Il ou elle ★☆☆☆

J a quatorze ans et vit dans la banlieue de Chicago dans une famille sans histoire. Moitié fille, moitié garçon, il ou elle ne sait à quel saint/sein se vouer. J va avoir un rendez-vous avec un médecin pour décider ou non de suspendre sa puberté. Mais avant de prendre avec ses parents ce choix décisif, J passe le week-end avec sa sœur, artiste plasticienne, et son fiancé, un immigré iranien.

En version originale Il ou elle est intitulé They, le pronom non sexospécifique désormais recommandé pour éviter de mégenrer les personnes LGBTQ. Il n’est pas absolument indispensable d’avoir compris la phrase qui précède pour apprécier le premier film de Anahita Ghazvinizadeh, une jeune réalisatrice iranienne qui interroge l’identité de genre.

J est-il un garçon ? J est-elle une fille ? la question n’est jamais posée frontalement et le doute est entretenu par la troublante androgynie du jeune acteur Rhys Fehrenbacher. J n’arrive pas à se déterminer, qui est mal à l’aise avec les étiquettes : son attirance pour un de ses camarades d’école fait-il de lui un homosexuel ? ou une future fille hétérosexuelle ? Dans un milieu profondément libéral, au point parfois de le priver de tout repère, à l’instar de ses parents absents, les interrogations identitaires de J sont respectées par l’utilisation de ce pronom neutre.

They aurait pu se concentrer sur J. Mais il fait un choix surprenant : celui de l’entraîner, le temps d’un week-end dans la famille iranienne de Araz, son futur beau-frère. Une fête s’y déroule et on en suit interminablement les préparatifs chaotiques dans un sabir de farsi et d’anglais. On comprend que la réalisatrice, elle-même d’origine iranienne, entend faire un parallèle entre le trouble identitaire de J, entre deux genres, et celui de Araz, entre deux pays, deux cultures, deux langues, sans parler de celui de Lauren, sa sœur, qui elle aussi devra à la fin du week-end prendre une décision qui engage son avenir professionnel.

Un documentaire récent, Coby, décrivait avec une grande finesse le processus de changement de sexe d’une jeune Américaine. De tous les points de vue, They est moins intéressant. Et, quand bien même on ne le compare pas à Coby et on le juge à la seule aune de ses mérites, ses choix audacieux (l’image poétique, le non-récit de ce repas de famille sans enjeu, la dédramatisation du choix pourtant déterminant que J devra faire) ne convainquent pas.

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Sauvage ★★☆☆

Léo a vingt-deux ans. Il se prostitue. Il vit à la rue, se nourrit de fruits volés ou de détritus, se lave dans une flaque d’eau sale. Sa santé s’en ressent.

Le premier film de Camille Vidal-Naquet flirte avec le documentaire. Son sujet est dur sinon glauque : la prostitution masculine. Il le filme frontalement sans l’esthétiser, comme l’avait fait par exemple récemment Brothers of the Night de Patric Chiha. S’il ne quitte pas d’une semelle Léo, il montre les « tapins » qui l’entourent, une petit bande cosmopolite où les étrangers, dont on imagine volontiers que leur situation au regard du droit du séjour n’est pas forcément régulière, prédominent.

Sauvage est transcendé par son acteur principal. Félix Maritaud, remarqué dans 120 battements par minute – où il jouait le rôle ingrat de l’amant de Nahuel Perez Biscayard avant sa rencontre avec Arnaud Valois – donne à Léo une troublante authenticité. Léo a gardé l’innocence de l’enfance – dont on ne saura rien mais qu’on imagine malheureuse. Il tapine sans l’avoir vraiment choisi et sans avoir conscience de le subir. C’est pour lui un mode de vie « normal » faute d’en connaître aucun autre.

Comme Brothers of the Night, Camille Vidal-Naquet montre que les tapins masculins sont majoritairement hétérosexuels. C’est le cas de Ahd (Eric Bernard) dont Léo se rapproche et auprès duquel il aimerait trouver une tendresse, un havre que sa vie lui refuse. Il montre aussi, sur un mode quasi-documentaire, les atteintes à la santé que la prostitution provoque. À trois reprises Léo est dans le cabinet d’un médecin – la première fois pour la première scène, surprenante, du film, la deuxième pour la plus belle et la plus émouvante.

