Le Chanteur de Gaza ★☆☆☆

En 2013, le jeune Palestinien Mohammed Assaf a remporté le concours Arab Idol, suscitant dans son pays une liesse populaire jamais vue.

On a connu Hany Abu-Assad, le réalisateur de Paradise now, l’histoire de deux Palestiniens sur le point de commettre un attentat-kamikaze, mieux inspiré. Sa plate biographie du chanteur de téléréalité Mohamed Assaf aligne les pires lieux communs. Pour nourrir une histoire qui n’aurait pas suffi à tenir la durée d’un film, il lui invente une enfance dans les rues de Gaza.

L’adorable bambin a une voix d’ange – l’inverse aurait été surprenant. Il a aussi une sœur qui est la complice de ses facéties malicieuses et l’inspiratrice de ses rêves de gloire. Mais cette sœur connaîtra un destin cruel, de ceux qui font sangloter dans les chaumières, qui nourrira chez le jeune chanteur une inaltérable soif de revanche.

On le retrouve une dizaine d’années plus tard, le poil au menton, mais le filet de voix toujours aussi enchanteur. Il étouffe à Gaza – subtile allusion au blocus israélien. Contre l’avis de son meilleur ami devenu entretemps fondamentaliste – subtile allusion au conflit entre le Fatah et le Hamas – et au nez (et à la barbe voir supra) de douaniers malhonnêtes – subtile allusion à la corruption qui gangrène l’Autorité palestinienne, notre héros parvient à se glisser en Égypte pour participer aux éliminatoires de l’émission Arab Idol. Et devinez ce qu’il adviendra …

À son extrême fin, lorsqu’il insère les images documentaires de la victoire de Mohammed Assaf, Le Chanteur de Gaza prend une autre dimension. Il révèle l’impact de cette victoire en Palestine. Un peuple asservi s’est soudainement découvert une fierté nationale. Dommage que le film n’ait pas plus creusé cette veine documentaire au lieu de s’égarer dans un soap opera au suspens éventé.

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Life – Origine inconnue ★☆☆☆

Depuis une station spatiale internationale en orbite géostationnaire autour de la Terre, deux Américains, deux Britanniques, une Russe et un Japonais (mais pas de Français) scrutent les traces d’une vie possible sur Mars. Ils se réjouissent d’en avoir rapporté un organisme unicellulaire présentant toutes les caractéristiques de la vie biologique. Mais leur joie sera de courte durée.

Life – auquel les distributeurs français ont bizarrement accolé un sous-titre elliptique histoire de rendre moins clair un titre qui l’était pourtant déjà – aurait été un chef d’œuvre s’il ne se contentait pas de plagier scrupuleusement ses prédécesseurs.

La poétique kinesthésie des corps des spationautes flottant dans l’espace ? Gravity l’a déjà filmé – avec la sublime musique d’Arvo Part en prime. La terreur suscitée par une créature extra-terrestre qui joue au chat et à la souris avec l’équipage d’un vaisseau spatial en détresse ? Pas moins de cinq épisodes de Alien lui ont été consacrés.

Lesté de l’embarrassante ressemblance avec ces illustres blockbusters, Life se réduit du coup à une honnête série B. Un jump scare movie en apesanteur de plus servi par une brochette de stars hollywoodiennes qui font honnêtement le job : Kevin Reynolds qui flirte avec le registre parodique de Deadpool, Jake Gyllenhaal, la mâchoire toujours aussi crispée et la larme à l’œil, et Rebecca Ferguson (révélée dans Mission impossible 5 et La Fille du train) dans le rôle – interchangeable – de la spationaute de service. La vraie star aurait dû être la créature – naïvement surnommée Calvin. Mais, une fois encore, ce poulpe gluant, sanguinaire et hyper-résistant (au feu, au froid et à l’absence d’oxygène) ressemble trop à la créature d’Alien pour étonner.

Seule – agréable – surprise : un dénouement aux antipodes des happy end convenus des survival movies.

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Get Out ★★☆☆

Get Out nous est arrivé d’Amérique précédé d’une réputation élogieuse. Film à petit budget, carton au box office, Get Out a battu des recors de rentabilité.

De quoi s’agit-il ? D’un remake du film bien connu Devine qui vient dîner ? qui, en 1967, posait déjà la question des relations interraciales. Daniel Kaluuya reprend le rôle de l’acteur noir Sydney Poitier que sa fiancée blanche présente à ses parents. Comme dans le film de Stanley Kramer, l’accueil que ces bourgeois éclairés réservent au futur gendre est d’une parfaite courtoisie. Mais bien vite, sous la civilité apparente, affleurent les réserves et le malaise.

