Tout l’argent du monde ★★☆☆

En juillet 1973, à Rome, John Paul Getty III, le petit-fils du milliardaire américain, est kidnappé. Une rançon de dix-sept millions de dollars est exigée par les ravisseurs. Problème : son grand-père, célèbre pour son avarice, refuse de se payer. Sa mère parviendra-t-elle à faire céder l’inflexible vieillard ?

Ridley Scott s’est emparé d’un fait divers célèbre pour en faire un film. À quatre-vingt ans bien sonnés, le choix du réalisateur de Alien, Gladiator, Blade Runner et Thelma et Louise interroge. Par quoi a-t-il été attiré ? Qu’a-t-il voulu montré ? L’Amérique et le monde des seventies ? Un kidnapping ? Un drame familial ?

Ridley Scott sait y faire. On ne s’ennuie pas une seconde dans un film qui dure pourtant plus de deux heures. On se laisse prendre par le suspense : le magnat du pétrole acceptera-t-il de payer la rançon ? sa courageuse belle-fille arrivera-t-elle à l’en convaincre ? le jeune adolescent survivra-t-elle aux sévices de ses ravisseurs et à leur nervosité grandissante ?

Tout l’argent du monde est hélas un peu trop bien huilé pour soulever l’enthousiasme. Aussi bien interprétés soient-ils les personnages manquent d’ambiguïté. Mark Wahlberg endosse le rôle qu’il a déjà mille fois interprété du flic au grand cœur. Romain Duris a été requis pour interpréter le rôle improbable d’un bandit calabrais. Michelle Williams est impeccable en mère Courage, prête à tout pour sauver son fils, réfrénant sa rage et son chagrin face à l’égoïsme obtus de son beau-père. Celui-ci est interprété par Chistopher Plummer après que Kevin Spacey s’est vu retirer le rôle.Toutes ses scènes ont été retournées à la hâte provoquant, dit-on, un surcoût de dix millions de dollars pour la production.

Cette substitution fait polémique. On en sait les causes : les agressions sexuelles répétées dont le héros de House of Cards se serait rendu coupables. Elle n’en fait pas moins débat : si d’aventure on apprenait que tel ou telle star avait caché des crimes, censurerait-on son œuvre ? ou, pire, demanderait-on à un autre acteur de retourner ses scènes ?

La bande-annonce

The Florida Project ★★★☆

Moonee (Brooklynn Prince) a six ans à peine et de l’énergie à revendre. Elle passe ses journées à faire des bêtises avec ses jeunes amis. Elle vit dans une chambre d’un motel miteux avec sa très jeune mère qui ne la surveille guère. Halley (Bria Vinaite) a trop de mal à rassembler l’argent de la chambre pour s’occuper de sa fille qu’elle chérit. Seule figure paternelle : Bobby (Willem Dafoe), le manager du motel, veille sur elles.

« Bienvenue au royaume enchanté » annonce l’affiche. Ne vous y fiez pas. L’action a beau se dérouler allée des Sept nains, dans le motel du Château magique, à une encablure du DisneyWorld, on est loin d’une production Disney.

C’est plutôt la face cachée du rêve américain que peint Sean Baker. Dans Tangerine, c’est à Los Angeles qu’il avait posé sa caméra pour suivre une nuit durant un.e travesti.e au grand cœur. Dans The Florida project (il aurait quand même pu se creuser la tête pour trouver un titre plus original), c’est  l’Amérique des laissés-pour-compte qui tient encore la vedette avec les personnages de Halley et de Moonee. Leur pauvreté est d’autant plus dérangeante que le soleil brille et que les touristes se pressent par millions à quelques kilomètres à peine du lieu même où le film a été tourné, dans des motels à l’origine destinés aux visiteurs que le lumpenprolétariat mal-logé de Floride a investis.

The Florida project a eu sur moi un effet paradoxal. Ce que j’en avais lu et ce que sa bande-annonce m’en avait laissé voir ne me tentaient guère. Je n’étais pas très à l’aise à l’idée de filmer l’extrême pauvreté par les yeux d’une enfant. J’avais peur que la jeune héroïne ne cabotine – comme l’avait fait avant elle celle des Bêtes du sud sauvage – et que les spectateurs soient pris en otage.