Sauvage montre la prostitution sans l’euphémiser. Le film, interdit aux moins de seize ans, filme les corps nus, les sexes en érection, les fellations tarifées. Il interroge en passant la situation des handicapés et des personnes âgées réduits à recourir aux services de prostitué.e.s pour échapper à leur solitude sexuelle. Il contient une scène révoltante où Léo devient le jouet des pulsions sadiques d’un couple SM.

L’accumulation de ces vignettes joue au détriment de l’ensemble qui fait parfois du surplace. Le postulat de départ est clair : Léo est un « sauvage » que le réalisateur se refuse à juger. Mais sa santé déclinante et la rencontre d’un amant aimant qui lui offre l’espace d’un instant une planche de salut ne suffisent pas à en faire un film consistant.

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Burning ★☆☆☆

Quasiment orphelin depuis le départ de sa mère du foyer familial et l’incarcération de son père emprisonné pour coups et blessures, Jongsu travaille comme coursier à Séoul. C’est là qu’une camarade d’école, perdue de vue depuis l’enfance, le reconnaît. Haemi est belle, insouciante et Jongsu tombe instantanément sous son charme. Après avoir couché avec elle, il accepte volontiers de garder son appartement et son chat pendant qu’elle entreprend un long voyage en Afrique.
À son retour hélas, Haemi est flanquée de Ben. Jongsu est à la fois fasciné et jaloux de ce Coréen qui habite les beaux quartiers, roule en Porsche et mène des activités aussi mystérieuses que lucratives.

Difficile de dire du mal de Burning pour lequel toute la critique s’est enthousiasmée déplorant à l’unisson qu’il soit rentré bredouille de Cannes. Prenons cette phrase par exemple trouvée dans Cinéma Teaser sous la plume d’Aurélie Allin : « Le génie de Lee Chang-dong est de (…) faire d’une histoire où « il ne se passe rien » un récit universel imprévisible. » Elle commence par évoquer le « génie » du réalisateur, un mot à la fois éculé et enflé surtout quand on le place au début du raisonnement. Un film « où il ne se passe rien » : voici un aveu objectif qui augure bien mal car on a a priori plus de chance de s’intéresser à un film où il se passe quelque chose qu’à un où il ne se passe rien. Un récit « universel » : encore un pont-aux-ânes dès qu’il s’agit de parler d’un film coréen ou guatémaltèque, comme s’il devait à tout prix faire écho à notre situation ou nos émotions d’homme blanc occidental et s’il ne pouvait pas précisément nous charmer par son exotisme.

Une autre phrase énervante : « Un film qui parie sur l’intelligence du spectateur ». Sauf que … je n’avais rien compris de l’histoire de Burning en sortant de la salle et en étais d’autant plus énervé que d’autres plus intelligents que moi y auraient vu clair. Alors, après une patiente reconstitution, on parvient à deviner, malgré les ellipses du scénario que (attention spoiler) Ben est un meurtrier en série qui commet tous les deux mois environ un crime et que Haemi – dont la grosse valise est toujours dans l’appartement et dont la montre rose a rejoint les reliques que le serial killer garde de ses victimes dans un tiroir de sa salle de bains – n’est pas partie en voyage mais est morte de ses mains.

Pourquoi pas ? Une telle reconstitution donne une satisfaction : rejoindre le club des spectateurs soi-disant « intelligents » auxquels Burning est censé parler. Mais pour autant, l’appartenance à ce club d’happy few ne garantit pas d’aimer ce film trop long qui s’étire interminablement pendant près de deux heures et trente minutes.

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De chaque instant ★★★☆

Nicolas Philibert a suivi la scolarité des filles et des – rares – garçons d’un Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de l’est parisien. Son documentaire est organisé en trois parties annoncées chacune par un vers d’Yves Bonnefoy.
La première montre les étudiants durant leur formation théorique. La pharmacopée, la déontologie leur sont enseignées en cours magistral. Ils s’initient aux gestes de base sur des mannequins en plastique : piqûre, pansement, massage cardiaque…
La deuxième les suit durant leurs stages pratiques (ils en effectueront un par semestre durant les trois ans de leur scolarité) en hôpital, en unité de soins psychiatriques, en EPHAD…
La troisième filme les entretiens de fins de stages des futurs diplômés qui, avec un responsable de l’IFSI, rendent compte de leur expérience, extériorisent leurs joies ou leurs doutes.

