Seuls ensemble ★★☆☆

Comme son nom ne l’indique pas, David Kremer est Breton. Il a toujours été fasciné par la mer et lui a déjà consacré deux longs-métrages de fiction. Son troisième film est un documentaire tourné sur la Grande Hermine, un chalutier-usine surgélateur de 65 mètres à bord duquel la trentaine d’hommes d’équipage (ça manque de femmes !) pêchent le poisson et le conditionnent.

En 2012 Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel avaient tourné un film similaire, à bord d’un chalutier. Mais leur traitement était totalement différent, moins documenté, plus poétique.

Le réalisateur de Seuls ensemble ne filme pas la mer, les couchers de soleil, les flots déchaînés. Seuls ensemble, comme son titre l’annonce, s’intéresse aux marins-pêcheurs et à eux seuls.
Leurs gestes que David Kremer capte avec la patience d’un ergonome : la remontée de l’énorme chalut, lourd de plusieurs tonnes de poissons, leur découpage à la chaîne.
Leurs vies régies par une routine laborieuse : les réveils au clairon dans l’aube laiteuse de l’Arctique, les repas dans la cuisine, les cigarettes fumées à la chaîne.
Le documentaire quasi muet s’anime dans le dernier tiers, lorsque David Kremer prend le parti de procéder à des interviews. Face caméra, les personnages, avec lesquels on s’est familiarisé depuis une heure, prennent la parole, pour raconter la dureté du métier, mais aussi la passion qui les anime et leur dégoût de la terre. Comme si être marin-pêcheur était à la fois une quête et une fuite.

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Salafistes ★☆☆☆

Salafistes a fait parler de lui à cause de l’interdiction – rarissime – aux moins de 18 ans qui l’a frappé. La polémique est à la fois vaine et légitime.

Vaine. Ce documentaire médiocrement filmé et sorti en catimini dans deux minuscules – logiquement archi-combles – salles parisiennes ne méritait pas une telle publicité. De quoi s’agit-il ? De quelques interviews de leaders salafistes au Mali, en Mauritanie et en Tunisie ponctuées de vidéos de propagande piochées sur le web. Claude Lanzmann a beau crier au chef-d’œuvre ; on a connu le réalisateur de Shoah mieux inspiré. La fiction poétique de Timbuktu – qui emprunte aux mêmes événements – est autrement convaincante.

La polémique suscitée par la censure ministérielle n’en est pas moins légitime. C’est la première fois depuis 1962 qu’un documentaire est interdit aux moins de 18 ans – le privant par voie de conséquence de toute diffusion télévisuelle. Pourquoi ? Parce que, nous dit la Commission de classification, ce documentaire « ne permet pas de façon claire de faire la critique des discours violemment anti-occidentaux, antidémocratiques de légitimation d’actes terroristes (…) ». Donc est reproché à Salafistes non seulement de diffuser des scènes et des discours d’une extrême violence mais surtout de ne pas en faire la critique. Logiquement, le même raisonnement devrait conduire à censurer Naissance d’une nation ou Les Dieux du stade pour apologie de l’esclavagisme et du nazisme. Claude Lanzmann a raison : censurer Salafistes n’est pas seulement une atteinte à la liberté d’expression mais, pire, une insulte à l’intelligence du spectateur, fût-il mineur.

 

Jane Got a Gun ★★☆☆

Jane Got a Gun arrive sur nos écrans lesté de lourdes casseroles. Produit par Natalie Portman, le film devait être réalisé par Lynne Ramsay (We Need to Talk about Kevin) qui a déclaré forfait la veille du tournage. Bradley Cooper puis Jude Law étaient annoncés pour le premier rôle masculin, finalement interprété par Joel Edgerton (Life, Strictly Criminal, Exodus). Sa sortie en France, prévue le 25 novembre, est décalée suite aux attentats du 13 novembre. Last but not least, le film, sorti aux États-Unis vendredi dernier, a enregistré des résultats catastrophiques au box-office ce week-end.

Avec tous ces clignotants au rouge, (Calamity) Jane Got a Gun faisait figure de no-go absolu, de navet magistral. Avec de telles préventions, fort paradoxalement et fort logiquement, je n’ai pas été déçu par ce petit western qui ne brille pas par son originalité mais remplit consciencieusement son office.

L’histoire est passablement compliquée par des flash-back trop nombreux. La jeune Jane Buchanan, croyant son fiancé mort à la guerre, est partie dans l’Ouest refaire sa vie. Elle tombe entre les mains d’une bande de criminels mais en est sauvée par l’un des leurs, Bill Hammond. Le film commence quand cette troupe de hors-la-loi est sur le point de les rattraper et que le fiancé disparu réapparaît.

