Les Linceuls ★☆☆☆

Karsh (Vincent Cassel) est un riche quinquagénaire rendu fou de chagrin par la mort de sa femme. Avec sa fortune, il a commercialisé un procédé technologique futuriste permettant de suivre, grâce aux capteurs qui tapissent le linceul dans lequel le cadavre est enterré, la lente putréfaction du corps de l’être cher. Or, le cimetière où repose Rebecca son épouse (Diane Kruger) est profané. Qui est à l’origine de cet acte de vandalisme ? Une ONG écologiste basée en Islande ? L’investisseur hongrois qui souhaite prendre des parts dans la société de Karsh ? Les services de renseignement chinois ou russe ? Le propre frère de Karsh (Guy Pearce), brisé par son divorce ? L’ex-oncologue de Rebecca mystérieusement disparu à l’occasion d’un congrès international ?

David Cronenberg, à quatre-vingts ans passés, fait partie de ces géants du cinéma, dont l’œuvre impressionnante (La Mouche, Le Festin nu, Crash, A History of Violence…) suscite une admiration révérencieuse. Chacun de ses nouveaux films – dont on peut craindre légitimement qu’il soit le dernier – est ipso facto sélectionné à Cannes (ce fut le cas de Maps to the Stars en 2014 et des Crimes du futur en 2022) quelles que soient ses qualités intrinsèques. Et d’ailleurs, si je suis allé voir dès sa sortie son dernier film, c’est précisément en raison de l’admiration respectueuse que je porte à l’un des plus grands réalisateurs canadiens contemporains (ex aequo avec Denis Villeneuve, Xavier Dolan et James Cameron).

Pour autant, quitte à passer pour un ilote, force m’est de confesser que je n’aime pas Cronenberg. Je n’ai jamais compris ses névroses, ses pulsions refoulées, son obsession pour le corps humain et sa mutilation. Crash par exemple sur l’érotisation de l’accident de la route et la fusion de l’humain et du mécanique (une thématique faussement transgressive plagiée par Julia Ducournau dans Titane dont je soutiens qu’il ne méritait pas la Palme d’or) m’a profondément mis mal à l’aise.

Aussi très logiquement n’ai-je pas aimé ces Linceuls. J’ai trouvé son idée de départ peu réaliste. Qui aurait sérieusement l’idée de filmer le lent pourrissement du cadavre de sa femme ? D’autant que Vincent Cassel, un acteur toujours aussi sautillant et débordant d’énergie, n’est guère crédible dans le rôle d’un veuf inconsolable. Le jeu des acteurs, à commencer justement par celui de Vincent Cassel, qu’on sent à chaque réplique obsédé par sa prononciation anglaise, m’a semblé particulièrement mauvais. J’ai  également trouvé le film terriblement bavard, enchaînant les longs face-à-face paresseusement filmés en plans/contre-plans mettant en présence le héros avec tous ceux qu’il soupçonne successivement de l’abuser. Le scénario enfin m’a semblé excessivement filandreux, qui multiplie, comme un mauvais James Bond, les fausses pistes.

C’est à ma déférence envers le vieux maître que le film doit sa seule étoile. Si j’avais été moins respectueux, je ne lui en aurais mis aucune.

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La Chambre de Mariana ★★☆☆

Dans la Bucovine, occupée depuis l’été 1941 par les troupes allemandes, les Juifs sont persécutés. Le père de Hugo, douze ans, a déjà été arrêté. Pour le sauver d’une mort certaine, la mère de Hugo le confie à la garde de Mariana, une amie d’enfance aujourd’hui prostituée dans un bordel dont l’essentiel de la clientèle est constitué de soldats allemands. Mariana le cache dans un débarras adjacent à sa chambre.

La Chambre de Mariana est l’adaptation du livre éponyme et en partie autobiographique de Aharon Appelfeld, écrivain israélien né en 1932, qui, comme il le raconte dans Histoire d’une vie, s’est caché pendant trois ans dans les forêts d’Ukraine.