Le choix d’un titre. On imagine les hésitations du réalisateur et de son producteur au moment de choisir le titre de son documentaire. On se souvient du beau titre de celui qu’il avait consacré à un instituteur de campagne : Être et avoir. Plus récemment, sa plongée dans les entrailles de Radio-France était plus sobrement titrée La Maison de la Radio. Le choix d’un titre hésite toujours entre deux partis : informer le spectateur sur le contenu du film qu’il s’apprête à voir et/ou annoncer à travers le choix d’un titre plus métaphorique un parti pris esthétique ou politique. C’est d’un côté L’Opéra de Stéphane Bron sur l’Opéra-Garnier, National Gallery de Wiseman sur le célèbre musée londonien ou la trilogie de Depardon Profils paysans. C’est de l’autre Sans adieu de Christophe Agou qui filme, comme Depardon, cette même vie paysanne, À voix haute sur le concours Eloquentia ou Le Président, le documentaire qu’Yves Jeuland consacre à Georges Frêche.

Avec De chaque instant, Philibert opte pour le second choix. Sans doute n’a-t-il pas voulu choisir Infirmières – excluant les garçons – ou Infirmiers – trop masculin – sans se résoudre à l’inclusif Infirmier-ère. D’autant que bizarrement, le mot « infirmier » est absent des dialogues où on lui préfère celui de soignant.e. On comprend volontiers ce que le titre choisi veut dire. Les infirmiers/soignants sont présents à tout instant au chevet de leurs « patients » – un substantif préféré à l’honni « malade ». Pour autant, De chaque instant montre moins cette disponibilité sans faille, cette présence maternelle au chevet d’un malade/patient que l’apprentissage d’un métier.

Car c’est moins le métier d’infirmier que la façon de l’apprendre qui intéresse Nicolas Philibert. L’apprentissage, la transmission du savoir étaient déjà au cour de La vie des sourds et de Être et avoir. Ici, c’est toute la rigueur du métier qui est scrupuleusement présenté. Rien ne nous en détourne, aucune digression sur la vie privée des élèves au pas desquels Philibert refuse de s’attacher, masse indistincte et anonyme d’apprenants attentifs et humbles.

On a parfois, devant ce documentaire trop sage, trop lisse, l’impression de voir un film de propagande sur la grandeur et les servitudes du beau métier d’infirmier. mais ce serait avoir la dent bien dure et le cœur bien sec que de porter sur ce documentaire austère et beau un jugement si cynique.

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Guy ★★★☆

Guy Jamet (Alex Lutz) est une ancienne star de la chanson. Il a connu son heure de gloire dans les années 60 et 70. Il a beaucoup vieilli mais n’a jamais quitté la scène. Installé désormais en Provence avec sa femme (Pascale Arbillot) et ses chevaux, il continue les tournées et est toujours ovationné par un public vieillissant mais fidèle.
Gauthier (Tom Dingler), un jeune documentariste, obtient l’autorisation de le suivre au jour le jour. mais Gauthier cache un secret : sa mère (Brigitte Roüan) lui a révélé que Guy Jamet était son père.

Vous ne connaissez pas Guy Jamet ? Et pour cause : il n’a jamais existé. Ce croisement improbable de Claude François et de Guy Marchand est une pure invention de Alex Lutz qui écrit le scénario, signe la réalisation et interprète le rôle principal de Guy – un titre malin qui joue sur le ringard du prénom et la polysémie du mot (en anglais, a guy signifie un type, un mec).

En anglais encore, ce genre de faux documentaire a un nom : mockumentary. Mais il n’y a pas l’ombre d’une moquerie dans le film faussement drôle d’Alex Lutz. Pourtant, ç’aurait été la solution la plus facile, la plus naturelle pour celui qui a longtemps joué dans les mini-sketchs Catherine et Liliane diffusés dans Le Petit Journal de Canal+. Façon Podium, il aurait pu se moquer de ce crooner ringard, de ses chansons kitsch, de son public passé d’âge, de sa lente décrépitude physique, de son incapacité à regarder en face une célébrité disparue et d’accepter le retour à l’anonymat. Il n’en fait rien.

