Good Time ★★☆☆

Connie (Robert Pattinson) a un frère Nick déficient mental (Benny Safdie). Il l’associe au braquage d’une banque qui tourne mal. Nick est arrêté. Connie parvient à s’enfuir mais il met tout en œuvre pour sortir son frère de prison.

Le quatrième film des frères Safdie emprunte à plusieurs sources.

Le lien indestructible qui unit Connie à son frère rappelle l’amitié des deux héros de Des souris et des hommes. Il aurait pu constituer le sujet unique du film. Mais hélas, le scénario le perd en cours de route. Au milieu du film, alors que Nick est emprisonné à Rikers Island – prison désormais bien connue en France pour avoir hébergé DSK au printemps 2011 – l’histoire se focalise sur le seul Connie.

Du coup, Good Time lorgne du côté de After Hours : soit l’histoire d’un homme perdu dans New York et y accumulant les déboires. Connie en effet tente de faire évader Nick de l’hôpital où il a été transféré après une rixe. Ses pas croiseront ceux d’un autre détenu. Ils prendront un bus, s’installeront chez des braves New Yorkais du Queens, pénètreront ensuite dans un parc d’attractions pour y retrouver un magot qui y aurait été planqué…

Denier emprunt pour les lumières : Tangerine de Sean Baker. Et pour la musique électro omniprésente voire envahissante : Heat de Michael Mann. Deux films qui d’ailleurs racontent, eux aussi, une longue nuit d’errance dans une mégapole américaine (ici L.A, là N.Y.).

On a beaucoup dit que Robert Pattinson était épatant. En tournant avec les plus grands (Cronenberg, Gray, Corbijn), la star de Twilight montre qu’elle ne se réduit pas à une jolie frimousse affichée aux murs des chambres d’ados boudeuses. Il est de chaque plan. Sa présence enfiévrée habite le film.
Mais on a moins souligné la prouesse de Benny Safdie, le co-réalisateur du film, dans le rôle de Nick. Son interprétation est sidérante. Au point qu’on regrette que la caméra le quitte pour se focaliser sur le beau Robert.

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Les Terrasses ★★★☆

Merzak Allouache s’est fait connaître avec des comédies grand public : Chouchou (qui avait lancé Gad Elmaleh) ou Bab el Web (qui avait lancé Faudel). Le ressort de ces comédies pas toujours fines : traiter par l’humour les décalages culturelles entre la France et l’Algérie.

L’humour en moins, la finesse en plus, Merzak Allouache est revenu filmer Alger du haut de ses terrasses.

Cinq terrasses, cinq quartiers, cinq histoires.
Tout aussi sombres les unes que les autres : un frère qu’on torture pour qu’il cède sa part d’héritage, un vieil oncle qu’on séquestre, des jeunes enrôlés par un imam djihadiste, des squatteurs qu’on expulse, des propriétaires qu’on assassine…

Cette accumulation est servie par une remarquable mise en scène. Le réalisateur évite le film à sketches, composé de cinq chapitres successifs, et lui préfère, comme Alaa Al Aswany dans L’Immeuble Yacoubian, une composition plus complexe où les histoires s’entremêlent et se répondent.

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Titicut Follies (1967) ★★★☆

Frederick Wiseman tourne en 1967 son tout premier documentaire, dans un noir et blanc granuleux, avec un son inaudible, dans le service psychiatrique d’un hôpital militaire. Il n’est pas encore le « pape du documentaire » mondialement reconnu, consacré en 2017 par un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. Mais, déjà, il a posé les règles dont il ne s’éloignera guère et auquel le documentaire contemporain a l’obligation de se conformer : montrer plus que démontrer en filmant sans commentaire, sans voix off, sans sous-titres.

Pour ces raisons, Titicut Follies impressionne par sa modernité. C’est un documentaire marquant de l’histoire du documentaire. Mais c’est aussi un documentaire inscrit dans son époque : un temps où les Noirs étaient minoritaires dans les établissements pénitentiaires, un temps où les gardiens et même les médecins avaient la clope vissés au bec, un temps où la guerre du Vietnam constituait l’arrière-plan politique de la vie en prison.

Mais, au-delà de ces considérations historiographiques, Titicut Follies impressionne voire traumatise par le portrait sans concession qu’il fait de la vie en prison. On est loin de l’artificialité des séries américaines (Prison Break, Orange Is the New Black) qui donnent au spectateur une fallacieuse impression de familiarité. Wiseman filme des prisons sales, bruyantes, incroyablement dures aux hommes.

