Vie privée (1962) ★☆☆☆

Jill (Brigitte Bardot) est une jeune fille genevoise de bonne famille qui monte à Paris et y devient une star de cinéma. Amoureuse de Fabio (Marcello Mastroianni), elle l’accompagne à Spolète en Italie où il monte une pièce méconnue de Kleist. Mais la vie du couple est rendue impossible par la foule des paparazzis qui harcèlent Jill.

En 1962, Brigitte Bardot est au sommet de sa gloire. Mais sa célébrité se retourne contre elle. Elle est sortie essorée du tournage de La Vérité avec Clouzot ; sa séparation avec Jacques Charrier, dont elle a eu un enfant début 1960, et son idylle avec Sami Frey font scandale ; BB se remet lentement d’une tentative de suicide.

C’est précisément ce sujet-là que Louis Malle entend traiter sur un mode quasi documentaire. Le jeune réalisateur a trente ans à peine ; mais il a déjà tourné Ascenseur pour l’échafaud et Zazie dans le métro. Il co-écrit le scénario avec Jean-Paul Rappeneau. Pour interpréter le compagnon de la star, il choisit une autre star, Marcello Mastroianni, qui vient de tourner La Dolce Vita avec Fellini et La Notte avec Antonioni, excusez du peu….

BB a rarement été aussi séduisante, en vichy à carreaux, cheveux longs et blonds, sensuellement dénoués ou montés en choucroute, ballerines au pied. Quant à Marcello, la petite quarantaine, il est sexy en diable. Le couple est d’ailleurs paradoxalement glamourisé par la mise en scène de Louis Malle et par sa photographie, alors que son scénario souligne au contraire les effets délétères de cette célébrité.

À cause de son casting, à cause de son sujet, Vie privée est bien entendu un film mythique que je suis content d’avoir vu. Mais ce n’en est pas moins un film raté qui n’a pas laissé de trace marquante dans l’histoire du cinéma. Malgré le talent de ses acteurs et celui de son réalisateur, le film fait flop. Le scénario est languissant, sans réel enjeu ; on ne sent aucune alchimie entre les deux acteurs et on peine à comprendre la passion qui est censée les lier ; et on n’éprouve aucune pitié pour le double autobiographique de BB, piégée par sa jolie frimousse.

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Lili Marleen (1981) ★★☆☆

À la fin des années trente, Willie (Hanna Schygulla), chanteuse de cabaret allemande, et Robert (Giancarlo Giannini), compositeur juif suisse dont la famille richissime aide des coreligionnaires à fuir le Reich, fileraient le parfait amour si le père de Robert n’y opposait son veto. Les deux amoureux sont séparés par la guerre, Willie en Allemagne où elle devient célèbre en interprétant la chanson Lili Marleen, Robert en Suisse où il continue à prendre tous les risques pour sauver des familles juives.

Rainer Fassbinder s’empare d’un mythe, la chanson mondialement connue pour son interprétation par Marlene Dietrich. Comme le raconte fidèlement le film, elle est chantée pour la première fois sans succès dans des petits cabarets de Berlin et de Munich. Elle doit son succès à sa programmation par la radio militaire allemande de Belgrade, en août 1941, une nuit où un bombardement avait détruit son stock de disques. L’anecdote donne lieu à une scène du film. Goebbels lui reprochait de « sentir la danse macabre ». Mais Göring et Hitler lui-même s’en étaient entichés, la propulsant immédiatement au rang de tube national. Elle sera diffusée jusqu’à trente-cinq fois par jour par Radio Berlin.

Au-delà de ce phénomène, Fassbinder peint une héroïne qui, à rebours de tout manichéisme, essaie tant bien que mal de faire son chemin dans l’Allemagne nazie. Ni résistante, ni collabo, Willie a pour seule boussole l’amour inaltérable qu’elle porte à Robert. C’est en quoi elle ressemble à beaucoup d’Allemands et pourquoi sa figure a eu autant de succès en RFA, Lili Marleen devenant l’un des films les plus populaires de Fassbinder, dont le cinéma contestataire se condamnait jusqu’alors à ne séduire que les franges.