Étonnamment, Alex Lutz tire Guy vers le mélo. Il décrit sans s’en moquer un homme de soixante-quatorze ans, diminué par un AVC, lucide sur son déclin, dont l’humour aiguisé vise aussi bien les autres que lui-même. Un homme qui a refait sa vie avec une femme plus jeune aux lubies épuisantes mais à laquelle le lie une vraie tendresse. Un homme qui retrouve, le temps d’un trio avec Julien Clerc au piano, la mère de son fils. Un homme qui se désespère du fossé qui s’est creusé avec ce fils-là et qu’il ne parvient pas à combler malgré ses efforts.

Si Guy est une telle réussite, c’est grâce à l’interprétation d’Alex Lutz, L’acteur, âgé de quarante ans à peine, a vaillamment supporté quatre heures de maquillage quotidien pour interpréter un septuagénaire. Le résultat est bluffant : le grain de la peau tavelée, le cheveu argenté, l’élocution pâteuse, la gestuelle à la limite de la préciosité, tout sonne juste dès le premier plan filmé face caméra dans une pinède provençale à la table d’un restaurant. Dès cette première rencontre entre Gauthier et Guy, qui allume une cigarette en questionnant celui qui lui demande de le filmer, on se laisse embarquer dans cette histoire improbable mais ô combien attachante.

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Kin : Le Commencement ★☆☆☆

Enfant adopté d’un couple dont l’épouse est récemment décédée et dont le fils aîné vient de sortir de prison, le jeune Eli passe moins de temps à l’école qu’à traîner dans les immeubles désaffectés de la banlieue de Détroit. C’est là qu’il découvre une arme mystérieuse que lui seul peut activer et qui lui confère une puissance hors du commun.

Kin est un drôle de mélange.

Son affiche reprend les codes, la disposition géométrique, la palette chromatique des films de super héros (Star Wars, X-Men, Avengers…). On s’attend donc à une explosion pyrotechnique telle que les films du genre, bien codifié, nous y ont habitués. Il n’en est rien. Car, si on croise dans Kin une arme aux pouvoirs surnaturels et deux motards mutiques venus d’une autre planète à sa recherche, son histoire est de celle qui font l’étoffe des drames familiaux indies.

L’action se déroule dans une banlieue défavorisée d’une grande ville américaine. On y croise Dennis Quaid – qui a bien vieilli depuis le temps révolu de sa gloire passée – qui campe le personnage d’un honnête travailleur, dépassé par une société qu’il ne comprend plus. Veuf inconsolable, père contrarié, il a reporté ce qui lui reste de tendresse humaine sur son fils adoptif, le jeune Eli.

Après un drame dont on ne dira mot, Eli doit prendre la route avec son demi-frère. Le film est l’histoire de sa cavale. Eli et son frère croisent le chemin d’une jolie stripteaseuse (Zoe Kravitz) – un peu grande sœur, un peu maman. Une bande de voyous dirigée par un caïd psychopathe (James Franco en roue libre) est à leurs trousses.

Le sous-titre de Kin l’annonce : c’est le début d’une saga. Son sens ne s’éclaire qu’à l’épilogue de ce premier volet, épilogue qui emprunte à la fois à Terminator (l’irruption dans l’Amérique provinciale de créatures venues d’un autre monde) et à Superman (un enfant ordinaire doté de pouvoirs extraordinaires). Il y sera – peut-être – question de superhéros. Mais, avant de prendre cette direction là, Kin ressemble à un drame familial sans grand relief.

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22 Miles ★★☆☆

James Silva (Mark Wahlberg) est un agent spécial de la CIA. Il appartient au groupe ultra-secret Overwatch qui accomplit des opérations homicides pour le compte de l’agence américaine. C’est avec son équipe qu’il liquide une cellule d’espions russes infiltrés aux États-Unis avant de recevoir une nouvelle affectation en Asie.
En Indocarr (sic), un agent double vient lui proposer, en échange de l’asile sur le sol américain, les moyens de retrouver un stock de césium qui court dans la nature. Silva doit parcourir 22 miles pour l’escorter de l’ambassade américaine jusqu’à l’aéroport.

