Pain, amour, ainsi soit-il (1955) ★★☆☆

L’ancien militaire Antonio Carotenuto (Vittorio De Sica) a décidé de prendre sa retraite à Sorrente, sa ville natale. Il y retourne accompagné de sa fidèle gouvernante Caramella (Tina Pica) pour apprendre par son frère que la locataire de sa maison natale, l’exubérante Sofia (Sophia Loren), refuse de la quitter. De guerre lasse, Antonio et Caramella se logent chez Dona Violante (Léa Padovani), une Sorrentine très pieuse.
Toujours vert et séducteur, Antonio a tôt fait de s’enflammer pour Sophia qu’il poursuit de ses assiduités. La jeune femme joue de la séduction qu’elle exerce en obtenant du vieux coq la prolongation de son bail et pour Nicola (Antonio Cifarella), le jeune et beau pécheur qu’elle aime en secret, un emploi de policier municipal.

Pain, amour et ainsi soit-il est le troisième et dernier volet d’une trilogie mettant en scène le génial Vittorio de Sica dans le rôle d’un carabinier entre deux âges, séducteur impénitent. Pain, Amour et fantaisie avait eu un tel succès en 1953 qu’une suite en fut immédiatement tournée l’année suivante avec le même réalisateur (Luigi Comencini) et les mêmes acteurs (Vittorio De Sica, Gina Lollobrigida, Marisa Merlini…). Pour le troisième opus, Dino Risi remplace Luigi Comencini et Sophia Loren Gina Lollobrigida, partie à Hollywood glaner une gloire qu’elle ne trouvera pas. Vittorio De Sica reste fidèle au poste, quitte à verser dans un cabotinage parfois bien laborieux.

La jeune Loren a vingt ans à peine quand elle tourne Pain, amour, ainsi soit-il. Coachée par Carlo Ponti, son aîné de vingt-deux ans et son futur mari, elle est déjà connue pour sa participation au concours de Miss Italie quatre ans plus tôt, pour quelques photos dénudées dont la censure italienne n’a fait qu’augmenter la curiosité qu’elles avaient suscitée et pour quelques petits rôles. Sa provocante sensualité explose dans ce film. Le mambo qu’elle danse devant un Vittorio De Sica mesmérisé annonce celui de Brigitte Bardot, l’année suivante, dans Et Dieu… créa la femme.

Pain, amour, ainsi soit-il marque, dans l’histoire du cinéma italien, le passage du néo-réalisme d’après-guerre à la comédie bouffonne des années soixante, et dans l’histoire de l’Italie, la fin des années noires et le début des Trente Glorieuses. Pain, amour, ainsi soit-il n’est pas un grand film et n’a pas la prétention de l’être. C’est un film joyeux et lumineux dont la conclusion, certes prévisible, dévoile la profondeur. Il a mieux vieilli que bien des films de cette époque.

Un extrait

Play It as it Lays (1972) ☆☆☆☆

Maria Wyeth (Tuesday Weld) est une star du cinéma qui s’est brûlée les ailes trop jeune. Le premier plan du film la montre déambulant dans les allées du jardin de la clinique psychiatrique où elle a été internée, après le suicide de son ami BZ Mendenhall (Anthony Perkins).
Le film, construit en long flashback, revient sur la vie de Maria. Elle a grandi dans une minuscule ville du Nevada, depuis rayée de la carte, entre un père accro à la roulette et une mère dépressive. Elle a très tôt connu le succès à New York où elle a rencontré son premier mari. Mariée en secondes noces au réalisateur Carter Lang (Adam Roarke) qui l’a dirigée dans ses deux films, elle s’est progressivement éloignée de lui jusqu’à en divorcer. Elle multiplie les liaisons d’un soir, tombe enceinte de Les Godwin (Richard Anderson), un scénariste, se fait avorter de l’enfant qu’elle porte. Elle passe ses journées à sillonner les autoroutes de la métropole de Los Angeles au volant de sa Corvette jaune.

