Les Espions (1957) ★☆☆☆

Le docteur Malic (Gérard Séty) dirige une clinique psychiatrique menacée par la faillite à Maisons-Laffitte. Un homme mystérieux, qui se prétend colonel de l’armée américaine, lui demande, en échange d’une somme coquette, d’y accueillir pendant quelques jours un patient. L’arrivée d’Alex (Curd Jürgens), dont on apprend qu’il s’agit peut-être d’un atomiste est-allemand passé à l’Ouest, hystérise les services secrets du monde entier qui dépêchent leurs espions dans la clinique du docteur Malic, vite dépassé par les événements.

Henri-Georges Clouzot fut une figure marquante du cinéma français qui réalisa quelques chefs d’œuvre : L’assassin habite au 21, Le Corbeau, Le Salaire de la peur, Les DiaboliquesLes Espions sorti en 1957 est tombé dans l’oubli. Car c’est loin d’être son meilleur film.

Adapté d’un roman d’un écrivain tchèque passé à l’Ouest, Les Espions joue sur deux tableaux sans qu’on parvienne jamais à le prendre au sérieux. Il se présente comme un film d’espionnage classique avec sa cohorte de barbouzes, de kidnappings, de coups de feu. Mais, sans qu’on sache si c’était dans l’intention de son réalisateur ou si c’est l’effet de la maladresse du jeu outré de ses acteurs (Peter Ustinov et Curd Jürgens y sont comme d’habitude calamiteux), il se double d’une ironie qui frise avec la loufoquerie.

Mais, faute d’assumer ce parti pris, comme le fera sept ans plus tard Les Barbouzes de Lautner, Les Espions reste dans un inconfortable entre-deux qui égare le spectateur.

Une curiosité : Les Espions est l’un des premiers films de Patrick Dewaere, âgé de dix ans à peine, qui y interprète un gamin malicieux. Il est crédité au générique sous le nom de Patrick Maurin, son nom de scène

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Sacco et Vanzetti (1971) ★★☆☆

Accusés d’un braquage à main armée et d’un double homicide,  Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti ont été condamnés à mort et exécutés en 1927 aux Etats-Unis. Leur procès et leur exécution avaient suscité une immense mobilisation mondiale.

Près de cinquante ans après les faits, un film italien revient sur les faits. Présenté à Cannes en 1971, Sacco et Vanzetti est surtout connu pour la chanson de Joan Baez composée par Ennio Morricone.

Le film instruit à décharge le procès des deux anarchistes, officiellement réhabilités en 1977 par le gouverneur du Massachussetts mais dont les historiens débattent toujours de la culpabilité. Il s’inscrit dans son époque, celle du cinéma politique d’Elio Pietri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, La classe ouvrière va au paradis), de Mauro Bolognoni (Chronique d’un homicide) ou de Francesco Rosi (L’Affaire Mattei) ou du théâtre engagé de Dario Fo (Mort accidentelle d’un anarchiste). D’ailleurs, Gian Maria Volonte, qui interprète Vanzetti, justifie son engagement politique par la colère suscitée par la défenestration de l’anarchiste Andrea Salasado à New York.

Sacco et Vanzetti souffre d’un défaut rédhibitoire. Tous ses personnages parlent italien, même les acteurs américains et irlandais, horriblement post-synchronisés. C’est une trahison grossière des faits, les difficultés de communication entre l’accusation et les prévenus, qui comprenaient mal l’anglais et le parlaient plus mal encore, ayant joué une large part dans leur lourde condamnation.

Il souffre de deux autres : son absence de suspense et son manichéisme. En effet, on sait, dès le départ, le sort funeste des deux accusés. Et du coup, on assiste sans surprise à un face-à-face caricatural entre deux partis : d’un côté l’innocence bafouée de deux immigrés condamnés non pas pour le crime qu’ils auraient soi-disant commis mais pour les idées qu’ils professaient, de l’autre une parodie de justice incarnée par des représentants sans cœur de l’Amérique Wasp.

