Les Derniers Jours de Mussolini (1974) ★★☆☆

Les Derniers Jours de Mussolini est un film qui raconte avec une fidélité documentaire la fuite désespérée du Duce dans les Alpes italiennes et sa mort brutale.

Depuis 1943, le débarquement des alliés en Sicile, et sa destitution par le roi, la situation du Duce n’avait cessé de se détériorer. Il s’était replié dans le nord de l’Italie, à la tête d’un Etat fantoche, la république socialiste de Salò, sous la coupe des Allemands. En avril 1945, alors que l’Allemagne nazie s’effondre, la situation devient intenable pour Mussolini. Les forces alliées font une percée depuis le Sud (opération Grapeshot) et les partisans communistes descendent des montagnes et prennent les villes.

Plusieurs options s’offrent à Mussolini (Rod Steiger), retranché à Milan depuis le 18 avril : poursuivre le combat depuis les Alpes italiennes, une hypothèse vite écartée faute de troupes prêtes à le soutenir, passer en Suisse, se rendre aux Américains qui lui ont promis la vie sauve à condition qu’il accepte d’être jugé, voire négocier avec Churchill sa reddition en échange de son soutien contre la menace communiste. Le cardinal de Milan (Henry Fonda) qui craint un bain de sang propose sa médiation. Elle échoue. Mussolini quitte la ville, accompagné d’un dernier quarteron de fidèles et de sa maîtresse Clara Petacci (Lisa Gastoni). Intercepté par un barrage de partisans, il doit passer une capote allemande et se cacher dans un blindé. C’est là que les partisans, quelques kilomètres plus loin, le démasquent et l’arrêtent. Placé sous haute surveillance dans un village sur les bords du lac de Côme, il y est fusillé le lendemain par le colonel Valerio (Franco Nero) avec Clara Petacci qui avait exigé de l’accompagner dans la mort.

Ces faits chaotiques sont fidèlement relatés dans cette fiction qui ressort sur les écrans. Ce n’est pas un chef d’œuvre. Le film a mal vieilli, qui porte la marque du déclin inexorable que vivait alors Cinecittà. Il n’en a pas moins un double mérite. Le premier, on l’a dit, est sa fidélité aux faits, qui éclaire une des pages les plus chaotiques et, en ce qui me concerne, des plus mal connues de la Seconde Guerre mondiale. Le second est de raconter la chute d’un tyran. La cour qui l’entoure se débande inexorablement. Elle le nourrit de promesses irréalistes et l’abandonne progressivement à son triste sort.

Je pensais que le film se terminerait par l’atroce image de la dépouille de Mussolini, pendue par les pieds sur une place de Milan le lendemain de sa mort. On ne la verra pas. Tant pis ou tant mieux…

Muriel ou le temps d’un retour (1963) ★☆☆☆

À Boulogne-sur-mer à l’automne 1962, une veuve, antiquaire de profession, Hélène Aughain (Delphine Seyrig), la quarantaine, s’apprête à retrouver Alphonse Noyard (Jean-Pierre Kérien), un homme qu’elle a failli épouser vingt ans plus tôt. L’homme, élégant et séducteur, arrive à la gare de Boulogne avec Françoise (Nita Klein) une actrice débutante qu’il présente comme sa nièce. Il prétend avoir tenu un établissement en Algérie. Hélène partage son appartement avec son beau-fils, Bernard Aughain (Jean-Baptiste Thierée) qui vient d’achever son service militaire en Algérie et en est revenu avec des pulsions suicidaires.

Adolescent, j’ai été follement amoureux d’une jeune fille. Elle s’appelait Muriel. Depuis quarante ans, le film d’Alain Resnais me faisait de l’œil. Mais je n’avais jamais eu l’occasion de le voir. Une rétrospective organisée par le Reflet Médicis en l’honneur de Delphine Seyrig m’en a enfin donné l’occasion.

