La Veuve joyeuse (1934) ★★★☆

La Marchovie est en émoi : une très riche veuve (Jeannette MacDonald), dont les impôts financent à eux seuls la moitié du budget de ce petit royaume d’Europe centrale, menace de s’expatrier à Paris. Une seule solution : y dépêcher le comte Danilo (Maurice Chevalier), un fringant officier et un Don Juan, pour qu’il la séduise, l’épouse et la convainque de revenir en Marchovie.

En plus d’être l’une des plus célèbres opérettes de tous les temps, La Veuve joyeuse est un film mythique. Ernst Lubitsch y déploie tout son talent. Son film est d’une folle élégance. Élégance des costumes et des décors bien sûr, même si son noir et blanc n’en restitue pas toute la richesse. La Veuve joyeuse fut à l’époque l’un des films les plus chers jamais réalisés. Les scènes de bal y sont éblouissantes. Mais plus encore élégance des situations et des sentiments.

La Veuve joyeuse est un film d’une grande sensualité dénué de tout sentimentalisme. C’est la marque des films de Lubitsch qui parle souvent d’amour mais ne sombre jamais dans la sentimentalité. S’y joue le jeu de l’amour sinon celui du hasard, entre des hommes et des femmes qui s’attirent et se repoussent, qui se repoussent pour mieux s’attirer, comme dans les comédies de Hawks ou de Capra. Pour autant, La Veuve joyeuse n’est pas un film vulgaire, tout au contraire. C’est un film drôle, au prétexte presque rocambolesque, on se croirait dans Le Sceptre d’Ottokar.

Jeannette MacDonald n’a peut-être pas le charisme des stars hollywoodiennes. C’était une chanteuse plus qu’une actrice et c’est sa voix qu’on entend dans les solos. Maurice Chevalier était la coqueluche de l’Amérique. Son accent très français y faisait merveille. Son jeu outré a mal vieilli. Pour autant, La Veuve joyeuse n’en reste pas moins un chef d’œuvre lubitschien à la hauteur de sa réputation.

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Possession (1981) ★☆☆☆

De retour chez lui à Berlin d’une longue mission, Mark (Sam Neill) retrouve sa femme (Isabelle Adjani), qui veut le quitter, et son fils. Mark est persuadé qu’Anna entretien une liaison avec Heinrich (Heinz Bennent) ; mais celui-ci lui soutient que leur liaison est aujourd’hui terminée. Avec l’aide d’un détective privé qu’il a embauché, Mark retrouve face au Mur l’appartement où Anna a ses mystérieux rendez-vous et découvre avec stupéfaction les causes de son inéluctable éloignement.

Possession est un film culte. L’interprétation hallucinée et hallucinante d’Isabelle Adjani lui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes (un prix qui, fait unique dans l’histoire du festival lui fut décerné pour son rôle dans deux films en compétition cette année là : Possession et Quartet de James Ivory) et le César de la meilleure actrice (le premier des cinq qu’elle a obtenus dans cette catégorie).

À première vue, Possession est un film d’horreur qui, comme son titre l’indique, raconte l’envoûtement d’une femme. Mais, à y regarder de plus près, c’est aussi, c’est peut-être surtout l’historie de la désintégration violente d’un couple. C’est peut-être aussi, nous disent des exégètes mieux inspirés que moi, une allégorie sur le double, voire une critique du communisme et du totalitarisme.

À quarante ans de distance, Possession est un film qui a mal vieilli. L’hystérie, la violence qui l’habitent sont épuisantes. Il est à craindre que le traitement que Zulawski a infligé à son actrice lui vaudrait aujourd’hui un procès pour harcèlement. Adjani raconte d’ailleurs sans fard le traumatisme qu’elle a subi sur le plateau. On la croit volontiers.

