No Land’s Song ★★★★

Le film à voir cette semaine est un documentaire. Un documentaire sur l’Iran dont j’ai déjà dit ici , pas plus tard que jeudi dernier, dans ma critique de Nahid, combien il nous devenait familier à force de voir des films et des documentaires à son sujet.

Sauf que No Land’s Song n’est pas seulement un documentaire de plus à ajouter à une liste qui deviendrait trop longue.

C’est un aspect particulier de la réglementation iranienne qui est ici en cause : l’interdiction faite aux femmes de chanter en solo devant des hommes. Interdiction insultante, absurde, ridicule. Insulte aux femmes, bâillonnées dans leur expression. Mais insulte aussi aux hommes qui seraient incapables de maîtriser leur désir à l’audition du chant d’une femme.

Sara Najafi, une compositrice iranienne aussi belle qu’intelligente, a décidé d’organiser un concert. Son frère, Ayat Najafi, la filme pendant deux ans, tentant de bureau en bureau d’obtenir des services du ministère de la Culture et de la Guidance islamique (sic) une autorisation constamment refusée. Cette quête don-quichottesque donne lieu à un splendide portrait de femmes. Sara Najafi d’abord. Ses sœurs de combat iraniennes ensuite, notamment ses aînées qui se remémorent avec nostalgie l’époque pré-révolutionnaire où le chant des femmes était autorisé. Et enfin Jeanne Cherhal, Elise Caron et Emel Mathlouthi qui viennent de France pour participer au concert que Sara Najafi organise.

Car il ne s’agit pas simplement de pousser la chansonnette devant un public de militants, truffé de mollahs sourcilleux. Le chant n’est pas un prétexte mais bien une finalité en soi. Et le résultat est splendide, d’un professionnalisme impeccable qui donne envie de se ruer sur la BO du film.

Deux coups de cœur pour le prix d’un. Cinématographique et musical.

La bande-annonce

Évolution ☆☆☆☆

Certains films sont aériens, d’autres sont terrestres, d’autres encore aquatiques. Qu’ils se situent dans les cieux, sur terre ou sous les mers n’y change pas grand-chose. Si Les Ailes du désir de Wim Wenders est un film aérien, « La Nuit » de Antonioni l’est tout autant avec ses personnages donnant l’impression de surplomber la dolce vita romaine. In the Mood for Love et Le Docteur Jivago sont deux films terriblement aquatiques où les héros nagent l’un vers l’autre malgré les vents contraires.

Évolution est un film aquatique. D’abord parce qu’il se déroule sous la mer, superbement filmée, et sur les rivages désolés de l’île de Lanzarote. Ensuite parce qu’il nous prive d’oxygène. Mais aussi parce qu’il nous désoriente : qui sont ces femmes et ces enfants ? quels secrets cachent-ils ? où sont les hommes ?

Le suspense hélas dure une demi-heure à peine. Sur les traces du jeune héros, on découvre bien vite, dans les couloirs d’un hôpital sordide, les réponses à nos questions. Réponses choquantes, perturbantes mais aussi simplistes et trop fantastiques pour ne pas friser le grand-guignol.

Passé cette demi-heure, le film perd tout intérêt, s’étirant encore pendant cinquante minutes vers une conclusion qui nous restera définitivement étrangère.

La bande-annonce

Jodorowsky’s Dune ★★★☆

« Dune is probably the greatest movie never made ». Dune est probablement le plus grand film jamais réalisé. Alejandro Jodorowsky, auréolé du succès de ses deux premiers films El Topo et La Montage sacrée, s’en était vu proposer la réalisation par Michel Seydoux. Pendant deux ans, il rassemble autour de lui les artistes les plus avant-gardistes de son époque : Moebius, Dan O’Bannon, Hans Ruedi Giger et Chris Foss. Il réussit à constituer un casting aussi prestigieux qu’hétéroclite : Keith Carradine, Mick Jagger, Orson Welles, Salvador Dalí et Amanda Lear.