Le film est réalisé par Emmanuel Finkiel qui clôt avec lui une trilogie entamée en 1999 avec Voyages et poursuivie en 2017 avec La Douleur, l’adaptation du livre de Marguerite Duras. Mélanie Thierry y jouait le rôle principal et c’est elle qu’on retrouve en tête d’affiche. Pour interpréter Mariana, elle a relevé un défi qui force l’admiration : apprendre l’ukrainien et le parler quasiment à la perfection. À part elle, l’ensemble du casting est ukrainien. Le film aurait dû être tourné sur place mais le tournage s’est délocalisé en Hongrie après l’invasion russe de février 2022, compliquant considérablement le travail de la production.

La Chambre de Mariana a deux héros. Son histoire nous est racontée par les yeux et les oreilles de Hugo qui n’en a qu’une perception amputée. Le film joue intelligemment sur les cadrages. Hugo observe, par un trou de son réduit, la cour où il voit des colonnes de Juifs déportés et des Allemands en uniforme. Il regarde par l’entrebaîllement de la porte la chambre où Mariana se dénude et reçoit ses clients. Mais la principale héroïne est Mariana elle-même, Maman et putain, Juste sans le savoir, donnant à l’enfant placé sous sa garde l’amour dont il a été trop tôt sevré.

La Chambre de Mariana coche toutes les cases du drame historique, de l’enfance martyrisée, du lait de la tendresse humaine. D’où vient alors qu’il nous laisse insensible ? D’où vient qu’on ne s’y laisse pas emporter ? De sa longueur ? Il n’a pas suffisamment à dire pour occuper efficacement ses deux heures vingt. De sa prévisibilité ? Rien ne s’y passe qu’on ne voie venir longtemps à l’avance et qui ne nous y surprenne. De la médiocrité du jeu des acteurs, Mélanie Thierry mise à part ?

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L’amour c’est surcoté ★☆☆☆

Anis (Hakim Jehili) est un adulescent secrètement traumatisé par la mort de son meilleur ami, Isma, trois ans plus tôt. Gentil loser, glandeur professionnel, soudé à ses deux amis, Paulo et Sekou, il est incapable de construire une relation sentimentale apaisée. Tout change quand il rencontre Madeleine (Laura Felpin).

L’amour c’est surcoté. C’est surtout survendu. Première nous vend le film comme le meilleur du mois. Adapté du roman éponyme de Mourad Winter, le film est censé réinvéter les codes de la romcom.

Certes les punchlines crépitent, aussi rapides dans leur débit (il faut régler son sonotone pour, à mon âge, arriver à toutes les comprendre) que dans leur rythme. On ne s’y ennuie pas. On rit parfois, mais pas toujours, soit qu’on ne les ait pas entendues (voir le sonotone supra) soit qu’on en ait pas saisi le sens.

Bien sûr les acteurs sont attachants : Hakim Jemili, en nounours cachant ses cicatrices derrière un déluge de blagues plus ou moins affûtées et surtout Laura Felpin, épatante de naturel. Mais hélas, le traitement de l’histoire est désespérément convenu. Le titre du film nous faisait espérer autre chose : une autre façon de concevoir le couple, comme on le lit parfois dans les essais sociologiques qui analysent la vie amoureuse des millenials, hors des catégories traditionnelles de l’amour et de la sexualité. Mais hélas, son titre doit platement se lire par antiphrase : L’amour c’est surcoté est la millième comédie romantique qui raconte – comme cette semaine Une pointe d’amour – la rencontre amoureuse, la parade amoureuse ponctuée de rapprochements et de malentendus et l’inévitable happy end à la fin de ce long processus joué d’avance.

À supposer qu’il capte quelque chose de l’esprit du temps, L’amour c’est surcoté se condamne par son sujet à être très vite terriblement démodé

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Une pointe d’amour ★★☆☆

Mélanie (Julia Piaton), une avocate handicapée atteinte d’une maladie dégénérative, décide d’offrir à son meilleur ami Benjamin (Quentin Dolmaire), paraplégique et, comme elle, condamné à la solitude affective, un cadeau original : une virée dans un bordel espagnol. Pour les y véhiculer, Mélanie recrute l’un de ses clients, Lucas (Grégory Gadebois), un ex-taulard qu’elle vient de réussir à faire libérer.