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Il était une fois l’Amérique : Hospital (1970) ★★★★

À l’occasion de la rétrospective intégrale programmée au Centre Pompidou de l’ensemble de ses films, Meteor Films, son distributeur en France, ressortent en salles trois de ses documentaires réalisés en noir et blanc au tout début de sa carrière, au tournant des années soixante et soixante-dix. Frederick Wiseman y entame son immense radioscopie des institutions américaines : après un hôpital psychiatrique (Titicut Folies) et un lycée (High School), Frederick Wiseman pose sa caméra dans une brigade de police du Missouri (Law and Order), un grand hôpital new-yorkais (Hospital), un tribunal pour mineurs du Tennessee (Juvenile Court).

Les règles de la grammaire qui régira toute son oeuvre sont déjà posées : des documentaires-vérité, tournés avec une équipe minimale (un cadreur et Wiseman lui-même qui se charge de la prise de son), des heures de rushes, aucun carton explicatif, aucune voix off pour contextualiser et expliquer des images qui parlent d’elles-mêmes grâce à un énorme travail de découpage et de montage.

Hier soir, une conférence-débat était organisée au MK2 Beaubourg devant une salle comble, appâtée par la présence du réalisateur. Hélas, Frederick Wiseman, affaibli par le grand âge (il aura quatre-vingt-quinze ans le 1er janvier) a dû se décommander. Le débat, animé par Hervé Brusini, n’en a pas moins été passionnant. Y participaient Charlotte Garçon des Cahiers du cinéma, la sociologue Nadège Vézinat dont sort aujourd’hui en librairie Le Service public empêché et le documentariste Jean-Xavier Lestrade (Un coupable idéal, Laëtitia) qui a adressé aux films de Wiseman le plus juste des compliments : « ils nous rendent plus intelligents ».

Je pensais avoir vu les meilleurs documentaires de Wiseman et plaçais tout en haut Welfare sur les déshérités qui affluent dans un centre d’assistance sociale à New York. Mais Hospital m’a plus enthousiasmé encore au point que c’est lui que je conseillerais à qui n’aurait jamais vu de documentaire de Wiseman.

On y découvre, de l’intérieur, le fonctionnement d’un grand service public. On y découvre ses employés dévoués mais débordés et ses usagers qui ne demandent qu’une chose : qu’on leur manifeste un peu d’humanité. Les scènes, captées sur le vif, se succèdent dans un tempo qui ne languit jamais. On y voit un gamin en larmes abandonné à lui-même pour lequel les infirmières cherchent désespérément un lit, un travesti pris en charge par un psychiatre qui essaie sans succès d’en confier le soin à l’assistance sociale qui n’en veut pas, une femme âgée, intubée, qui manque de mourir d’un grave œdème pulmonaire, veillée par un prêtre en soutane…

Hospital ressemble à la vie. On y traverse toute une gamme d’émotions. On est ému aux larmes du corps squelettique d’un malade, dont on pressent la fin prochaine, silencieusement ausculté par un médecin. On rit à gorge déployée devant un jeune beatnik sous emprise vomissant tripes et boyaux en plein bad trip. Le film dure 1h24 et on est frustré qu’il se termine si vite – Wiseman aura entendu notre frustration dont les films suivants seront beaucoup plus longs au point de friser l’overdose.

Jean-Xavier de Lestrade a encore raison en citant les deux réalisateurs qui ont influencé son travail et celui de tous les documentaristes français : Wiseman et Depardon. D’ailleurs Hospital rappelle Urgences de Depardon, tourné à l’Hôtel-Dieu de Paris avec le même dispositif une vingtaine d’années plus tard. Sur les deux rives de l’Atlantique (Wiseman s’est installé en France et y a réalisé plusieurs films, sur la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, le Crazy Horse ou le restaurant gastronomique des frères Troisgros à Roanne), Wiseman filme les institutions, ceux qui y travaillent, ceux qui en sont les usagers ou les clients. À rebours de tout manichéisme, sans en faire ni le procès ni la publicité, il en décortique le fonctionnement, en révèle les injonctions contradictoires. Magistral.