Le documentaire de Frank Pavich (tourné en 2013 et qui mit trois ans à trouver le chemin des salles) raconte ce projet pharaonique et son échec faute de financement. Le sujet n’est pas nouveau. Serge Bromberg en 2009 avait exhumé L’Enfer, un projet avorté de Henri-Georges Clouzot. Keith Fulton et Louis Pepe en 2000 avaient raconté l’échec de Terry Gilliam à tourner L’Homme qui tua Don Quichotte. À chaque fois, les ingrédients sont les mêmes : un rêve fou se brise sur la réalité, faisant naître la nostalgie de ce qui aurait pu être mais qui n’est pas.

Le documentaire de Frank Pavich ne brille pas par son inventivité : il se contente paresseusement d’aligner les interviews des participants au projet, comme le ferait le premier documentaire télévisé venu. Mais il a la chance d’avoir pour héros le réalisateur franco-chilien Alejandro Jodorowsky, un génie fou de son art, avant-gardiste et visionnaire. Même si quelques brèves moments montrent que l’échec de Dune a brisé sa vie – et l’a durablement éloigné du cinéma – la jubilation qu’il manifeste à s’en remémorer les aléas est communicative.

La bande-annonce

Louis-Ferdinand Céline ★☆☆☆

Fuyant la France libérée et les mesures d’épuration, Louis-Ferdinand Céline a trouvé refuge au Danemark entre 1945 et 1951 avec sa femme Lucette et son chat Bébert. Il entame une longue correspondance avec un universitaire juif américain, Milton Hindus, qu’il convainc de rédiger une pétition en sa faveur et de lui rendre visite à Korsør, sur les bords de la mer Baltique. Le film de Emmanuel Bourdieu – fils de Pierre, normalien, agrégé et docteur en philosophie, scénariste des films de Desplechin et réalisateur de Vert Paradis et Les Amitiés maléfiques – raconte cette rencontre.

Comme son sous-titre l’annonce, il met face à face deux clowns qui s’intrumentalisent réciproquement. Le vieux Céline cherche une caution pour répondre aux accusations de collaborationnisme qui pèse sur lui. Le jeune Hindus cherche à obtenir les confessions du grand romancier pour écrire le livre qui lui conférera la gloire. Des deux, c’est le premier qui est le plus clown : Denis Lavant, égal à lui-même, surjoue un Céline éruptif, paranoïaque, misanthrope et manipulateur. Face à lui, Philipp Desmeules est bien pâle. le personnage le plus intéressant est celui de l’épouse, Lucienne, joué par Géraldine Pailhas. C’est le seul personnage normal, sensé, qui s’interpose efficacement entre les deux hommes lorsque le ton monte.

Louis-Ferdinand Céline aurait fait une excellente pièce de théâtre. Malheureusement, le face-à-face entre l’écrivain antisémite et son admirateur juif n’a pas beaucoup de potentiel cinématographique.

La bande-annonce

The Assassin ☆☆☆☆

Des critiques élogieuses ont accueilli le dernier film de Hou Hsiao-hsien. C’est avec beaucoup d’humilité et en reconnaissant par avance mes torts que j’oserai faire entendre une voix discordante.

Hou Hsiao-hsien est un des plus grands cinéastes chinois/taïwanais vivants et The Assassin l’aboutissement douloureux d’une réalisation de plus de cinq années, sa première incursion dans le wu xia pan –le film de sabre. Comme l’affiche (ci-dessus) l’annonce et l’illustre, The Assassin est d’une beauté à couper le souffle. Chaque plan est une composition savante où tout est calculé – le cadre, les couleurs, la profondeur de champ – pour subjuguer le spectateur.

Tout cela est vrai. Mais pour faire un film il faut un scénario. Et The Assassin en est dépourvu. Ou pour le dire plus précisément, il en a un tellement compliqué, tellement hermétique à la compréhension que, sauf à accepter de n’y rien comprendre et à se satisfaire d’un plaisir purement esthétique, The Assassin nous restera définitivement étranger.

Je me souviens d’avoir eu exactement la même réaction devant Les Cendres du temps de Wong Kar-wai (1994) et Hero de Zhang Yimou. Deux films de sabre. Deux grands réalisateurs chinois. Deux films d’une beauté fascinante. Mais pour moi deux films terriblement décevants faute d’être organisés autour d’une histoire compréhensible et captivante.