Play It as it Lays est un film de Frank Perry sur un scénario écrit par Joan Didion et son mari John Gregory Dunne. Je n’en avais jamais entendu parler avant de voir le mois dernier, le documentaire consacré par Netflix à l’auteure américaine dont je venais de lire le bouleversant récit autobiographique L’Année de la pensée magique. J’ai eu envie de lire Maria avec et sans rien et de regarder parallèlement le film qui en avait été tiré deux ans plus tard. Je l’ai trouvé sur Youtube, en v.o., sans sous-titres, dans une version restaurée au son grésillant et à l’image baveuse. S’agissait-il d’une version piratée ? ou tombée dans le domaine public et désormais libre de droits ?

J’aime beaucoup faire l’aller-retour entre un livre et le film qui en a été tiré. Il est d’usage de considérer que le livre est toujours supérieur. Parce qu’il est la plupart du temps plus riche, ses centaines de pages développant une intrigue que les cent minutes de cinéma doivent nécessairement épurer. Parce qu’il suscite l’imaginaire du lecteur qui est immanquablement déçu de ne pas le retrouver à l’identique dans la version filmée qu’il a inspirée.

Je ne suis pas de cet avis. Je trouve le film souvent plus intéressant que le livre. Parce que, dans certains cas, il porte la marque d’un réalisateur de génie : prenez les films de Kubrick qui sont tous inspirés de livres, d’ailleurs plutôt médiocres (Full Metal Jacket, Les Sentiers de la gloire….). Parce qu’un film est une œuvre collective, qui a coûté des millions de dollars, sur le scénario duquel des armées de script doctors se sont penchées pour en retirer tous les défauts qui lestent parfois les livres écrits d’une plume imparfaite et solitaire. Prenez par exemple Le Chardonneret, ce roman trop long, mal construit, de Donna Tartt, dont l’adaptation, plus ramassée, ne s’égare pas dans des disgressions qui nuisent à l’intérêt du livre.

En l’espèce, force m’est d’avouer que j’ai pris aussi peu d’intérêt au livre de Joan Didion qu’au film dont elle a co-écrit le scénario. Il s’agit d’une œuvre typique du début des années soixante-dix qui ne sont pas restées pas comme un âge d’or du cinéma. La Guerre du Vietnam et Woodstock plongent Hollywood dans une introspection psychédélique. 1972, c’est l’année où sortent aux Etats-Unis Cabaret de Bob Fosse, Délivrance de John Boorman, Pink Flamingos de John Waters, Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci, Guet-apens de Sam Peckinpah, etc.

Comme le livre, le film est construit en plusieurs chapitres très courts dont on peine parfois à comprendre l’enchaînement. La ravissante Tuesday Weld, qui fut dans les années soixante une star avant de sombrer dans l’oubli, est quasiment de tous les plans, dont on filme la lente descente dans la folie. Anthony Perkins, qui n’aura jamais réussi à faire oublier son rôle dans Psychose, l’accompagne un temps et connaît une fin plus tragique qu’elle encore.

Mais hélas, aussi tragique soit-il, le destin de ces deux personnages n’a éveillé en moi aucune empathie.

Le film en v.o.

Morse (2008) ★☆☆☆

Oskar est un jeune collégien mal dans sa peau. Il habite seul avec sa mère divorcée dans un petit appartement d’une cité HLM. Il est la tête de Turc de ses camarades. S’installe dans l’appartement voisin du sien une jeune fille, Eli, au comportement mystérieux qu’accompagne un homme d’âge mur qu’elle présente comme son père.

Morse est un film suédois entouré d’une réputation élogieuse que j’avais raté à sa sortie début 2009 en France. Il est l’œuvre de Tomas Alfredson, un réalisateur qui, trois ans plus tard, signait La Taupe, adaptation universellement saluée du best-seller de John Le Carré.

Morse est un film de vampires, un genre que le succès de Buffy puis de Twilight semble avoir définitivement catalogué. C’est précisément à Twilight et au conformisme trop sucré de ses cinq opus sortis à la même époque que Morse était opposé pour en souligner les qualités. Morse réussissait à merveille, disait-on, à retranscrire le malaise adolescent, ce moment où on s’interroge sur son identité, sur son corps, sur ses relations aux autres, sur les premiers émois de sa sexualité….