Muriel est le troisième film d’Alain Resnais, après Hiroshima mon amour et L’Année dernière à Marienbad. Le scénario du premier était signé Marguerite Duras ; celui du deuxième Alain Robbe-Grillet. Difficile de se placer sous des auspices moins prestigieux et moins intimidants – même si ces deux écrivains n’étaient pas les monstres sacrés qu’ils sont depuis devenus.

Toute l’œuvre de Resnais est dans ces premiers films, qui resteront aux yeux de la postérité les plus célèbres. Il tourne le dos au naturalisme, à l’intrigue, à la linéarité – même si Muriel est plus linéaire que La vie est un roman par exemple où des personnages de différentes époques se croisent au risque de perdre le spectateur. Son montage est elliptique, renvoyant de la réalité une « vision quasi cubiste » (l’expression, particulièrement intelligente, est de Michel Marie). Ses personnages, à la différence des personnages des films et des romans qui dominaient jusqu’alors, ne se résument pas à un trait de caractère. Ils sont libres, imprévisibles, parfois incohérents. Leurs « histoires » si tant est qu’on puisse utiliser ce mot n’ont aucun « sens » et dépendent autant du libre arbitre que du déterminisme social et historique.

Je suis ravi d’être allé voir Muriel. Pour tourner la page de mes amours adolescentes. Et pour finir de découvrir l’œuvre passionnante d’un des plus grands cinéastes français. Pour autant, j’ai vécu la même incompréhension que devant Hiroshima mon amour ou L’Année dernière… Le cinéma de Resnais est décidément beaucoup trop intellectuel pour moi. Loin de m’emporter, il m’ennuie.

Jacques Lourcelles disait de Resnais dans son Dictionnaire du cinéma, mon livre de chevet, qu’il était « l’intellectuel le plus ennuyeux qui ait paru dans son siècle ». La critique est outrée… mais elle n’est pas dénuée de fondement.

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San Clemente (1982) ★☆☆☆

Le Reflet Médicis programme une rétrospective de sept documentaires de Raymond Depardon. Parmi ceux-ci, Délits flagrants filme des prévenus qui comparaissent devant un substitut en comparution immédiate. Je me souviens très bien de la déflagration que j’avais ressentie en le voyant en salle à sa sortie en 1994. Je découvrais le cinéma-vérité de Depardon que je ne connaissais pas et je fus hypnotisé par l’authenticité de ses images qui montraient la brutale confrontation de petits délinquants à l’appareil judiciaire.

Chronologiquement, San Clemente est le plus ancien. C’est aussi le seul que je n’avais pas encore vu. Quand Depardon le tourne, il a près de quarante ans et n’en est pas à son coup d’essai. Mais il est encore loin d’avoir réalisé ses œuvres les plus marquantes.

Sa grammaire est en place. Elle ressemble à celle de Frederick Wiseman, son illustre devancier outre-Atlantique : tournage en noir et blanc, équipe technique minimaliste (l’accompagne à la prise de son Sophie Ristelhufber qui co-signe la réalisation et que remplacera ensuite, à partir de la fin des années 80 l’irremplaçable Claudine Nougaret), montage cut sans voix off ni carton….

Depardon était allé réaliser un reportage photographique dans l’île de San Clemente, située dans la lagune de Venise, trois ans plus tôt. Il retourne dans cet ancien monastère converti en asile psychiatrique alors que sa fermeture est annoncée. Il obtient de la direction l’autorisation d’y filmer librement les patients. Le procédé interroge : ne constitue-t-il pas une violation du droit à l’image de personnes incapables de se défendre ? Je pense (je crains ?) qu’une telle autorisation ne serait pas aussi facilement délivrée de nos jours.

L’internement psychiatrique est un sujet qui ne cessera pas de fasciner Depardon. Il y consacrera deux autres documentaires : Urgences (1987) sur le service d’urgence psychiatrique de l’Hôtel-Dieu au centre de Paris et 12 jours (2017) son dernier film en date, sur la procédure judiciaire qui encadre, au-delà de douze jours, le maintien sans son consentement d’un patient en hôpital psychiatrique.