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La Jeune Fille à l’écho (1964) ★☆☆☆

C’est le dernier jour des vacances pour Vika. la fillette a passé tout l’été au bord de la mer avec son grand-père, un modeste pêcheur. Son père vient la chercher ce soir pour la ramener à la ville. La fillette profite de ses derniers moments de liberté pour marcher sur la grève et pour se baigner. Elle croise Romas, un garçonnet de son âge, et l’entraîne au pied du Doigt du diable, une falaise basaltique qui renvoie un angoissant écho.

Arunas Žebriūnas est un réalisateur lituanien longtemps inconnu en France. La Belle, tourné en 1969, n’est sorti en France qu’en 2018. Filmé cinq ans plus tôt, La Jeune fille à l’écho sort à présent sur nos écrans sans qu’on comprenne très bien ni la séquence de ces deux distributions, ni au fond leur raison d’être.

Car ces deux films au charme suranné ne me semblent guère susceptibles d’éveiller aujourd’hui le moindre écho. Ils se ressemblent : ils suivent tous les deux pas à pas une fillette (sans doute l’actrice de La Jeune fille… était-elle trop âgée pour jouer cinq ans plus tard dans La Belle). Ils la suivent l’espace d’une courte journée dans ses déambulations hasardeuses et ses découvertes poétiques. La Belle se passait à la ville – et donnait l’occasion de voir des plans de la Vilnius des années soixante ; La Jeune Fille à l’écho se déroule au bord de la mer – et a été tourné en Crimée loin des rives de la Baltique.

La Jeune fille à l’écho avait été tourné en russe. Il a été post-synchronisé en lituanien. C’est l’occasion d’entendre cette langue rare, même si la prise de son en studio crée un effet de distance.

La Jeune fille à l’écho dure une heure seulement. Dans cette durée, il a à peine le temps de nouer une vague intrigue. Il le fait avec une innocence désarmante, exhumant les sentiments les plus enfouis de l’enfance : la fraîcheur d’un bain de mer, la  cruauté des jeux enfantins, le prix de l’amitié…

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La Fille de Monaco (2008) ★★★☆

Bertrand Beauvois (Fabrice Luchini) est un ténor du barreau parisien appelé à Monaco pour y défendre Edith Lassalle (Stéphane Audran) accusée aux assises de l’assassinat de son jeune amant russe. Menacé par la mafia, Me Beauvois est escorté d’un garde du corps, Christophe Abadi (Roschdy Zem), qui ne le quitte pas d’une semelle. Durant son séjour sur le Rocher, l’avocat parisien croise Audrey Varella (Louise Bourgoin), une jeune Monégasque qui présente la météo sur la chaîne locale. La jeune femme, incroyablement sensuelle, réveille la libido assoupie du vieil avocat.

Anne Fontaine est une des réalisatrices les plus intéressantes du cinéma français. Tous ses films traitent un thème similaire : le dérèglement brutal d’existences ordinaires. Dans Nettoyage à sec, les propriétaires d’un pressing à Belfort (Miou-Miou et Charles Berling) voient débouler dans leur vie paisible un Adonis qui bouleverse leur train-train. Dans Entre ses mains, une célibataire endurcie (Isabelle Carré) tombe amoureuse d’un homme (Benoît Poelvoorde) qu’elle suspecte d’être un assassin en série. Dans Perfect Mothers, adapté d’une nouvelle de Doris Lessing, deux mères de famille (Naomi Watts et Robin Wright), la quarantaine, éprouvent une attirance trouble pour le fils de l’autre.

Dans La Fille de Monaco, c’est au tour de Fabrice Luchini, pour une fois remarquable de retenue, d’être entraîné dans une histoire qui le dépasse. Cet homme riche, distingué, intelligent, que l’âge et l’expérience ont cuirassé contre les émotions fortes, va vaciller. Il y a de quoi : Louise Bourgoin, dont c’était en 2008 la première apparition au cinéma, est proprement renversante dans le rôle d’une cagole sans scrupule. Sa prestation lui vaudra une nomination au César du meilleur espoir féminin et lui ouvrira la carrière que l’on sait.