C’est peut-être le cas. Morse a en effet ces qualités que je ne lui dénierai pas. Mais son sujet désormais très convenu, son traitement ouaté ne m’ont pas touché. La faute à la caméra de Tomas Alfredson trop scandinave pour moi ? ou la faute à un genre dont décidément je ne vois pas l’intérêt ?

La bande-annonce

Ma part du gâteau (2011) ★☆☆☆

La quarantaine, France (Karin Viard) élève seule à Dunkerque ses trois filles adolescentes. Licenciée d’un groupe sidérurgique en faillite, elle décide, après une tentative de suicide, de remonter la pente en allant travailler à Paris. Elle y devient la femme de ménage de Stéphane, un requin de la finance qui brasse des millions entre la City et La Défense et amène en week-end à Venise dans son bimoteur les top models qui défilent dans son lit. France a tôt fait de se rendre indispensable à Stéphane en babysittant Alban, son fils de quatre ans dont il est incapable de s’occuper. Mais la confiance qui s’installe peu à peu entre eux sera brutalement brisée par une consternante révélation.

Quand il écrit et réalise Ma part du gâteau en 2011, Cédric Klapisch a cinquante ans et est au sommet de sa célébrité. Si Paris en 2008 n’a pas trouvé son public, Klapisch reste auréolé du succès de L’Auberge espagnole qui avait attiré près de trois millions de spectateurs en salles en 2002. Il avait remis le couvert en 2005 avec Les Poupées russes qui en avait attiré presqu’autant.

Avec Ma part du gâteau, Klapisch s’attaque à un sujet ambitieux : la fracture sociale traitée à travers les deux personnages archétypiques de France, une Mère courage dunkerquoise, et Steve/Stéphane, un trader hors sol. Coline Serreau avait réalisé le même film en 1989 – quatre ans après l’immense succès de Trois hommes et un couffin. Romuald et Juliette mettait en scène un PDG arrogant et une femme de ménage antillaise. Il se terminait par un happy end aussi improbable que transgressif.

On se demande longtemps comment se terminera Ma part du gâteau et on redoute qu’il suive la même voie, convenue, que Romuald et Juliette. Son épilogue, qui intervient après bien des zigzags et des virages en épingles à cheveux, de Londres à Venise, de Paris à Dunkerque, sauve le film du désastre dans lequel il semblait s’être enlisé jusque là.

Car hélas, Klapisch s’égare. Comédie romantique du rapprochement des deux contraires ou drame poignant de la fracture sociale façon Philippe Lioret (Welcome) ou Stéphane Brizé (La Loi du marché, En guerre) ? Ma part du gâteau fait du surplace faute de choisir son parti. Certes, les acteurs s’en sortent plutôt bien, même si Karin Viard porte avec trop d’aisance des hauts talons Louboutin pour nous faire croire à son personnage de prolétaire et Gilles Lellouche (qui a repris in extremis un rôle destiné à Vincent Cassel) parle trop mal l’anglais pour nous faire croire au sien. Marine Vacth gâche son talent et sa beauté dans un rôle humiliant et Zinedine Soualem, toujours juste, fait une apparition trop brève. Mais le scénario de Ma part du gâteau est trop paresseux, ses situations trop caricaturales pour jamais susciter l’intérêt.

La bande-annonce

L’Assaut (2010) ★★☆☆

Le 24 décembre 1994, en pleine guerre civile algérienne, un commando de quatre hommes du GIA prend en otage le vol AF8969 Alger-Paris. Les revendications du commando sont floues : veut-il la libération des deux leaders du GIA ? ou veut-il transformer l’Airbus en bombe volante et l’écraser sur la Tour Eiffel ? L’avion reste bloqué à Alger pendant deux jours ; le commando libère une partie des otages mais en exécute trois avant d’obtenir l’autorisation de décoller. Détourné sur l’aéroport de Marseille Marignane, il y est accueilli par le GIGN qui a reçu des autorités française l’ordre de donner l’assaut.