Frederick Wiseman a lui aussi consacré un documentaire à l’asile, l’un de ses tout premiers dès 1967, Titicut Follies. La comparaison avec San Clemente tourne nettement à l’avantage de l’Américain. Depardon filme des patients. Wiseman au surplus filme une institution en en décortiquant l’organisation et le fonctionnement. C’est cette dimension-là qui fait cruellement défaut au documentaire de Depardon dont les longs plans-séquences de patients fous, très fous, très très fous…. ou peut-être sains d’esprit dans un monde qui ne les accepte pas… deviennent vite répétitifs.

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Lenny (1974) ★★☆☆

Lenny Bruce (1925-1966) est un humoriste américain, new-yorkais et juif, pionnier du stand-up. Ses performances firent scandale dans les années cinquante alors qu’elles nous semblent aujourd’hui bien inoffensives. Constamment poursuivi par la Justice pour obscénités, épuisé par ses procès et ses emprisonnements, il mourut d’une overdose ou peut-être se suicida.

Bob Fosse lui a consacré quelques années après sa mort un film en forme d’hommage. C’aurait pu être un documentaire. C’est une fiction où le personnage de Lenny est interprété par Dustin Hoffman. Les témoignages de ses proches (son ex-femme, sa mère, son manager) sont joués par des acteurs.

Quand Dustin Hoffman interprète ce rôle, il est au sommet de sa carrière. Il a trente-six ans environ et n’a jamais été aussi beau, aussi séduisant. L’année suivante, il tournera Les Hommes du président et Marathon Man.

Lenny est un hommage à un homme injustement persécuté pour des propos qui, quelques années plus tard, sont désormais tolérés sans faire le moindre scandale. C’est aussi un hommage à une cause : la liberté d’expression de l’artiste.
La meilleure scène du film est le stand-up qu’il effectue juste après avoir été condamné pour avoir prononcé sur scène les mots « sucer des b**** » avec l’injonction de ne plus les prononcer à nouveau. Avec un malin plaisir, Lenny tourne en dérision l’hypocrisie du juge et de la société, qui censure le mot mais pratique la chose, mettant dans sa poche des spectateurs vite hilares.

Même si Dustin Hoffman est toujours aussi séduisant, toujours aussi incandescent, Lenny a vieilli. Son noir et blanc semble aujourd’hui bien terne. L’histoire qu’il raconte, la cause qu’il défend semblent aujourd’hui bien banales.

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À bout de course (1988) ★★★☆

Jeunes militants pacifistes, Arthur et Anne Hope ont fait exploser en 1971 une usine produisant du napalm, blessant accidentellement un gardien. Traqués par le FBI depuis une dizaine d’années, ils fuient la police, avec leurs deux enfants, régulièrement obligés de changer de résidence et d’identités.

Le cycle « Warner Bros 100 ans » permet de (re)voir des chefs d’œuvre : Le Chanteur de jazz, Casablanca, Rio Bravo, 2001, Odyssée de l’espace, Blade Runner…. Au milieu de ces grands classiques se cachent quelques pépites comme ce film un peu oublié que j’avais raté à sa sortie en octobre 1988. L’image mal restaurée, la coiffure des personnages, la musique font immédiatement remonter, qu’on les ait aimées ou détestées, le souvenir inimitable des 80ies.

La nostalgie est d’autant plus forte qu’À bout de course a pour héros le jeune River Phoenix, né en 1970, décédé en 1993, à l’orée d’une carrière prometteuse que son frère cadet, Joaquin, a poursuivie pour lui par procuration.

Le sujet du film est inspiré de faits réels : la longue cavale de deux pacifistes dans les Etats-Unis des 70ies après un attentat meurtrier. C’est une réflexion sur l’engagement, le radicalisme, l’action non violente qui dérape – un sujet d’une brûlante actualité aujourd’hui qu’évoquent notamment Une bataille après l’autre, Sabotage ou Une année difficile – et les conséquences de nos actes.