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The Wicker Man (1973) ★★★☆

Après avoir reçu une lettre anonyme, l’inspecteur de police Neil Howie (Edward Woodward) débarque sur une petite île reculée des Hébrides écossaises pour y enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Chrétien dévot, il y découvre une communauté repliée sur elle-même, vouant un culte aux dieux païens. Lord Summerisle (Christopher Lee), dont l’ancêtre a introduit la culture de fruits rares qui a fait la richesse de ses habitants, y cumule les fonctions de chef civil et d’autorité religieuse.

The Wicker Man – aussi connu sous son titre français, Le Dieu d’osier – est un film mythique. Il compte au nombre des 1001 films à voir avant de mourir. Sa scène finale est d’anthologie. Le film lui doit sa célébrité. Mais l’intérêt du film ne s’y résume pas.

The Wicker Man en effet croise trois fils. Le premier est un thriller qui aurait pu être banal si son épilogue à la fois n’en révélait toute l’architecture et ne lui donnait sa dimension tragique. Le deuxième est une enquête anthropologique sinon théologique – Robin Hardy est documentariste de formation – qui questionne les us et coutumes d’une communauté insulaire reculée et sa relation aux forces divines. Le troisième, celui qui peut selon les opinions sembler le plus démodé ou le plus intéressant, est l’ambiance post-Woodstock. Certaines scènes d’ailleurs furent coupées à la sortie – telle la sarabande endiablée de Britt Ekland, future James Bond girl deux ans plus tard dans L’Homme au pistolet d’or.

Au total, The Wicker Man crée un genre, le folk horror, dont Midsommar reprendra, avec le succès que l’on sait, les codes.

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Rue des Cascades (Un gosse de la butte) (1963) ★★★☆

Alain est un gamin haut comme trois pommes qui aime faire des pitreries avec ses camarades. Sa mère, une veuve quadragénaire, tient un café-épicerie dans une petite rue de Ménilmontant. Elle est tombée amoureuse de Vincent, un Antillais, plus jeune qu’elle. Vincent inspire à Alain une franche hostilité teintée de racisme. Mais bien vite la gentillesse de Vincent viendra à bout des préjugés du petit garçon.

Ce film est l’adaptation d’un roman de 1953 de Robert Sabatier. Son titre, Alain et le Nègre, qui subirait aujourd’hui immanquablement les foudres de la censure, est sans ambiguïté. Il oppose, pièce à pièce, les deux héros : Alain, désigné par son prénom, et Vincent renvoyé à l’anonymat de la couleur de sa peau. Ce titre, si brutal, annonce un lent apprivoisement : comment le « nègre » va conquérir l’amitié l’enfant qui l’avait accueilli avec tant de réticence.

Maurice Delbez, un réalisateur oublié, a choisi de ne pas reprendre ce titre. Quand son film sort fin 1964, il s’intitule « Un gosse de la butte ». Il sera rebaptisé plus tard du nom d’une rue en coude du vingtième arrondissement où l’action se déroule.

Le film fait un bide à sa sortie. Son réalisateur, en faillite personnelle, abandonnera le cinéma et ne tournera plus que pour la télévision. Rue des Cascades est ressorti en 2017 sous son nouveau titre dans une version restaurée et a connu un succès d’estime. Son propos est avant-gardiste. C’est un film tendrement anti-raciste, qui met en scène le racisme le plus crasse, par exemple celui de M. Bosquet (René Lefèvre) le soûlographe qui fréquente le troquet de Hélène et y débite ses lieux communs, pour en démonter la bêtise. C’est aussi un film féministe avant l’heure, avec les deux personnages de Hélène, si noblement interprété par la grande Madeleine Robinson, qui pressent qu’une liaison avec un homme plus jeune qu’elle est vouée à l’échec, et de Lucienne, sa voisine, qui défie la bien-pensance en prenant un amant.

Ce film en noir et blanc, aux faux airs des Quatre Cents Coups, d’un grand classicisme, tourné au milieu des années soixante, mais qu’on pourrait croire de dix ans plus ancien, sans stars, au motif simple sinon simpliste, m’a profondément touché.