Scénario passablement alambiqué, mais somme toute d’un grand classicisme. Le triangle amoureux trouvera la solution qu’on attendait sans surprise ni déplaisir. Hélas, le film pèche – et c’est son plus grave défaut – par son interprète principale. Natalie Portman est, comme d’habitude, parfaite. Mais elle n’était pas faite pour le rôle. Trop fragile, trop frêle, trop élégante. Elle a beau interpréter son rôle avec le perfectionnisme qui l’a toujours caractérisée, elle ne réussit pas à le rendre crédible.

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Les Premiers, les Derniers ★★☆☆

Deux chasseurs de primes lancés à la poursuite d’un couple en cavale vont le défendre contre la population locale décidée à le lyncher.

On se croirait dans le Far West au temps de la conquête de l’Ouest ? On est au milieu de la Beauce, dans le froid d’un hiver gris. Albert Dupontel et Bouli Lanners ne montent pas à cheval mais circulent en 4×4. Avec un GPS, ils recherchent le téléphone portable qu’ont volé deux doux dingues, en rupture de ban avec leur établissement psychiatrique.

Le scénario du quatrième film de Bouli Lanners ne brille pas par son originalité. Mais l’essentiel est ailleurs. Une ambiance de faux western, avec des paysages plats comme la main filmés en Scope dans de longs travellings sur des personnages itinérants. Des gueules, des vraies gueules comme seul le cinéma d’auteur sait en offrir : Michael Lonsdale et Max von Sydow en vieillards métaphysiques, Suzanne Clément en maîtresse au grand cœur, Philippe Rebbot en protecteur christique et Serge Riaboukine en chef de clan haineux.

L’exercice pourrait paraître trop stylisé, trop froid s’il n’était en même temps d’une infinie délicatesse. Comme dans ses précédents films, Bouli Lanners filme ses personnages avec tendresse. Il en montre la dureté mais aussi les failles. Albert Dupontel est – comme d’habitude – parfait dans le rôle principal. Il est, pour moi, l’un des plus grands acteurs de sa génération, excellent dans la comédie (Bernie, 9 Mois ferme) comme dans le thriller (La Proie, Le Convoyeur). À quand le grand rôle qui lui donnera le statut de star qu’il mérite amplement ?

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Encore heureux ★★☆☆

Édouard Baer campe un cadre supérieur au chômage qui sombre lentement dans la dépression. Sa femme, Sandrine Kiberlain, porte le ménage à bout de bras quitte à associer ses deux enfants aux larcins qu’elle doit commettre pour remplir le frigo. Mais « Encore heureux » n’est pas une énième chronique du déclassement social. Plutôt une comédie piquante qui, par la grâce de la mort subite d’une voisine acariâtre, mène là où on ne l’attend pas.

La comédie française n’a pas toujours bonne presse. La faute aux plus gros succès du box-office qui brillent rarement par leur finesse : « Babysitting 2 » (pour les plus jeunes) ou « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » (pour les moins jeunes). Remarquablement servi par un couple d’acteurs au sommet de leur art, « Encore heureux » louche plutôt du côté de « Neuf mois ferme » ou de « L’Élégance du hérisson ».

Gentiment immorales, les tribulations de ce couple attachant et de leurs deux marmots inventifs forcent la sympathie. On espère que leur débrouillardise paiera et on accepte de fermer les yeux sur les ficelles un peu grosses du scénario.

À noter Bulle Ogier dans le rôle d’une grand-mère originale et complice qui n’est pas sans rappeler le rôle joué par Denise Grey dans « La Boum ».

 

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La Fille du patron ★★☆☆

« La Fille du patron », c’est deux films en un. D’un côté, des employés d’une entreprise textile qui forment une équipe de rugby. De l’autre, l’arrivée dans ce groupe soudé d’un corps exogène – la fille du patron chargée de mener une étude d’ergonomie dans l’entreprise de son père – qui va révéler les conflits de classe.

Le premier film a des antécédents dans le cinéma social britannique comme « Les Virtuoses » avec le regretté Peter Postlethwaite ou « The Full Monty ». Le second rappelle « Ressources humaines » de Laurent Cantet – qui n’avait pas encore reçu la Palme d’or – où Jalil Lespert, fraîchement émoulu d’une brillante école de commerce, revenait le temps d’un stage dans l’entreprise de son père.