Mais c’est le personnage de Danny, le fils aîné, interprété par River Phoenix, qui est le plus émouvant. Musicien surdoué, comme sa mère le fut en son temps avant de rompre avec sa famille et d’embrasser le radicalisme, l’adolescent de dix-sept ans ne supporte plus ces déménagements à répétition, qui le privent de toute vie sociale et lui interdisent l’accès à l’Université. Loin d’interpréter les ados rebelles, River Phoenix joue un garçon sage, presque passif, laissant au scénario et aux situations le soin de faire comprendre le poids qui pèse sur lui. Ses parents sont déchirés d’imposer à leur fils un tel sacrifice.

Sidney Lumet réalise À bout de course avec une remarquable économie. L’émotion que suscite son dénouement, qui arracherait des larmes aux plus insensibles, n’en est que plus puissante.

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The Doom Generation (1995) ★★☆☆

Un jeune couple, Jordan (James Duval) et Amy (Rose McGowan), croise sur sa route un ange diabolique, Xavier (Jonathan Schaech) qui l’entraîne dans un road movie meurtrier.

Les films du réalisateur californien Gregg Araki sont devenus culte. Les cinémas d’art et d’essai les rediffusent régulièrement. Tourné en 1995, The Doom Generation était le deuxième volet de la trilogie de l’apocalypse adolescente (Teenage Apocalypse Trilogy), après Totally Fucked Up (1993) et avant Nowhere (1997), qui dressait le portrait d’une génération nihiliste et bisexuelle.

Un carton placé au début de The Doom Generation annonce ironiquement « Le premier film hétérosexuel de Gregg Araki ». Il n’en est rien, bien évidemment. Le film est plongé dans une ambiance homo-érotique poisseuse. Il peut se lire comme la découverte par Jordan, son héros un peu pataud, de son homosexualité, depuis ses tentatives infructueuses de faire l’amour à Amy jusqu’à la révélation de ses goûts au contact du très sexy Xavier alias X.

The Doom Generation est très daté. Il rappelle les road movies sexy et sanglants des années 90 : True Romance (1993) de Tony Scott ou Tueurs nés (1994) de Oliver Stone, avec des giclées de sang et de sperme pour justifier son interdiction aux moins de seize ans. Télérama exécute le film en deux phrases : « Dialogue dont la crudité finit par provoquer le rire (…) Ce pourrait être intéressant, si ne l’emportait constamment le goût de la provoc pour la provoc ». Pour avoir la dent moins dure, il faut prendre ce film au second degré, sourire à son humour potache, à son nihilisme revendiqué, à ses personnages stéréotypés, à ses outrances tout bien considéré bien anodines.

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L’Arme à gauche (1965) ★★★☆

Jacques Cournot (Lino Ventura) est un navigateur au long cours appelé à Saint-Domingue pour y expertiser un yacht, le Dragoon, avant son achat par un riche homme d’affaires dirigeant d’une société pharmaceutique. Il est en fait le dupe de trafiquants d’armes qui, une fois l’expertise réalisée, s’emparent du bateau et voguent vers l’Amérique du sud. Pour aider la propriétaire, Rae Osborne (Sylva Koscina), Cournot accepte de partir à la recherche du navire avec l’aide d’un de ses amis aviateurs. Il le retrouve échoué sur un banc de sable

En 1965, Claude Sautet se cherche encore. Il deviendra dix ans plus tard l’entomologiste des années Giscard, le peintre de la bourgeoisie française des années 70, avec ses chefs d’œuvre : César et Rosalie, Mado, Une histoire simple… Il fait ses premières armes dans le cinéma noir de série B, comme c’était la mode à l’époque.

L’Arme à gauche m’a fait penser à Plein Soleil de René Clément, adapté de Patricia Highsmith. La raison en est sans doute son cadre à la fois exotique et claustrophobe. Toute la seconde moitié de L’Arme à gauche se déroule en effet dans le Dragoon. J’ai pensé aussi à Calme blanc de Philip Noyce – qui révéla Nicole Kidman. Quelle ne fut ma surprise de découvrir que ces deux films étaient l’un comme l’autre des adaptations du même auteur de polar américain Charles Williams : Aground (1961) et Dead Calm (1963).