Mes craintes ont, en partie, étaient confirmées par la première moitié du film.  Comme on s’y attend, la jeune Brooklynn Prince multiplie les facéties pendant que sa mère , couverte de tatouages, en débardeur sans soutien-gorge, joue à merveille la white trash américaine. Le tout sous le regard plein de bienveillance de l’immarcescible Willem Dafoe.

Le film enchaîne les saynètes. On dirait qu’il fait du surplace. Mais l’impression est trompeuse. On réalise que la succession des scènes font sens. Prenez par exemple celles où l’on voit Moonee dans son bain – dont je n’ai compris qu’avec retard la terrible signification. L’air de rien, The Florida project a un début, un milieu et une fin.

Seul bémol : les deux dernières minutes filmées, pour des raisons impossible à révéler, avec un Iphone (comme l’avait été Tangerine). Elles se veulent un ultime pied-de-nez, un hymne à la liberté. Un épilogue plus tragique aurait eu moins de panache ; mais il aurait été plus cohérent.

La bande-annonce

Maria by Callas ★★☆☆

Maria Callas a marqué le siècle. Née en 1923 à New York, Mary Kaloyeropoulou retourne avec ses parents en Grèce où elle est formée à l’art lyrique. Son talent, son travail, ses qualités d’actrice – à une époque où les chanteurs d’opéra ne s’embarrassaient guère de jouer – lui valent une rapide célébrité. Elle inscrit son nom au répertoire des œuvres les plus difficiles et des scènes les plus prestigieuses (la Scala, l’Opéra Garnier, le Met’). Elle devient une diva, voire « la » diva, à une époque où le star system s’organise autour de quelques figures érigées au rang de mythes : Marylin, BB, Sophia Loren…
À partir d’archives visuelles et de lettres, lues par l’inimitable Fanny Ardant, Tom Volf raconte sa vie.

Ce documentaire platement chronologique ne révolutionnera pas le genre. Mais son sujet est si exceptionnel qu’il suffit à en justifier l’intérêt.
Car la Callas est un personnage de légende. Sa vie est un roman. Sa destinée une tragédie.

On passe trop vite sur son enfance. On découvre sur quelques clichés en noir et blanc une adolescente timide au physique ingrat, enlaidie par des lunettes disgracieuses. On aurait aimé savoir comment elle parvint si vite à la célébrité.
On la retrouve vite en Italie, où elle épouse Battista Meneghini, de vingt-huit ans son aîné, qui coache sa carrière.
On voit les mêmes images sans cesse répétées d’une prima donna d’une élégance étourdissante à l’atterrissage d’un avion, entourée d’une foule d’admirateurs (à cette époque, les contrôles de sécurité n’interdisaient pas d’accéder à la piste). On la voit encore et encore descendre d’un avion, s’engouffrer dans une limousine, arriver à une première. Ce n’est plus Meneghini qui l’accompagne mais Aristote Onassis qu’elle rencontre en 1958. Mais le mariage est impossible car Onassis est marié et la Callas ne peut pas divorcer. Et bientôt c’est la révélation par la presse de l’idylle entre l’armateur grec et la veuve de JF Kennedy.

Le documentaire de Tom Volf s’attache moins à la voix de la Callas qu’à son carnet mondain. Les amateurs d’art lyrique en seront pour leurs frais. Les autres – dont je suis – ne bouderont pas leur plaisir.

La bande-annonce

La Promesse de l’aube ★★☆☆

En 1960, consul de France à Los Angeles, prix Goncourt 1956 grâce aux Racines du ciel, Romain Gary écrit son autobiographie. Ce sera La Promesse de l’aube. L’écrivain célèbre y parle de son enfance en Pologne, de son arrivée en France, de son engagement dans la France libre de De Gaulle, de ses débuts comme romancier. Mais il y parle surtout de sa mère Mina qui l’a élevé seul, qui l’a adulé et qui lui a transmis son ambition démesurée. « Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais. Chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. »

Éric Barbier n’a pas lésiné sur les moyens pour adapter La Promesse… qui nous entraîne du Mexique en Pologne, de la Côte d’Azur au Sahara, de Paris à l’Angleterre en guerre. Il a convoqué la fine fleur du cinéma français. Pierre Niney est toujours aussi fiévreux. Charlotte Gainsbourg, dont la retenue du jeu constitue la marque de fabrique, interprète à contre-emploi le rôle d’une ogresse. Didier Bourdin, Jean-Pierre Darroussin, Finnegan Oldfield font un petit tour et puis s’en vont.