Vous anticipez que je vais reprocher à « La Fille du patron » de contenir un film de trop. Vous avez tort. Car le film d’Olivier Loustau réussit sans effets de manche à filmer ces deux histoires. Dans le rôle principal, le réalisateur joue l’entraîneur de rugby de cette équipe d’entreprise qui réunit le temps d’un match – et de ses trois mi-temps – une belle brochette de seconds rôles. C’est lui aussi, alors que son couple bat de l’aile, qui couchera avec la fille du patron. Christa Théret confirme dans ce rôle le talent qu’on sentait poindre dans « Renoir » ou « Marguerite ».

A force d’hésiter sur la conclusion à lui donner, « La Fille du patron » connaît dans son dernier tiers une petite baisse de rythme. Ce défaut le prive d’une troisième étoile qu’au bout d’une heure j’étais prêt à lui donner.

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Dakar, ta nostalgie ★☆☆☆

 

Florence Arrigoni Neri a vécu une quinzaine d’années à cheval entre Paris et Dakar avec son compagnon sénégalais.  À la mort de celui-ci, elle retourne au Sénégal pour y filmer le temps qui passe, l’impermanence des choses et des êtres. À rebours d’un documentaire de cartes postales aux étapes obligées (l’île de Gorée, le cap Manuel, le phare des Mamelles, la place de l’Indépendance…) elle dresse une cartographie personnelle de Dakar. Si personnelle qu’elle peine à la faire partager aux spectateurs, même à ceux qui y auraient vécu.

Ce documentaire confidentiel est sorti le 6 janvier dans une seule salle parisienne, l’Espace Saint-Michel, où il partageait l’affiche avec d’autres films. Tout au plus aura-t-il été vu en première semaine par 400 personnes. En d’autres termes à chaque spectateur qui est allé voir « Dakar, ta nostalgie » 100.000 sont allés voir Star Wars VII. On ne saurait leur donner tort.

 

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J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd ★★☆☆

Les sourds veulent se faire entendre. Voilà le titre de la critique de ce beau documentaire que j’aurais écrit pour Libération.

Deux approches médico-sociales se combattent dans le monde des sourds. La première, née au XIXe siècle en réaction à leur marginalisation, est l’oralisme : grâce à un appareillage, à la pose d’implants cochléaires, à la lecture labiale et à l’apprentissage de la parole, les sourds pourront s’intégrer au monde des entendants. Rejetant cette école qui pose la surdité comme un handicap qu’il faut soigner à tout prix, une autre école promeut au contraire la langue des signes comme moyen d’expression et de communication.

C’est pour cette seconde école que Laetitia Carton prend fait et cause. Son documentaire témoigne avec sincérité et justesse des amitiés kaléidoscopiques que cette entendante a nouées dans la communauté sourde. Il rassemble une galerie de portraits attachants : un professeur de la langue des signes, des parents confrontés à la difficile scolarisation de leur enfant,  l’artiste Levent Beskardes et la chanteuse Camille… Il nous fait découvrir la langue des signes et sa richesse : une chorégraphie qui sollicite le corps tout entier. J’aurai appris qu’on signe avec les yeux, le même signe ayant une signification différente selon l’expression faciale qui l’accompagne.

Le documentaire montre Emmanuelle Laborit, dont le Molière en 1993 avait donné à la communauté une visibilité inédite. Depuis 20 ans dit-elle – ou plutôt signe-t-elle – sa situation ne s’est guère améliorée. Si la langue des signes est désormais une option au baccalauréat, les écoles bilingues se comptent sur les doigts d’une main. Les sourds sont inaudibles – si vous m’autorisez le jeu de mots facile.

La préférence revendiquée pour l’apprentissage de la langue des signes sur l’oralisme m’est spontanément suspecte. La première me semble renfermer les sourds sur leur communauté tandis que la seconde leur permettrait de s’intégrer aux entendants. J’aurais aimé que Laetitia Carton laisse s’exprimer les tenants de l’oralisme. Mais son parti pris assumé, s’il fait obstacle à une présentation équilibrée des positions, n’enlève rien à ce documentaire émouvant.

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Legend ★★☆☆

Dans les années 60, les frères Krays régnèrent sur la mafia londonienne. Un premier film leur avait été consacré en 1990 que j’avais vu encore étudiant – et dont je n’ai gardé que le souvenir vague d’une efficace série B. Brian Helgeland, le réalisateur des dispensables « Payback » et « Chevalier », aime les titres courts et filme la légende de ces deux malfrats.

