High School (1968) ★★★☆

En 1968, un an après Titicut Follies, dont la sortie est retardée par d’interminables disputes judiciaires, Frederick Wiseman tourne son deuxième documentaire dans un lycée de la banlieue middle class de Philadelphie.

Sa méthode est déjà en place et ne variera plus : pas d’interviews, pas de voix off, pas de musique, un tournage rapide (High School a été tourné en moins d’un mois) en immersion complète, une équipe technique réduite au minimum (Wiseman assure lui-même la prise de son et guide son cadreur en lui murmurant à l’oreille ses consignes) et un long travail de montage à partir de la montagne de rushes accumulés.

Tout en se défendant de toute ambition sociologique, Wiseman entreprend de dresser le portrait de l’Amérique de son temps en racontant chacune de ses institutions : l’hôpital (Titicut Follies, Hospital), l’école (High School), la police (Law and Order), la justice (Juvenile Court), l’aide sociale (Welfare)…. Son tout premier film était clairement militant : avec Titicut Folies, Wiseman entendait dénoncer les maltraitances commises dans les hôpitaux psychiatriques. À partir de son deuxième, Wiseman est moins partisan même si son regard n’en demeure pas moins aiguisé.

Wiseman nous laisse le choix. C’est peut-être l’une des plus grandes vertus de ses documentaires. Il ne développe pas une thèse, ne défend pas un point de vue. Il nous montre ce qu’il y a à voir, avec la plus grande honnêteté intellectuelle possible. Si Wiseman avait voulu signer un documentaire à charge et faire du lycée qu’il filme le bastion d’un patriarcat toujours dominant, il aurait monté son film autrement. Il ne l’aurait pas conclu par le long discours de sa directrice, véritable ode à la méritocratie et à l’égalité des chances.

Il choisit de poser sa caméra dans un lycée mixte. On est à la fin des années 60 ; mais on est bien loin des campus hippies de Californie. Une morale stricte prévaut encore, imposée par un corps enseignant qui porte la cravate pour les hommes, le tailleur strict pour les femmes. Certains enseignants sont plus jeunes. Ce sont les plus libéraux : l’un cite « L’Autre Amérique » de Michael Harrington dans son cours de sociologie, l’une fait écouter à ses élèves en cours de littérature une chanson de Simon & Garfunkel.

Dans ce lycée si emblématique de l’Amérique middle class, les archétypes ont la vie dure. Les filles suivent des cours de cuisine et de couture – même si on y voit aussi quelques garçons. Les mini-jupes, les robes trop moulantes leur sont interdites. Une professeure leur donne des conseils de maintien et décoche aux filles les plus disgracieuses des remarques peu amènes qui lui vaudraient aujourd’hui une exclusion de l’Education nationale et la vindicte des réseaux sociaux.
Un gynécologue vient répondre aux questions des élèves, dont l’hilarité cache mal le trouble. Sans doute une telle intervention n’aurait-elle pas été concevable quelques années plus tôt. Qu’un cours d’éducation sexuelle soit dispensé à ces adolescents montre que l’enseignement qu’ils reçoivent n’est pas si rétrograde. Les propos qu’il tient n’en sont pas moins malaisants, qu’on ne tiendrait plus aujourd’hui.

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Bernie (2011) ★★☆☆

La petite ville de Carthage, dans l’est du Texas, a connu dans les années 90 un fait divers retentissant : Bernie Tiede (Jack Black), directeur adjoint de l’entreprise de pompes funèbres municipale, un homme charmant adoré de la communauté, a assassiné Marjorie Nugent (Shirley McLaine), une riche veuve acariâtre dont il partageait depuis quelque temps la vie.
Richard Linklater, le réalisateur de Boyhood, l’un de mes films préférés de la dernière décennie, a construit un film original à mi-chemin de la fiction et du documentaire. Il a demandé à des acteurs professionnels d’interpréter les rôles des différents protagonistes. Il a notamment confié à Matthew McConaughey le procureur bas du front chargé d’incriminer Bernie. Mais il a parallèlement recueilli le témoignage des habitants de Carthage, unanimement favorables à Bernie et enclins à le disculper.