L’Arme à gauche est un film tout entier construit à la gloire de son acteur principal. Lino Ventura est en 1965 au sommet de sa gloire. Il vient de tourner Les Tontons flingueurs et Les Barbouzes. Il a quarante-six ans à peine et est encore dans la force de l’âge. Dans les rues moites de Saint-Domingue, il ne quitte jamais son élégant costume cravate. Il ne le quitte pas non plus quand il monte à bord du Dragoon. Tout au plus retire-t-il sa cravate et ses richelieus pour plonger. Il incarne une virilité brute et taiseuse qui était encore de rigueur à l’époque et qui a bien évolué, pour le meilleur ou pour le pire selon l’opinion qu’on s’en fait.

L’Arme à gauche n’est pas un chef d’œuvre inoubliable et n’avait aucune ambition à l’être. Mais c’est un excellent film dont toute la seconde partie réussit, avec une étonnante économie de moyens, à nous tenir en haleine.

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Simone Barbès ou La Vertu (1979) ★☆☆☆

Simone Barbès (Ingrid Bourgoin) est ouvreuse dans un cinéma porno de la rue de la Gaîté, près de la gare Montparnasse, qui voit défiler une faune hétéroclite de vieux pervers, de messieurs distingués, de resquilleurs inventifs et de voyageurs pressés qui tuent le temps en attendant leur prochain train. Son travail achevé, elle se rend dans un bar lesbien pour y attendre son amoureuse qui la fait lanterner. De guerre lasse, à l’aube blanchissante, Simone rentre à pied chez elle. Un croupier en voiture (Michel Delahaye) s’arrête sur les Grands Boulevards pour la reconduire.

Simone Barbès est une curiosité post-soixante-huitarde sortie dans les salles en février 1980 et quasiment invisible jusqu’à sa restauration en 2018. Une unique salle parisienne l’a diffusé à un horaire incongru (le samedi à 11h50) devant un public clairsemé de cinéphiles hors du temps.

Le personnage de Simone Barbès a la gouaille des actrices d’avant-guerre et l’élocution d’une Arletty (la « Gauloise sans filtre ») ou d’une Suzy Delair. Le film a des airs de Nouvelle Vague crépusculaire. On imagine qu’il a été tourné avec un budget minimaliste – et une bande de potes – dans deux décors crapoteux : le hall d’un cinéma porno – comme il n’en existe plus depuis la VHS et Internet – et une boîte lesbienne dont je ne suis pas sûr qu’il en existe encore beaucoup avec son orchestre minable et sa boule à facettes.

Mathieu Macheret se pâme dans Le Monde évoquant « l’un des chefs-d’œuvre oubliés du cinéma français ». Je serais nettement moins dithyrambique, me bornant à lui reconnaître une seule qualité : sa concision – « toute racinienne » dit Macheret…. alors que j’ignorais que Racine eût jamais été concis.

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Ragtime (1981) ★★☆☆

Une famille bourgeoise de New Rochelle, dans l’Etat de New York, au tout début du vingtième siècle, dont l’un des membres s’est amouraché d’une midinette, découvre dans son jardin un bébé noir abandonné. Le père du bébé, Coalhouse Walker Jr., un pianiste de ragtime, revient bientôt le chercher. Mais la Ford-T qu’il conduit est bloquée près d’une caserne de pompiers et endommagée. Coalhouse ne se remet pas de cet affront. Il exige réparation et s’engage dans une folle spirale de violence qui le conduira, avec une bande de complices, à se retrancher dans la Pierpont Morgan Library et à menacer de la faire exploser si le chef des pompiers qui l’a insulté ne lui présente pas des excuses.