Pourquoi alors ne pas céder à l’enthousiasme ? Pourquoi ne pas se laisser entraîner dans cette belle fresque romanesque ? Pourquoi ne pas succomber à cet hymne émouvant à l’amour maternel ?

Parce que La Promesse… est un film d’un académisme sans âge et sans génie, un blockbuster pauvre, noyé dans une musique assourdissante, qui se contente d’enchaîner les scènes sans chercher à adopter un point de vue.

Parce que l’amour maternel qui y est décrit est si absolu et le personnage de Mina si caricatural qu’on hésite à en rire ou à en pleurer.

Parce que le personnage de Kacew/Gary est si égocentrique, si imbu de lui même, si convaincu de son destin hors du commun qu’il en devient horripilant.

Parce que le livre soi-disant autobiographique alors qu’il s’écarte de la réalité dès qu’elle ne sert plus son propos (ainsi de la figure oubliée du père de Romain) et le film tourné en studio en Hongrie et en Belgique ne parviennent pas à installer une émotion authentique sinon peut être dans le twist final – qui est le pur produit de l’imagination du romancier.

La bande-annonce

Lucky ★★★☆

Lucky a quatre vingt dix ans passés. Sa vie solitaire suit chaque jour le même cours paisible : la radio au réveil, quelques mouvements de gymnastique, un verre de lait, une promenade jusqu’au drugstore où l’attendent son café et ses mots croisés, les jeux télévisés puis, au crépuscule, un Bloody Mary au bar du coin en compagnie de quelques vieux amis.

Lucky est un film où il ne se passe rien mais qui n’en dit pas moins. Il ne quitte pas d’une semelle son héros qui arpente sa petite ville selon un circuit bien rodé. Sa vie est réglée comme un coucou suisse. Seule péripétie dans une routine qui semble défier le temps : la tortue de son ami Howard s’est fait la malle. Tout semble figé dans la vie de Lucky, dont la santé insolente se rit des cigarettes qu’il fume à la chaîne. Pourtant la mort est là qu’annonce peut-être un malaise dont Lucky est victime un matin…

Lucky est d’autant plus poignant qu’il a des accents autobiographiques. Harry Dean Stanton en est l’acteur principal. C’est son dernier film qu’il a interprété à quatre vingt dix ans avant de décéder en septembre dernier d’un cancer des poumons (fumer nuit décidément gravement à la santé). Sans doute sa fin de vie fut-elle moins solitaire que celle de son personnage ; mais il y a beaucoup de lui dans ce vétéran de la Seconde guerre mondiale qui jette sur sa vie un dernier regard plein de lucidité et de tendresse.

Car, sous des dehors bourrus, à la Tatie Danielle, Lucky révèle une touchante humanité. Il fait profession de nihilisme : « You are nothing » lance-t-il chaque matin au patron du café qui l’accueille (une phrase que Harry Dean Stanton affectionnait particulièrement). Mais cette philosophie bravache cache mal sa peur de la mort. Une peur qui le tenaille. Et une peur à laquelle il oppose une sérénité résignée. Si la vie n’a aucun sens, si nous sommes tous voués à une mort inéluctable, si notre souvenir disparaîtra dans un oubli imprescriptible, quelle attitude adopter face à cet amer constat ? « You smile » répond-il dans un sourire radieux qui illumine le film et apporte la réponse la plus efficace aux questions les plus métaphysiques.

La bande-annonce

A Ghost Story ★☆☆☆

Un couple. Un foyer. Il meurt dans un accident de voiture. Elle le pleure. Mais il est toujours là. Il est devenu un fantôme. Sous un drap blanc. Sa présence défie le temps.

Vous aimez les films de fantôme ? Des films de fantôme qui font peur avec des japonaises toutes mouillées qui sortent de la télé façon Ring ? Des films de fantômes qui font rire façon Casper ? ou des films de fantômes qui font pleurer façon Ghost avec Patrick Swayze ? Vous faites fausse route. A Ghost story n’est pas un film de fantômes. Ou plutôt A Ghost story est un film sur un fantôme qui ne ressemble en rien à tous les films de fantômes.