Une pointe d’amour se présente comme le remake d’un film espagnol très réussi, Hasta la Vista (2011). Il en emprunte le motif, le voyage en minivan d’une bande de handicapés vers un bordel pour y goûter, au moins une fois dans leur vie, aux joies de l’amour physique. Mais il en modifie la structure : le film espagnol avait pour héros trois handicapés alors que le film français se referme sur le couple Mélanie-Benjamin. Le couple, car dès les premières images on a le pressentiment qu’Une pointe d’amour nous racontera l’histoire de la formation sans cesse retardée de ce couple, empêchée par leur handicap. Autre pressentiment : le film se conclura par la mort tragique de Mélanie dont le cœur est voué à lâcher brutalement.

Le scénario tranquille de ce road movie gentillet confirmera – ou pas – nos pressentiments. Son thème central est le handicap. On ne l’évoquait jamais au cinéma au siècle dernier (je me creuse sans succès la tête pour citer un seul titre [post scriptum : mais si ! Le Huitième Jour (1996)]). C’est devenu un marronnier depuis dix ans : Intouchables, Hors normes, Un p’tit truc en plus, Mon inséparableSimón de la montaña pas plus tard que la semaine dernière…. Cette irruption mériterait une analyse cinématographique et politique plus approfondie. Que dit-elle de notre société ?

Une pointe d’amour (un titre que je n’ai pas compris) vaut surtout par son trio d’acteurs. Quentin Dolmaire ne m’avait pas convaincu dans ses premiers rôles chez Desplechin. Je trouvais horripilante sa diction languissante. Mais force m’est de reconnaître qu’il est parfait dans le rôle de Benjamin. Julia Piaton, qui ressemble de plus en plus à sa mère, Charlotte de Turckheim, est elle aussi parfaite de beauté translucide, de fragilité et de détermination. Mais c’est Gregory Gadebois qui décroche, comme à chaque fois, le pompon. Ce qu’il réussit à communiquer, avec un haussement de sourcil, une intonation de voix, est hallucinant.

Road movie en fauteuil, Une pointe d’amour ne restera pas dans les annales. Il n’en a pas d’ailleurs l’ambition. Mais c’est un film sympathique qui se laisse agréablement regarder.

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Simón de la montaña ★★★☆

Simón a vingt-et-un an. Il est handicapé – ou peut-être ne l’est-il pas. Toujours est-il qu’il fuit sa famille pour passer ses journées avec les résidents d’un centre d’accueil pour handicapés.

Simón de la montaña est un film troublant dont on comprend que la Semaine cannoise de la critique l’ait couronné de son Grand prix.

Il reprend la même situation que le succès surprise du box office français de l’an passé, Un p’tit truc en plus : l’infiltration par un non-handicapé d’un groupe de jeunes handicapés. Mais si vous avez aimé le film d’Artus, lisez cette critique jusqu’au bout avant de vous y ruer.

En effet, Simón de la montaña n’a rien d’une comédie. Il ne joue pas, comme Un p’tit truc en plus sur les situations parfois drolatiques que cette rencontre fait naître. Pas plus ne joue-t-il sur la corde sensible qui voudrait nous émouvoir de ces êtres différents et de leur irréductible dignité.

L’originalité de Simón de la montaña est de porter un regard inversé sur le handicap. Je m’explique (et renvoie à Berthe Edelstein qui l’explique beaucoup mieux que moi) : depuis Elephant Man ou Rain Man, l’handicapé est dépeint comme un monstre rejeté par la société qui cache en fait des qualités qui devraient nous inciter à lui faire une place. Le mouvement de ces films-là va de l’extérieur (de la société) vers l’intérieur. Le mouvement de Simón de la montaña est inversé : son héros va de l’intérieur vers l’extérieur. Il ne souhaite pas transformer des handicapés en non-handicapés mais devenir lui-même un des leurs.

L’explication que je viens de faire est bien verbeuse. Elle est surtout manichéenne. Or, Simón de la montaña n’a aucun de ces deux défauts. Il a au contraire une immense qualité : il maintient jusqu’au bout l’ambiguïté sur le personnage de Simón : est-il un mythomane qui souhaite obtenir un certificat de handicap pour bénéficier des avantages qui s’y attachent ? pour approcher les jeunes filles du centre, notamment l’attirante Colo, et abuser d’elles ? ou est-il au contraire un garçon mal dans sa peau, affecté de troubles psychologiques, qui cherche à échapper à une mère toxique et à un beau-père violent ?

