Love Hunters ★★☆☆

Vicki est une adolescente que le récent divorce de ses parents laisse sans boussole. Alors qu’elle fait le mur pour aller en soirée, elle est prise en voiture par un couple trentenaire. Evelyn et John White sont en fait de dangereux psychopathes qui trouvent leur plaisir à enlever des jeunes filles, les séquestrer et les tuer.

Des survival movies ayant pour héros des jeunes gens séquestrés par des geôliers sadiques, on en a vu treize à la douzaine depuis Massacre à la tronçonneuse jusqu’à Get Out en passant par Split, le dernier Shyamalan, ou l’excellent Room [auquel je découvre avec stupéfaction que je n’avais mis qu’une seule étoile alors que j’en ai gardé le meilleur souvenir] ou le dispensable Green Room.

Pas facile d’innover. Le jeune réalisateur australien Ben Young s’y essaie en mettant en scène un couple meurtrier. Moins glamour que Bonnie et Clyde. Moins schizophrène que Jekyll et Hyde. Plutôt Marc et Michelle Dutroux. Un couple dont les failles constituent la seule planche de salut pour l’ingénieuse Vicki, promise à une mort affreuse.

Love Hunters est un film australien dont l’action se déroule à la fin des années 80. Il a la même patine vintage que Animal Kingdom, The Proposition  ou Wolf Creek. Ben Young joue la carte du réalisme poisseux, qui ne nous épargne quasiment rien des sévices infligées à Vicki. L’interdiction -16 qui frappe le film n’est pas imméritée. Ce réalisme frôle le voyeurisme malsain s’il n’était pas au service d’un dessin : nous faire toucher du doigt l’horreur d’une séquestration, l’espoir d’une évasion, le désespoir de son échec.

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Une femme fantastique ★★☆☆

Mise à part leur différence d’âge, Marina, jeune et sexy, et Orlando, la cinquantaine grisonnante, forment un couple ordinaire. Ils dînent ensemble au restaurant, font l’amour, partagent le même lit. Sauf que Marina n’est pas une femme tout à fait ordinaire. Elle est transgenre et la famille d’Orlando n’a jamais accepté son existence.
Tout se complique pour Marina lorsque Orlando est victime d’une rupture d’anévrisme qui le tue. Seule avec son chagrin, Marina doit se battre pour être respectée. Se battre avec la famille d’Orlando qui refuse qu’elle assiste à ses funérailles. Se battre contre la société toute entière qui n’accepte pas son identité.

« Une femme fantastique » est un film à thèse. C’est ce qui fait sa force. C’est ce qui constitue aussi sa principale faiblesse.

Sa thèse est belle : l’identité transgenre et le droit d’être reconnue pour ce que l’on est. Nul doute que « Une femme fantastique » fera un tabac dans les festivals LGTB ou en introduction d’un séminaire queer. C’est à ma connaissance la première fois que la tête d’affiche est jouée, avec autant de justesse, par un acteur transgenre. De tous les plans Daniela Vega est parfait/e. Elle a l’ambiguïté qui fait la crédibilité de sa composition. Sa féminité va de soi et ne va pas de soi. Dans un plan elle coule de source ; dans un autre elle sonne faux.

Où le bât blesse-t-il ? Dans la perfection morale de Marina. Sa dignité dans le deuil, sa colère rentrée sont admirables. Trop. Eût-elle montré quelques failles, Marina aurait été plus humaine. Plus touchante. Et au final, comme Gloria dans le précédent film de Sebastián Lelio, plus convaincante.

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Le Dernier Vice-roi des Indes ★★★☆

Lord Mountbatten fut le dernier vice-roi des Indes. Il prit ses fonction à Delhi en mars 1947 alors que Londres avait déjà décidé d’octroyer aux Indes leur indépendance. Mais il incomba à cet arrière-petit-fils de la reine Victoria la délicate mission d’assurer le retrait pacifique de l’ancienne puissance coloniale. Les Musulmans, minoritaires au sein de l’Empire, exigeaient la création d’un État séparé. Les Hindous y étaient violemment hostiles.

Le Dernier vice-roi des Indes est bâti sur un faux suspense. On sait en effet que, le 15 août 1947, naquirent deux États : l’Inde et le Pakistan. On sait aussi que cette scission provoqua d’immenses et sanglants mouvements de population, les Hindous fuyant les territoires octroyés au Pakistan et les Musulmans ceux dévolus à l’Inde. On sait enfin que la méfiance et l’hostilité ont longtemps prévalu et prévalent encore entre les deux frères ennemis du sous-continent indien.

Mais ne faisons pas à ce somptueux film historique le reproche de ne pas avoir une qualité qu’il ne revendique pas. Il ne cherche pas à étonner le spectateur mais plutôt à mettre en images une histoire bien connue. Gurinder Chadha le réalise avec une application qui frise parfois l’académisme et qui caricature la réalité historique quand elle fait du dernier vice-roi la victime impuissante des milieux conservateurs britanniques et de la CIA.

