Ex Libris ★★☆☆

À près de quatre-vingt-dix ans, Frederick Wiseman continue inlassablement à radiographier les États-Unis. Qu’il filme un hôpital psychiatrique (Titicut Follies), une université (At Berkeley) ou un musée (National Gallery), sa méthode est toujours la même. Pas de voix off, pas de sous-titres. Un tour du propriétaire qui présente l’institution dans sa complexité et selon un montage qui n’en révèlera qu’a posteriori la cohérence. Un format volontairement hors normes (Ex Libris dure plus de trois heures, At Berkeley en durait plus de quatre) qui permet d’aller au fond des choses au risque parfois de laisser sur le bord du chemin le spectateur inattentif.

Il y a dans l’œuvre de Wiseman une cohérence de la forme et du fond. La méthode qu’il utilise, exigeante et rigoureuse, convient parfaitement à la description d’un temple du savoir comme une bibliothèque ou une université. Elle l’était moins pour un cabaret (Crazy Horse) ou une salle de gym (Boxing Gym).

Son angle d’attaque est simple : il s’agit de montrer qu’une bibliothèque n’est plus un simple lieu de stockage de libres poussiéreux mais est devenue, sous l’effet notamment mais pas seulement de la révolution technologique, un carrefour des connaissances. D’ailleurs, ce qui frappe dans Ex Libris c’est qu’on n’y voit et qu’on n’y parle guère de livres : la New York Public Library passe son temps à organiser des colloques, des concerts, des rencontres, des cours pour adultes ou pour enfants… La thèse est pertinente et convaincra aussi bien les professionnels, ravis de voir leur métier décrit avec tant d’empathie, que les usagers, enthousiasmés devant tant de richesses à portée de mains ou de clics.

Il est difficile de trouver à redire à cette ode au savoir et à l’intelligence, ce panégyrique à un lieu où s’allient au plus haut point le culte des humanités, les pratiques managériales les plus modernes et le respect dû à tous les publics. Il y a toutefois dans cette description très américaine d’une institution éminemment américaine une façon de faire par trop américaine : une manière, sans y prendre garde, de promouvoir une éthique de l’excellence, du surpassement de soi totalement dépourvue d’humour et, plus grave, de modestie.

La bande-annonce

La Prisonnière ★★★☆

On connaît de Clouzot les chefs d’œuvre en noir et blanc qu’il a réalisés pendant les années quarante et cinquante : L’Assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des Orfèvres, Le Salaire de la peur, Les Diaboliques
La rétrospective qui lui est consacrée permet de découvrir des œuvres moins connues. Ainsi de cette Prisonnière – sans rapport avec le cinquième tome de la Recherche – sortie en couleurs en 1968, le dernier film de sa carrière.

Ce film n’a pas grand’chose à voir avec les précédentes réalisations du maître. Celles-ci inspirés des films noirs américains, notamment de Fritz Lang, sont le témoignage d’une époque. Celui-là en est le témoignage d’une autre : les années soixante, l’expérimentation artistique, la liberté sexuelle… Loin de s’endormir sur ses lauriers et de tourner ad nauseam le même film en utilisant les mêmes recettes, Clouzot a le courage de s’aventurer dans de nouvelles voies. Cette inlassable remise en question rappelle les années Mao de Godard – telles qu’elles ont été parfaitement décrites dans Le Redoutable – ou la démarche d’un Antonioni dans Blow Up (1966) ou d’un Buñuel avec Belle de jour (1967). Il n’est pas anodin que ces films aient vu le jour à la même époque et aient exploré les mêmes thématiques.

Comme Blow up, comme Belle de jour, La Prisonnière est un film qui interroge les frontières du désir. Grand collectionneur, Clouzot imagine une fiction censée se dérouler dans le monde de l’art. Son héros Stanislas est un riche dilettante qui dirige une galerie d’art contemporain (Laurent Terzieff). Dans son appartement, il photographie des modèles qu’il dénude et qu’il soumet. Il expose dans sa galerie les réalisations de Gilbert (Bernard Fresson). La compagne de celui-ci Josée (Elisabeth Wiener) est attirée par Stanislas. Elle accepte de poser pour lui au risque de se perdre.