L’habileté du scénario est de tisser ensemble deux histoires. D’un côté, l’histoire principale : le nœud de séduction dans lequel le personnage interprété par Fabrice Luchini manque de s’étouffer. De l’autre, l’histoire mineure : celle de cette femme mûre, interprétée par Stéphane Audran dans l’un de ses tout derniers rôles, qui, contre toute raison, perd la tête pour un jeune arnaqueur russe. Ces deux histoires résonnent entre elles : le grand avocat et la vieille douairière perdent la tête et mettent en péril une vie bien rangée pour une personne de trente (ou quarante ?) ans leur cadette.

À ces deux histoires s’en ajoute une troisième avec le personnage de Roschdy Zem, gorille impeccable, maniaque du règlement, viscéralement attaché à son patron. On comprend qu’il a eu une liaison avec Miss Météo. Nourri de son expérience, il met Me Beauvois en garde contre elle. Jusqu’où poussera-t-il le dévouement ?

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Rétrospective Mikio Naruse ★★★☆

Mikio Naruse (1905-1969) est un des plus grands réalisateurs japonais. Mais sa renommée a été éclipsée par celle de ses illustres contemporains : Ozu, Mizoguchi et Kurosawa. Ses films sont longtemps restés inédits en France. Son film le plus connu, Nuages flottants, n’y est sorti qu’en 1984.
Aussi faut-il saluer l’heureuse initiative du Champo d’avoir diffusé l’été dernier cinq des films du maître. J’avais déjà vu Quand une femme monte l’escalier ; je ne connaissais pas les quatre autres.

Il est intéressant de rapprocher Une femme dans la tourmente (1964) et Nuages épars (1967) même si le premier a été tourné en noir et blanc alors que le second, l’ultime film de Naruse, est en couleurs.

Même si leurs titres en français ne le laissent pas deviner, les deux films portent en japonais presque les mêmes titres : Midareru et Midaregumo, dont les deux premiers kanji désignent le tourment, le trouble.
Dans les deux films – et sur les deux affiches – on reconnaît le même acteur masculin : Yuzo Kayama. L’actrice féminine change : Hideko Takamine, l’actrice fétiche de Naruse, à l’affiche du premier, cède le rôle principal à Yoko Tsukasa dans le second – qui jouait un petit rôle dans Une femme dans la tourmente.
Mais c’est surtout le thème qui est le même : celui d’un veuvage douloureux et de l’impossibilité d’un nouvel amour. L’héroïne de Une femme dans la tourmente est veuve de guerre. Elle a consacré sa vie à faire prospérer le petit commerce de son époux, aujourd’hui menacé par la grande distribution, et à entretenir sa belle-famille. Son beau-frère, qui mène une vie dissolue, est secrètement amoureux d’elle.
Dans Nuages épars, le veuvage de l’héroïne est plus récent et plus tragique. Yumiko est enceinte et sur le point d’accompagner son mari, fonctionnaire du MITI, à Washington lorsqu’il décède dans un accident de voiture. Le conducteur qui l’a fauché – et qu’un procès exonère de toute responsabilité – est rongé par une culpabilité qui se transforme au fil du temps en muette passion.

Ces deux films, d’une facture très classique, racontent l’un comme l’autre des histoires poignantes et intemporelles. Ils sont pourtant ancrés dans un Japon en pleine mutation, qui referme lentement les cicatrices de la Guerre pour se lancer à corps perdu dans la modernité.

C’est aussi le cas de Au gré du courant sorti en 1956 qui chronique la vie d’une maison de geishas dont la fille unique (interprétée par Hideo Takamine) de la tenancière a décidé contre l’avis de sa mère de ne pas en assurer la succession. Dans ce film un chouïa trop long, on assiste, à travers les yeux d’une vieille servante qui vient d’y être embauchée, à l’inéluctable déclin de cet établissement, couvert de dettes, peinant à recruter des jeunes filles – car le métier a perdu son aura – et à attirer le chaland. Un microcosme qu’on retrouvera dans Quand une femme monte l’escalier (1960) et sur lequel Naruse jette une regard tendre et nostalgique.