Le résultat est désopilant. Il l’est d’abord à cause de la profession de Bernie, qui donne lieu à quelques scènes délicieusement malaisantes, comme la première où on le voit expliquer devant des étudiants en thanatopraxie les secrets de son art. Il l’est ensuite dans la relation qu’il noue avec l’horrible Marjorie, incarnée par Shirley McLaine qui a le défaut de ne pas être suffisamment antipathique pour un tel rôle à la Bette Davis ou à la Tsilla Chelton (Tatie Danielle). Il l’est enfin par sa morale, ou plutôt par son absence de morale : difficile de ne pas prendre fait et cause pour ce brave bougre de Bernie et ne pas espérer qu’il soit innocenté du crime pourtant sordide qu’il a commis.

Le problème de Bernie est qu’il tient tout entier dans le résumé que je viens d’en faire. Richard Linklater aurait pu souligner les ambiguïtés du personnage : Bernie n’a-t-il pas séduit Majorie pour mettre la main sur sa richesse ? n’avait-il pas prémédité son crime ? Séduit par son personnage, convaincu de sa candeur, le film ne creuse pas ces pistes qui, crédibles ou pas, auraient donné plus de profondeur à une histoire finalement trop lisse.

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Les Musiciens de Gion (1953) ★★★☆

Eiko est une jeune orpheline, dont la mère, une ancienne geisha, vient de mourir et dont le père, perclus de dettes, ne peut subvenir à l’éducation. Aussi demande-t-elle à Miyoharu de la former au métier de geisha. Pour ce faire, Miyoharu doit s’endetter auprès de Okimi, la riche propriétaire d’une maison de thé. En échange, une fois EIko formée, Okimi exige des deux femmes qu’elles cèdent aux avances de deux clients, un businessman et un haut fonctionnaire. Eiko s’y refuse et blesse l’homme d’affaires qui était sur le point de la violer. Cet incident ulcère Okimi qui retire aux deux geishas tous leurs engagements.

Kenji Mizoguchi est un des plus grands réalisateurs japonais. Décédé à 58 ans à peine, il a laissé une œuvre immense dont beaucoup de films ont été perdus. Sa carrière débute dès les années 20. L’essentiel de sa production, pléthorique, est constituée de films muets. Mais si Mizoguchi a atteint la célébrité, c’est grâce à la dizaine de films qu’il signe au début des années 50 : Les Contes de la lune vague après la pluie, La Rue de la honte, Les Amants sacrifiés

Les Musiciens de Gion est le remake d’un film qu’il avait tourné en 1933. D’une grande brièveté, d’une grande simplicité, il a pour héroïnes deux geishas. La plus jeune des deux fait ses premiers pas, dans cet univers codifié et fantasmé, sous la férule de la seconde plus âgée. Mizoguchi a toujours été fasciné par ce milieu, source de bien des fantasmes et de contresens. Les geishas n’étaient pas en effet, comme l’Occident l’imagine, des prostituées qui vendaient leur corps, mais des dames de compagnie recherchées pour leur conversation et leur grâce. Pour autant, elles devaient souvent se placer sous la protection d’un tuteur qui parfois exerçait sur elles son droit de cuissage.

Les Musiciens de Gion ressemble par son économie de moyens et sa cruauté à une nouvelle de Maupassant. La jeune Eiko y rencontre les limites posées à la condition féminine. Elle y fait également l’expérience de la sororité, avant que le concept devienne galvaudé.

Il n’y a aucune longueur, aucun temps mort dans une mise en scène parfaitement agencée. Le noir et blanc est d’une élégance intemporelle. Les cadrages annoncent ceux d’Ozu, au ras du tatami, avec des personnages souvent filmés à travers une ouverture, dans un arrière-plan étudié.

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L’Inhumaine (1924) ★★★☆

Claire Lescot, une cantatrice adulée, repousse tous les hommes qui lui font la cour. Sa froideur désespère l’un de ses sigisbées, le savant Einar Norsen, qui, fou d’amour , après une ultime rebuffade, précipite son bolide dans la Seine. Son suicide fait scandale. D’autant que le lendemain, Claire Lescot devant une foule haineuse, se produit au théâtre des Champs-Elysées dans un récital que la décence aurait dû la convaincre d’annuler.