L’idée (de génie ?) est d’avoir confié les deux rôles au même acteur – comme David Lynch l’avait fait avec Jeremy Irons dans « Faux semblants » (1988). [Le premier qui me cite « Jumeaux » de Ivan Reitman avec Arnold Schwarzenegger et Danny DeVito sort]. L’idée fait craindre le procédé, le numéro d’acteur. Mais, bien au contraire, elle révèle – si tant est que l’acteur de « The Dark Knight Rises » et « Mad Max: Fury Road » constitue encore une révélation – Tom Hardy.

J’ai été bluffé par son interprétation du beau Reginald et du psychopathe Ronald. Le sourire canaille du premier est aussi séduisant que le regard vitreux du second est terrifiant. A ses côtés, le joli minois d’Emily Browning, par la (sensuelle) bouche de laquelle la vie des frères Krays est racontée, ne gâche rien. La reconstitution du Londres des années 60 est soignée. Les seconds couteaux ont les mines patibulaires parfaites pour le rôle.

Alors pourquoi deux étoiles seulement ? Parce que le scénario, un peu faiblard, peine à tenir le rythme d’un film trop long de trente minutes.

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Les chevaliers blancs ★★★☆

Le fait divers avait défrayé la chronique à l’automne 2007 : une association humanitaire française avait tenté de faire sortir du Tchad 103 enfants présentés comme orphelins du Darfour.

Joachim Lafosse, un réalisateur belge dont le précédent film « À perdre la raison », lui aussi inspiré d’une histoire vraie, m’avait bouleversé, a très fidèlement adapté cette histoire. Seule distance prise avec la réalité : ses principaux protagonistes ont été rebaptisés et les lieux de l’action ne sont pas nommés – précaution bien dérisoire qui ne tiendrait pas longtemps devant un tribunal.

La grande réussite de son film est de décrire la lente perversion des meilleures intentions.
Car, les intentions du charismatique directeur de l’Arche de Zoé, impeccablement interprété par Vincent Lindon, sont pures : sauver des orphelins de l’enfer du Darfour. Fort de l’expérience qu’il a acquise après le tsunami en Asie du Sud-Est, il convainc plusieurs dizaines de familles du Sud-Ouest de la France de se porter volontaires à les accueillir.
Les choses se compliquent quand les orphelins attendus ne répondent pas à l’appel. Les humanitaires espéraient sauver le monde ; mais le monde n’a pas besoin d’être sauvé. Ayant reçu de l’argent pour fournir des orphelins, les chefs de village fournissent aux humanitaires ce qu’ils ont sous la main : des enfants dont les parents acceptent de se séparer, soit qu’ils aient reçu de l’argent pour ce faire, soit qu’ils espèrent ainsi leur assurer une vie meilleure. C’est ainsi que, coincés entre les familles adoptantes qui les attendent en France, des chefs de village qui ne leur amènent pas les orphelins escomptés et des autorités tchadiennes auxquelles elle ne parvient pas longtemps à cacher ses plans d’exfiltration, l’équipe de l’Arche de Zoé s’est retrouvé dans un dilemme sans issue.

Cette lente perversion est remarquablement incarnée par un personnage secondaire : celui de la journaliste interprétée par Valérie Donzelli. Son rôle était de filmer la mission pour offrir aux familles adoptantes un témoignage. Elle se positionne au départ en dehors du groupe – dont elle filme, sans mot dire, les premiers déchirements. Mais peu à peu, attendrie par la détresse des enfants recueillis, elle prend fait et cause pour la mission, au point de perdre sa lucidité.

L’autre réussite des « Chevaliers blancs » est de filmer l’humanitaire. Il est surprenant que ce monde, hautement dramaturgique, ait aussi peu inspiré le cinéma. On voit parfois quelques silhouettes, en arrière-plan d’un film catastrophe. Un drame humanitaire est parfois filmé à travers leurs yeux. Mais aucun film n’a, à ma connaissance, filmé l’humanitaire en train de se faire – alors que les romans et les essais sur ce thème sont légion (tels que « Asmara » de Jean-Christophe Rufin ou « Frontières » de Sylvie Brunel). Or, l’action humanitaire renferme de riches ressorts dramatiques. Ce que Joachim Lafosse réussit très bien à filmer ne va pas de soi : c’est, quand l’équipe privée d’accès au terrain ne parvient pas à accueillir d’enfants, le temps mort de l’attente, du désœuvrement, de l’oisiveté où la frontière entre le travail et les vacances se perd.

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