Le Grondement de la montagne (1954) est l’adaptation d’une nouvelle de Kawabata. Elle doit son titre au bruit cauchemardesque que le héros du livre entend durant son sommeil, annonciateur de sa mort prochaine. Mais cet épisode n’est pas repris dans le film dont le titre, du coup, devient incompréhensible. Son sujet n’est pas tout à fait le même que celui des films précédents puisqu’il se déroule au sein d’une famille aisée, qui habite dans la banlieue montagnarde de Tokyo. Le chef de famille est à la tête d’une entreprise prospère dont il espère que son fils reprendra les rênes. mais celui ci mène une vie dissolue et, au grand dam de son père qui lui voue une tendresse toute paternelle, délaisse son épouse.
Dans le rôle de la bru on retrouve la lumineuse Setsuko Hara qui tourna avec Mizoguchi, en devint la maîtresse, puis, à sa mort, la gardienne de son souvenir.

Je ne mettrai pas pour autant Naruse sur le même plan que Ozu, que je vénère. Les quatre films que je viens de voir n’ont pas la simplicité, le dépouillement, la rigueur, en un mot la perfection de Printemps tardif ou Fin d’automne.

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Mes meilleures amies (2011) ★★☆☆

Annie (Kristen Wiig) a trente-cinq ans. Tout va de travers dans sa vie. La pâtisserie qu’elle avait fondée à Milwaukee a déposé son bilan. Son fiancé qui la dirigeait avec elle l’a quittée. Son nouveau copain (Jon Hamm, la vedette de Mad Men) est un mufle. Seule source de réconfort : sa meilleure amie, Lilian (Maya Rudolph), s’est fiancée et a demandé à Annie de préparer son mariage. Mais composer avec les quatre demoiselles d’honneur et ne pas se faire éclipser par Helen (Rose Byrne) ne va pas s’avérer si facile.

Mes meilleures amies fait partie des comédies produites par Judd Apatow, le réalisateur de 40 ans, toujours puceau et de En cloque, mode d’emploi. Entouré d’une bande d’ami.e.s au nombre desquels Kristen Wiig, qui cosigne le scénario de Mes meilleures amies et en interprète le rôle principal, il a impulsé à la comédie américaine son style très particulier : un humour corrosif, décalé et volontiers régressif sinon scatologique.

Judd Apatow ressasse constamment les mêmes thèmes : l’amitié, la difficulté de l’engagement. On les retrouve dans Mes meilleures amies, cette fois-ci déclinés au féminin – tandis que jusqu’alors, les comédies d’Apatow étaient si exclusivement masculines que l’accusation de sexisme commençait à fleurir à son sujet.

Mes meilleures amies a connu un immense succès à sa sortie. Tourné pour 32 millions de dollars, il en a remporté cinq fois plus. Il s’est vite hissé au rang de films-cultes, dont certaines scènes – notamment celle qu’on trouve sur Youtube d’un essayage de robe de mariée tournant au drame à cause d’une intoxication alimentaire – sont devenues légendaires.

Il faut bien reconnaître que certains passages de Mes meilleures amies sont hilarants. L’abattage de Kristen Wiig y est pour beaucoup et aussi celui des comédiennes qui l’entourent à commencer par Melissa MacCarthy – dont Nos meilleures amies a lancé la carrière – et Rebel Wilson. Le problème est le scénario qui les relie les uns aux autres. Sur le thème, très américain, de la préparation d’un mariage, avec ses rites et ses étapes (le bridal shower, la bachelorette party, le reherasal dinner…), Mes meilleures amies ne raconte pas grand chose sinon les déboires d’une trentenaire dont il est difficile de prendre au sérieux le mal-être tant son humour inextinguible semble capable de venir à bout de tous les obstacles.

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Outrage (1950) ★★★☆

Ann Walton (Mala Powers) est une jeune employée de bureau qui vit encore chez ses parents avant d’épouser son fiancé. Mais le viol dont elle est victime va avoir raison de son équilibre psychologique. Ne supportant pas la sollicitude de ses proches, elle prend soudainement la fuite. Sur le chemin de la Californie, elle est recueillie par un pasteur qui va lui redonner confiance en elle-même.