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E.1027, Eileen Gray et la maison en bord de mer ★☆☆☆

À la fin des années vingt, Eileen Gray, une architecte irlandaise, a construit une petite maison à Roquebrune Cap-Martin. Cette villa avant-gardiste, coincée entre la voie ferrée et la Méditerranée, fut baptisée E.1027 en mêlant les initiales de son nom  et de Jean Badovici, architecte et rédacteur en chef de la revue L’Architecture vivante, qui partageait alors sa vie (10 =J, 2 = B, G=7). Mais le couple s’est séparé et Le Corbusier, ami de Badovici, fit main basse sur la maison qu’il adorait, en la recouvrant de fresques qui en dénaturèrent l’apparence et en laissant la postérité lui en attribuer la paternité.

Deux documentaristes suisses ayant suivi la luxueuse restauration qui vient d’être achevée de E.1027 après que la propriété laissée à l’abandon a été acquise par le Conservatoire du littoral à la fin des années quatre-vingt-dix, ont eu l’idée d’en faire un film. Sa forme est originale. Elle mêle des images tournées sur place qui donnent à voir ce bijou d’architecture et de courtes scènes jouées par trois acteurs interprétant les rôles respectifs de Gray, de Badovici et de Le Corbusier à partir des textes qu’ils ont laissés.

Le résultat a le mérite de faire connaître ce lieu et son histoire hors normes. Les distributeurs ont jugé bon de lester l’affiche d’une phrase « Une histoire sur le pouvoir de l’expression féministe et le désir des hommes de la combattre » inutilement militante. Un ajout superflu qui n’apporte pas grand-chose à un sujet qui se suffisait à lui-même.

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High School (1968) ★★★☆

En 1968, un an après Titicut Follies, dont la sortie est retardée par d’interminables disputes judiciaires, Frederick Wiseman tourne son deuxième documentaire dans un lycée de la banlieue middle class de Philadelphie.

Sa méthode est déjà en place et ne variera plus : pas d’interviews, pas de voix off, pas de musique, un tournage rapide (High School a été tourné en moins d’un mois) en immersion complète, une équipe technique réduite au minimum (Wiseman assure lui-même la prise de son et guide son cadreur en lui murmurant à l’oreille ses consignes) et un long travail de montage à partir de la montagne de rushes accumulés.

Tout en se défendant de toute ambition sociologique, Wiseman entreprend de dresser le portrait de l’Amérique de son temps en racontant chacune de ses institutions : l’hôpital (Titicut Follies, Hospital), l’école (High School), la police (Law and Order), la justice (Juvenile Court), l’aide sociale (Welfare)…. Son tout premier film était clairement militant : avec Titicut Folies, Wiseman entendait dénoncer les maltraitances commises dans les hôpitaux psychiatriques. À partir de son deuxième, Wiseman est moins partisan même si son regard n’en demeure pas moins aiguisé.

Wiseman nous laisse le choix. C’est peut-être l’une des plus grandes vertus de ses documentaires. Il ne développe pas une thèse, ne défend pas un point de vue. Il nous montre ce qu’il y a à voir, avec la plus grande honnêteté intellectuelle possible. Si Wiseman avait voulu signer un documentaire à charge et faire du lycée qu’il filme le bastion d’un patriarcat toujours dominant, il aurait monté son film autrement. Il ne l’aurait pas conclu par le long discours de sa directrice, véritable ode à la méritocratie et à l’égalité des chances.

Il choisit de poser sa caméra dans un lycée mixte. On est à la fin des années 60 ; mais on est bien loin des campus hippies de Californie. Une morale stricte prévaut encore, imposée par un corps enseignant qui porte la cravate pour les hommes, le tailleur strict pour les femmes. Certains enseignants sont plus jeunes. Ce sont les plus libéraux : l’un cite « L’Autre Amérique » de Michael Harrington dans son cours de sociologie, l’une fait écouter à ses élèves en cours de littérature une chanson de Simon & Garfunkel.