S’il fallait trouver une généalogie à ce film unique et déroutant, il faudrait peut-être aller la chercher du côté de Terrence Malick et de son ambition métaphysique de raconter l’histoire de la vie et du monde à travers ses films. Car A Ghost story sous ses couverts minimalistes est bouffi d’ambition. Au programme : la vie, la mort, l’amour. Rien moins.

Soit ça passe. Soit ça casse. Quatre étoiles. Ou zéro.
J’aurais adoré adorer ce film parce que j’adore me laisser emporter dans des histoires poignantes qui interrogent le sens de l’existence, la beauté de la vie, son inanité aussi, la fidélité qui survit par-delà la mort. C’est ce que racontait à sa façon Ghost avec Patrick Swayze. Je sens d’ici cher lecteur votre sourcil se froncer, vous demandant si je suis sérieux ou pas quand je vous confesse avoir aimé cette guimauve démodée. Je le confesse…

Le problème de A Ghost story est qu’il ne m’a jamais ému. Les premières minutes nous montrent un couple. Un couple qui s’aime. Mais un couple aussi qui se dispute : elle veut déménager de cette maison où elle se sent mal à l’aise ; il veut au contraire y rester car il s’y sent bien. On ne s’attache guère à ce couple trop parfait pour être réaliste, interprété par les trop beaux Casey Affleck – plus sexy mais plus marmonnant que jamais – et Rooney Mara – dont les yeux immenses dévorent le visage à la Audrey Hepburn.
Puis survient le drame. On n’en verra rien. Sinon deux voitures cabossées. Son corps saignant au volant. Puis son cadavre à la morgue qu’elle contemple catatonique, mais l’œil sec.
Là non plus, l’émotion ne prend pas. Ce drame aurait dû nous dévaster. Il ne nous émeut pas. Pas plus que nous attendrit la silhouette – qu’il est difficile de ne pas trouver ridicule – de Casey Affleck désormais mutique et caché sous un grand drap blanc.

A Ghost story est un film qu’on n’oublie pas. C’est peut-être un film éblouissant. C’est ce qu’en ont pensé les festivaliers à Sundance en janvier puis à Deauville en septembre qui lui ont fait un triomphe. Mais c’est un film qui ne m’a pas plus faute de m’avoir touché.

La bande-annonce

Le Portrait interdit ★☆☆☆

À Pékin, au cœur de la Cité interdite, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, un peintre jésuite peint le portrait d’une princesse mandchoue à la cour de l’empereur de Chine.

Charles de Meaux est tombé par hasard sur une curieuse peinture au musée des beaux-arts de Dôle. Il s’agissait du portrait à l’occidentale d’une princesse chinoise. Son auteur est Jean-Denis Attiret, un jésuite employé à la cour de l’empereur.
À partir de ces faits réels, le réalisateur et son co-scénariste ont inventé une histoire. Elle met face à face le jésuite et son modèle. L’un comme l’autre braveront des interdits : le jésuite Attiret (Lacan aurait adoré ce patronyme) manquera de peu de tomber amoureux de son modèle et de trahir ses vœux ecclésiastiques, la princesse, qui veut reconquérir l’amour perdu de l’empereur, ne réussira en fait qu’à se l’aliéner.

La réalisation d’un tableau est un thème qui a été souvent utilisé en littérature et au cinéma. Zola en fit un roman, Balzac en avait fait une nouvelle cinquante ans plus tôt que Rivette adapta au cinéma. La Belle noiseuse est un chef d’œuvre révéré. Je me souviens l’avoir vu au Max Linder un dimanche matin, à l’automne 1991. Ses quatre heures m’avaient semblé interminable. Je m’y étais copieusement rasé, seules les courbes girondes d’Emmanuelle Béart réussissant à me maintenir éveillé.

Autre source d’inspiration pour Le Portrait interdit : Silence qui traite, avec quelle maestria, de l’impossible évangélisation du Japon par les Jésuites au XVIIème siècle.

Le film de Charles de Meaux pâtit de l’inévitable comparaison avec ces deux monuments. Il veut traiter ces deux sujets ; mais il le fait moins bien que ces deux prédécesseurs. Sur l’irréductible fossé entre les cultures qu’aucune entreprise d’évangélisation ne réussira jamais à combler, il faut voir ou revoir le chef d’œuvre de Scorcese, sans doute l’un des meilleurs films de l’année qui s’achève. Sur la création artistique et ses apories, il faut peut-être donner une seconde chance au film de Rivette.