Au vu de ce portrait à charge de l’institution pénitentiaire, on se demande comment Wiseman a pu obtenir l’autorisation de filmer. D’ailleurs, on n’est qu’à moitié surpris par le jugement rendu par la Cour du Massachusetts qui en a interdit la diffusion (Wiseman s’était pourvu devant la Cour suprême mais sa requête n’a pas été examinée) non pas pour maintenir le secret sur les pratiques répréhensibles des services pénitentiaires mais par respect pour la vie privée des patients livrés nus à l’œil inquisiteur d’une caméra.

Car Wiseman filme les patients de la prison de Bridgewater dans leur traumatisante nudité. Il montre un fou qui déblatère sans queue ni tête, un autre qui est intubé pour être nourri de force, un troisième (le même ?) dont on fait la toilette mortuaire avant de sceller son cercueil, un autre encore qui essaie vainement de convaincre une commission de révision qu’il est sain d’esprit et n’a pas sa place ici. Les images sont crues, brutales. Sans doute cette vérité sert-elle à nourrir un procès. Le procès d’une psychiatrie d’un autre âge – comme Vol au-dessus d’un nid de coucou allait la dépeindre huit ans plus tard. Soigner et punir pour paraphraser Foucault – dont les travaux sur le bio-pouvoir sont contemporains. Mais ces images sont aussi celles d’humains souffrants qu’on en peut regarder sans souffrir à son tour.

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Nos années folles ★★☆☆

Paul (Pierre Deladonchamps) est marié à Louise (Céline Salette). Il est mobilisé lorsque la Première guerre mondiale éclate. Blessé, traumatisé, il ne veut plus retourner au front. Louise le cache dans la cave de son appartement. Mais Paul ne supporte pas la réclusion. S’il sort, il risque d’être reconnu, arrêté, passé par les armes pour avoir déserté. Louise a alors l’idée de le travestir. Paul devient Suzanne

André Téchiné nous surprend encore. Sa filmographie est impressionnante. Tous les plus grands acteurs français ont tourné avec lui : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jeanne Moreau, Juliette Binoche, Patrick Dewaere, Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil…Exception dans son œuvre, Nos années folles est  inspiré de faits réels. L’histoire de Paul Grappe a été exhumée par les historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman. Elle avait déjà inspiré la bande dessinée de Chloé Cruchaudet Mauvais genre publiée en 2013

Pourtant, Nos années folles n’est pas un film historique. C’est d’ailleurs même par sa maladresse à reconstituer une époque qu’il pêche faute de moyens. Dommage pour un film dont le titre à double sens laissait augurer plus de flonflons et de cotillons. Autre maladresse : sa façon de filmer le temps qui passe. L’action se déroule de 1914 à 1928 : Paul, qui se travestit pour éviter la prison, n’est plus dans l’obligation de le faire après l’amnistie des déserteurs mais continue portant dans cette voie. Or, on ne voit pas l’effet du temps qui passe – dont il est, c’est vrai, toujours délicat de rendre compte au cinéma ou dans la littérature. Paul et Louise ne changent pas. Ni au physique – ce qui, à la limite, est secondaire. Ni au moral – ce qui est plus grave car, précisément, le film repose sur les chemins différents qu’ils empruntent jusqu’au drame final.

Céline Salette est particulièrement convaincante dans le rôle de Louise. Cette actrice, qui se fait lentement et sûrement un nom, incarne l’amour fou. Elle aime Paul en homme ; elle aimera Suzanne avec la même passion.

Le maillon faible de Nos années folles, c’est Paul/Suzanne précisément. Il est difficile de dire du mal de Pierre Deladonchamps au sourire si attendrissant. Le problème est qu’il est trop sympathique pour le rôle. André Téchiné le dépeint comme un brave bougre qui se travestit pour ne pas remonter au front et qui prend goût à ce travestissement. En réalité Paul Grappe fut un sale type qui vécut toute sa vie aux crochets de sa femme. S’il déserta, ce fut moins par pacifisme que par lâcheté . S’il se travestit, ce fut pour pouvoir évoluer dans un monde interlope. Mari violent et abusif, il n’hésita pas à prostituer sa femme. Le personnage n’avait rien d’aimable. Et les efforts de Téchiné pour le peindre sous un jour moins défavorable font long feu.

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The Party ★★★☆

Jane (Kristin Scott Thomas) fête son entrée au gouvernement en recevant chez elle quelques intimes : April (Patricia Clarkson) son amie de toujours, avec son mari allemand (Bruno Ganz), Martha (Cherry Jones) la militante féministe et sa compagne Jinny (Emily Mortimer) qui attend des triplés, Tom (Cilian Murphy) qui est venue sans son épouse Marianne censée prendre la direction du cabinet de Jane. La soirée commence dans l’insouciance.

The Party est gâché par une mauvaise idée : ce titre ultra-référencé, emprunté à Peter Sellers et que rien ne fera oublier. Mais cette mauvaise idée est la seule d’un film qui frise la perfection.