L’Inhumaine est un des chefs d’oeuvre du cinéma muet, magnifiquement restauré en 2015. Il vaut surtout pour ses décors futuristes réalisés par l’architecte Robert Mallet-Stevens et par le peintre Fernand Léger dont on reconnaît le goût pour les volumes géométriques et les machines vrombissantes.

Son rôle principal est tenu par Georgette Leblanc, la sœur du célèbre romancier Maurice Leblanc (créateur d’Arsène Lupin) et la compagne de Maurice Maeterlinck. Forte tête, elle avait fait fortune aux Etats-Unis et accepté de financer une partie du film à condition d’en être la tête d’affiche, quand bien même elle n’avait plus l’âge du rôle, ni le physique. Elle fait penser à Sarah Bernhardt.

L’Inhumaine était projeté à la Fondation Seydoux devant la Société des amis de Balzac. Un débat suivait la projection durant lequel la présidente de cette société savante, Anne-Marie Baron, défendait une thèse inédite : L’Inhumaine serait une adaptation de La Peau de chagrin auquel il emprunte il est vrai plusieurs traits.
Je ne suis pas suffisamment versé dans Balzac pour discuter cette thèse. J’ai été impressionné par le modernisme d’une oeuvre qui vient de célébrer son premier siècle. On y voit des bolides, des machines, un savant qui, comme le Dr Frankenstein ou comme Rotwang dans Metropolis croit avoir découvert le secret de la vie. Plus que la référence à Balzac, c’est cette thématique qui m’a frappé. On la retrouve dans tous ces chefs d’oeuvre des années vingt : la science prométhéenne, son progrès inéluctable qui lui permet de défier le pouvoir des dieux et de repousser la fatalité de la mort, voire de créer la vie.

Un extrait

Le Rebelle (1949) ★☆☆☆

Howard Roark (Gary Cooper) est un architecte avant-gardiste surdoué. Son individualisme forcené, son refus de tout compromis compliquent ses relations avec ses donneurs d’ordre, à la différence de son camarade d’université, Peter Keating dont le carnet de commande ne désemplit pas. Howard Roark réussit néanmoins à s’associer à un vieil architecte non-conformiste qu’une campagne de presse menée par le quotidien The Banner accule à la faillite.
Dominic Francon (Patricia Neal) est journaliste à The Banner. Elle y signe des critiques d’architecture et s’y oppose au chef de la section, Ellsworth Toohey, plus sensible qu’elle à l’air du temps et aux goûts du vulgaire. Son patron, Gail Wynand (Raymond Massey), un homme sans scrupule qui a construit un empire à partir de rien, s’entiche d’elle et en fait sa femme. Mais Dominic Francon est secrètement amoureuse de Howard Roark. Elle ira même jusqu’à devenir sa complice lorsqu’il dynamite un projet d’immeubles défigurés par les modifications apportées par les promoteurs à ses plans. Lors du procès qui le mettra en cause, Howard Roark prononcera un plaidoyer vibrant pour ses valeurs.

Si Le Rebelle est ressorti en salles, c’est à cause de The Brutalist. Cette autobiographie déguisée de Frank Lloyd Wright l’a en effet inspiré. Il a comme lui pour héros un architecte qui réalise des immeubles modernistes et fonctionnels d’une simplicité qui rompt avec le style néo-classique qui était à la mode à New York dans la première moitié du vingtième siècle. Comme The Brutalist et peut-être même plus que lui, Le Rebelle est l’occasion de voir de sublimes réalisations architecturales, des esquisses, des maquettes et même des immeubles. J’ai été frappé, vers le milieu du film, par le superbe escalier intérieur de l’immeuble Enright.

Mais Le Rebelle est avant tout l’adaptation d’un roman d’Ayn Rand. Alice O’Connor, née Alisa Zinovyevna Rosenbaum à Saint-Petersbourg en 1905, quitta l’URSS en 1926 et n’y revint jamais. La publication de The Fountainhead (en français La Source vive) en 1943 lui valut une immense célébrité. Hollywood en acheta les droits et King Vidor en signa l’adaptation sous le titre plus explicite du Rebelle.

Figure de l’anti-communisme, Ayn Rand prône un individualisme radical et un « égoïsme rationnel ». Pour elle, la société est une construction artificielle, instrumentalisée par une minorité. Seuls comptent l’individu, son éthique, son mérite et sa réussite.

