait la tête de l’affiche. Depuis l’actrice palestinienne a fait la carrière qu’on sait en France, au Moyen-Orient et même aux États-Unis (on l’a vue au casting de Blade Runner 2049 ou du Munich de Spielberg). Pendant ce temps, la jeune réalisatrice tunisienne a disparu, sortant un seul film en 2010.

Raja Amari retrouve son actrice fétiche quinze ans après Satin rouge. Elle a vieilli, mais pas vraiment changé. À cinquante ans passé, Hiam Abbas joue le rôle d’une femme dont le mariage lui a permis de s’intégrer à la société française mais dont le veuvage la laisse désemparée. La relation qu’elle noue avec la jeune Samia est ambigüe. Elle l’accueille comme une mère, l’héberge, lui achète des vêtements, lui donne de l’argent. Mais, sevrée de tout contact physique depuis la mort de son mari, Laila nourrit envers Samia des sentiments plus troubles.

Imed vient compliquer cette relation – qu’illustre à merveille la belle affiche du film. Par délégation du frère de Samia, emprisonné au pays pour son intégrisme religieux, il veille sur elle. Il fait peser sur la jeune femme le double interdit de la religion et de la tutelle masculine. Corps étranger est l’histoire de ce trio, ou plutôt de ce quatuor car le frère quoiqu’absent et invisible – on ignore s’il est encore en prison ou s’il s’en est échappé pour la France – est présent dans tous les esprits.

La première moitié du film est stimulante qui met lentement ce trio en place. La seconde moitié déçoit qui peine à l’exploiter. Après une scène phare qui réunit dans l’appartement cossu de Laila les trois protagonistes, ivres d’alcool, de musique et de solitude, Corps étranger se dégonfle. Comme si le scénariste avait manqué d’idées pour exploiter une situation pourtant riche de potentialités. Dommage…

La bande-annonce