Le Bouton de nacre ★★☆☆

Le bouton de nacre, c’est le prix payé par l’explorateur anglais Fitzroy pour convaincre un Indien de Patagonie, sitôt surnommé Jimmy Button, de le suivre à Londres au début du dix-neuvième siècle. C’est aussi le minuscule vestige laissé par une victime de la dictature pinochetiste jetée à la mer du haut d’un hélicoptère : un bouton de nacre est retrouvé au fond des océans sur le rail qui lestait son corps.

En exhumant un passé que le Chili souhaiterait refouler, Patricio Guzmán est, depuis quarante ans, la mauvaise conscience de son pays. L’auteur du Cas Pinochet et de Salvator Allende narre l’histoire de la relation compliquée du Chili à la mer : un pays qui dispose du plus long littoral au monde mais qui bizarrement lui a toujours tourné le dos. Il ose un parallèle audacieux entre le sort des Indiens de Patagonie et celui des victimes de la dictature pinochetiste.

Fable mystico-poétique ponctuée d’images (splendides) de la voie lactée, enquête ethnographique sur un génocide méconnu aux confins du monde habité, témoignage des années de plomb, Le Bouton de nacre est un documentaire d’une heure vingt ambitieux. Trop peut-être.

L’Olivier ★★☆☆

Alma est très attachée à son grand-père inconsolable de la perte de l’olivier ancestral déterré par ses fils pour financer leurs projets immobiliers. Elle ira jusqu’en Allemagne pour retrouver ce symbole perdu d’une enfance heureuse.

L’Olivier est réalisé par Icíar Bollaín et mis en scène par son époux Paul Laverty, scénariste attitré de Ken Loach. On y retrouve tous les ingrédients des films du réalisateur britannique deux fois Palme d’or : des personnages au grand cœur qui se battent courageusement contre le système, une histoire tire-larmes qui frôle la mièvrerie sans y sombrer, une critique sociale en creux qui prend ici pour cible la spéculation immobilière en Espagne qui a détourné de braves paysans de la culture de la terre (qui, elle, ne ment pas ?)…

L’Olivier est sauvé du mélo par la belle énergie de son héroïne et par une fin aussi surprenante que logique.

La bande-annonce

The Lobster ★★★☆

Dans un futur doucement totalitaire, le célibat n’est plus toléré. Les divorcés et les veufs sont envoyés dans un hôtel de luxe où quarante-cinq jours leur sont laissés pour retrouver une compagne. S’ils échouent, ils seront transformés en l’animal de leur choix. Le homard, c’est l’animal dans lequel le héros, interprété par Colin Farrell, a choisi d’être réincarné.

Le parti pris de Yorgos Lanthimos est radical. Comme dans Canine ou Alps, ses précédents films, il flirte avec le fantastique et l’absurde. Ici il s’attaque au modèle du couple et à l’injonction que nos sociétés nous adressent de nous y conformer. « Mariez-vous ! Accouplez-vous ! Sinon… »

Le sujet serait vite épuisé si le réalisateur n’avait l’intelligence de le renverser.
Car Colin Farrell, après avoir échoué à trouver une compagne, réussi à s’évader pour se réfugier dans les bois, auprès d’une bande de croquants en rupture de ban qui ont décidé d’interdire l’amour et de châtier l’empathie. Dans ce groupe, dirigé de main de fer par une Léa Seydoux en poncho kaki, Colin Farrell tombe vite amoureux de Rachel Weisz.
Du coup, le film gagne en complexité.

Entre le modèle du couple et la valorisation de la liberté individuelle, la société nous adresse des injonctions contradictoires. La réponse finale du réalisateur pourra sembler frustrante. Elle est, tout bien réfléchi, la plus intelligente qui soit.

La bande-annonce

Notre petite soeur ★☆☆☆

Entre Tchekhov et Candide.

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Hirokazu Kore-eda. En particulier Nobody knows (2004) sur une fratrie abandonnée par une mère irresponsable ou Tel père, tel fils (2013) sur deux nourrissons échangés à la maternité.