Regarder Le Rebelle aujourd’hui est une expérience troublante. Son noir et blanc, ses acteurs hollywoodiens, ses personnages si archétypiques (Roark incarne l’intransigeance, Toohey la démagogie, Wynand l’ilusion de toute-puissance….) rappellent les grands films des années quarante. Mais son idéologie est aux antipodes de l’humanisme d’un Capra, d’un Ford, d’un Lubitsch. Le mot démocratie n’est jamais prononcé. La notion même de corps social est battue en brèche. Seul l’individu existe dont la force de conviction est glorifiée : avoir raison contre tout le monde est la seule chose qui semble compter.

Cette morale profondément individualiste et, si on osait dire, trumpienne crée un malaise. Elle résonne douloureusement avec notre époque : comment vouer un tel culte à l’individu, aussi génial soit-il ?  comment tourner le dos à la société, aux besoins des plus fragiles et au vivre-ensemble ? Entre l’hyperindividualisme libertarien prôné par Ayn Rand et le collectivisme honni, l’après-guerre a su dessiner une voie plus modérée et plus efficiente : la social-démocratie.

Je suis curieux de l’écho que ce roman et ce film ont eu à leur sortie : 1943 pour le livre, 1949 pour le film. En 1943, les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne hitlérienne au nom du droit universel à l’auto-détermination, à la sécurité et au développement économique, alors qu’Ayn Rand fait l’apologie de l’individualisme et du surhomme nietzschéen. En 1949 commence la Guerre froide alors que le film de King Vidor, tourné dans des décors futuristes qui rappellent l’expressionnisme russe, se termine par un plan en contre-plongée de Gary Cooper filmé comme un héros stakhanoviste.

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Quatre Nuits d’un rêveur (1971) ☆☆☆☆

Jacques est un peintre solitaire prompt à s’enflammer au contact des jeunes femmes qu’il croise lors de ses longues errances parisiennes. Une nuit, alors qu’il traverse le Pont-Neuf, il croise Marthe et la sauve de la noyade. Elle lui raconte son histoire et le désespoir dans lequel l’a plongée la disparition de son amant. Jacques s’éprend de Marthe et entend vibrer sa voix dans tous les bruits du monde.

Robert Bresson est, sans doute possible, l’un des plus grands réalisateurs du siècle dernier. Il a signé des chefs d’oeuvre : Les Dames du bois de Boulogne, Le Journal d’un curé de campagne, fiévreuse adaptation du fiévreux roman de Bernanos à l’excipit célèbre : « Tout n’est que grâce »), Un condamné à mort s’est échappé (que j’avais vu en 1993 au festival du film d’Histoire de Pessac et qui m’avait marqué durablement), Procès de Jeanne d’Arc (que j’ai revu aux 3 Luxembourg assis à côté de Jeanne Delay), Au hasard Balthazar (qui m’avait fait découvrir l’oeuvre littéraire de Anne Wiazemsky), Mouchette….

On se demande pourquoi ressort en ce pâle mois de février 2025 l’un de ses films les moins connus.
Après Pickpocket et Une femme douce, Bresson adapte une nouvelle fois Dostoïevski. Quelques années avant lui, Visconti s’était déjà inspiré de la même nouvelle, confiant à Marcello Mastroianni le rôle joué ici par Guillaume des Forêts (un bel inconnu dont ce fut le seul rôle au cinéma).

Le film est d’un romantisme échevelé. Il met en scène deux jeunes gens solitaires et passionnés. C’est l’histoire d’un amour impossible et l’illustration de la théorie stendhalienne de la cristallisation amoureuse.

Son hiératisme un peu démodé m’avait déjà tenu à distance des Nuits Blanches de Visconti. S’ajoute ici le non-jeu revendiqué des acteurs de Bresson, ses « modèles » à la voix blanche, dénués d’expression. Je conçois qu’on puisse crier au chef d’oeuvre. Mais hélas, je suis passé à côté….

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Le Miroir aux alouettes (1965) ★★★☆

En 1942, dans la Slovaquie occupée, Tono, un honnête menuisier, accepte sous la pression de sa femme qui le pousse à s’élever, le mandat que lui confie son beau-frère, chef de la milice locale : en vertu des nouvelles lois d’aryanisation, il prend en gérance la mercerie d’une vieille Juive, Mme Lautmannova. mais la vieille femme, sourde et à moitié sénile, se trompe sur les intentions de Tono. Elle le prend pour son apprenti et le traite comme tel. Tono renonce à rétablir la vérité. Commence entre la mercière et le menuisier une relation qui se fracassera sur l’ordre de déportation de tous les Juifs du village.