Lili Marleen n’est pas exempt du maniérisme désuet qui leste le cinéma de Fassbinder. L’interprétation de Hannah Schygulla, l’égérie de Fassbinder avec qui elle tourna une quinzaine de films, ne réussit pas à le sauver tout à fait. Lili Marleen sera leur dernier film, Fassbinder s’éteignant brutalement l’année suivante d’une rupture d’anévrisme.

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Péché mortel (1945) ★★★☆

À l’occasion de vacances chez des amis au Nouveau-Mexique, le romancier à succès Richard Harland (Cornel Wilde) rencontre Ellen Berrent (Gene Tierney) et en tombe immédiatement amoureux. La jeune femme rompt ses fiançailles pour épouser Richard mais se révèle vite d’une jalousie maladive. En particulier elle supporte mal l’attention que son mari porte à Danny, son jeune frère frappé par la poliomyélite.

Péché mortel est un bijou tombé dans l’oubli que la Filmothèque a reprogrammé dans le cadre d’un festival Tierney, avec les plus grands films de l’icône hollywoodienne qui, disait-on, avait les plus beaux yeux du monde : Lara, L’Aventure de Mme Muir, Le ciel peut attendre

Péché mortel – une bien pâle traduction du titre original, Leave Her to Heaven, emprunté à un vers de Hamlet – est entré dans l’histoire du cinéma pour trois raisons.

La principale est son héroïne, magistralement interprétée par la sublime Gene Tierney, qui hérita du rôle après que Rita Hayworth l’eut décliné, et fut nommée pour son interprétation aux Oscars l’année suivante, sa seule et unique nomination à une récompense qu’elle n’obtint jamais. Elle est l’archétype de la femme fatale, qui puise son inspiration dans la mythologie grecque et dans les figures d’Electre, obsessivement attachée à son père, et de Médée, qui assassina ses enfants.

Péché mortel est aussi l’un des premiers films noirs, même s’il emprunte à d’autres genres : le mélodrame, le thriller.

C’est enfin l’un des tout premiers films en Technicolor. Ses images colorées magnifient la beauté de son héroïne, l’élégance des costumes et des décors – qu’on croirait droit sortis d’une revue de mode – et la tragédie que vivent ses personnages.

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Divorce à l’italienne (1961) ★★★☆

Le baron Ferdinando Cefalù (Marcello Mastroianni) n’est pas heureux en mariage avec Rosalia (Daniela Rocca), une matrone hommasse. Il n’a d’yeux que pour sa jeune cousine, la virginale Angela (Stefania Sandrelli). Mais, dans l’Italie de l’époque, le divorce lui est interdit. Pour épouser Angela, il conçoit un plan machiavélique : pousser Rosalia dans les bras d’un autre homme, surprendre le couple adultère, tuer l’amant et n’écoper que d’une peine légère au titre d’un crime d’honneur.

Après le néo-réalisme dans les années 40, Cinecittà, qui à l’époque connaissait une vitalité qu’il a depuis perdue, donnait naissance à un genre nouveau qui fit florès : la comédie à l’italienne. Après avoir décrit les problèmes sociaux qui traversent la société italienne avec noirceur, la comédie italienne préfère en rire, Son plus grand maître, aujourd’hui passablement oublié, fut Mario Monicelli qui fit tourner la star Totò et signa, en 1958, Le Pigeon avec Vittorio Gassman. Les grands maîtres de la comédie italienne, de plus en plus grinçante dans sa critique de la société italienne des années 70, de son conservatisme, de son hypocrisie, du fossé grandissant qui séparait les plus riches des plus pauvres, furent De Sica, Comencini, Risi.

Pietro Germi a été éclipsé par ces grands noms. Il a pourtant signé quelques comédies délicieuses dans les années 60, qui se moquaient gentiment de l’hypocrisie sexuelle des Italiens, qui faisaient encore mine de respecter les dogmes de l’Eglise catholique, tout en enchaînant en cachette les aventures.