Notre petite sœur, qui raconte comment trois sœurs recueillent leur jeune demi-sœur à la mort de leur père, reprend les thèmes chers au réalisateur : le deuil, la famille recomposée, les liens du sang… Mais il le fait avec une candeur qui empêche le film de se tendre. L’arrivée de la benjamine appelait une série d’épreuves initiatiques dont le film nous dispense. Pas de bizutage dans sa nouvelle école. Pas de tensions dans son nouveau foyer. Tout se passe idéalement bien : Suzu devient la star de l’équipe de football et la compagne idéale pour ses grandes sœurs. Du coup, l’histoire s’enlise dans une félicité vaguement soporifique. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… et les quatre sœurs cultivent leur jardin.

La bande-annonce

Le Fils de Saul ★★☆☆

A-t-on le droit de représenter l’Holocauste ? Non, dit Claude Lanzmann qui s’y était lui-même refusé dans Shoah (1985) et avait vertement critiqué La Liste de Schindler lui reprochant son esthétisme et son sensationnalisme.

Le film de László Nemes se déroule à Auschwitz, en 1944, à la veille de l’insurrection des prisonniers contre leurs gardiens. Il a pourtant été adoubé par Lanzmann. Car le jeune réalisateur hongrois a inventé une manière radicale de représenter la Shoah. Il le fait à travers les yeux de Saul, un membre du Sonderkommando, chargé d’accompagner les prisonniers dans les chambres à gaz, de les aider à se déshabiller, puis de transporter leurs cadavres, trier leurs effets, brûler leurs corps et disperser leurs cendres.

La caméra se juche sur l’épaule de Saul et ne la quittera pas. Saul a basculé dans l’horreur et s’est fermé, par réflexe de survie, à toute forme de compassion. Il ne voit rien et la caméra qui le suit est condamnée à la myopie. En revanche il baigne dans un vacarme assourdissant fait des hurlements des mourants, du bruit des machines et des ordres aboyés par les gardiens.

Ce parti pris radical est marquant. Mais passé le premier quart d’heure de sidération, le spectateur s’y habitue avant de s’en lasser. Et l’ennui qui gagne n’est pas dissipé par le scénario. Car nonobstant l’interdit lanzmannien, Nemes raconte une histoire : celle d’un père qui veut enterrer le corps de son enfant. Ce faisant, Saul part à la conquête d’une humanité qui lui a été niée.

Antigone n’est pas loin. Fort bien. Mais cette intrigue se noue dès le début du film et ne suffit pas à le nourrir sur toute sa durée. Le Fils de Saul se réduit finalement à une posture extrêmement intéressante mais terriblement ennuyeuse.

La bande-annonce

D’une famille à l’autre ★★☆☆

« L’histoire vraie », nous dit l’affiche, « avait ému le Brésil ». Depuis quelques années, l’argument fait florès. Autant en emporte le vent ou La Grande Vadrouille étaient-ils « basés sur une histoire vraie » ? Pourquoi faut-il que les films se réclament de la réalité ? Pour émouvoir le spectateur plus qu’une œuvre de pure fiction ne le ferait ? Pour se donner une crédibilité dont l’absence l’affaiblirait ? Ou tout simplement parce que les scénaristes sont en panne d’imagination ?

L’histoire de Felipe/Pierre avait donc ému le Brésil. Felipe est élevé dans un milieu populaire. À dix-sept ans, il apprend qu’il a été volé à la maternité. Pierre de son vrai nom est recherché par ses parents biologiques, des bourgeois aisés qui espèrent rattraper le temps perdu.

Le précédent film d’Anna Muylaert m’avait beaucoup touché. Une seconde mère racontait l’ambiguïté des liens unissant un fils de famille à sa nounou. D’une famille à l’autre traite lui aussi, à sa façon, d’un dilemme familial. Vers qui la loyauté de Felipe/Pierre ira-t-elle ? Vers sa mère adoptive, aimante mais criminelle ? Ou vers ses parents biologiques qui ne conçoivent pas qu’il puisse être nostalgique de son passé ?

Le film d’Anna Muylaert souffre d’un défaut peu commun : sa brièveté. Il tisse des intrigues (le sort de la mère adoptive), trace des pistes (la bisexualité de Felipe/Pierre), esquisse des personnages secondaires (une sœur adoptive, un frère biologique) qu’il ne se donne pas, en une heure vingt-deux seulement, les moyens de traiter. La brièveté de ce format oblige son héros à ne se poser qu’une seule question : non pas celle de l’identité de ses parents mais celle de la sienne.