En 2017, le théâtralisme statique de Devine qui vient dîner ? et son moralisme bien pensant ne sont plus de mise. Son réalisateur, Jordan Peel, a la bonne idée d’utiliser les codes convenus du film d’horreur pour actualiser cette histoire intemporelle.

Intemporelle ? Une famille blanche accueille-t-elle en 2017 son gendre noir comme elle le faisait cinquante ans plus tôt ? Oui et non. Catherine Keener et Bradley Whitford rappellent Katherine Hepburn et Spencer Tracy. Ils font preuve de la même affabilité, de la même gentillesse. Mais les rapports interraciaux se sont compliqués en un demi-siècle. La phobie de la souillure qui animait le racisme hier se combinerait désormais à une forme de jalousie paradoxale. Dépréciatif hier, le regard, toujours raciste du Blanc sur le Noir, serait devenu admiratif aujourd’hui.

C’est cette thèse – qui reste à démontrer – que Jordan Peele défend dans une fable horrifique et gothique, qui emprunte au film d’horreur et au film de science-fiction. Sa première partie est la plus réussie qui installe l’action en prenant son temps, distillant un malaise persistant. La seconde partie qui révèle la folie vampirique des Armitage est plus convenue déroulant jusqu’à son terme une intrigue dont tous les ressorts ont été déjà explicités.

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Jours de France ★☆☆☆

Un beau matin, Pierre quitte Paul. Pourquoi ? pour quoi ? Il prend la route à bord de son Alfa Roméo avec pour seul guide une application Internet qui lui permet de faire des rencontres d’un soir. Utilisant la même application, son amant part à sa recherche.

Dès la première image du film, le doute est levé. Jours de France n’a rien à voir avec l’hebdomadaire féminin qu’on feuilletait chez le coiffeur – en un temps où j’allais encore chez le coiffeur. On voit un homme à la fine moustache freddymercurienne dormant nu sur le dos, le sexe turgescent à demi visible à travers le slip en coton blanc.

Jours de France est donc un film gay comme Vecchiali ou Ducastel & Martineau aiment en tourner (voir par exemple Théo & Hugo dans le même bateau). C’est aussi un film triste. C’est l’histoire d’une séparation et d’une errance. De cette séparation, de ses motifs, on ne saura rien. De cette errance, on décrira les moindres rebondissements. Avec le risque de dilater jusqu’à l’excès un récit qui se construit au fil des rencontres : un adolescent homosexuel qui rêve de monter à Paris, une ancienne professeur de lettres qui s’est encroûtée en province, un VRP qui aime les « belles italiennes », une muse cachée dans les montagnes.

La durée inhabituelle de Jours de France (deux heures vingt-et-une) lui offre une belle idée de scénario malheureusement laissée en jachère. Ces personnages secondaires ne se contentent pas d’une brève saynète. Tandis que Pierre continue son errance à travers la France, on les suit dans leurs vies parallèles. On se demande si ces ré-apparitions fugaces feront sens. Il n’en est rien. Dommage.

Dernier intérêt du film s’il faut à tout prix lui en trouver : un voyage dans la « France périphérique », la France du Centre, de la Limagne, des Hautes Alpes. Une France de l’entre-deux, une France qui n’est ni profonde ni centrale. La France où l’on ne vit ni bien ni mal. La France où l’on s’ennuie.

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Taipei Story ★☆☆☆

Edward Yang est décédé en 2007. Avec Hou Hsiao-Hsien et Tsai min-Lang, il avait incarné la Nouvelle vague du cinéma taïwanais. Son œuvre reste méconnu, mis à part Yi Yi, son dernier film. Taipei Story, son deuxième film, daté de 1985, était resté inédit en France jusqu’à sa sortie sur nos écrans le mois dernier.

C’est l’histoire d’un couple qui se délite. D’un côté Lon (interprété par Hou Hsiao-Hsien lui-même) est une ancienne gloire du base-ball qui, après un séjour aux États-Unis, revient à Taipei reprendre le commerce paternel. De l’autre Gwan (la sublime Sun Yun Ko qui hélas n’a pas fait carrière) travaille dans un cabinet d’architectes en pleine restructuration.

Le résumé que je viens de faire de Taipei Story est beaucoup plus compréhensible que la présentation qu’en fait le film. Il procède par de courtes saynètes qui, comme le dessin d’une marqueterie compliquée, ne font sens que mises bout à bout.