La Prisonnière parle de sexe. Des pulsions sexuelles qui passent d’abord par le regard.  Stanislas expose dans sa galerie des œuvres qui jouent avec notre vision : des mobiles, des trompe-l’œil, des œuvres cinétiques de Vasarely ou Soto, des peintures géométriques de Geneviève Claisse. À l’étage, le regard fou, les yeux verts magnétiques, il photographie des modèles dans son cabinet secret, encombré de peintures et de sculptures qui créent une atmosphère lourde. Il ne touche pas ses modèles. Impuissant, il jouit à travers l’œil. Il jouit aussi de la domination qu’il exerce sur elles. Au rez-de-chaussée et à l’étage, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, c’est au fond le même homme : voyeur et dominateur.

Comme dans Cinquante nuances de Grey, une petite oie découvre le SM au contact d’un homme plus âgé et plus riche qu’elle. Les fantasmes misogynes du vieux Clouzot (il filme La Prisonnière à soixante ans passés) peuvent faire sourire ou embarrasser. Comme devant un mauvais film d’Alain Robbe Grillet, on peut ricaner de cet érotisme de romans photos. Un érotisme sulfureux que la seconde partie du film désamorce voire annule, soulignant mièvrement qu’il n’y a pas de sexe sans amour – là où la morale d’Emmanuelle, six ans plus tard, sera nettement moins conventionnelle.

Pour autant, les scènes érotiques de La Prisonnière suscitent un frisson que des réalisations plus récentes ne créent pas. De Neuf semaines et demie à Cinquante nuances… le cinéma soi-disant érotique évolue pour le pire. Il y a dans La Prisonnière une recherche esthétique et une sincérité érotique que ces superproductions, formatées pour émoustiller les couples à la Saint-Valentin, ont perdues.

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La Montagne entre nous ★☆☆☆

Alex (Kate Winslet) est photographe et se marie le lendemain. Ben (Idris Elba) est un chirurgien attendu pour une opération urgente. Ils sont tous deux bloqués dans l’Idaho et décide d’affréter un bimoteur. Hélas, l’avion s’écrase dans des montages enneigées.

La Montagne entre nous tente de croiser deux genres : le survival movie (nos deux héros survivront-ils au froid et à la faim ?) et la romance (finiront-ils par tomber amoureux ?). Toute ressemblance ne serait pas entièrement fortuite avec l’oubliable Six jours et sept nuits (1998) où Harrisson Ford – qui n’en avait déjà plus l’âge – et Anne Heche – dont la qualité du jeu se réduisait à son T-short mouillé – s’échouaient sur une île déserte, bravaient mille morts avant de fondre dans les bras l’un de l’autre,

Pour autant, malgré sa conclusion attendue et son épilogue inutile, La Montagne entre nous n’est pas un navet. Le charisme de ses deux héros le lui épargne de justesse. Kate Winslet, qui acquit à vingt-deux ans à peine une gloire intergalactique avec Titanic, a survécu à cet écrasant succès. Elle a fait carrière en jouant les rôles-titres de films aussi marquants que Eternal Sunshine of a spotless mind, The Reader ou Les Noces rebelles. Elle démontre ici qu’elle est aussi à l’aise sur un glacier que sur un iceberg.
La renommée d’Idris Elba est plus récente. Repéré dans la série The Wire, ce Britannique tout en muscles fait son trou. Son nom circule avec insistance pour remplacer Daniel Craig dans le rôle de James Bond. Certains s’en insurgent déjà n’imaginant pas un 007 noir. Son rôle dans La Montagne entre nous, où la couleur de peau du personnage importe peu, est un argument convaincant au soutien de sa candidature à la plus célèbre franchise du monde.

La bande-annonce

Le Brio ★☆☆☆

Sur l’affiche deux personnes se font face. Alliés ? Ou ennemis ? D’un côté Neïla Salah (Camélia Jordana starlette de la chanson – La nouvelle star – passée au cinéma) : une jeune beurette de banlieue fait sa rentrée en fac de droit à Assas. De l’autre Pierre Mazard (Daniel Auteuil toujours aussi cauteleux) : un vieux cacique cravaté et raciste l’attaque frontalement pour son retard, son langage et sa tenue vestimentaire avant d’être obligé par le président de l’université de la préparer au concours d’éloquence pour faire pièce aux critiques qui le ciblent sur les réseaux sociaux.