La bande-annonce

Les Bienheureux ★★★☆

À Alger en 2008, Amal et Samir s’apprêtent à fêter leurs vingt ans de mariage. L’enthousiasme de leur jeunesse a été mis à mal par la guerre civile et par la chape de plomb qui s’est abattue sur l’Algérie. Ils s’opposent sur l’avenir de leur fils Fahim : Amal voudrait qu’il parte étudier à l’étranger mais Samir veut qu’il reste en Algérie.
Pendant ce temps, Fahim traîne son ennui dans la nuit algéroise en compagnie de deux amis : Reda qui a décidé de se faire tatouer une sourate du Coran et Feriel qui n’arrive pas à faire le deuil de sa mère disparue durant les événements.

Le récit entrelace l’histoire de deux soirées : celle des adultes – qui cherchent en vain un restaurant pour fêter leur anniversaire de mariage, métaphore d’une Algérie incapable d’offrir à ses ressortissants un cadre hospitalier, et celle des adolescents qui vont écouter du taqwacore, du hard rock à la sauce musulmane.

Le premier film de Sofia Djama est déchirant. Il fait le constat désabusé, comme tant d’autres films algériens dont on peut s’étonner qu’ils n’aient pas été frappés par la censure (En attendant les hirondelles, À mon âge je me cache encore pour fumer, Les Terrasses) , d’une société algérienne en panne. Une société qui ne parvient pas à refermer les plaies béantes de la guerre civile. Une société soi-disant laïque où la bigoterie impose ses règles humiliantes. Une société que ses aînés, condamnés au cynisme, ont perdu tout espoir de réformer. Une société qui n’offre plus d’espoirs à ses enfants sinon celui de l’exil pour aller étudier dans des universités dignes de ce nom et mener une vie libre, sans hypocrisie ni compromission.

La charge est lourde. Elle pourrait être écrasante. Mais, grâce à la fluidité de son écriture et à la qualité des acteurs, Les Bienheureux évite le piège du procès à charge. Car ses personnages ne se réduisent pas à des caricatures. Amal (Nadia Kaci qu’on avait déjà vu dans les films de Nadir Moknèche mais dont le talent gagnerait à s’exporter de l’autre côté de la Méditerranée) et Samir (Sami Bouajila toujours aussi solide) forment un couple de bobos très crédibles. Ce médecin, qui pratique des avortements sous le manteau, et cette professeure ont rêvé d’une vie heureuse. La cinquantaine approchant, l’heure des bilans a sonné pour eux. Alors qu’ils s’aiment encore, ils réalisent que leur vie a été un échec et que leur couple suit le même chemin. Leur fils unique est leur plus grande fierté, mais aussi leur plus grande déception (c’est un étudiant dilettante) et leur plus grande inquiétude (quel avenir peut-il espérer en Algérie ?).

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La Fiancée du désert ★★☆☆

Teresa a la cinquantaine bien entamée. Elle a travaillé toute sa vie au service de la même famille qui s’en sépare. Elle entreprend un long voyage en autobus pour aller recommencer sa vie. Il s’interrompt au milieu du désert suite à une panne.
Les choses vont de mal en pis pour Teresa qui perd son sac dans la caravane d’un fripier.

La Fiancée du désert (La novia del desierto) est un titre mal choisi qui rappelle les westerns héroïques de John Ford ou de Raoul Walsh. Pourquoi n’avoir pas intitulé ce film intimiste, qui ne lâche pas d’une semelle son héroïne, Teresa tout simplement ?

Bagdad Café offrait à Jasmin, cette gironde touriste allemande qui quittait son mari au milieu du désert californien, l’hospitalité du café de Brenda et son amitié. C’est l’amour qui attend Teresa, dans la roulotte du Gringo, un saltimbanque qui n’a rien d’un ressortissant des USA. Avant d’y parvenir, elle fera quelques rencontres et se remémorera sa vie passée.