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Caligula (1979) ★☆☆☆

Caligula (Malcom Mac Dowell) a régné entre 37 et 41 ap. J-C. Son surnom lui venait des « petites bottes » qu’il portait enfant, auprès de son père Germanicus. Apparenté par son père à Marc Antoine, par sa mère à Auguste, il a succédé à Tibère (Peter O’Toole) dont il était le petit-neveu et le fils adoptif, mais qui lui préférait Gémellus, que Caligula fera assassiner. Le règne de Caligula a vite basculé dans le despotisme et la démesure. Il entretenait une relation incestueuse avec sa sœur Drusilla (le rôle refusé par Maria Schneider qui le jugeait trop dénudé fut interprété par Teresa Ann Savoy) qu’il fit diviniser après sa mort en 38. En butte à l’hostilité des sénateurs, qu’il avait humiliés, il fut assassiné par sa garde prétorienne.

Caligula est l’un des empereurs romains dont le règne est le plus mal documenté de la dynastie julio-claudienne. Suétone lui était hostile et décrivait un monarque mégalomane et cruel. C’est l’image qui en est restée et que reprend fidèlement à son compte cette superproduction américano-italienne

Caligula est un film maudit. Le producteur américain Bob Guccione, fondateur du magazine Penthouse, en est à l’origine et y investit sa fortune. Il recruta Gore Vidal pour en écrire le scénario mais récusa cette première version, qui soulignait l’homosexualité de l’empereur. Il en confia la direction au réalisateur Tinto Brass qui reprit de fond en comble le scénario de Vidal. Lors de la postproduction Tinto Brass et Bob Guccione s’affrontèrent ce qui conduisit le premier à se retirer. Son nom n’apparaît plus au générique que comme chef opérateur. Tourné en 1976, il ne sortit en salles que trois ans plus tard précédé par une réputation sulfureuse (le critique de cinéma américain Roger Ebert le qualifie de « bouse écœurante, totalement inutile, honteuse »). Il fut interdit dans plusieurs pays et remporta, là où sa sortie fut autorisée, un succès de scandale.
Il ressort aujourd’hui dans une version plus fidèle au montage original de Tinto Brass, délestée des scènes pornographiques filmées par  Bob Guccione et Giancarlo Lui.

L’épreuve est éprouvante, qui dure près de trois heures. Croisement improbable de Ben Hur et de Salò ou les 120 Journées de Sodome – qui avait été tourné deux ans plus tôt – Caligula est une succession quasi ininterrompue de scènes d’orgies filmées dans des décors impressionnants. Malcom MacDowell cabotine à souhait ; Peter O’Toole, qui n’avait pas cinquante ans à l’époque, y interprète le vieux Tibère au crépuscule de sa vie, sombrant dans la folie ; Helen Mirren, dans le rôle de l’épouse de Caligula, nous démontre qu’elle fut jeune un jour, ce que l’on peinait à croire à force de la voir interpréter depuis des décennies des rôles de septuagénaires.

L’effet de répétition devient vite lassant. Les scènes s’enchaînent les unes aux autres, reproduisant chaque fois la même structure : en arrière-plan, des corps dénudés s’entrelacent dans de fougueuses embrassades (pour rester poli), tandis qu’à l’avant-plan, un Caligula rebondissant invente une nouvelle lubie, exécute un opposant, humilie un sénateur, nomme consul…. son cheval ! Si Caligula dans sa nouvelle version reste interdit légitimement aux moins de seize ans, le parfum de scandale dans lequel baignait le film à la fin des années 70 s’est depuis longtemps dissipé. Il en faut beaucoup pour choquer le bourgeois de 2024.

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Dead or Alive 1, 2 et 3 ★☆☆☆

Dead or Alive est une trilogie de films respectivement réalisés en 1999, 2000 et 2004, sortis en bloc en janvier 2004 dans les salles françaises et reprogrammés cet été dans quelques salles parisiennes. Ils sont indépendants les uns des autres mais mettent tous en scène le même duo d’acteurs interprété par Riki Takeuchi, dont la coiffure lui donne des faux airs d’Elvis japonais, et Sho Aikawa.