J’ai hésité près de deux mois à aller voir Le Brio. Les conseils de quelques amis, son succès insolent au box office (où il s’achemine doucement vers les deux millions d’entrées) ont fini par me convaincre. Et je serais définitivement malhonnête si je refusais d’admettre que je n’avais pas été touché par cette histoire, par ses personnages, par sa conclusion surprenante – là où j’attendais inévitablement le succès triomphal de Neïla en finale du concours.

Pour autant, comment ne pas exprimer des réticences devant tant de caricatures et de simplifications ? À commencer par cette affiche. La photo est prise dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne – alors que l’action est censée se dérouler rue d’Assas à Paris II – et Neïla Salah arbore fièrement un code civil – alors que Pierre Mazard enseigne l’histoire du droit.

Neïla, le cheveu noir, la langue bien pendue, une mère célibattante, une grand-mère débordante d’amour (on retrouve les trois générations de L’Art de perdre, l’extraordinaire roman d’Alice Zeniter), habite un HLM à Créteil. Pierre Mazard constitue son parfait opposé : un mandarin de la faculté, caparaçonné dans son costume-cravate, emmuré dans ses certitudes, qui dîne seul dans un bistro du Quartier latin et vit rue Malebranche.

Comme de bien entendu, nos deux héros, si différents, vont commencer par se détester. Comme de bien entendu, ils vont finir par s’adorer. Ce schéma a déjà fait ses preuves : La Grande vadrouille, L’Arme fatale, Intouchables… Le film déroule sagement toutes les étapes de cette histoire cousue de fil blanc, l’égrenant de quelques préceptes simplistes : pour réussir, il faut se tenir droit, bien articuler et soigner ses apparences.
Sous des abords politiquement correct (acceptons les autres et leurs différences), il charrie en fait un conservatisme sans âge (l’intégration suppose la soumission aux règles de la majorité).

À ce film formaté, concocté pour les dimanches soirs de France 2, préférez sans hésiter l’un des tous meilleurs documentaires de l’année passée, À voix haute, qui suit les candidats du concours Eloquentia et leurs coachs.

La bande-annonce

Si tu voyais son cœur ★☆☆☆

Daniel (Gael Garcia Bernal) ne se remet pas de la mort de son meilleur ami (Nahuel Perez Biscayart). Il échoue dans un hôtel miteux tenu par Michel (Karim Leklou). Francine (Marine Vacth) y occupe aussi une chambre.

La bande-annonce du premier film de Joan Chemla m’avait mis l’eau à la bouche. Tout semblait réuni pour une réussite : une brochette de jeunes acteurs prometteurs, une mise en scène léchée, un film de genre poisseux… Hélas passée la première scène, qui  nous plonge dans un mariage gitan, la magie n’opère pas.

À trop vouloir filmer un milieu, Joan Chemla oublie de raconter une histoire. Elle veut le faire, comme il est aujourd’hui de rigueur, en déconstruisant le récit, en multipliant les retours dans le passé. Si tu voyais son cœur est l’histoire d’un deuil où l’on voit beaucoup le défunt. Sa mort, absurde (il tombe d’un pylône SNCF alors qu’il y dérobait des fils de cuivre), apparaît sur l’affiche et revient comme un refrain – au point de laisser croire, au spectateur habitué aux scénarios à double fond, qu’elle recèle un secret qui se dévoilera ultérieurement.

La périphérie d’une grande ville méditerranéenne – on reconnaît sans la nommer Marseille – est filmée à rebours de tout naturalisme. Au contraire, Joan Chemla prend le parti de l’hyperstylisation, éclairant, sur une musique de l’indémodable Gabriel Yared, l’hôtel Métropole comme Wenders ou Beineix l’auraient fait.
Les acteurs sont excellents. En particulier, Karim Leklou dont je dis ici le plus grand bien depuis sa révélation dans Coup de chaud, l’un de mes coups de cœur 2015, et Marine Vacth, sans doute l’actrice la plus belle du cinéma français contemporain à défaut d’être la plus talentueuse.
Le problème du film est qu’il repose sur du vent. Son scénario, d’une plate banalité, tient en trois phrases. Malgré les qualités qu’on sent poindre chez la jeune réalisatrice, ce défaut est rédhibitoire. Au style bien moins ambitieux, mais grâce à un scénario plus charpenté, Money, sorti l’automne dernier sur un sujet très similaire (une bande de jeunes menant des activités louches dans une ville portuaire), était, dans ce genre, autrement réussi.