Edward Yang se revendiquait de Bresson ou d’Antonioni. On pense aussi à Cassavetes, peut-être en voyant le réalisateur Hou Hsiao-Hsien dans le rôle principal – et Edward Yang lui-même dans un rôle secondaire. Peut-être aussi à cause du grain et de l’ambiance de ce milieu des années quatre-vingts qui ont si mal vieilli. Qu’il s’agisse de la musique, des costumes ou des coiffures, tout était décidément laid à cette époque.

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Cinéma, mon amour ★☆☆☆

Dans une petite ville du nord-est de la Roumanie, Victor Purice exploite le cinéma Dacia. Avec deux employées, il essaie contre vents et marées de remplir sa salle.

Alexandru Belc tenait un sujet en or : le combat pour la survie d’une salle de cinéma. Il pouvait compter, pour en assurer la diffusion et la promotion, d’un public captif : les exploitants de cinéma qui s’identifieraient à lui et les cinéphiles de tous poils. Giuseppe Tornatore en avait en son temps tiré une fiction inoubliable, Cinema Paradiso (1989).

Hélas, il  gâche une belle idée par manque de travail. Il se borne à suivre pas à pas Victor Purice. On le voit accueillir des groupes scolaires, jouer au ping-pong avec ses employées, se battre avec la chaudière récalcitrante du cinéma, repeindre son enseigne… Au bout de trente minutes, la cause est entendue : cet homme est un Don Quichotte.

Mais le documentaire ne cherche pas les causes de cette situation. Les salles de cinéma roumaines ferment-elles du fait de la concurrence du DVD ou d’Internet ? La question est posée à Victor Purice qui la balaie d’un revers de main. Non. La responsabilité incombe à Romania Film l’exploitant public. C’est sans doute réducteur. De toutes façons, on n’en saura pas plus : spéculation foncière ? corruption ? Et c’est bien dommage.

Pas plus le documentaire n’explore-t-il les remèdes possibles à cette situation. À aucune moment n’est-il envisagé de réagencer cette salle immense, impossible à chauffer, en un complexe de deux ou trois salles plus petites. Rien n’est dit sur la programmation qui semble majoritairement constituée de films américains grand public. Pas un mot sur les actions menées vers des publics spécifiques, sur des cinés-débats, sur des présentations par les réalisateurs, dont les exploitants savent qu’elles sont susceptibles de faire revenir dans les salles obscures un public qui en a oublié le chemin.

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Lettres de la guerre ★☆☆☆

L’écrivain Antonio Lobo Antunes a été enrôlé en Angola en 1971, durant la dernière guerre de décolonisation livrée par le Portugal salazariste. À cette occasion, il a écrit chaque jour à sa femme des lettres qui viennent d’être publiées en recueil.

Ivo Ferreira les met en images. Le pari n’est pas facile. Car de deux choses l’une. Soit les images sont les pâles illustrations des lettres lues en voix off et ne servent à rien. Soit au contraire elles s’en détachent au risque de créer un hiatus entre ce qu’on voit et ce qu’on entend.

Autre difficulté propre au roman scriptural. Sa difficulté à avancer. Sans doute Choderlos de Laclos y parvenait-il dans Les Liaisons dangereuses. Mais Antonio Lobo Antunes n’avait pas dans l’idée de construire une œuvre organisée en écrivant chaque jour à sa femme enceinte. Il y évoque la solitude du soldat dans la moiteur tropicale, l’absurdité et la violence d’un conflit insensé, l’amour de sa femme et de son enfant à naître.

Alors bien sûr, la langue de Lobo Antunes est d’une hypnotisante poésie, servie par les accents chuintants du portugais. Bien sûr, le noir et blanc crée à la fois une distance et une intimité. Bien sûr, on ne peut qu’être touché par la formidable humanité du héros.

Pour autant, passée l’excitation que suscitent les premières minutes du film, on trouvera bien longues les cent cinq suivantes.

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La belle occasion ★☆☆☆

La belle occasion a la simplicité d’un conte.
Trois forains : une sœur aînée, un frère cadet et un père violent et malade. Une jeune orpheline dans un grande demeure vide. Le frère séduit l’orpheline qui l’invite chez elle avec sa famille. Saura-t-elle s’en faire aimer ?

Isild Le Besco n’en finit pas de laisser sa trace dans le cinéma français. Qu’elle soit devant ou derrière la caméra, elle interroge la découverte de la sexualité chez de très jeunes gens. À seize ans, elle jouait dans le premier film d’Emmanuelle Bercot (qui réalisera plus tard Elle s’en va et La Tête haute) une jeune fille séduite par un homme mûr. À dix-huit, elle partageait l’affiche avec Daniel Auteuil dans Sade. Son premier film, Demi-tarif, sorti en 2003, raconte l’histoire d’une fratrie de trois enfants abandonnés par leur mère, séchant l’école et vivant la nuit.