La prise d’otages d’un avion est un sujet éminemment cinématographique. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Plusieurs ont déjà inspiré des films : Vol 93 de Peter Greengrass, Otages à Entebbe ou L’Intervention (oups ! L’Intervention racontait une prise d’otages dans un bus, pas dans un avion !), sans parler d’un détournement (c’est le cas de le dire !) drolatique du genre : Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et ses suites.

Le parti pris de Julien Leclercq et de son co-scénariste est de raconter les événements sous trois angles. Premièrement bien sûr depuis l’Airbus lui-même. Deuxièmement du point de vue du gendarme du GIGN qui prendra la tête de la colonne au moment de l’assaut. Le rôle est interprété par Vincent Elbaz et nous vaut hélas, quelques scènes dispensables à Satory avec sa femme et sa fille. Troisièmement – et c’est la partie la moins réussie du film que la joliesse de Mélanie Bernier n’arrive pas à sauver – à travers les yeux d’une jeune rédactrice du Quai d’Orsay participant à la cellule de crise qui, depuis Paris, adresse ses instructions au GIGN.

Accueilli par une fraîche critique, L’Assaut n’a pas trouvé son public à sa  sortie début 2011. Certes le film n’est pas un inoubliable chef d’œuvre. Il entretient un faible suspens dont on connaît déjà le dénouement. Les tons désaturés dans lesquels il est filmé peuvent sembler bien chichiteux. La scène finale, si on apprend qu’elle est fidèle à l’enchaînement des faits, est passablement illisible. Pour autant, ces objections (nombreuses) mises de côté, on mentirait en affirmant qu’on a trouvé le temps long et qu’on n’a pas été happé par l’histoire.

La bande-annonce

Tout est pardonné (2007) ★★☆☆

L’action de Tout est pardonné se déroule en trois parties différentes dans le temps et dans l’espace. Elle commence à Vienne où on découvre Victor (Paul Blain), Annette (Marie-Christine Friedrich) sa compagne autrichienne et Pamela leur petite fille de six ans. Ils forment une famille en apparence unie mais dont le bonheur semble menacé par d’insidieuses failles. Victor en effet est hanté par ses démons intérieurs. De retour à Paris, la famille éclate. Victor qui n’arrive pas à décrocher de la drogue abandonne le domicile conjugal, vit un temps avec une junkie, ne laissant à Annette d’autre alternative que la fuite avec sa fille.
Onze ans passent. Pamela devient une gracile lycéenne. Grâce à Martine (Carole Franck), la sœur de Victor, elle retrouve son père et essaie de rattraper avec lui les années perdues.

À vingt-six ans à peine, Mia Hansen-Løve signait en 2007 avec Tout est pardonné son premier film. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, il emporta le prix Louis-Delluc – ex aequo avec La Naissance des pieuvres de Cécile Sciamma, une réalisatrice elle aussi promise à un bel avenir. Pas moins de sept autres films allaient lui succéder dans les années suivantes, les deux derniers attendant encore leur sortie en salles. Sur la lente reconstruction d’une quinquagénaire abandonnée par son époux, j’ai vu L’Avenir début 2016 – et ai cru y reconnaître la même colline creusoise qu’on voit à la fin de Tout est pardonné – qui ne m’avait pas emballé par la faute de Isabelle Huppert dont vous savez, lecteur fidèle, l’épidermique antipathie qu’elle me cause. Sur la toute aussi lente reconstruction d’un photographe enlevé en Syrie, j’ai vu Maya début 2019 qui m’avait déjà plus convaincu.

Découvrir, treize ans après sa sortie, le premier film de cette réalisatrice éclaire son œuvre d’un jour nouveau. On en comprend l’intelligence, la délicatesse. On est aussi bluffé par la maîtrise dont elle sait faire preuve à son âge pour son tout premier film – qui lui avait valu de la part de Jacques Mandelbaum dans les colonnes du Monde une critique hagiographique.