Divorce à l’italienne est un film tout entier construit autour de son acteur principal. Marcello Mastroianni tourne alors depuis quinze ans. Il a atteint la célébrité grâce à son rôle dans Nuits blanches (1957) de Visconti, mais plus encore grâce à Dolce Vita (1960) de Fellini qui assoit son statut de latin lover, en Italie et à l’étranger. Une scène de Divorce à l’italienne se déroule d’ailleurs dans un cinéma où est projeté le film de Fellini devant une audience qui s’enflamme à chaque apparition d’Anita Ekberg.
Il est irrésistible, dans le registre de l’auto-dérision. Sans doute en fait-il beaucoup trop – alors qu’il sait fort bien avoir une interprétation plus retenue comme dans La Nuit (1961) d’Antonioni ou L’Etranger (1967) de Visconti. Mais on le lui pardonne volontiers.

Le scénario de Divorce à l’italienne n’est guère crédible. Mais peu importe. Il est d’une joyeuse immoralité et d’une communicative drôlerie, jusqu’à son ultime plan. Il est en phase avec une société en pleine évolution, qui s’échappe de la bigoterie pour plonger avec gourmandise dans la modernité, comme l’a montré l’Enquête sur la sexualité (1964) de Pasolini.

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Rouge Midi (1985) ★★☆☆

Rouge Midi raconte l’histoire d’une famille italienne arrivée par le train à L’Estaque dans la banlieue de Marseille dans les années vingt et de sa descendance sur quatre générations. Leur fille Maggiorina (Ariane Ascaride), employée à la cimenterie, rencontrera Jérôme (Gérard Meylan), un chauffeur de maître, et traversera avec lui le Front populaire et l’Occupation. Leur ami Mindou, secrètement épris de Maggiorina, est proxénète et a mis sur le trottoir Ginette en lui faisant miroiter une carrière d’artiste. Maggiorina et Jérôme ont deux enfants, Marie et Pierre qui grandiront pendant les Trente Glorieuses. Pierre fait des études et aura un fils, Sauveur (Gérard Meylan encore lui), qui, devenu adulte, hésite à quitter Marseille.

Une rétrospective est consacrée cette semaine à la Filmothèque du Quartier latin à Robert Guédiguian qui viendra chaque soir présenter ses films. C’est l’occasion de voir ou de revoir quelques pépites rares comme ce film-ci, son deuxième, tourné en 1984 et sorti l’année suivante. Ariane Ascaride n’avait pas trente ans et Gérard Meylan avait le même âge. Depuis quarante ans, on les a vus vieillir et c’est avec une réelle émotion qu’on les revoit si jeunes.

Rouge Midi est un film d’une étonnante ambition pour un réalisateur encore si inexpérimenté. Il s’agit de brosser l’histoire d’une famille marseillaise sur quatre générations des années vingt aux années quatre-vingts. On sent percer les deux arguments ô combien politiques de cette fresque : Marseille est une terre d’immigration qui s’est enrichie de l’apport de ces nouveaux venus, l’histoire de la cité phocéenne est celle des luttes syndicales qu’elle a vécues.

Robert Guédiguian plonge dans ses souvenirs comme Fellini dans Amarcord en ressuscitant le vieux Marseille de ses parents ou celui qu’il a connu, tout gamin, dans les années cinquante. Comme la totalité des films qu’il tournera ensuite, Rouge Midi est une déclaration d’amour à sa ville natale.

La limite de ce film est son manque de moyens. Pour tourner pareille fresque, qui aurait peut-être été plus adaptée au format d’une série, il aurait fallu un budget autrement plus important qui aurait permis des reconstitutions plus impressionnantes que celles, bien amateuristes, qu’on nous donne à voir. On aimerait sentir le grand vent de l’Histoire, les grèves du Front populaire, la débâcle de l’Occupation, la liesse de la Libération ; mais hélas, on ne voit rien de tout cela et on se limite bien vite à une succession de saynètes intimistes dans lesquelles, faute de transitions et de repères chronologiques, on finit par se perdre.