Le Miroir aux alouettes joue sur deux registres. Le premier est dramatique. Pour les deux réalisateurs Ján Kadár et Elmar Klos, il s’agit tout à la fois d’évoquer le sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et la passivité des citoyens « ordinaires » qui n’ont rien fait pour empêcher leur extermination. Le second est comique. Dans un registre qui rappelle la comédie italienne, voire La vie est belle trente ans plus tard, le scénario raconte un quiproquo et en tire le meilleur parti jusqu’au dénouement, glaçant.

Le Miroir aux alouettes constitue un film marquant dans l’histoire du cinéma tchécoslovaque. C’est le premier film tchèque en compétition à Cannes, le premier à décrocher l’Oscar du meilleur film étranger. Il annonce la Nouvelle Vague tchèque et les films de Miloš Forman et de Jiří Menzel.

C’est aussi un jalon marquant dans la cinématographie de la Shoah. Certes, Nuit et Brouillard de Resnais en 1956 avait levé un tabou. Mais les années 60 et 70, avant le téléfilm Holocauste en 1977, Le Choix de Sophie en 1982 et surtout Shoah en 1985, le documentaire-choc de Claude Lanzmann, ne s’étaient guère emparées du sujet, certains cinéastes pointant du doigt, à tort ou à raison, « l’abjection » – le mot est de Rivette dans sa critique de Kapò de Pontecorvo en 1962 – à le filmer.
Le Miroir aux alouettes ne filme pas les camps de la mort. Il ne filme pas non plus la déportation des Juifs, sinon à l’arrière-plan de la scène finale. Il a comme sujet un homme « ordinaire », comme Lacombe Lucien ou Monsieur Klein, et, loin du piège sentimental du « héros solitaire », dans lequel beaucoup de films sur la guerre sont tombés, il interroge avec d’autant plus d’acuité la célèbre citation d’Edmund Burke : « Pour que le mal triomphe seule suffit l’inaction des hommes de bien ».

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Le Privé (1973) ★★★☆

Philip Marlowe (Elliott Gould) est un détective privé qui vit seul à Los Angeles avec son chat. Par fidélité pour son ami, Terry Lennox, il accepte de le conduire en pleine nuit au Mexique avant d’apprendre à son retour que Sylvia, l’épouse de Terri, a été assassinée et que Terry est accusé du crime. L’annonce du suicide de Terri et de ses confessions ne suffit pas à dissiper les doutes de Marlowe qui décide d’élucider ce meurtre mystérieux.
Son enquête le mène chez les voisins des Lennox, les Wade. Roger Wade est un romancier alcoolique en panne d’inspiration. Eileen Wade suspecte son mari d’avoir eu une liaison avec Sylvia et de l’avoir tuée.

À sa sortie en 1973, Le Privé avait connu un bide retentissant. Les critiques et les spectateurs ne lui avaient pas pardonné les libertés qu’il avait prises avec le roman de Chandler et avec les règles iconiques du film noir.
Il est vrai qu’Elliot Gould ne ressemble guère à Humphrey Bogart ni les 70ies aux 40ies. Mais, à y regarder de plus près, Altman n’est pas si infidèle à Chandler qu’on le lui reproche. Certes, on n’imagine pas Humphrey Bogart câliner son chat comme Elliott Gould dans la première scène du film. Mais les deux hommes partagent le même code d’honneur, le même dandysme, le même refus des règles d’une société frelatée par le crime, la luxure et l’alcoolisme. Et si la fin du Privé s’éloigne considérablement de celle du roman de Chandler, elle en a le même esprit.

Aujourd’hui, Le Privé a été réhabilité. Il a trouvé sa place dans le panthéon du cinéma hollywoodien. Il le doit à l’aura de son réalisateur, le grand Robert Altman, et aussi à sa place dans l’histoire du film noir dont il constitue comme un post-scriptum seventies.