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. The Party ressemble à du théâtre filmé mais n’en a pas les défauts. Pas d’interminables monologues. Pas d’écrasantes prestations d’acteurs. Pas d’histoires qui tournent en rond en attendant que l’amant sorte du placard.

The Party a une immense qualité : sa durée. Soixante huit minutes qui passent comme un éclair. À se demander pourquoi les films doivent tous respecter les sempiternelles quatre-vingt-dix minutes alors qu’ils gagneraient en rythme et en nerfs en s’en amputant de vingt.

En soixante-huit minutes, tout est dit. Les personnages sont introduits. La tension naît de l’anxiété de Tom, l’épatant Cilian Murphy, qui sue à grosses gouttes et cache un pistolet. Sur qui va-t-il tirer ? Sur Jane qui reçoit des SMS enflammés de son amant ? Sur son mari abruti par l’alcool ? Sur April l’insupportable amie dont les compliments sont autant de reproches ? Sur Martha qui a passé sa vie à défendre la cause des femmes ?

C’est Bill, le mari, qui le premier fait une révélation qui change du tout au tout l’ambiance de la soirée. Une deuxième bientôt lui fait suite qui transforme instantanément la victime en bourreau. Puis une troisième qui fait du procureur un accusé. Les masques se fissurent, reléguant au second plan la brillante réussite de Jane qu’on était censé fêter entre amis. Quand la sonnette retentit pour rompre le huis clos, on se souvient, sans y croire, de l’arrivée tardive d’un invité de la dernière heure. Le film se termine quand la porte s’ouvre.

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Barbara ★☆☆☆

L’affiche l’annonce : Amalric filme Balibar interprétant Barbara. Chaque patronyme compte sept lettres. Sept lettres souvent identiques : des a, des r, des b.

On est loin du biopic en bonne et due forme qui raconterait l’ascension, la gloire et la mort d’une célébrité. Un biopic classique rythmé par quelques unes de ses plus belles chansons.

L’ambition de Mathieu Amalric est autrement plus grande. C’est un fan assumé qui filme, béat d’admiration, une actrice qu’il vénère – qui fut sa compagne et la mère de ses enfants – interprétant une chanteuse qu’il adule. Amalric n’hésite pas à jouer son propre rôle, donnant à son personnage le patronyme de sa mère et le prénom d’un de ses cousins.

Barbara est donc un film sur un film en train de se faire. Mise en abyme brechtienne qui séduit d’abord avant de lasser. Sans doute faut-il saluer cette intelligente tentative de sortir des sentiers battus du biopic platement chronologique. Le problème est que Barbara tourne en rond, additionne les saynètes et ne mène nulle part.
Jeanne Balibar est – évidemment – époustouflante. Sa ressemblance avec Barbara est stupéfiante : le physique anguleux, mais aussi les intonations et la gestuelle maniérée. Amalric en joue en mêlant des documents d’archive de la vraie Barbara à des scènes filmées avec Balibar. Mais, à y bien réfléchir, on peut s’interroger sur les limites de ce psittacisme. Pourquoi faire un film avec Balibar s’il s’agit de ressusciter la « vérité » de Barbara ? Pourquoi ne pas avoir réalisé un documentaire ?

L’autre défaut est de caricaturer Barbara en diva excentrique. Elle l’était d’ailleurs peut-être largement. Toujours est-il que sa diction outrée et ses états d’âme deviennent vite horripilants. Plus grave : à force d’insister sur l’a-normalité de Barbara, le film de Mathieu Amalric finit par la dé-réaliser. Et la femme Barbara, trop excessive, trop vouvoyante, trop fétichiste, trop stressée, trop tout, ne nous touche plus.

Restent son talent fou, sa voix ensorcelante et ses chansons merveilleuses. Un génie intemporel qui puise son inspiration dans les années 50 mais qui n’a pas pris une ride. On sort de la salle en fredonnant Nantes, Göttingen, L’Aigle noir ou Ma plus belle histoire d’amour et avec l’irrépressible envie de réécouter la discographie de cette immense chanteuse.

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Ce qui nous lie ★★☆☆

Le film commence avec le retour de Jean au bercail, dans la ferme vinicole qu’il a quittée cinq ans plus tôt pour aller faire le tour du monde, laissant sa sœur Juliette et son frère Jérémie avec ses parents.

Jean est revenu car son père se meurt. Les héritiers doivent se partager l’héritage. Vendra ? Vendra pas ?