Suis-je trop franchouillard ? pas assez chinois ? Un dinosaure d’un siècle révolu prisonnier d’un cadre mental démodé ? J’ai besoin d’un scénario pour aimer un film/un livre. Un scénario avec un début, un milieu et une fin. Un scénario qui raconte une histoire, triste ou gaie, épique ou banale, d’hier ou d’aujourd’hui. Peu importe.

Une série de belles images montées sans logique, aussi léchées soient-elles, ne suffit pas à faire un film. Du moins pas un film que j’aime.

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Room ★☆☆☆

On se souvient de ces deux faits divers sordides qui, par coïncidence, eurent lieu tous deux en Autriche : la séquestration de Natascha Kampusch pendant huit années et celle, pendant vingt-quatre ans, par son propre père, d’Elisabeth Fritzl qui donna naissance à sept enfants.

Emma Donoghue s’en inspira pour écrire Room, l’histoire de Joy, kidnappée à dix-sept ans, violée et qui met au monde en captivité un petit garçon. Le film de Lenny Abrahamson est l’adaptation fidèle de ce livre. Il est, comme ce dernier, divisé en deux parties. La première se déroule dans le huis clos de la pièce qui accueille Joy et son fils. La seconde (non ! ce n’est pas un spoiler ! la bande-annonce le montre) raconte leur libération et leur retour moins facile que prévu à la vie extérieure.

L’idée n’est pas idiote. Combien de fois à la fin d’un film ou d’un roman, qui se termine par la mort du méchant et la survie miraculeuse du gentil, se demande-t-on comment le héros va retrouver une vie normale ?

Pour autant Room compte un film de trop. La première partie aurait suffi à faire un film extraordinaire, un huis clos étouffant, un suspense angoissant pour finir par un épilogue libératoire.  La seconde, elle aussi, se suffisait à elle-même. On y aurait montré, comme Room le fait sans aller au bout de ses potentialités, les écueils du retour à la normalité, le battage médiatique, la machine judiciaire, les histoires de famille mal cicatrisées.

Deux sujets pour deux films. Mais un de trop pour un seul.

La bande -annonce

 

Brooklyn ★★★★

Eilis Lacey est irlandaise, jolie et intelligente. Elle saisit la première opportunité pour émigrer à New York, laissant derrière elle sa mère et sa soeur. Installée à Brooklyn, elle se laisse gagner par le mal du pays jusqu’à ce qu’un joli plombier italien l’en guérisse. Mais la vie la rappelle en Irlande.

Disons-le tout net : j’ai adoré « Brooklyn ». Sans méconnaître les reproches qu’on pourrait légitimement adresser à ce film trop sage : un scénario tire-larmes, une reconstitution trop proprette, une fin bâclée.

Mon enthousiasme vient précisément de son héroïne si sage. Saoirse (prononcez sir-cha) Ronan confirme le bien qu’on pensait d’elle.  Elle a mérité haut la main sa nomination aux Oscars. Ses robes sont d’une folle élégance me donnant, comme à chaque fois que je regarde un film qui se déroule dans les années 50, le regret d’être né trente ans trop tard.

Son personnage n’a rien de manichéen : ni ange, ni démon, c’est une fille de son temps qui veut quitter l’Irlande étriquée des années 50 pour vivre selon son coeur tout en ayant conscience de la dette qu’elle a contractée auprès des siens. Le dilemme auquel elle est confrontée est poignant. Rien de grandiloquent, presque rien de dramatique. La vie tout simplement.

La bande-annonce

Des nouvelles de la planète Mars ★☆☆☆

Dominik Moll s’était fait connaître par son premier film « Harry, un ami qui vous veut du bien » en 2000. Seize ans plus tard, il sort son quatrième seulement.

À quarante-neuf ans, la vie de Philippe Mars est une succession d’échecs : sa femme l’a quitté, ses enfants le méprisent, sa carrière plafonne. Un collègue de travail à moitié dingue commence par lui couper une oreille avant de lui redonner goût à la vie.

Comme dans « Harry » ou dans « Lemming », son deuxième film, Dominik Moll s’intéresse aux perturbations créées par l’irruption d’un corps exogène dans une famille au fragile équilibre. Ce corps exogène, c’est Vincent Macaigne qu’on a déjà (trop) vu dans son rôle préféré de doux dingue. Le chef de famille houellebecquien, c’est François Damiens dont la carrière est en train de prendre un tour intéressant depuis « Les Cowboys ».