Hugh Bonneville incarne Lord Mountbatten avec la même componction bienveillante que celle dont il faisait preuve dans le rôle de Lord Crawley de Downton Abbey. Les acteurs choisis pour incarner Gandhi, Nehru et Jinnah sont outrancièrement grimés pour ressembler le plus possible à leurs illustres modèles. Et la romance qui réunit deux employés du palais, un majordome hindou et une demoiselle de compagnie musulmane, fleure trop son Roméo et Juliette bollywoodien pour convaincre.

Doit nous retenir le point de vue depuis lequel ce film se place – et le carton, inspiré du post-colonialisme le plus radical, qui l’introduit : « History is written by the victors ». Le Dernier vice-roi des Indes est l’œuvre d’une réalisatrice britannique d’origine indienne dont les films se situent à la confluence de ses deux cultures : Joue-la comme Beckham (2002) est un immense succès public qui relate les difficultés d’intégration dune jeune Anglo-indienne et Bride and Prejudice (2004) un remake réjouissant, à la sauce bollywoodienne, du célèbre roman de Jane Austen. Gurinder Chadha n’était donc pas la plus mal placée pour se faire l’historienne de l’indépendance sans être suspectée d’embrasser le point de vue de l’ancienne puissance coloniale ou de la nouvelle majorité hindoue.

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Kóblic ★★★☆

Tómas Kóblic est – comme son nom ne l’indique pas – pilote dans l’armée argentine sous la dictature. À l’époque les opposants politiques étaient jetés dans la mer depuis un avion. Refusant d’obéir à ces ordres iniques, Kóblic se réfugie chez un ami dans une petite ville de province. Mais sa présence suscite les soupçons du chef de la police locale.

Le cinéma argentin n’en finit pas de ressasser les années de la dictature. Sans remonter jusqu’à L’Histoire officielle (1985), Kamchatka (2002), Buenos Aires 1977 (2006), Dans ses yeux (2009), L’Œil invisible (2010), Enfance clandestine (2011), El Clan (2015) constituent chacun à leur façon des témoignages de la trace laissée par la dictature dans la psyché collective : un enfant qui voit ses parents disparaître, un joueur de football torturé dans un centre de rétention, le souvenir d’un crime sordide dont l’auteur n’a pas été identifié, une enseignante prise au piège de ses compromissions, une famille en apparence ordinaire qui mène un commerce criminel… Il y aurait un article à écrire sur ces films et, à travers eux, comme Henry Rousso l’avait fait sur la France de Vichy depuis 1945, sur l’Argentine de la dictature après 1983.

Kóblic vient enrichir cette liste déjà longue. Il le fait avec autant de talent que les films que je viens de rappeler et que j’ai tous aimés. Le mérite en revient au premier chef à Ricard Darin, le plus célèbre des acteurs argentins (il fut excellent dans Truman et dans Les Nouveaux sauvages). Son personnage est taillé dans l’étoffe qui fait les héros. Caricatural ? Peut-être. Mais caricatural comme le sont les tragédies grecques et les westerns américains. Son face-à-face avec le shériff local, ripoux répugnant, est d’anthologie. Et son coup de foudre pour une jolie autochtone, loin de verser dans la « bluette » comme lui en fait le reproche la critique du Figaro, a le goût exaltant des amours impossibles.

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Le Caire confidentiel ★☆☆☆

Au Caire, en janvier 2011, une chanteuse est assassinée dans un hôtel de luxe. L’inspecteur Noureddine mène l’enquête.

Un film noir arabe. Le Caire confidentiel, c’est L.A. Confidential à la sauce égyptienne. Tous les ingrédients sont réunis : un crime sordide dans un monde interlope, des élites corrompues, des jolies pépés, un détective taiseux… Le cinéma américain a filmé mille et une fois de telles intrigues et en a fait quelques chefs d’œuvres inoubliables.

Le seul intérêt du film de Tarik Saleh est d’utiliser ces éléments dans un lieu et à une époque où on n’a pas l’habitude de les voir déployer. Le film noir est une façon surprenante de traiter les printemps arabes. Pour documenter la corruption rampante et la soif de démocratie, Le Caire confidentiel n’utilise pas la voie du documentaire mais celle du polar. C’est ce qui donne à ce film tout son sel. Mais le sel ne suffit pas à faire un plat. Et faute d’ingrédients suffisamment roboratifs, Le Caire confidentiel se résume à n’être qu’une simple curiosité cinématographique.

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Les Hommes du feu ★★★☆

C’est l’été dans le Sud de la France. Le vent se lève, les incendies menacent. Philippe (Roschdy Zem) se dévoue corps et âme à la caserne de pompiers qu’il dirige au point d’y avoir sacrifié sa vie de famille et l’éducation de sa fille. Ses hommes lui obéissent au doigt et à l’oeil. Cette belle concorde sera-t-il mise à mal par l’arrivée de Bénédicte (Emilie Dequenne) ?