Dead or Alive (DOA) 1 se déroule de nos jours à Yokohama et raconte l’affrontement sanglant qui oppose des yakuzas japonais à une triade chinoise qui cherche à s’y implanter.
Dans DOA 2, les deux acteurs interprètent des tueurs à gages, qui, après un contrat sur lequel ils avaient été mis en concurrence, retournent dans leur village d’enfance et y renouent leur vieille amitié.
DOA 3 se veut futuriste. Il se déroule en 2346 à Yokohama, une ville sous la coupe d’un dictateur qui souhaite stériliser la population en lui faisant consommer une drogue.

Avec un quart de siècle de recul, les sources d’inspiration de Takashi Miike sont plus visibles encore. Il y a d’abord l’hyper-violence des films de Tarantino – qui fut lui-même inspiré par les films de kung-fu chinois et les films de sabre japonais. Il y a ensuite l’influence des mangas futuristes – le combat final de DOA 3 rappelle l’épilogue cyberpunk et body horror de Tetsuo. Il y a enfin, surtout dans le deuxième volet, la même tendresse que chez Kitano qui venait de sortir Hana-bi.

Takashi Miike pratique la surenchère. La crédibilité de ses scénarios est le cadet de ses soucis. DOA 1 se termine dans un combat apocalyptique qui prête à rire. La fin de DOA 3 y prête presqu’autant. Guère crédibles, les scénarios ne sont guère lisibles non plus, à l’exception m’a-t-il semblé du troisième – mais la raison en est peut-être que je commençais à m’habituer à cette forme d’écriture.

Les plus indulgents ne s’en formaliseront pas. Ils apprécieront ce réalisateur prolixe, qui tourne comme il respire (il aurait dirigé 59 longs-métrages depuis 1991), sans prendre le temps de peaufiner son œuvre. Il faut quand même être très bon public et aimer les plaisirs régressifs pour y trouver de l’intérêt.

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Paris au mois d’août (1966) ★★☆☆

Après le départ de sa famille en vacances en Bretagne, Henri Plantin (Charles Aznavour), un modeste employé à la Samaritaine, reste seul à Paris au mois d’août, avec pour seule compagnie quelques voisins, habitués du troquet du coin. Il rencontre à la sortie de son travail, sur le quai de la Mégisserie, Patricia Seagrave (Susan Hampshire) une Anglaise venue à Paris poser pour des photos de mode. Entre les deux cœurs solitaires, une brève idylle se noue.

Paris au mois d’août affichait complet à la séance de la Filmothèque du Quartier latin où je suis allé le voir. Il faisait partie d’un cycle « Paris au cinéma » opportunément programmé par ce cinéma minuscule d’art et essai de la rue Champollion qui enregistre, quel que soit le film à l’affiche, des taux d’affluence records.

Sans doute y a-t-il un effet de miroir amusant à aller voir Paris au mois d’août à Paris, au mois d’août. D’autant que ce film se plaît à montrer les rues parisiennes, telles qu’on les connaît bien, mais telles aussi qu’elles ont considérablement changé en soixante ans. Henri et Pat traversent le Pont-Neuf, remontent la rue Dauphine, contournent le jardin du Luxembourg avant d’arriver au Panthéon. Le lendemain, ils vont visiter les Invalides. Pat pose pour un photographe sur le toit du CNIT à La Défense et au pied de la Tour Montparnasse qui est en train de sortir de terre [PS : Il ne s’agirait pas de la Tour Montparnasse dont les travaux ont commencé en 1969 seulement].