Cette vie passée aurait pu constituer la partie intéressante du film. Un film – chilien déjà – en avait fait son sujet : La Nana (2009) analysait avec cruauté les relations ambiguës d’une bonne et de la famille qui l’employait. Cet aspect de la vie de Teresa est trop brièvement évoqué à travers quelques flashbacks impressionnistes.

Le film se concentre sur les quelques heures qu’elle passe dans le désert nord-argentin à la recherche de son sac. Le scénario tiendrait sur un timbre poste. D’ailleurs le film ne dure même pas quatre-vingt minutes. Il a la modestie de ses intentions. Il en a les limites aussi.

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Star Wars – Les Derniers Jedi ★☆☆☆

Les forces du Mal commandées par l’infâme Snoke, secondé par Kylo Ren (Adam Driver), le propre fils de Han Solo, passé du côté obscur de la Force, sont sur le point d’anéantir l’armée de la Résistance de la princesse Leia (Carrie Fisher).
Pour la sauver du désastre, Rey (Daisy Ridley) est parti chercher Luke Skywalker (Mark Hamill), qui se cache sur une île sauvage battue par les vents et a renoncé à la Force après avoir échoué dans la formation de Kylo Ren.
Pendant ce temps Finn (John Boyega) se lance dans une course contre la montre pour aller dénicher sur la planète Canto Bight un craqueur de code  capable de pénétrer les défenses ennemies.

Vous n’avez rien compris ? Pas grave ! Comme à chaque épisode de Star Wars, le générique iconique – lettres jaunes en plan oblique qui va se perdre dans l’infini de la galaxie sur la musique hymnique de John Williams – vous remettra dans le bain dès les premières secondes. Et si vous n’y comprenez toujours rien, ressortez le DVD de Star Wars V : l’histoire est la même.

Et c’est bien là que le bât blesse.
Plus de trente ans après L’Empire contre-attaque, quelques milliards d’effets spéciaux et de spectateurs plus tard, Walt Disney Inc., qui a pris les manettes de la franchise, s’est paresseusement installé dans une routine. Deux semaines avant les fêtes sortira chaque année un nouveau Star Wars – soit qu’il s’inscrive dans la lignée historique à l’instar de ce huitième opus, soit qu’il en soit dérivé comme Rogue One l’an dernier ou Solo l’an prochain.

Que peut-on reprocher à SW8  ? D’être la suite de SW7 et la (longue) bande-annonce de SW9. Comme un vulgaire épisode de Game of Thrones. Il s’agit de progresser lentement sur un fil narratif plus étendu. Ce fil est organisé autour des deux personnalités de Rey et de Kylo Ren, dont on escompte que, comme dans SW3 Anakin et Obi Wan ou dans Sw6 Luke et Dark Vador, ils s’affronteront à la fin de SW9 dans un combat épique. Comme leurs illustres prédécesseurs, nos deux héros incarnent deux aspects symétriques de la Force et cachent (on le sait déjà pour Kylo Ren, on l’ignore encore pour Daisy) le lourd secret d’une filiation prestigieuse.
Un mot en passant sur cette généalogie princière. Il est étonnant que les héros des temps contemporains soient aussi aristocratiques. De Game of Thrones à Star Wars, nul n’est héros s’il n’est bien né. Comme si la naissance demeurait, en notre ère pourtant profondément méritocratique et égalitaire, un facteur déterminant de distinction.

En attendant le combat qui conclura SW9, il faut donc passer le temps et dépenser les 200 millions de dollars du budget. L’armée de scénaristes ne s’est pas foulée et a repris les recettes qui font désormais le succès des meilleurs séries : prendre trois fils narratifs et les entrelacer. Avec une régularité métronomique, on passera donc de l’un à l’autre. On verra tour à tour Leia perdre ses vaisseaux, Luke former Rey et Finn faire du tourisme sur une planète casino.

Ne soyons pas bégueule et reconnaissons quelques jolis passages. Passages qui valent plus par leur esthétisme pourpre que par leur richesse narrative : la salle du trône de Snoke et les combats chorégraphiés qu’y livre Rey, le désert de sel rouge où se déroule l’assaut final.
Mais mis à part ces deux séquences, j’avoue le rouge (décidément) au front que je me suis pesamment ennuyé. J’ai eu l’ennui honteux. Car Star Wars 8 – qui fera un carton au box office – séduit les enfants. À chaque âge ses plaisirs…

La bande-annonce