La bande-annonce

Downsizing ★☆☆☆

Dans un avenir proche, des scientifiques norvégiens sont parvenus à miniaturiser l’humain. En quelques années le procédé se généralise. Il a un alibi écologique : la miniaturisation, qui permet la réduction de la pollution, est un remède à la surpopulation et à la raréfaction de l’espace et des ressources. Mais il a surtout un avantage individuel : les Américains miniaturisés peuvent espérer un bien meilleur niveau de vie (loyers ridicules, biens de consommation courante à prix minuscules). C’est ce second aspect qui séduit Paul Safranek, un ergothérapeute du Nebraska, et sa femme, fatigués d’une vie médiocre où l’accession à la propriété demeure un rêve inaccessible.

Downsizing démarrait bien. Avec un pitch qui rappelle les délires de Michael Gondry, le réalisateur de Dans la peau de John Malkovich. D’ailleurs sa première moitié est enthousiasmante. Elle commence par un prologue en Norvège où, en quelques plans hilarants, est présentée l’invention. Puis l’on découvre Matt Damon, l’un des acteurs qui, avec Tom Hanks personnifie le mieux l’Américain moyen, bon fils, bon mari (manque à son couple les enfants et le chien qui complètent traditionnellement le parfait foyer américain). Il mène à Omaha une vie sans éclats et décide de se faire miniaturiser avec sa femme. La description de la miniaturisation, menée dans une clinique ultra-moderne selon un processus rigoureux (il faut raser les poils qui semble-t-il, ne se miniaturisent pas à due concurrence pour éviter que les Minimoys se retrouvent transformés en yétis miniatures) nous maintient en haleine. Et c’est ensuite la découverte de la vie miniaturisée, assombrie pour le malheureux héros par une circonstance que je ne dévoilerai pas – même si des critiques moins scrupuleux le font sans vergogne.

La seconde moitié du film commence. Ce n’est pas la meilleure. Pourtant, un boulevard s’ouvrait aux scénaristes de Downsizing. Sur la forme comme sur le fond, ils avaient carte blanche pour inventer tout et n’importe quoi. En particulier, ils auraient pu utiliser le changement d’échelle plus qu’ils ne le font. Mise à part une rose qui, à l’échelle du nouveau monde de Paul a la taille d’un palmier, l’ancien monde, le monde des « grands » a disparu. Tout se déroule désormais à la même échelle alors que le ressort comique et dramatique du film résidait précisément dans l’utilisation de cette différence d’échelle : on pense au chat monstrueux qui attaque le héros de L’Homme qui rétrécit (1957).

Plutôt que d’utiliser cette veine, Alexander Payne invente une histoire entre Paul et Ngoc Lan Tran, une Vietnamienne miniaturisée par son gouvernement pour avoir protesté contre sa politique. Au-delà de ce personnage, l’histoire va révéler que le monde merveilleux de Leisureland est moins doré qu’il n’y paraît ; car, pour permettre aux happy few de faire la fête, il faut toujours un lumpenprolétariat qui vide leurs poubelles et nettoie leurs appartements. L’histoire nous ramène finalement en Norvège, dans la colonie primitive des premiers « petits » qui se prépare à faire face à une menace apocalyptique : des émissions massives de méthane antarctique menace l’humanité. La conclusion, prévisible, a une résonance rétrograde et laisse un malaise.

Downsizing repose sur un postulat économique et psychologique discutable. Économiquement, le coût de la vie des Minimoys serait-il réduit à due proportion de leur taille ? Pas sûr. Une maison de 1 m² coûte-t-elle cent fois moins cher qu’un appartement de 100 ? Sans doute le prix du terrain est-il proportionnel. Mais quid des travaux, de l’aménagement, de l’ameublement qu’il faudrait confier soit à une main d’œuvre « grande » mais hyper-spécialisée soit à une main d’œuvre « petite » sans économie de taille ? Et psychologiquement, qui accepterait de se miniaturiser irréversiblement ? Qui accepterait d’être transformé en homuncule de douze centimètres, insignifiant et vulnérable ?