Pour autant, on peut légitimement y trouver à redire. La direction d’acteurs est inégale : si la jeune Constance Rousseau – qu’on voit sur l’affiche – avec sa carnation de porcelaine est une révélation, le jeu calamiteux de Paul Blain (quasi sosie de Pierre Cosso, le héros de La Boum 2) plombe le film. Plus grave encore : on peut reprocher à Mia Hansen-Løve, dans son film comme dans les suivants, une artificialité un peu hautaine dont portent la trace des dialogues trop écrits et des ellipses trop brutales qui peinent à masquer la banalité d’un scénario languissant.

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Conversation secrète (1974) ★★★☆

Harry Caul (Gene Hackman) est un professionnel de la surveillance. Grâce aux technologies de pointe qu’il utilise, il est capable, avec les collaborateurs qu’il s’est adjoint, d’enregistrer n’importe quelle conversation.
Un mystérieux donneur d’ordre lui a demandé d’espionner un couple adultère. La filature est un défi, en plein midi, sur une place bondée du centre de San Francisco, au milieu de toutes les discussions. Mais Caul et ses hommes parviennent à collecter un enregistrement qui laisse penser que le couple court un danger mortel. Échaudé par un précédent malheureux où ses bandes avaient causé la mort d’une famille, Caul va tout mettre en œuvre pour lui venir en aide.

Francis Ford Coppola est un réalisateur d’anthologie, l’auteur multiprimé de la trilogie des Parrains et d’Apocalypse Now. Conversation secrète, tourné entre les deux premiers Parrains, n’est pas son film le plus connu. Il a pourtant obtenu la Palme d’or à Cannes en 1974.

On rapproche souvent Conservation secrète de Blow Up. le film d’Antonioni, sorti huit ans plus tôt, traite en effet d’un sujet similaire : un photographe prend un cliché dans un parc qui pourrait apporter la preuve du meurtre qui vient d’y être commis. En 1981, sur un thème toujours aussi proche, Brian De Palma tournera Blow Out avec John Travolta et Nancy Allen : un ingénier du son, témoin d’un accident de la circulation, cherche à prouver qu’il s’agit d’un crime au moyen de l’enregistrement qu’il en a fait. Les trois films ont en commun d’interroger les techniques modernes d’enregistrement et la fiabilité qu’on peut leur prêter. Le film d’Antonioni en particulier se termine par une scène d’anthologie en forme de pied de nez.

Conversation secrète a deux dimensions supplémentaires. Ce n’est pas seulement un film sur les technologies modernes. C’est aussi un film politique sur l’usage qu’on en fait dont la sortie au même moment que le Watergate, cette sombre affaire d’espionnage qui allait entraîner la chute de Nixon, allait lui valoir un retentissement que même Coppola n’imaginait pas. Mais c’est aussi un film psychologique sur son héros interprété par Gene Hackman qui était à l’époque encore un quasi-inconnu – tout comme Harrison Ford qu’on croise dans les couloirs des bureaux où Caul est censé remettre le fruit de ses investigations.

Caul ressemble à ces personnages des romans de Graham Greene, tiraillé entre une foi exigeante (Caul est catholique pratiquant) et de sombres menées. Maladivement solitaire, Caul se méfie de tout et de tous. La longue scène où on voit une demi-mondaine tenter vainement de le séduire et de le détourner du décryptage d’une bande sonore qui l’obsède est fascinante. Cette névrose paranoïaque aurait été filmée aujourd’hui avec plus de nervosité. Conversation secrète dure peut-être une vingtaine de minutes de trop. Mais il n’en demeure pas moins une oeuvre à (re)découvrir dans une filmographie flamboyante.

La bande-annonce

La femme est l’avenir de l’homme (2004) ☆☆☆☆

La neige tombe sur Séoul. Deux amis d’université se retrouvent et prennent un verre ensemble. Munho s’est marié avec une femme qui le caporalise et enseigne les arts plastiques. Hunjoon rentre d’un long séjour aux Etats-Unis et hésite à enseigner le cinéma ou à sauter le pas de la réalisation. Emportés par leurs rêveries, les deux amis se remémorent Sunhwa, une femme qu’ils ont tous les deux aimée, et décident de la revoir.