Hollywood dans les années quarante était un microcosme terriblement machiste. Ida Lupino, qui y avait acquis une certaine renommée pour ses rôles de femme fatale, y monta avec son mari une société de production et y signa plusieurs films à petit budget. Outrage, sorti en 1950, était son troisième et reste à ce jour le plus connu.

Il y est question, même si le mot n’est jamais prononcé (car la censure ne l’aurait pas permis), d’un viol et de ses répercussions. Le film, d’une inhabituelle brièveté (une heure et quinze minutes seulement) compte deux parties nettement séparées. La première se déroule dans la ville natale, innommée, d’Ann Walton. On la suit d’abord dans l’insouciance de ses activités quotidiennes. Puis, c’est la scène du viol, filmée de nuit, sans bien sûr ne rien montrer de l’acte lui-même mais en le laissant deviner avec les jeux d’ombres et de lumières qu’Hollywood affectionnait à l’époque. Et, dans un troisième temps, c’est l’impossible convalescence.

La seconde partie du film se déroule dans un cadre tout autre. Ann s’est enfuie de chez elle et a trouvé refuge dans une immense exploitation agricole qui produit et commerce des oranges. Aux perspectives urbaines et nocturnes de la première partie ont succédé les immenses espaces agrestes et ensoleillés de la seconde. On comprend à ce changement de décor que la guérison d’Ann est en bonne voie.

[Spoiler] Le film connaît un dernier rebondissement lorsque Ann agresse, lors d’une fête campagnarde, l’homme qui tentait de flirter avec elle, le laissant entre la vie et la mort. Le procès qui se déroule alors interroge la responsabilité pénale de la femme violée, qui revit sans cesse son agression et qui en combat le souvenir par le déploiement d’une violence sans retenue. Grâce au plaidoyer vibrant du pasteur qui la défend, le juge accepte de ne pas mettre Ann en prison mais de l’enjoindre à se soigner. À l’occasion du procès, le cas du violeur – qui vient d’être opportunément arrêté et s’avère avoir de lourds antécédents criminels – est lui aussi évoqué et les protagonistes s’accordent à considérer qu’il devrait lui aussi être soigné plutôt qu’incarcéré.

Pépite oubliée de l’âge d’or hollywoodien, Outrage de Ida Lupino louche du côté du film à thèse sacrifiant la crédibilité de son récit sur l’autel d’une cause d’une étonnante modernité pour un film de cette époque : la prise de conscience du traumatisme causé par une agression sexuelle.

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Cette sacrée vérité (1937) ★★★☆

Jerry et Lucy Warriner sont jeunes, beaux, follement riches. Ils mènent chacun de leur côté une vie très libre qui les conduit à se décider de se séparer. Le juge qui prononce leur divorce leur laisse toutefois quatre-vingt-dix jours pour se rétracter. Jerry et Lucy profitent de ce délai pour nouer des intrigues romantiques… et pour saboter celles de leur conjoint.

Cette sacrée vérité (1937) est peut-être le film le plus emblématique d’un genre qui marqua l’âge d’or de Hollywood : la comédie du remariage. Le principe en était simple, autant que loufoque : un couple marié se sépare puis se retrouve. À la vérité, il s’agissait moins pour les studios hollywoodiens de parler de remariage que d’adultère, dont l’évocation était censurée par le code Hays. Sur cette base là, Hollywood réalisa des chefs d’œuvre d’humour et de légèreté : L’impossible Monsieur Bébé, Indiscrétions, La Dame du vendredi, Madame porte la culotte où l’on retrouve métronomiquement Katharine Hepburn, Cary Grant, James Stewart, Spencer Tracy.

Cette sacrée vérité coche toutes les cases de la comédie du remariage parfaitement huilée. Le tandem Cary Grant/Irene Dunne s’y montre d’une réjouissante complicité – au risque de miner un scénario qui repose, au départ, sur leur séparation. Les seconds rôles sont hilarants, les situations loufoques à souhait se succèdent à un rythme fou. Les dialogues surtout sont d’une ébouriffante malice, la traduction ne parvenant pas toujours à en retranscrire le sel.