Dans ce lycée si emblématique de l’Amérique middle class, les archétypes ont la vie dure. Les filles suivent des cours de cuisine et de couture – même si on y voit aussi quelques garçons. Les mini-jupes, les robes trop moulantes leur sont interdites. Une professeure leur donne des conseils de maintien et décoche aux filles les plus disgracieuses des remarques peu amènes qui lui vaudraient aujourd’hui une exclusion de l’Education nationale et la vindicte des réseaux sociaux.
Un gynécologue vient répondre aux questions des élèves, dont l’hilarité cache mal le trouble. Sans doute une telle intervention n’aurait-elle pas été concevable quelques années plus tôt. Qu’un cours d’éducation sexuelle soit dispensé à ces adolescents montre que l’enseignement qu’ils reçoivent n’est pas si rétrograde. Les propos qu’il tient n’en sont pas moins malaisants, qu’on ne tiendrait plus aujourd’hui.

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Sebastian ★☆☆☆

Max est un jeune auteur ambitieux. Il a déjà publié une nouvelle dans une revue prestigieuse où il est employé comme pigiste. Il travaille à son premier roman avec le soutien de son agent. Le héros du roman est un jeune prostitué. Max prétend travailler sur la base de témoignages recueillis auprès d’escorts gays. Mais, pour nourrir son roman, il s’adonne à la prostitution sous le nom de Sebastian.

Interdit aux moins de douze ans en raison de ses scènes de sexe très crues, Sebastian, déjà diffusé à Paris en novembre dernier dans le cadre du festival Chéries, Chéris, nous promet une plongée voyeuriste dans le monde de la prostitution londonienne chic et gay. Mais il ne s’y résume pas. Sebastian nous fait miroiter une stimulante réflexion sur le travail de l’écrivain, sur sa mise en danger pour se documenter sur son sujet, sur le risque qu’il court de se perdre entre deux identités, la sienne et celle du personnage qu’il prétend être.

On pense au journaliste italien Fabrizio Gatti qui s’est glissé dans la peau d’un migrant subsahélien pour documenter le long voyage des immigrés africains vers l’Europe. On pense aussi à la romancière française Emma Becker qui a travaillé pendant deux ans dans un bordel berlinois pour écrire Maison close et dont les romans ultérieurs, écrits à la première personne, entretiennent la confusion entre le roman et l’autobiographie.

La comparaison s’arrête là. Sebastian ne convainc pas. Pourtant le jeune acteur italo-écossais Ruaridh Mollica paie de sa personne et on retrouve avec plaisir le grand acteur de théâtre Jonathan Hyde. Mais le scénario de Sebastian manque trop de surprise, les dilemmes auxquels son jeune héros est confronté sont trop convenus, pour laisser une trace marquante.

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Dimanches ★☆☆☆

Un couple de vieux paysans ouzbeks habite une grande ferme. Lui élève quelques chèvres ; elle tisse des tapis et fabrique son propre pain. Leurs enfants devenus grands les ont quittés. Le cadet, avec la complicité de l’aîné, essaie de mettre la main sur un corps de ferme pour s’y installer après son mariage. D’ici là, il couvre ses parents de cadeaux dont ils ne savent que faire.

Dimanches est peut-être le premier film que j’aie jamais vu d’un réalisateur ouzbek. Si les cinémas kazakh et kirghize sont particulièrement prolifiques (Ayka, La Tendre Indifférence du monde, Le Souffle…), le cinéma ouzbek l’est moins, alors que la population de l’Ouzbekistan est largement supérieure à celle de ses deux voisins.

Son affiche place la barre très haut citant Ozu (pour la chronique familiale filmée à ras de chorpoï) et Kiarostami (pour la chronique de la vie rurale). Pas sûr que Shokir Kholikov s’élève dès son premier film à ces hauteurs. Son film contient de nombreuses ellipses qui en rendent parfois la compréhension difficile. L’action se déroule en l’espace de six semaines dont une journée (le lundi de la première semaine, le mardi de la deuxième, etc.) est tour à tour filmée. Chaque jour, une nouveauté technologique s’introduit dans le foyer de nos aimables retraités (un briquet le premier lundi, une gazinière le mardi, une télévision à écran plat le mercredi, etc.) qu’ils sont bien en peine d’utiliser. Le procédé devient vite à mes yeux répétitif.