Depuis plus de vingt ans, Hong Sangsoo tourne encore et encore le même film. On y croise toujours des hommes d’une trentaine d’années qui se retrouvent dans des restaurants enfumés autour de repas lourdement alcoolisés qui délient leurs langues et embrument leurs souvenirs. Ces hommes retrouvent des femmes plus jeunes qu’eux, souvent des anciennes étudiantes, qu’ils ont aimées et qu’ils aiment encore, avec qui ils ont eu une liaison ou auraient aimé en avoir une. Le film se termine à peu près là où il a commencé, laissant ces héros tristes à leurs rêves d’amour et de succès inaboutis.

La femme est l’avenir de l’homme (un titre qui aurait pu être celui de n’importe lequel des autres films de Hong Sangsoo, un titre auquel aurait pu être substitué n’importe lequel des titres des 25 autres films qu’il a réalisés) a été tourné en 2003. C’est un de ses tout premiers films. C’est le premier à être projeté en compétition officielle à Cannes en 2004 (trois autres le seront ensuite en 2005, 2012 et 2017 mais sans jamais décrocher la moindre récompense).

Je l’avais raté à sa sortie et dois à la rétrospective programmée par Arte.tv de le revoir. Dois-je m’en réjouir ? Non car décidément, je ne comprends rien au cinéma de Hong Sangsoo et n’y adhère pas. J’ai déjà écrit plusieurs fois le mal que j’en pensais, notamment dans mes critiques de Yourself and yours ou de Hotel by the River. Le répèterai-je au risque de me voir retourner le reproche que j’adresse à ce cinéaste répétitif ? Non.

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Versailles (2008) ★★★☆

La vie n’a pas été tendre avec Nina (Judith Chemla) qui est à la rue avec son petit garçon Enzo. Recueillie une nuit de maraude par le Samu social, elle échoue à Versailles où, au cœur de la forêt, elle rencontre Damien (Guillaume Depardieu), qui vit en quasi-autarcie dans une cabane qu’il a construite de ses mains. Nina va lui abandonner son fils pour partir en province se reconstruire. Entre l’homme des bois et le garçonnet se construira une relation quasi-filiale.

J’avais raté Versailles à sa sortie, à l’été 2008. Je rattrape le temps perdu avec France TV qui a la bonne idée de le reprogrammer. Sevré de salles obscures, je découvre la richesse de notre service public qui met gratuitement à disposition des petits bijoux oubliés, pendant que Netflix ou Prime Video déverse à flux ininterrompus des palanquées de comédies insipides ou l’intégrale de JP Belmondo.

Le titre du film ou sa photo où l’on devine en arrière-plan la façade majestueuse du palais de Louis XIV sont mal choisis. Versailles n’a rien de royal ni de solaire. Pas plus ce film rêche ne joue-t-il du contraste entre les ors du château et la misère des vagabonds qui peuplent son parc. On ne verra rien de Versailles ou de ses habitants BCBG.

Selon l’angle qu’il aurait souhaité souligner, Versailles aurait pu s’intituler Hors du monde ou Le Garçon. Car c’est bien de cela dont il s’agit : s’attacher aux pas des plus pauvres, des plus marginaux et y suivre un gamin qui subit sans pleurnicher les avanies d’une vie de misère. Une vie de misère, mais une vie entourée d’amour ; car le petit Enzo voit se succéder autour de lui deux figures aimantes : sa mère d’abord qui aurait sans doute abandonné la partie depuis longtemps si elle n’avait eu la responsabilité de son enfant, puis ce père de substitution qu’une improbable errance en forêt lui a donné. Si cinq ans plus tôt les frères Dardenne ne s’en étaient pas servis, Le Fils aurait été un titre sacrément malin qui jouait sur l’ambiguïté de ce lien de parenté : le fils de qui ?