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La Flèche brisée (1950) ★★★☆

Après la guerre de Sécession, un soldat démobilisé, Tom Jeffords (James Stewart), cherche de l’or en Arizona. La guerre y fait rage entre l’armée de l’Union et les Indiens apaches du chef Cochise (Jeff Chandler). Jeffords, qui avait secouru un jeune Apache blessé et bénéficié en retour de la clémence des Indiens, ne partage pas les préjugés des Blancs à leur égard. Il veut apprendre leur langue, comprendre leur culture et trouver avec eux un accord pour mettre fin aux guerres interminables qui les opposent aux Blancs.

La Flèche brisée est un film marquant dans l’histoire du western. Bien avant Danse avec les loups ou Pocahontas, il rompt avec l’imagerie traditionnelle qui prévalait jusqu’alors. Le western participait d’un mythe, celui de la frontier sans cesse repoussée. Les colons blancs, appuyés par l’armée américaine, y entreprenaient une œuvre prométhéenne : ils construisaient une nation, se battant contre une nature ingrate et contre ses occupants, violents et fourbes, ravalés à un statut quasi-animal de bêtes sauvages dont il fallait se défier et qu’il fallait exterminer. Ils étaient du côté du Bien, les Indiens du côté du Mal.

Loin du manichéisme d’un John Ford, Delmer Daves, qui a voyagé chez les Indiens et appris leur langue, cherche à les réhabiliter. Il y réussira en partie. Jeff Chandler, l’interprète légendaire de Cochise, personnifiera pour longtemps ce chef apache à la fois indomptable et ouvert au dialogue. Dans le rôle de « passeur de cultures », James Stewart effectue grâce à ce rôle et grâce à celui qu’il tient dans Winchester 73 qu’il tourne la même année, un tournant dans sa carrière. Le gendre idéal qu’il incarnait dans les comédies de Capra, de Cukor ou de Lubitsch, a vieilli. Il est plus aguerri, plus philosophe. Il devient le héros de western par excellence : L’Appât, L’Homme de la plaine, L’Homme qui tua Liberty Vallance, La Conquête de l’Ouest….

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Assaut (1976) ★★★☆

Un commissariat de police est sur le point de fermer dans le sud de Los Angeles. Bishop, un lieutenant noir inexpérimenté, est chargé d’y assurer l’ultime garde en compagnie d’un sergent, d’une secrétaire et de la standardiste. Alors qu’un convoi transportant trois détenus vers un établissement de haute sécurité y fait une halte inopinée et qu’un père de famille, qui vient de perdre sa fille sauvagement assassinée, y pénètre, le commissariat est pris sous le feu d’une horde d’assaillants surarmés qui ont juré de venger la mort de six des leurs tués la veille par la police.

Quand il tourne en vingt jours Assault on Precinct 13, avec un budget de fortune, des acteurs inconnus, John Carpenter n’a pas trente ans et un seul film, passé inaperçu, à son actif. À sa sortie aux Etats-Unis en 1976, le film est un échec critique et commercial. Mais il bénéficie en Europe d’un bouche à oreille élogieux et devient bientôt culte. Carpenter accèdera à la célébrité deux ans plus tard avec Halloween et connaîtra son heure de gloire dans les années 80 en multipliant les succès : New York 1997, The Thing, Christine….

Ce qui frappe dans Assaut, c’est combien le manque de temps et de moyens, loin de nuire au film, a forcé son réalisateur à des solutions simples et efficaces. Unité de temps – tout se passe en moins de vingt-quatre heures – unité de lieu – l’action se déroule dans le commissariat et dans ses environs immédiats – unité d’action – les assiégés résisteront-ils à leurs mystérieux assaillants ?

Cette série B regorge de maladresses, de plans mal cadrés, mal montés. Sa musique, aussi iconique soit-elle devenue, est horriblement datée. Son scénario souffre d’un manque d’écriture. Ses acteurs sont calamiteusement dirigés. Pour autant, tous ces défauts font paradoxalement la qualité de ce film qui se regarde comme une confiserie sans âge. La raison en est peut-être que Carpenter – qui reconnaît sa dette aux classiques de Howard Hawks – a inventé un genre, à l’intersection du western et du film d’horreur (les assaillants, sans mots ni visages, évoquent les zombies de Romero). La raison en est tout simplement que Assaut se laisse regarder avec le plaisir régressif de passer un bon moment.

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