Que dire de ce couple ? Est-il aimant ? J’en doute. L’usure du temps semble y avoir gommé toute tendresse. Le mari exerce sur son épouse une autorité patriarcale. La force des habitudes plus encore que la soumission explique la subordination de l’épouse. Quant aux enfants, on ne les voit guère, comme si l’essentiel de l’action censée donner son rythme au film se déroulait en arrière-scène.

Dernier défaut de ce film décevant : il ne franchit jamais, sinon dans son dernier plan, les murs de la cour, nous privant des visions exotiques qu’on escomptait de ce voyage dans les steppes de l’Asie centrale.

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Tardes de Soledad ★★★☆

Tardes de Soledad (littéralement : un après-midi de solitude) est un documentaire consacré au jeune matador péruvien Andrés Roca Rey. Le réalisateur Albert Serra l’a suivi pendant une tournée en Espagne. Sa caméra ne le quitte pas et le filme en plans serrés dans trois endroits exclusivement : sa chambre d’hôtel où il se prépare avec un soin maniaque, le minibus qui le conduit et le ramène de l’arène, et l’arène enfin face au taureau.

Albert Serra est un cinéaste excentrique dont l’œuvre ambitieuse étonne et détonne. Ses premiers films (Le Chant des oiseaux, La Mort de Louis XIV), terriblement exigeants, semblaient le condamner à une audience confidentielle. Mais il a élargi sa renommée avec Pacifiction, qui a valu à Benoît Magimel le césar du meilleur acteur.

Les partis-pris radicaux de ses films m’avaient radicalement déplu. J’avais détesté La Mort de Louis XIV et Pacifiction. Aussi ai-je bien failli faire l’impasse sur Tardes de Soledad, dont le sujet au surplus ne m’attirait guère. C’est la critique toute en finesse d’une amie – qui se reconnaîtra – qui m’a incité à le voir avec quelques semaine de retard.

Bien m’en a pris ! Car Tardes de Soledad est un film passionnant qui ne s’oublie pas de sitôt. Certes, c’est un film exigeant et ingrat, sans commentaires, sans voix off, sans interview qui permettraient de mieux comprendre ce qu’on nous donne à voir. Sa durée n’est guère comestible : il dure plus de deux heures et aurait pu fort bien être amputé d’un bon quart sans perdre en efficacité.

Mais il donne un point de vue unique sur la corrida. Un avertissement s’impose : Serra n’est pas pro- ou anti-. Son film n’est pas politique. Son objectif n’est pas partisan. Albert Serra est un cinéaste esthétisant. Ses films ressemblent à des peintures. Et le travail de son chef opérateur et de son monteur sont exceptionnels, qui nous donnent des images incroyables. Tout est filmé en plans serrés. Aucun plan large, aucune image de la foule dont on entend seulement le lointain murmure. La caméra se focalise sur le matador et sur le taureau qu’il affronte dans un combat à mort.

Pour autant, rien n’est jamais exclusivement esthétique. Tout est toujours, quoi qu’on en dise, politique. Tardes de Soledad nous montre le matador et l’équipe qui l’entoure. Il s’agit d’hommes exclusivement (on ne voit pas une seule femme pendant tout le film, sinon une admiratrice qui pose avec Andrés Roca pour un selfie crispé). Ils entretiennent leur chef dans une idéologie viriliste, vantant la grosseur de ses « c*uilles » à tout bout de champ, dénigrant à la fois le taureau qu’il affronte (on escomptait plus de respect pour l’adversaire) et le public hostile, qui n’a plus guère la cote à notre époque. S’ajoute à cette ambiance machiste un vieux fond de superstition qui s’exprime à travers une bimbeloterie d’images saintes et de gris-gris, pieusement baisées à chaque entrée en lice.

Tardes de Soledad est un film hypnotisant, dérangeant, désagréable. Un film à voir pour toutes ces (bonnes) raisons.

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