Le ragtime est d’abord une musique populaire, ancêtre du jazz, jouée par des musiciens afro-américains au tout début du XXème siècle. C’est aussi le titre d’un roman historique écrit en 1975 par Edgar Lawrence Doctorow. Ce livre foisonnant entrelace plusieurs histoires, la principale étant celle de ce pianiste noir qui, comme le Michael Kohlhaas de Kleist veut que justice lui soit rendue, quel qu’en soit le prix. C’est bien le fil principal que finit par suivre le film, foisonnant lui aussi (il dure deux heures et trente cinq minutes) de Forman. Mais auparavant, il en avait tiré d’autres et nous avait entraîné sur de fausses pistes. En effet, plus que le livre, il donne une grande place au personnage d’Evelyn Nesbit dont le mari, à moitié fou, avait assassiné l’architecte Stanford White auquel il reprochait d’avoir eu une relation alors que sa femme était âgée de seize ans à peine.

Milos Forman ne lésine pas sur les moyens pour reconstituer luxueusement le New York de la Belle Époque, ses avenues grouillantes où les premières automobiles se faufilent au milieu des fiacres, ses bals endiablés où l’alcool coule à flot au son du ragtime des orchestres noirs. Il nous introduit à une galerie de personnages hauts en couleurs, le plus attachant n’étant pas hélas, le héros Coalhouse Walker Jr., mais plutôt la charmante Evelyn que l’histoire hélas délaisse en chemin.
On aurait aimé que le film garde sa structure chorale et continue, comme il l’avait fait dans sa première moitié, à nous balader d’un personnage à l’autre, d’une histoire à l’autre. Mais il fait le choix de se focaliser sur une seule histoire et sur le long siège de la Morgan Library par les forces de police dirigées par Rhinelander Walod qu’interprète dans son tout dernier rôle, à quatre-vingts ans passés, le légendaire James Cagney.

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Le Général Della Rovere (1959) ★★☆☆

L’action se déroule à Gênes sous l’occupation allemande à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Emanuele Bardone (Vittorio De Sica) est un joueur invétéré et un mythomane accompli. Portant beau, il abuse de la crédibilité des familles de prisonniers italiens en prétendant qu’il peut intercéder auprès des autorités allemandes. Mais sa supercherie ayant été révélée, il est fait prisonnier. Le chef de la police allemande, le colonel Müller, décide de le faire passer pour le général Della Rovere, un haut gradé qui vient d’être tué alors qu’il tentait de revenir en Italie y prendre la tête de la Résistance. Il lui demande, en échange de sa libération, de dénoncer ses co-détenus.

J’ai découvert Rossellini durant l’été 1992, en pleine révision, grâce à une rétrospective diffusée dans l’un des cinémas du Quartier-Latin (était-ce la Filmothèque ou le Champo ?). Je me souviens encore du choc que j’ai ressenti devant Rome ville ouverte, Païsa, Allemagne année zéro que j’avais vu à la suite l’un de l’autre, au risque d’y délaisser mes cours de droit public et de macro-économie. Je me demande comment j’y réagirais aujourd’hui. Car le cinéma de Rossellini a mal vieilli. Sa grandiloquence est passée de mode.

Le Général Della Rovere (qui, à l’origine, est sorti en France sous le titre Le Général de la Rovere avant, quelques années plus tard de revenir à un plus orthodoxe « Della ») est tourné quinze ans plus tard, à l’orée des années soixante. Le néoréalisme italien a fait long feu. Mais le cinéma de Rossellini n’a guère évolué. Il tourne toujours en noir et blanc un sujet édifiant tiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée durant la Seconde guerre mondiale.

Le Général… est l’histoire d’une rédemption. Un minable arnaqueur va devenir un héros. On retrouve là les thèmes qui traversent tout le cinéma de Rossellini : son humanisme, sa foi chrétienne, son communisme, l’exaltation des valeurs de la Résistance au fascisme…. Ces thèmes sont-ils encore d’actualité ?

Qu’on instruise ou pas ce procès-là contre ce film, il est sauvé par la fluidité de sa mise en scène et surtout par l’interprétation de Vittorio De Sica. Le réalisateur du Voleur de bicyclette est impérial dans le rôle titre. Il réussit tout à la fois à lui donner la gouaille du malfrat et la noblesse du héros de guerre.

La bande-annonce