Le pitch de 22 Miles (étrange traduction en français de Mile 22) rappelle à la virgule près celui de 16 Blocs où Bruce Willis interprétait un policier chargé d’escorter un témoin à charge du commissariat au palais de justice de New York où il doit être entendu. Mais la comparaison s’arrête là ; car entre 2006 et 2018, le cinéma d’action américain a bien changé. Sous l’influence des jeux vidéo, il n’hésite plus à filmer sans état d’âme la mort en face. 22 Miles enchaîne, non sans complaisance, les scènes meurtrières mettant en présence l’équipe de James Silva, son précieux colis et les forces de police lancées à sa poursuite

Les MMA (mixed martial arts), le krav maga, le jiu-jitsu se sont mondialisés. Et il n’est plus un blockbuster hollywoodien, depuis Star Wars jusqu’à Mission impossible, qui n’en utilise les recettes éprouvées pour épicer ses scènes de combat. Ici, c’est le pencak silat, un art martial indonésien , qu’utilise Peter Berg, l’efficace réalisateur de Deepwater, Traque à Boston, Du sang et des larmes. Aux côtés de Mark Wahlberg, son acteur fétiche, il fait jouer Iko Uwais, rendu célèbre par The Raid. Le garçon a de la santé et le démontre dans une scène de combat impressionnante censée se dérouler dans l’infirmerie de l’ambassade américaine.

Peter Berg semble renouer avec ses meilleurs réalisations, comme Le Royaume ou Lions et Agneaux, en donnant à son histoire un arrière-plan politique : il s’agit ici de dénoncer un régime asiatique corrompu (on reconnaît sans peine l’Indonésie que les producteurs n’ont pas osé citer de peur de se fermer un public de deux cents millions de spectateurs) sur fond de Grand Jeu américano-russe. Mais son ambition est moindre. Il filme des scènes d’action. Certaines sont bluffantes comme la prise d’assaut du repère d’espions russes en prologue ; d’autres le sont moins comme la scène de l’immeuble qui louche trop ostensiblement du côté de The Raid.

L’épilogue – qui se donne les apparences d’un twist final renversant – annonce une suite. On ira la voir par curiosité ; mais on le regrette déjà.

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The Intruder ★★★☆

Nous sommes en 1961 au lendemain des lois de déségrégation qui notamment font obligation aux établissement scolaires, jusqu’alors réservés aux seuls Blancs, d’accueillir des élèves noirs. Un bus interurbain entre dans la petite ville de Caxton au Missouri. Un homme, jeune, séduisant, élégant, en descend. Il s’appelle Adam Cramer (William Shatner, le futur capitaine Kirk de Star Trek). Il prend une chambre dans un hôtel.
La raison de sa présence ? Exciter la population locale, massivement hostile à la déségrégation à la désobéissance civile.

The Intruder (également diffusé aux États-Unis sous les titres I Hate your Guts et Shame) était jusqu’à présent inédit en France. Carlotta Films a la bonne idée de le distribuer fût-ce dans un réseau  de salles bien timide. Le film était pourtant connu des cinéphiles auquel le nom de Roger Corman, un réalisateur de séries B, était familier. Il était connu à Hollywood pour la médiocrité de ses réalisations et pour sa rigueur budgétaire. Cette célébrité ambiguë lui inspira un livre : Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime.

The Intruder met en scène un héros comme Hollywood les aimait à l’époque : un maverick solitaire débarquant dans une bourgade où il ne connaît personne. On pense à Spencer Tracy dans Un homme est passé (1955) ou Burt Lancaster dans Elmer Gantry le charlatan (1960). Le héros se révèle ici bien vite pour ce qu’il est : un raciste fanatique, brillant orateur, manipulateur, prêt à tout pour parvenir à ses fins.

Mais The Intruder vaut moins pour son personnage principal que pour l’histoire qu’il raconte. Il traite d’un sujet qui était alors d’une brûlante actualité ; et il le fait non sans courage sur les lieux mêmes de l’action, le Deep South indécrottablement ségrégationniste, que seul le respect de la Loi retient de verser dans la violence. Le tournage dans le Missouri fut d’ailleurs dit-on difficile. Les figurants que Corman avait recrutés s’enflammèrent aux discours du personnage interprété par William Shatner et se retournèrent contre l’équipe du film quand ils comprirent quel était son propos.

Sans doute The Intruder n’est-il pas un chef d’œuvre. Sans doute William Shatner n’est-il pas un grand acteur ni Roger Corman un réalisateur d’exception. Si tel avait été le cas au demeurant, The Intruder ne serait pas resté inédit si longtemps. Pourtant, bien avant Mississippi Burning ou Selma, il dénonce avec une rare efficacité le racisme qui ronge le Sud. Et il le fait dans ce noir et blanc lumineux et avec ses toilettes d’une folle élégance qui donnent au film de l’époque leur grain inimitable. Au point que je mettrais sans doute trois étoiles à une pub pour lave-linge tournée aux États-Unis en 1961.