On me répondra que Downsizing est une fable et qu’il ne faut pas s’arrêter à de telles arguties. Et on aura raison … mais quand même …

La bande-annonce

Le Mystère Picasso ★☆☆☆

Picasso peint. Clouzot le filme.

« On donnerait cher pour savoir ce qui s’est passé dans la tête de Rimbaud quand il écrivit Le Bateau ivre, dans celle de Mozart quand il composa la Symphonie Jupiter« . Ces mots, prononcés en voix off par Clouzot, nous introduisent à un documentaire singulier. On y voit Picasso en train de peindre, le processus créatif en train de se réaliser.

En 1955, Picasso et Clouzot sont chacun au sommet de leur art. À soixante-dix ans passés, le peintre espagnol n’a jamais été aussi productif, aussi célèbre, aussi polémique. De vingt ans son cadet, Clouzot vient de réaliser Le Salaire de la peur et Les Diaboliques. La passion partagée de la corrida les rapproche. Clouzot s’essaie à la peinture. Il est fasciné par le génie et la créativité de Picasso.

Clouzot utilise un procédé cinématographique particulièrement astucieux pour le mettre en scène. Il place la toile entre la caméra et le peintre. Picasso, invisible, utilise des pinceaux et des encres qui la traversent. La caméra filme le verso de la peinture en train de se faire, comme par magie. On voit ainsi Picasso réaliser une vingtaine d’œuvres. La réalisation des premières, à l’encre, est filmée en temps réel. Celle des secondes, à l’huile, plus longue, est filmée en plans fixes assemblés au montage. Entre les deux, un entracte nous révèle le dispositif : Picasso, torse nu, l’œil vif, qui peint et Clouzot qui le filme avec son chef opérateur Claude Renoir (le petit-fils d’Auguste et le neveu de Jean).

La virtuosité de Picasso éclate. Quelques traits suffisent à esquisser une femme nue, un cheval, un torero. On essaie d’anticiper. On y réussit parfois ; on échoue souvent. Dans un cas comme dans l’autre, on est impressionnés.

Alors d’où vient mon manque d’enthousiasme ? D’une part de la durée de film. Prévu au départ pour être un court-métrage d’une dizaine de minutes, il aurait gagné à conserver ce format. Malgré les tentatives de Clouzot d’en dramatiser l’action, les peintures se succèdent avec monotonie. D’autre part et surtout de mon manque de goût pur la peinture de Picasso. J’en reconnais volontiers la vitalité, l’énergie, la puissance. Mais je n’y ai jamais trouvé la sensualité, la délicatesse, la beauté susceptibles de me toucher.

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Prendre le large ★★☆☆

Édith travaille dans une usine textile en cours de délocalisation au Maroc. À quarante cinq ans, son mari décédé, son fils monté à Paris, seule et sans attaches, elle décide de « prendre le large » : elle renonce à ses indemnités de licenciement et accepte la proposition de reclassement qui lui est faite au Maroc.

Gaël Morel est une réalisateur original. Il a commencé sa carrière comme acteur, devant la caméra d’André Téchiné (Les Roseaux sauvages, Loin), avant de passer derrière.

Sa dernière réalisation se déroule à Tanger, une ville qui a été souvent filmée : par Téchiné lui-même (Loin, Les Temps qui changent), par Bertolucci (Un thé au Sahara), par Jarmusch (Only Lovers Left Alive). Mais le personnage d’Édith est différent de ces touristes blancs qui déambulent dans la casbah. Elle est une ouvrière comme les autres, qui prend le même minibus chaque matin, où le port du voile est de rigueur, pour aller dans une usine textile de la zone franche où la paie est misérable et les conditions de travail bien loin des standards occidentaux.

Cet angle est intéressant. Il nous capte dans la première moitié du film, le temps qu’Édith s’installe dans sa nouvelle vie, entre l’usine où elle travaille et la pension de famille où elle a trouvé à s’héberger. Mais Prendre le large fait ensuite du surplace, jusqu’à un épilogue attendu et convenu.
Autre bémol : Sandrine Bonnaire. Il est de bon ton de la tenir pour une star depuis Sans toi ni loi qui lui valut le César de la meilleure actrice à dix-huit ans à peine. Je n’ai jamais été convaincu par son joli sourire et son jeu très pauvre. Ici elle manque cruellement de crédibilité : elle a une élégance, une diction, un port de tête beaucoup trop aristocratique pour rendre crédible le personnage d’Édith.