Un extrait

Daguerréotypes (1975) ★★★☆

Agnès Varda a un jour raconté que le périmètre de ce film a été décidé par la longueur du câble de sa caméra branchée chez elle, rue Daguerre, dans le 14ème arrondissement parisien. Avec une équipe technique réduite au minimum, elle filme les commerçants de son bout de rue et le spectacle bon enfant qu’y donne un magicien.

Daguerréotypes : le titre est à lui seul un jeu de mots. Daguerre est l’inventeur de la photographie. Daguerréotype est l’anthroponyme, tombé en désuétude, qui désignait les premières photographies. Le titre fait par ailleurs référence à la rue Daguerre où habitaient la réalisatrice, son mari Jacques Demy, sa fille Rosalie (qu’on voit dans une scène acheter du parfum) et son bébé Mathieu qui venait de naître.

Daguerréotypes vaut d’abord pour le témoignage historique et sociologique qu’il laisse d’un Paris aujourd’hui disparu. Agnès Varda en avait d’ailleurs conscience qui écrit : « ce sont des archives pour les archéo-sociologues de l’an 2975 ». On y voit des métiers aujourd’hui disparus : le droguiste, le quincailler, le vendeur de couleurs, le réparateur d’horloges…. Le boulanger cuit son pain en plein Paris dans un fournil à bois. Le moniteur d’auto-école y donne ses leçons dans une Simca 1000. On y décharge les bouteilles de Butagaz.
Ce qui frappe, ce sont les accents régionaux, qui restent très forts chez ces provinciaux qui, pour la plupart, viennent de l’Ouest de la France (l’épicier est néanmoins marocain et le droguiste arménien) et sont installés à Paris depuis des décennies. Le travail, on le fait en couple : le boucher et la bouchère, le coiffeur (Yves !) et la coiffeuse, le boulanger et la boulangère.

Mais Daguerréotypes vaut surtout par le regard empathique qu’il porte sur ces petites gens. Si Agnès Varda a atteint une telle célébrité, au point d’être canonisée santo subito à sa mort à quatre-vingt-dix ans en 2019, c’est parce que son cinéma avait une vertu rare : la bienveillance. C’est pour cela que Daguerréotypes qui est si daté n’a pas pris une ride : sa bienveillance est furieusement dans l’air de notre temps.

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High School (1968) ★★★☆

En 1968, un an après Titicut Follies, dont la sortie est retardée par d’interminables disputes judiciaires, Frederick Wiseman tourne son deuxième documentaire dans un lycée de la banlieue middle class de Philadelphie.

Sa méthode est déjà en place et ne variera plus : pas d’interviews, pas de voix off, pas de musique, un tournage rapide (High School a été tourné en moins d’un mois) en immersion complète, une équipe technique réduite au minimum (Wiseman assure lui-même la prise de son et guide son cadreur en lui murmurant à l’oreille ses consignes) et un long travail de montage à partir de la montagne de rushes accumulés.

Tout en se défendant de toute ambition sociologique, Wiseman entreprend de dresser le portrait de l’Amérique de son temps en racontant chacune de ses institutions : l’hôpital (Titicut Follies, Hospital), l’école (High School), la police (Law and Order), la justice (Juvenile Court), l’aide sociale (Welfare)…. Son tout premier film était clairement militant : avec Titicut Folies, Wiseman entendait dénoncer les maltraitances commises dans les hôpitaux psychiatriques. À partir de son deuxième, Wiseman est moins partisan même si son regard n’en demeure pas moins aiguisé.

Wiseman nous laisse le choix. C’est peut-être l’une des plus grandes vertus de ses documentaires. Il ne développe pas une thèse, ne défend pas un point de vue. Il nous montre ce qu’il y a à voir, avec la plus grande honnêteté intellectuelle possible. Si Wiseman avait voulu signer un documentaire à charge et faire du lycée qu’il filme le bastion d’un patriarcat toujours dominant, il aurait monté son film autrement. Il ne l’aurait pas conclu par le long discours de sa directrice, véritable ode à la méritocratie et à l’égalité des chances.