Mois vide, août est à Paris le mois des célibataires pour ceux qui y travaillent pendant que leur famille est partie en vacances. Dans les quartiers chauds de l’Afrique coloniale avait cours pendant ce mois-là une expression qui ne laissait pas la moindre ambiguïté : le mois du Blanc. Bon mari, bon père de famille,  mais étouffant dans une vie trop étroite pour lui, Henri Plantin ne peut pas ne pas céder au charme et à la pétulance de Pat. C’est un tourbillon qui l’emporte, une nouvelle jeunesse qui s’offre à lui et la promesse d’un nouveau départ.

Revoir Paris en noir et blanc au mois d’août est une joie. Partager avec ces vieux amants leur ivresse est un bonheur. Mais Paris au mois d’août souffre d’un handicap rédhibitoire : Charles Aznavour. Il n’est pas crédible un instant. Bob Lemon l’était un peu plus dans Sept ans de réflexion (1955), un film au scénario très proche. Quant à Marilyn Monroe, inutile de dire que son sex appeal était autrement plus atomique que celui de la bien fade Susan Hampshire

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John McCabe (1971)/Josey Wales hors-la-loi (1976) ★★☆☆

John McCabe (Warren Beatty) est un joueur de poker nonchalant et solitaire qui décide de se poser dans une petite ville du nord-est des Etats-Unis. Il y emploie quelques filles jusqu’à ce que l’arrivée de l’une d’elles, Constance Miller (Julie Christie), ne l’incite à se développer. Sa réussite suscite la convoitise. Une offre de rachat lui est soumise. Mais suite à un malentendu, elle est rejetée et McCabe doit se préparer à combattre les hommes de main chargés de l’éliminer.
Josey Wales (Clint Eastwood) est un paisible colon qui travaille sa terre dans le Missouri quand les troupes nordistes la mettent à sac, tuant sa femme et son fils. Il rejoint une milice sudiste, refuse de se laisser désarmer à la fin de la Guerre de Sécession et, accompagné d’un vieil Indien cherokee, sa tête mise à prix, traverse le Texas pour trouver refuge au Mexique.

John McCabe et Josey Wales hors-la-loi est à l’affiche d’un cycle de westerns programmés cet été au Christine Cinéma Club. Ils ont bien des points communs.
Le premier est d’être quasiment contemporains.
Le deuxième est de porter fièrement le nom de leurs héros – même si Warren Beatty partage l’affiche du premier avec Julie Christie – interprété par deux stars alors omnipotentes à Hollywood, qui y faisaient la pluie et le beau temps, produisant, réalisant, jouant le rôle titre de leurs propres films.
Le troisième, peut-être le plus significatif, est d’appartenir à un genre, le western, et à un sous-genre, le western crépusculaire. Après avoir connu son âge d’or dans les 40ies et 50ies, le western entame dans les 70ies un long déclin. Le temps de la Conquête de l’Ouest, des combats glorieux entre de vaillants cowboys et de perfides Indiens dans les paysages majestueux de la Monument Valley, est révolu. Le western devient moins manichéen et plus amer.

Bien qu’il lui soit de cinq ans antérieur, John McCabe est plus emblématique du western crépusculaire que Josey Wales hors-la-loi. Robert Altman, auréolé par la Palme d’or qu’il vient de décrocher à Cannes pour M.A.S.H. filme avec son chef opérateur Vilmos Zsigmond des paysages sans charme, boueux et brumeux, noyés sous la pluie, recouverts par la neige sitôt l’hiver venu. Pas l’ombre d’un Indien, ni même d’un cowboy, mais des brutes sales et saoules dont le seul commerce qu’elles entretiennent avec des femmes est exclusivement sexuel. Le personnage de John McCabe est un anti-héros. Engoncé dans une énorme pelisse, il ne brille ni par son intelligence – c’est Constance Miller qui fait décoller sa petite entreprise – ni par son courage – face aux trois gâchettes dépêchées pour l’abattre, sa première réaction est la fuite. Altman ne cherche pas à le réhabiliter et lui réservera le destin qu’il mérite.