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Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia ★★☆☆

Un parrain mexicain, El Jeffe, met à prix la tête d’Alfredo Garcia qui a mis sa fille enceinte. Le million de dollars promis attise les vocations. Bunny, un pianiste de bar, apprend de Elita que Garcia vient de se tuer dans un accident de voiture. Il décide de traverser le Mexique pour aller exhumer son cadavre et en ramener la tête à El Jeffe.

Sam Peckinpah est un réalisateur emblématique des années 70. Les États-Unis se cherchent après le Vietnam et Woodstock. Hollywood est le reflet fidèle de ces temps d’incertitudes.
Peckinpah fait son entrée fracassante dans l’arène des grands avec un western crépusculaire : La Horde sauvage (1969). Obsédé par la violence, rongé par ses démons intérieurs (il est alcoolique et cocaïnomane), il enchaîne les chefs d’œuvre : Les Chiens de paille (1971), Le Guet-apens (1972), Pat Garrett et Billy the kid (1972).

Apportez-moi la tête… est son chant du cygne. Warren Oates, qui avait déjà interprété le rôle principal de La Horde sauvage, double autobiographique du réalisateur, promène son cynisme et son grand cœur sur les routes du Mexique – où Peckinpah s’était installé pour fuir Hollywood. En chemin, accompagné d’une prostituée au cœur tendre, il rencontre des motards sadiques (on reconnaît Kris Kristofersson dans l’un de ses tout premiers rôles), d’autres chasseurs de prime, des villageois inhospitaliers…

La scène finale n’est pas aussi connue que celle de La Horde sauvage. Mais elle en a la même sauvagerie absurde, la même énergie désespérée.

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La Lune de Jupiter ★☆☆☆

Aryan, un jeune migrant syrien, est blessé par arme à feu en tentant de franchir la frontière serbo-hongroise. Le docteur Stern qui le soigne découvre que son patient est désormais doté de dons surnaturels. Il décide d’en tirer un parti lucratif.

La Lune de Jupiter s’inscrit au croisement de plusieurs genres.
Son affiche et son pitch pourraient laisser augurer un film de superhéros doté de superpouvoirs se battant contre des super-méchants.
Mais La Lune de Jupiter ne joue pas dans la cour des Superman ou des Batman. Et c’est tant mieux. Réalisé et tourné en Hongrie, c’est avant tout un drame politique en lien avec l’actualité dramatique de la crise des réfugiés qui interroge la capacité – ou l’incapacité – de nos sociétés à accueillir dignement ces migrants.
Enfin La Lune de Jupiter est l’histoire de la rédemption d’un homme, le docteur Stern, un ripoux que la rencontre avec Aryan obligera à reconsidérer ses valeurs.

La mise en scène de Kornél Mundruczó est bluffante. Trop peut-être. Un premier plan-séquence nous fait partager la peur des migrants qui franchissent sur de frêles embarcations et sous le feu des balles des garde-frontières la rivière les séparant de l’espace Schengen. On croit qu’il s’agit d’une mise en bouche, comme on en voit souvent, annonçant un film au cours plus paisible. Mais ce n’est pas le cas. Chaque scène est filmée avec autant de brio : on assiste tour à tour au sac d’un appartement, à un attentat terroriste dans le métro, à une course poursuite au ras du bitume de Budapest et enfin à une fusillade dans un grand hôtel.

Du coup, époustouflé par autant de talents, on se détourne de l’histoire pour ne plus regarder que la technicité de chaque plan en se demandant ébahi : « mais comment diable a-t-il réussi à filmer ça ? ». La Lune de Jupiter est un exemple – assez rare – de film dont le brio de son réalisateur réussit à gâcher l’intérêt. Tant pis pour le film. Tant mieux pour Kornél Mundruczó dont je parie mon quatre-heures qu’il aura été repéré par Hollywood et qu’on le retrouvera bientôt, pour le meilleur ou pour le pire, aux manettes de Fast & Furious 10 ou Star Wars 11.

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