Guillaume Depardieu y interprète le rôle d’un SDF en rupture de ban, incapable de s’intégrer à un ordre social qui l’a emprisonné avant de l’ostraciser. Ce personnage résonne avec la vie du jeune acteur – qui fit de la prison à dix-sept ans pour trafic de drogue avant de décrocher en 1996 le César du meilleur espoir masculin. Quand il tourne Versailles Guillaume Depardieu a trente-six à peine. Son corps émacié, couvert de cicatrices, sa claudication (il a été amputé d’une jambe en 2003) lui en donnent bien dix de plus. Il mourra deux mois à peine après la sortie du film.

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Passe ton bac d’abord (1979) ★★☆☆

Une tranche de vies de quelques jeunes l’année de leur terminale. Leur horizon est borné par le bac, qu’ils sont censés passer en fin d’année et qui leur ouvrira la porte d’un avenir qui ne les fait pas rêver. D’origine modeste, de milieu souvent populaire, ils vivent à Lens dans un milieu ouvrier. Leur seul loisir est de hanter le bistrot du coin et, les soirs de match, les tribunes du stade Bollaert. Avec les beaux jours, ils s’autorisent une virée sur les plages de la mer du Nord.
Elisabeth (Sabine Haudepin) étouffe auprès de ses parents. Elle s’est mise en couple sans l’aimer vraiment avec Philippe qu’ils ont tôt fait de considérer comme leur gendre. Agnès passe de bras en bras et décide d’épouser Rocky pour se caser. Bernard est un briseur de cœurs qui rêve de partir à Paris.

Passe ton bac d’abord est l’anti-Diabolo menthe qui avait fait un tabac un an plus tôt, l’anti La Boum qui fera un triomphe un an plus tard. Il n’en a pas la légèreté sucrée. Il n’explore pas non plus la veine comique de À nous les petites anglaises ou des Sous-doués qui ont fait se gondoler de rire la France entière. Ces films-là montrent des adolescents parisiens, rieurs et optimistes, séduisants et séducteurs, pour qui la vie n’est qu’un prétexte à flirts et déconnades.

Fidèle aux règles exigeantes de son cinéma, Pialat filme la vérité sans fard. Il a recours à des acteurs quasi-amateurs qu’il tétanise par ses colères légendaires et dont il recherche avant tout l’authenticité. Il plante sa caméra dans le bassin minier du Pas-de-Calais à mille lieux des beaux quartiers policés où Diabolo Menthe, La Boum ou Les Sous-doués se déroulaient.

Le résultat est contrasté. Passe ton bac d’abord a vieilli. Beaucoup. Et mal. L’image a jauni ; le son est mauvais. Les acteurs sont empruntés dans des rôles qu’ils peinent à habiter, à l’exception peut-être de Sabine Haudepin qui – et ce n’est pas un hasard – est la seule du lot qui fera carrière. Plus grave encore : à force de refuser toute dramatisation inutile, Pialat (qui est aussi scénariste et dialoguiste de ses films) raconte une histoire sans drame dont on peine à s’intéresser.

À défaut d’être une œuvre de cinéma immémorable, Passe ton bac d’abord n’en reste pas moins un témoignage sociologique fascinant d’une France pas si ancienne, puisque j’étais déjà né, mais pourtant déjà si vieille, puisqu’elle a plus de quarante ans. Dans les années soixante dix, la France sortait des Trente Glorieuses et entrait dans une crise dont elle ne s’est jamais vraiment décidée à sortir. Le bassin minier fermait ses puits un à un, laissant sur le carreau ses mineurs silicosés. Ses jeunes reçoivent les injonctions contradictoires de leurs enseignants : leur prof de philo, aussi paumé qu’eux (et qui drague une lycéenne dans une scène qui aurait de nos jours provoqué la censure illico du film), les enjoigne à « désapprendre » ; leur prof de sport, lors d’un match de handball, les presse de se « démarquer ». Qu’ont-ils diable appris qu’ils puissent désapprendre ? Quel modèle leur est-il proposé qui puisse les inciter à se « démarquer ?

La bande-annonce