La même magie opère dans la première moitié de La belle occasion. Filmée en plans très brefs, la vie chaotique de Sarana, de Ravi et de leur père se raconte comme dans un roman-photo, presque sans dialogues. Au hasard d’une rencontre, la séraphique Mathilde, une belle rousse à peine sortie de l’enfance, croise leur chemin et se laisse fasciner par leur dangereuse liberté. Mathilde est dans le même mouvement attirée et repoussée par le charme félin du jeune homme. Sarana comprend l’attirance mutuelle des jeunes gens et leur servira de pont.

Le problème est que l’enjeu du film est vite posé – et son dénouement rapidement pressenti. Si bien que sa seconde moitié s’étire inutilement, virant parfois au porno amateur maladroit.

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Adieu Mandalay ★☆☆☆

Adieu Mandalay est un quasi-documentaire sur ces Chinois de Birmanie qui quittent leur pays pour une vie meilleure.
Le premier plan du film voit Liangqing et Guo, deux jeunes émigrés clandestins, franchir la frontière entre la Birmanie et la Thaîlande. Après avoir payé leurs passeurs et graissé la patte des douaniers, ils arrivent à Bangkok. Liangqing espère trouver un travail dans la société qui emploie les amis chinoises qui l’héberge et gagner rapidement suffisamment d’argent pour quitter la Thaïlande vers Taïwan.
Guo a des ambitions moins élevées. Il travaille dans le textile et se verrait bien s’installer durablement en Thaïlande ou rentrer en Birmanie, fortune faite.

Midi Z est un jeune réalisateur d’origine chinoise qui a quitté la Birmanie, son pays natal, pour Taïwan où il vit et travaille désormais. Autant dire que le sujet du film le touche très personnellement. Il le documente avec un soin scrupuleux : la précarité de la vie des clandestins, leurs difficultés à trouver un emploi, les abus dont ils sont les victimes, la quête désespéré d’un document, fût-il frauduleux, leur conférant un droit au séjour…

Le sujet est universel. Qu’on soit birmans en Thaïlande ou syriens en Europe, les défis sont les mêmes. Il aurait volontiers justifié un documentaire. Midi Z lui préfère la fiction, inventant une histoire d’amour entre Liangqing et Guo. Pas sûr que son propos y gagne en efficacité.

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Les Initiés ★☆☆☆

De nos jours encore, les Xhosa d’Afrique du sud pratiquent une cérémonie d’initiation. Après leur circoncision, les initiés, entourés de leurs instructeurs, passent plusieurs jours dans les bois.
Comme chaque année, Xolani, un ancien initié devenu instructeur, y participe. C’est l’occasion pour lui de retrouver discrètement un autre instructeur dont il est amoureux. Mais un des initiés a compris la nature de leur liaison clandestine.

Le premier film de John Trengove est terriblement dépaysant. Il documente une pratique toujours vivace dans certaines parties d’Afrique du sud qu’on croirait tout droit sortie d’un traité d’ethnologie : les rites d’initiation des jeunes circoncis. Les silhouettes longilignes des jeunes hommes, torses nus, le corps anonymisé par une couche d’argile sont profondément poétiques.

Mais Les Initiés n’est pas un film nostalgique sur des traditions perdues. En filmant ces rites, John Trengove souligne leur archaïsme. Le camp de base des jeunes est accessible en voiture. Les espaces soi-disant désertiques où ils se retirent sont sillonnés par des lignes à haute tension. Comme si la modernité avait peu à peu grignoté l’espace jadis réservé aux traditions.

John Trengove a eu besoin de nourrir ce documentaire d’une histoire. L’homosexualité de ces héros lui en fournit le prétexte. Dans un cénacle dont la réunion a pour objectif l’affirmation par ces hommes de leur virilité, l’homosexualité est une tare inadmissible. C’est paradoxalement le seul lieu où Xolani et son amant peuvent se retrouver.

« Ce qui se passe dans la montagne reste dans la montagne ». On pense bien sûr à Brokeback Mountain de Ang Lee. Mais Les Initiés n’en a pas la douceur. Les scènes d’amour y sont filmées comme des scènes de combat. Et sa conclusion fait froid dans le dos – alors que celle du film d’Ang Lee arrachait des sanglots.

Pourquoi dès lors ne lui donner qu’une seule étoile ? A cause d’une caméra inutilement épileptique qui se complaît dans des plans sous-exposés. A cause d’une intrigue qui tourne rapidement en rond et dont l’épilogue ne suffit pas à lui donner suffisamment de chair.

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