Il choisit de poser sa caméra dans un lycée mixte. On est à la fin des années 60 ; mais on est bien loin des campus hippies de Californie. Une morale stricte prévaut encore, imposée par un corps enseignant qui porte la cravate pour les hommes, le tailleur strict pour les femmes. Certains enseignants sont plus jeunes. Ce sont les plus libéraux : l’un cite « L’Autre Amérique » de Michael Harrington dans son cours de sociologie, l’une fait écouter à ses élèves en cours de littérature une chanson de Simon & Garfunkel.

Dans ce lycée si emblématique de l’Amérique middle class, les archétypes ont la vie dure. Les filles suivent des cours de cuisine et de couture – même si on y voit aussi quelques garçons. Les mini-jupes, les robes trop moulantes leur sont interdites. Une professeure leur donne des conseils de maintien et décoche aux filles les plus disgracieuses des remarques peu amènes qui lui vaudraient aujourd’hui une exclusion de l’Education nationale et la vindicte des réseaux sociaux.
Un gynécologue vient répondre aux questions des élèves, dont l’hilarité cache mal le trouble. Sans doute une telle intervention n’aurait-elle pas été concevable quelques années plus tôt. Qu’un cours d’éducation sexuelle soit dispensé à ces adolescents montre que l’enseignement qu’ils reçoivent n’est pas si rétrograde. Les propos qu’il tient n’en sont pas moins malaisants, qu’on ne tiendrait plus aujourd’hui.

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Bernie (2011) ★★☆☆

La petite ville de Carthage, dans l’est du Texas, a connu dans les années 90 un fait divers retentissant : Bernie Tiede (Jack Black), directeur adjoint de l’entreprise de pompes funèbres municipale, un homme charmant adoré de la communauté, a assassiné Marjorie Nugent (Shirley McLaine), une riche veuve acariâtre dont il partageait depuis quelque temps la vie.
Richard Linklater, le réalisateur de Boyhood, l’un de mes films préférés de la dernière décennie, a construit un film original à mi-chemin de la fiction et du documentaire. Il a demandé à des acteurs professionnels d’interpréter les rôles des différents protagonistes. Il a notamment confié à Matthew McConaughey le procureur bas du front chargé d’incriminer Bernie. Mais il a parallèlement recueilli le témoignage des habitants de Carthage, unanimement favorables à Bernie et enclins à le disculper.

Le résultat est désopilant. Il l’est d’abord à cause de la profession de Bernie, qui donne lieu à quelques scènes délicieusement malaisantes, comme la première où on le voit expliquer devant des étudiants en thanatopraxie les secrets de son art. Il l’est ensuite dans la relation qu’il noue avec l’horrible Marjorie, incarnée par Shirley McLaine qui a le défaut de ne pas être suffisamment antipathique pour un tel rôle à la Bette Davis ou à la Tsilla Chelton (Tatie Danielle). Il l’est enfin par sa morale, ou plutôt par son absence de morale : difficile de ne pas prendre fait et cause pour ce brave bougre de Bernie et ne pas espérer qu’il soit innocenté du crime pourtant sordide qu’il a commis.

Le problème de Bernie est qu’il tient tout entier dans le résumé que je viens d’en faire. Richard Linklater aurait pu souligner les ambiguïtés du personnage : Bernie n’a-t-il pas séduit Majorie pour mettre la main sur sa richesse ? n’avait-il pas prémédité son crime ? Séduit par son personnage, convaincu de sa candeur, le film ne creuse pas ces pistes qui, crédibles ou pas, auraient donné plus de profondeur à une histoire finalement trop lisse.

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Les Musiciens de Gion (1953) ★★★☆

Eiko est une jeune orpheline, dont la mère, une ancienne geisha, vient de mourir et dont le père, perclus de dettes, ne peut subvenir à l’éducation. Aussi demande-t-elle à Miyoharu de la former au métier de geisha. Pour ce faire, Miyoharu doit s’endetter auprès de Okimi, la riche propriétaire d’une maison de thé. En échange, une fois EIko formée, Okimi exige des deux femmes qu’elles cèdent aux avances de deux clients, un businessman et un haut fonctionnaire. Eiko s’y refuse et blesse l’homme d’affaires qui était sur le point de la violer. Cet incident ulcère Okimi qui retire aux deux geishas tous leurs engagements.