La vie d’une caserne de police au quotidien. Les Hommes du feu reprend les mêmes recettes que Polisse : documenter un microcosme. Pierre Jolivet le fait avec une application presque tâcheronne. Il accumule les vignettes qui permettent de passer en revue tous les aspects du travail en SDIS : la lutte contre les incendies de forêt bien sûr, mais aussi l’intervention dans les banlieues dites sensibles sous les insultes des « cailleras », l’accouchement en urgence d’une parturiente, les troisièmes mi-temps bien arrosées et les vies familiales sacrifiées. On imagine que Pierre Jolivet s’est longuement documenté. On imagine volontiers aussi que son film à la gloire de ces hommes du feu sera systématiquement diffusé dans les casernes et y connaîtra une belle postérité.

Une accumulation d’histoires ne fait pas un film. On sent que les scénaristes ont beaucoup hésité : la menace de la fermeture de la brigade pour d’obscures raisons administratives ? la recherche d’un pyromane ? une enquête administrative interne provoquée par la négligence d’un pompier ? En fait, le fil du film, c’est Bénédicte, cette jeune pompier (pompière ?) qui, tel un chien dans un jeu de quilles, déboule dans un milieu exclusivement masculin et volontiers misogyne. Elle s’y fera accepter à force de persévérance.

Les Hommes du feu est à tel point lesté de bons sentiments qu’il menace de se noyer sous leurs poids. C’est un film positif, presque naïf, tout entier à la gloire des Services d’incendie et de secours. Pourquoi alors trois étoiles ? Parce que Les Hommes du feu m’a touché. Parce que je suis un irréductible fidèle du cinéma de Pierre Jolivet que je suis depuis qu’il est passé de l’autre côté de la caméra (il avait entamé avec son frère Marc une carrière d’acteur dans les années soixante-dix) : Force majeure, Simple mortel, En plein cœur, Ma petite entreprise… Un cinéma français qui s’assume : sans chichiter comme les soi-disants héritiers de la nouvelle garde prétendent le faire, sans loucher vers Hollywood dont ce cinéma-là n’aura jamais les budgets, qui raconte une histoire et lui donne vie grâce à une direction d’acteurs impeccable. Un cinéma que j’aime.

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À la recherche des femmes chefs ★☆☆☆

Pourquoi y a-t-il aussi peu de femmes chefs ? Pourquoi des hommes, barbus et tatoués de préférence, tel le chef danois René Redzepi, trustent-ils les premières places de tous les classements gastronomiques alors que partout sur la planète, des zones les plus reculées jusqu’à nos sociétés postmodernes, les femmes sont encore trop souvent reléguées à leurs fourneaux ?

Tandis que les documentaires sur la haute gastronomie se multiplient ces dernières années, surfant sur la mode des Top Chef et Cie – documentaires qui tous prennent pour héros des chefs masculins : le chef d’El Bulli, celui de Noma ou les Bras à Laguiole – il n’était pas sans intérêt de se pencher sur ce paradoxe : pourquoi parmi les 616 tables étoilées en France en 2017 n’y en a-t-il que 3 % qui soient tenues par des femmes ?

Le documentaire de Vérane Frediani révèle un monde profondément machiste où les rares femmes ne doivent leur réussite qu’à la reprise d’un héritage paternel : ainsi de Anne-Sophie Pic à Valence, de Sophie Bise à Talloires ou de Hélène Darroze à Paris. Il révèle que cette sous-représentation s’explique par des causes propres au monde de la gastronomie et par d’autres propres aux femmes elles-mêmes.
En cuisine, la tâche est rude et la discipline de fer. Les femmes qui veulent s’y faire accepter doivent gommer leur féminité. Et si l’on sort de la cuisine, la célébrité s’acquiert grâce à des réseaux que les femmes, nous dit Vérane Frediani, répugnent à faire fonctionner en raison de leur manque de confiance en elles.

À la recherche des femmes chefs explore le monde entier, de la Chine au Chili, en passant par le Royaume-Uni, les États-Unis et la Lituanie. Ce voyage au long cours ouvre des horizons mais nuit à l’unité du propos. Le dernier quart du film frôle d’ailleurs le hors sujet, présentant une expérience bolivienne intéressante mais hors sujet d’émancipation des femmes par l’éducation culinaire.

Telle n’est pas toutefois la tare essentielle de ce documentaire. Le principal reproche qu’on lui adressera est le suivant. Pour dénoncer une discrimination de genre, il reprend à son compte des catégories genrées. Il explique l’absence des femmes de la direction des tables étoilées par leur supposée absence d’ambition, par leur réticence à se pousser du col, par leur incapacité à s’organiser en réseaux. Autant de  soi-disant attributs féminins qui expliquent moins cette discrimination qu’ils ne la justifient et ne l’entretiennent.

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