Josey Wales est une figure plus classique du western. C’est un solitaire qui, s’il combat dans une milice sudiste, ne se réduit pas à cet attachement partisan, pas plus que l’amitié contingente qui le lie à deux Indiens qui croisent son chemin ne font de lui un pro-indien. Ce n’est pas non plus un homme vertueux, mu par des principes éthiques supérieurs, ni même par l’unique désir de venger les siens, supplanté avec les années par celui de sauver sa peau. Il n’en reste pas moins un surhomme, comme on en voyait dans les westerns de John Ford et de Sergio Leone (sous la direction duquel Eastwood a fait ses premiers pas) capable de se sortir des situations les plus dangereuses grâce à son sang-froid et à sa gâchette infaillible.

La bande-annonce de John McCabe
La bande-annonce de Josy Wales hors-la-loi

Ludwig : Le Crépuscule des dieux (1972) ★★☆☆

Avec une grande fidélité aux faits historiques, Ludwig raconte le règne tourmenté du roi de Bavière de 1845 à 1886.
Le jeune Ludwig monte sur le trône à dix-neuf ans à peine. Il se désintéresse vite de la gestion de l’Etat alors même que l’Allemagne est en train de s’unifier à marche forcée sous la domination de la Prusse dont la Bavière deviendra en 1871 un vassal. Il lui préfère les arts : la musique (il voue une admiration folle à Richard Wagner dont il est le mécène et satisfait au moindre de ses caprices) et l’architecture (il se fait construire dans les Alpes bavaroises, à Neuschwanstein, à Linderhof et à Herrenchiemsee, des chateaux de contes de fées). Après avoir rompu ses fiançailles avec sa cousine Sophie-Charlotte, il s’isole de plus en plus. Il prend dans sa domesticité de nombreux amants. Un collège de psychiatres lui diagnostique une paranoïa sévère qui ouvre la voie à sa destitution. Le lendemain de son internement dans un asile psychiatrique, âgé de quarante ans, il se noie dans le lac voisin avec son médecin.

Tout dans la personnalité et l’histoire du roi-fou devait attirer Luchino Visconti, qui s’était autoproclamé « biographe de l’Allemagne », lui avait déjà consacré deux films sublimes et crépusculaires, Les Damnés et Mort à Venise, et travaillait à l’adaptation impossible de La Montagne magique qu’il ne réalisa jamais.

Comme Mort à Venise, Ludwig exalte un parfum vénéneux. Tout y est sublime ; tout y est morbide. Comme dans Mort à Venise, l’homosexualité est un thème central du film. Ludwig a tenté sans succès toute sa vie de se battre contre ses penchants. Il a nourri une passion platonique pour sa cousine, l’impératrice Elizabeth d’Autriche et a failli épouser sa sœur cadette. Mais malgré sa foi catholique et l’insistance de son confesseur, Ludwig ne se résoudra pas à concrétiser cette union. Sa passion pour les arts sera pour lui une manière de transcender ses pulsions.

Pour interpréter Ludwig, Visconti choisit son propre amant, Helmut Berger. Il avait déjà tourné sous sa direction dans Les Damnés, travesti en Marlène Dietrich. Le jeune homme – il a trente-quatre ans de moins que le réalisateur – est d’une beauté surnaturelle. Sa mélancolie, son hystérie en font un Ludwig parfait. Le film, très sombre, dont la plupart des scènes se passent la nuit ou, de jour, sous des cieux enneigés, est traversé par un rayon de lumière : Romy Schneider y reprend le rôle qui l’a rendue célèbre et le tire du côté de la vie. Elle convainc Ludwig de s’affranchir de l’étiquette de la cour comme elle a osé le faire elle-même ; mais Ludwig utilisera cette liberté pour se replier sur lui-même et se cloîtrer.

Ludwig est sans doute un chef d’œuvre. Mais c’est un chef d’œuvre qui se mérite. Les producteurs imposèrent une version raccourcie de trois heures. Celle que j’ai vue la semaine dernière, à l’occasion d’une rétrospective Visconti, dure près de quatre heures. Y gagne-t-on au change ? Le propos n’aurait-il pas mérité d’être resserré ?

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