Kenji Mizoguchi est un des plus grands réalisateurs japonais. Décédé à 58 ans à peine, il a laissé une œuvre immense dont beaucoup de films ont été perdus. Sa carrière débute dès les années 20. L’essentiel de sa production, pléthorique, est constituée de films muets. Mais si Mizoguchi a atteint la célébrité, c’est grâce à la dizaine de films qu’il signe au début des années 50 : Les Contes de la lune vague après la pluie, La Rue de la honte, Les Amants sacrifiés

Les Musiciens de Gion est le remake d’un film qu’il avait tourné en 1933. D’une grande brièveté, d’une grande simplicité, il a pour héroïnes deux geishas. La plus jeune des deux fait ses premiers pas, dans cet univers codifié et fantasmé, sous la férule de la seconde plus âgée. Mizoguchi a toujours été fasciné par ce milieu, source de bien des fantasmes et de contresens. Les geishas n’étaient pas en effet, comme l’Occident l’imagine, des prostituées qui vendaient leur corps, mais des dames de compagnie recherchées pour leur conversation et leur grâce. Pour autant, elles devaient souvent se placer sous la protection d’un tuteur qui parfois exerçait sur elles son droit de cuissage.

Les Musiciens de Gion ressemble par son économie de moyens et sa cruauté à une nouvelle de Maupassant. La jeune Eiko y rencontre les limites posées à la condition féminine. Elle y fait également l’expérience de la sororité, avant que le concept devienne galvaudé.

Il n’y a aucune longueur, aucun temps mort dans une mise en scène parfaitement agencée. Le noir et blanc est d’une élégance intemporelle. Les cadrages annoncent ceux d’Ozu, au ras du tatami, avec des personnages souvent filmés à travers une ouverture, dans un arrière-plan étudié.

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L’Inhumaine (1924) ★★★☆

Claire Lescot, une cantatrice adulée, repousse tous les hommes qui lui font la cour. Sa froideur désespère l’un de ses sigisbées, le savant Einar Norsen, qui, fou d’amour , après une ultime rebuffade, précipite son bolide dans la Seine. Son suicide fait scandale. D’autant que le lendemain, Claire Lescot devant une foule haineuse, se produit au théâtre des Champs-Elysées dans un récital que la décence aurait dû la convaincre d’annuler.

L’Inhumaine est un des chefs d’oeuvre du cinéma muet, magnifiquement restauré en 2015. Il vaut surtout pour ses décors futuristes réalisés par l’architecte Robert Mallet-Stevens et par le peintre Fernand Léger dont on reconnaît le goût pour les volumes géométriques et les machines vrombissantes.

Son rôle principal est tenu par Georgette Leblanc, la sœur du célèbre romancier Maurice Leblanc (créateur d’Arsène Lupin) et la compagne de Maurice Maeterlinck. Forte tête, elle avait fait fortune aux Etats-Unis et accepté de financer une partie du film à condition d’en être la tête d’affiche, quand bien même elle n’avait plus l’âge du rôle, ni le physique. Elle fait penser à Sarah Bernhardt.

L’Inhumaine était projeté à la Fondation Seydoux devant la Société des amis de Balzac. Un débat suivait la projection durant lequel la présidente de cette société savante, Anne-Marie Baron, défendait une thèse inédite : L’Inhumaine serait une adaptation de La Peau de chagrin auquel il emprunte il est vrai plusieurs traits.
Je ne suis pas suffisamment versé dans Balzac pour discuter cette thèse. J’ai été impressionné par le modernisme d’une oeuvre qui vient de célébrer son premier siècle. On y voit des bolides, des machines, un savant qui, comme le Dr Frankenstein ou comme Rotwang dans Metropolis croit avoir découvert le secret de la vie. Plus que la référence à Balzac, c’est cette thématique qui m’a frappé. On la retrouve dans tous ces chefs d’oeuvre des années vingt : la science prométhéenne, son progrès inéluctable qui lui permet de défier le pouvoir des dieux et de repousser la fatalité de la mort, voire de créer la vie.

Un extrait