Le seul défaut de Cette sacrée vérité est paradoxalement sa perfection. Tout y est si huilé, si drôle, si remarquablement enchaîné qu’on finit presque par s’y ennuyer.

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L’Étrangleur de Boston (1968) ★★☆☆

Dans les années soixante, la panique gagne Boston où sévit un tueur en série. Ses cibles : des femmes de tout âge, qu’il doit probablement séduire puisqu’aucune infraction n’est relevée à leur domicile, qu’il étrangle et qu’il viole post-mortem. Un bureau spécial est créé à la police et John Bottomly (Henry Fonda) s’en voit confier la tête.
Mais les crimes continuent.
Enfin un suspect est arrêté. Il s’agit d’Albert de Salvo (Tony Curtis), un honnête père de famille, mordu à la main par sa dernière victime. Aucune preuve matérielle ne l’accuse. Mais Bottomly se fait fort de lui arracher des aveux.

L’Étrangleur de Boston est inspiré de faits réels. Il raconte sur un mode quasi-documentaire les crimes commis entre 1962 et 1964 dans la capitale du Massachusetts, la patiente enquête policière, ses tâtonnements et enfin l’arrestation du principal suspect.

L’Étrangleur de Boston compte deux parties distinctes d’une forme bien différente. La première montre en même temps les crimes commis – sans bien sûr jamais révéler le visage du meurtrier – et les efforts de la police pour appréhender le criminel. Richard Fleischer utilise pour ce faire la technique du split screen qui était à l’époque à la mode (L’Affaire Thomas Crown sort la même année). L’action se resserre dans la seconde partie sur le face-à-face étouffant entre Bottomly et Salvo. Au montage très éclaté de la première partie du film succèdent de longs plans-séquence puis des plans fixes de plus en plus rapprochés sur le visage de Salvo.

On comprend alors l’enjeu du film. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un film policier dont l’objet serait d’enquêter sur des crimes et d’en découvrir l’auteur. Il s’agit plutôt d’un film psychanalytique, comme Hollywood aimait en faire depuis les années quarante, sur un psychopathe nous invitant à plonger dans son esprit malade.

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India Song (1975) ☆☆☆☆

Anne-Marie Stretter (Delphine Seyrig) est morte et enterrée aux Indes. Elle était l’épouse de l’ambassadeur de France. Un soir, lors d’une réception, le vice-consul de France à Lahore, sous le coup d’une mutation disciplinaire, lui avait crié son amour.

En 1966, Marguerite Duras avait écrit un roman, Le Vice-Consul. En 1972, elle en avait signé l’adaptation pour le théâtre sous le titre d’India Song. La pièce était jouée à la radio en 1974 et devenait en 1975 un film. La mort de Michael Lonsdale est l’occasion de sa reprise dans quelques salles d’art et d’essai juste avant le reconfinement.

India Song est filmé selon un protocole bien particulier qui est, dit la légende, non pas le produit d’un choix délibéré mais de l’inexpérience de Marguerite Duras qui, le premier jour du tournage, voulait enregistrer en même temps la musique et les dialogues. Elle sacrifia les seconds à la première. Si bien que India Song offre l’image déconcertante de longs plans-séquence (le film de deux heures n’en compte que soixante-quatorze) désynchronisés : la voix off des acteurs ou des narratrices – au nombre desquelles on reconnaît celle de Marguerite Duras elle-même – est désynchronisée des images.

Comme les œuvres de Robbe-Grillet, comme celles de Resnais avant qu’il prenne un tournant plus léger, India Song est un film qui provoque soit la fascination, soit l’exaspération. Certes la musique omniprésente de Carlos d’Alessio est hypnotisante. Mais le ton languissant des voix off, la lenteur des longs travelings, les poses artificieuses des acteurs, les voiles de mystère qui entourent une histoire qui, tout bien considéré, se réduit à peau de chagrin, m’ont plus exaspéré que fasciné. C’est le signe décidément que je ne suis ni l’esthète ni l’intellectuel que je prétends être.

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