« Harry » fonctionnait bien parce que le film basculait inexorablement dans l’horreur. « Des nouvelles… » fonctionne moins bien parce qu’il n’ose pas franchir le pas. « Des nouvelles… » comme « Harry » instille un malaise ; mais, en restant du côté de la comédie familiale trop sage, au happy end convenu et prévisible, il laisse un goût d’inachevé.

La bande-annonce

Belgica ★☆☆☆

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Félix Van Groeningen – qui, comme son nom l’indique, n’est ni italien ni portugais. La Merditude des choses et Alabama Monroe, une comédie dramatique et un drame non dépourvu d’humour qui avaient tous les deux la truculence et la générosité d’un potjevleesch flamingant.

J’ai été du coup d’autant plus déçu par Belgica qui s’annonçait dans la continuité prometteuse de ces deux premiers films.

L’action se passe à Gand, dans le café où le jeune Félix a grandi. Deux frères décident de transformer ce rade minable en bar branché. Ils y mettent toute leur -communicative – folie et connaissent vite le succès. Mais la réalité a tôt fait de rattraper leur rêve.

Oui, Belgica est un film survolté, euphorisant, énergisant. Oui, l’anarchie de la fête, son bruit, sa sueur, son hébétement, son euphorie aussi, ont rarement été aussi bien filmés – et je sais de quoi je parle moi qui passe mes nuits en boîte ! Oui, les deux héros, avec leurs brisures et leur grand cœur, sont attachants. Oui, la musique est géniale.

Pour autant, le film fait du surplace. Son seul moteur est la rivalité, aux motifs pas très lisibles, qui grandit entre les deux frères. Aucune surprise, aucune émotion non plus – si ce n’est peut-être dans certains rôles secondaires (l’épouse délaissée, la maîtresse moins cruche qu’il ny paraît…) trop vite sacrifiés. Belgica aurait pu sans préjudice faire trente minutes de moins. Un poil trop racoleur, un brin trop vulgaire pour convaincre.

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Nahid ★★★☆


Je n’ai jamais mis les pieds en Iran ; mais grâce à Jafar Panahi (Sang et Or, Hors jeu, Taxi Téhéran), Asghar Farhadi (Une séparation, À propos d’Elly), Mehran Tamadon (Iranien), Sepideh Farsi (Red Rose), ce pays m’est devenu familier. Ou plutôt une certaine image de l’Iran filmé par des cinéastes jouant au chat et à la souris avec la censure.

À cette liste déjà longue de réalisateurs sensibles et critiques, il faut ajouter Ida Panahandeh qui signe à 35 ans son premier film. Celui-ci a reçu un accueil chaleureux à Cannes dans la section Un certain regard.

La filiation avec le film berlino-césaro-oscarisé d’Asghar Farhadi est évidente. Elle ne se réduit à son interprète principale, l’émouvante Sareh Bayat, et à son distributeur. Une séparation évoquait – notamment – un divorce. Nahid commence là où Une séparation se termine. C’est l’histoire de l’après-divorce. L’héroïne, Nahid, a obtenu la garde de son fils, un adolescent turbulent, à la condition de rester célibataire. Mais elle  rencontre Masoud et en tombe amoureux.

L’Iran n’a pas le monopole des violences faites aux femmes. Avec Le Procès de Viviane Amsalem, Ronit Elkabetz avait peint les difficultés d’une femme israélienne pour divorcer selon la Loi juive.

Nahid aurait pu être un énième film à charge contre l’étouffement dans lequel la société iranienne maintient les femmes. Il évite cette simplicité en peignant un portrait de femme autrement plus subtil. Car Nahid n’est pas une sainte. Loin de là. Elle ment à son propriétaire qui lui réclame son loyer. Elle met à la porte son fils qu’elle ne supporte plus. Elle vole jusqu’à sa propre mère, avant d’être prise de scrupules. Au contraire, Masoud, est un ange de patience, qui offre à Nahid son amour et son argent sans rien attendre en retour.

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