La bande-annonce

Avril et le Monde truqué ★★☆☆

Avril et le Monde truqué est une uchronie steampunk. L’uchronie ou histoire alternative, c’est ce qui aurait pu être : que ce serait-il passé si Napoléon avait gagné à Waterloo ? Hitler à Stalingrad ? Le steampunk ou rétrofuturisme, c’est la science-fiction inspirée par un XIXe siècle de charbon et de vapeur.

Le pitch de ce dessin animé n’est pas simple à résumer : après la mystérieuse disparition des plus grands savants de la planète dans les années 1870, le monde se retrouve bloqué à l’âge de la vapeur. Avril, une jeune orpheline, qui rappelle par sa gouaille et son énergie garçonne Adèle Blanc sec, part à la recherche de ses parents disparus. Elle est aidée par un gentil grand-père, un joli voyou et un chat qui parle.

Les décors sont de Tardi qui a réinventé un Paris sans électricité, sans tour Eiffel et sans Sacré-Cœur. Tout se gâte dans la seconde partie qui bascule dans un tout autre univers plus proche de Godzilla que de Nestor Burma.
Dommage…

La bande-annonce

007 Spectre ☆☆☆☆

Le vingt-quatrième James Bond est un nanar qui tient la route trente minutes avant de sombrer corps et âme.

Une histoire sans intérêt. Un générique kitchissime et une BOF… beaufissime. Un méchant, même pas méchant. Une James Bond girl aussi sexy qu’un thon sorti du congélo. Un James Bond vieillissant qui rappelle le Sean Connery asthmatique des Diamants sont éternels. Des pays exotiques sans l’ombre d’une trame géopolitique.

Bref une grosse, grosse déception…

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Francofonia, le Louvre sous l’Occupation ★☆☆☆

Le Louvre a commandé un film au réalisateur russe Alexandre Sokourov (Moloch, Faust) qui avait déjà consacré un documentaire à l’Ermitage, errance tournée en un seul plan séquence de quatre-vingt-quinze minutes. Pour filmer le grand musée parisien, il choisit un procédé tout autre, une mise en scène éclatée ; mais, dès le premier plan, il confesse ses doutes sur ce choix.
« Je pense avoir raté mon film » dit, via Skype, le réalisateur au capitaine d’un bateau qui convoie des œuvres d’art sur un océan déchaîné. Hélas, Sokourov est lucide. Son film est raté qui accumule des histoires parallèles manquant de cohérence.
Le fil rouge serait – comme le sous-titre de Francofonia l’annonce – l’histoire du Louvre sous l’Occupation. Hélas, le réalisateur s’en écarte pour parsemer la narration d’allers-retours inutiles entre le passé et le présent. Il y aurait eu pourtant beaucoup à dire sur le directeur du Louvre, joué avec une belle élégance par Louis-Do de Lencquesaing, grand commis de l’État qui tente de sauver les œuvres du Louvre sans y perdre son âme.

Ange & Gabrielle ☆☆☆☆

Ange & Gabrielle aurait pu être un des favoris des Gérard du cinéma 2015 qui désignent les plus mauvais films de l’année. Patrick Bruel y joue le rôle qu’il a déjà endossé mille fois du quinqua sexy sans attaches. Isabelle Carré joue, elle aussi, son rôle étendard de godiche qui déboule dans la vie d’Ange pour lui annoncer que son fils (à lui) a mis enceinte sa fille (à elle). S’ensuivent quelques dialogues convenus sur la paternité, quelques gags pas drôles sur la difficulté de l’assumer et un épilogue prévisible sur les vertus du mariage. L’alchimie entre les deux acteurs ne fonctionne pas une seule seconde et même Laurent Stocker, pourtant excellent, se ridiculise dans le rôle du meilleur ami… homo comme de bien entendu.

Ange & Gabrielle est une comédie romantique qui voudrait être de son temps alors qu’elle ne réussit tout au plus qu’à le caricaturer (« Un père, c’est un confident, un complice, un ami »). À fuir…

La bande-annonce