Le défaut de Ce qui nous lie est qu’on sait dès les premières images comment le film finira. Bien évidemment, Jean, Juliette et Jérémie vont s’engueuler. Mais bien évidemment ils se réconcilieront et trouveront une solution qui saura ménager les intérêts de chacun : Jean et ses désirs d’exotisme, Juliette et son génie hérité de son père pour le vin, Jérémie et sa belle-famille compliquée.

Autre défaut, le tire-larmisme revendiqué de la moindre scène. Mais un tire-larmisme auquel, malgré qu’on en ait, on se laisse prendre, mouillant volontiers un coin de mouchoir lorsque Jean retrouve le fils qu’il a eu à l’autre bout du monde avec une jolie Australienne ou lorsque Juliette se laisse embras(s)er par un joli vendangeur.

Car Cédric Klapisch sait y faire. Il n’a pas signé quelques uns des meilleurs films français de ces trente dernières années pour rien : Le Péril jeune, Un air de famille, L’Auberge espagnole… Il sait donner vie à ses personnages, occuper un décor, filmer les groupes. Il n’est jamais meilleur que dans des scènes purement gratuites d’humour burlesque : ici celles où les héros gentiment alcoolisés laissent s’exprimer leurs refoulements.

Même si on trouvera convenue l’histoire de ce retour au bercail d’un fils prodigue, on se laissera prendre au jeu de sa bien-pensance si reposante (si si ! c’est une critique positive !)

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Avant la fin de l’été ★☆☆☆

Arash, Hossein et Ashkan sont Iraniens. Ils vivent en France. Alors qu’Arash a décidé de rentrer au pays, ses deux amis réussissent à le convaincre de partir une dernière fois en vacances dans le sud de la France. Ils espèrent le faire revenir sur son projet.

Avant la fin de l’été est un film profondément sympathique. Par sa réalisatrice au patronyme imprononçable, moitié-belge, moitié-suisse, moitié iranienne (subtil clin d’œil à Marcel Pagnol) qui l’a filmé avec deux bouts de ficelle. Par ses acteurs amateurs et improbables au premier rang desquels Arash et son débonnaire quintal. Par son sujet enfin : le mal-être d’étudiants étrangers qui, après plusieurs années passées en France ne se sentent plus tout à fait iranien mais pas vraiment français.

Le problème de Avant la fin de l’été est que, une fois planté ce décor sympathique, il fait du surplace. C’est ennuyeux pour un road movie. Sans doute nos joyeux drilles se déplacent-ils : ils assistent aux cérémonies du 15-août à Noirétable (Loire), ils musardent dans les Corbières, ils se baignent dans l’étang de Thau. Mais l’action, elle, n’avance pas. L’arrivée de deux filles rencontrées dans un restoroute (sic) n’y fera rien. On finit par s’ennuyer. Le comble pour un film de quatre vingts minutes qu’on aurait pourtant tant aimé aimer.

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Été 93 ★☆☆☆

Frida a six ans. Elle a perdu sa mère d’une maladie dont, en 1993, on n’ose toujours pas prononcé le nom. Son père aussi est mort. Elle quitte l’appartement familial de Barcelone pour la campagne catalane où son oncle, Esteve, sa tante, Marga, et sa cousine, Anna, la prennent sous leur garde. L’été commence.

Vous avez aimé Jeux Interdits ? Crias Cuervos ? Vous adorerez Été 93. Le sujet en est le même : un orphelin confronté à la mort de ses parents. Le traitement en est le même : un lent travail de deuil filmé à travers les yeux de l’enfant qui l’accomplit. Le problème est que Été 93 arrive après ces deux immenses chefs d’œuvre – et n’a pas une bande originale aussi mythique.

Sans doute, Carla Simón réussit-elle à éviter toute mièvrerie. Son héroïne ne cabotine pas comme le font si souvent les acteurs mal dirigés de cet âge. Frida est une enfant de six ans, avec ses incohérences, son chagrin rentré et la méchanceté qu’elle laisse parfois échapper, à l’égard de ses nouveaux parents d’adoption et de leur petite fille.

Les défauts du film découlent de son parti pris qui trouve vite ces limites. L’histoire de Frida est filmée à travers ses yeux. Mais il y a une différence entre ce qu’elle voit ou entend – et que le spectateur voit et entend avec elle – et ce qu’une enfant de six ans en comprend. Pour le dire autrement : le film donne à voir la réalité confuse qu’une enfant perçoit mais ne nous met pas à égalité avec elle dans ses difficultés à l’analyser.

Autre défaut : un scénario qui ne cède pas à la facilité de ponctuer cette chronique d’un été sans histoires de tout événement mais qui du coup s’enferme lentement dans un émollient ennui. On me rétorquera que la scène finale est bouleversante. Sans doute ferait-elle pleurer les pierres. Mais, tout bien considéré, elle est trop prévisible pour être pleinement convaincante.

La bande-annonce