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Vierges ★★☆☆

Lana a seize ans et elle s’ennuie à Kiryat-Yam, une station balnéaire sans âme, à une encablure d’Haïfa, dans le bar glauque que sa mère Irena, immigrée russe de fraiche date, a racheté sur le front de mer. L’arrivée de Tamar, une lointaine cousine, âgée de six ans à peine, qu’elle a la charge de surveiller, concourt à l’accabler.
Un vieux client du troquet prétend avoir vu une sirène dans le bateau qui jadis l’emmena en Israël. Sans chercher malice, Lana colporte cette légende à Tchipi, un journaliste échoué dans le coin. Celui-ci en fait pour Haaretz une brève qui, de fil en aiguille, place la paisible villégiature sous les feux de l’actualité.

Vierges est le premier long métrage de la jeune réalisatrice Keren Ben Rafael. Il tient la corde raide entre le fantastique fantasmé (cette sirène qu’on sait chimérique mais dont on attend tout au long du film l’apparition) et le réalisme le plus trivial du quotidien de ces trois femmes : une adolescente mal dans sa peau, une gamine abandonnée de tous, une mère en pleine crise de la quarantaine.

Le personnage de Lana est au centre du film. Ce n’est pourtant pas le plus intéressant  qui répète celui, déjà mille fois filmé, de l’ado rebelle, pressée de perdre sa virginité pour enfin rentrer dans le monde des adultes. Elle le fera dans les bras d’un séduisant journaliste au risque de briser le cœur d’un ami d’enfance qui se consumait d’amour pour elle.

Le personnage de Irena est autrement plus riche. Cette – belle – femme sent la vie lui glisser entre les doigts dans un bar qu’elle a racheté en se couvrant de dettes mais qu’elle ne parvient pas à faire prospérer, la faute à une promenade, construite par la mairie, qui attire les rares touristes loin de son établissement. Le père de Lana a disparu depuis longtemps. Irena couche de temps en temps avec le maire, malgré le lourd passif qui les oppose. Son désarroi et l’énergie qu’elle met à en venir à bout sont l’occasion des plus beaux passages de ce film inabouti mais prometteur.

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La Belle ★☆☆☆

La petite Irma vit seule avec sa mère. L’adorable fillette a trouvé chez les enfants des voisins, en pâmoison devant sa grâce, une cour d’admirateurs conquis. Mais l’arrivée d’un nouveau petit voisin qui refuse de reconnaître sa beauté la plonge dans le désespoir.

Inédit en France, La Belle a été tourné en noir et blanc en 1969 par le réalisateur lituanien Arunas Žebriūnas. Sa sortie – confidentielle – sur quelques écrans parisiens est l’occasion de découvrir qu’existait avant la Chute du Mur, avant Sharunas Bartas et Alanté Kavaïté, un cinéma en Lituanie.

Ce film de soixante-trois minutes est minimaliste. Il ne quitte pas d’une semelle la gracieuse Inga Mickyté – dont on serait bien curieux de savoir ce qu’elle est ensuite devenue. L’inspiration de Arunas Žebriūnas est aisément identifiable : la Nouvelle Vague et Les Quatre cents coups de Truffaut. Pour autant, il ne s’agit pas, comme chez Truffaut de filmer les facéties de l’enfance ou ses révoltes rentrées. Le cinéma de Žebriūnas emprunte plutôt au réalisme poétique, embarquant la gamine dans une quête, un brin poseuse, de l’essence de la beauté qu’elle recherche dans un bouquet d’aurone en fleurs. Le tout sur une musique très référencée qui rappelle l’acoustique de François de Roubaix.

Ce qui frappe aujourd’hui dans ce film tourné un an seulement après le Printemps de Prague est son absence de tout caractère politique – sauf à considérer que l’histoire d’une enfance qui s’ennuie dessine en creux le portrait d’un système qui l’étouffe. Témoignant de ce que le pouvoir soviétique autorisait l’expression des cultures locales, on s’exprime en lituanien tout le long du film et non en russe (mais je n’ai pas réussi à vérifier que les dialogues étaient d’origine ou résulteraient d’une post-synchronisation plus récente). Et La Belle montre Vilnius, le va-et-vient indolent de ses habitants, les berges paisibles de la rivière qui la traverse, comme n’importe quelle ville au monde.

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