L’amour est une fête ★★☆☆

1982. Pigalle. Deux agents des impôts sous couverture dirigent un peep show pour piéger les barons du X.

Cédric Anger, qui a déjà à son actif quelques films intéressants (Nos années folles, La prochaine fois, je viserai le cœur avec Canet déjà, L’Avocat…), se prend les pieds dans le tapis dans un film plein de bonnes intentions mais couturé de défauts.

On comprend progressivement qu’il veut restituer le climat d’une époque – une démarche d’autant plus intrigante qu’elle est l’œuvre d’un réalisateur et d’une bande d’acteurs trop jeunes pour l’avoir connue. Car la clé du film est dans son titre dont on tarde à saisir le lien avec l’intrigue. Comme Michel Spinoza dans La Parenthèse enchantée, L’amour est une fête se déroule durant cette courte période, entre la pilule et les années Sida, où le X avait explosé avant qu’on réalise qu’il n’était pas l’expression joyeuse d’une sexualité libérée mais l’instrument d’un asservissement des femmes.

Pour raconter cette époque, Cédric Anger signe un scénario passablement alambiqué où Canet (le cheveu scandaleusement blond) et Gilles Lellouche (les rouflaquettes très 70ies) jouent, sans guère de crédibilité deux inspecteurs under cover. Mais l’essentiel est ailleurs : dans ces superbes filles aux seins parfaits et à la croupe aguichante, complaisamment filmées de pied en cap (ou de pied sans cape). Ces quatre drôles de dames, aussi sexy et fraîches les unes que les autres, dont émerge la ravissante Camille Razat, carburent à la coke et forment avec leurs deux maquereaux une joyeuse bande (si l’on ose dire) qui trouvera dans l’épilogue du film un destin inattendu.

Sans me faire plus bégueule que je ne le suis, j’ai été gêné par L’amour est une fête. À supposer que le X ait pu être « cool » dans ses premières années, on ne peut, sans ignorer ce qu’il est devenu ensuite, relater innocemment cette histoire aujourd’hui. Si tel était le propos de Cédric Anger, il aurait dû le faire avec plus de nostalgie ou d’humour, cruellement absent. Si au contraire, son propos s’était voulu plus critique, il aurait dû gommer de son film aguicheur sa complaisance.

La bande-annonce

Climax ★☆☆☆

Une troupe de jeunes danseurs fête la fin des répétitions avant de partir en tournée. La soirée commence dans la liesse. Mais bientôt, le trip devient very bad. La sangria a semble-t-il été préparée au LSD plongeant les participants à la fête dans un état de transe anxiogène.

Gaspar Noé est l’un des réalisateurs français les plus marquants de sa génération. Il traîne derrière lui la réputation d’un cinéaste sulfureux et provocateur. Après Carne et Seul contre tous, Gaspar Noé a accédé à la célébrité en 2002 avec Irréversible, présenté à Cannes en compétition officielle. En treize séquences antichronologiques (en commençant par la fin), y était raconté un viol. Avec Monica Bellucci, Vincent Cassel (qui, à l’époque formaient un couple hypissime) et Albert Dupontel, le film, interdit aux moins de seize ans, fit scandale. Huit ans plus tard, Gaspar Noé revenait avec Enter the Void, l’histoire filmée en caméra subjective d’un dealer entre la vie et la mort abattu par la police. Son dernier film, Love, sorti en 2015, se frottait à la pornographie, filmant des scènes de sexe non simulé – qui lui valurent une interdiction aux mineurs de dix-huit ans par la justice administrative saisie par l’association Promouvoir. J’en avais fait à l’époque une critique débordante d’enthousiasme que je relis quatre ans plus tard, gêné par autant d’euphorie.

On comprendra donc mon impatience à voir Climax… et ma déception.

Gaspar Noé reste un cinéaste virtuose qui signe des plans séquence vertigineux. C’est, depuis l’origine, sa marque de fabrique. Et Climax nous en donne notre lot qui suit les danseurs dans leurs folles chorégraphies puis dans leurs déambulations erratiques dans cette maison sans fenêtre où ils passent la soirée. Les images sont d’autant plus puissantes que la musique est forte, produisant peu à peu un effet de transe pulsative, une sidération hypnotique.

Le problème est que cette forme somptueuse n’est au service de rien. On cherche en vain dans Climax des personnages ou une histoire. Parmi la troupe de danseurs, on ne s’attache à personne – sinon peut-être à Selva interprétée par Sofia Boutella qui creuse sa voie entre Paris et Hollywood. Quant à l’histoire, il n’y en a pas. Aucun des fils égrenés en début de film (ce drapeau tricolore de l’affiche, cette danseuse qui confesse sa phobie du noir…) n’est tiré.

Noé avait caressé le projet de faire un documentaire sur la danse. Il a finalement décidé de réaliser une fiction mais a oublié en chemin d’écrire un scénario. Si bien que Climax se réduit à un long clip. Certes bluffant. Certes trippant. Mais un clip rien de plus.

La bande-annonce

Contes de juillet ★★☆☆

Deux moyens-métrages d’une trentaine de minutes chacun
L’Amie du dimanche : Collègues de travail, Milena et Lucie décident de passer le dimanche à la base nautique de Cergy. Milena s’y fait draguer par un plagiste très entreprenant tandis que Lucie fait la rencontre d’un fleurettiste.
Hanne et la fête nationale : À la veille de son retour dans son pays, Hanne, une étudiante norvégienne, passe le 14 juillet 2016 à Paris, assiste au défilé militaire sur les Champs-Élysées, rentre dîner à la Cité universitaire. Durant cette journée, qui s’achève tragiquement par l’annonce de l’attentat de Nice, elle croise trois garçons.

Guillaume Brac s’est fait connaître en 2012 avec un moyen-métrage plein de charme Un monde sans femmes. Il a sorti un long en 2014, avec Vincent Macaigne dans le rôle principal, Tonnerre. À partir d’un travail mené avec les élèves du Conservatoire, il revient au format d’Un monde… dans ces Contes de juillet dont le titre (on pense à ses Contes d’été) et le lieu (L’Amie de mon amie avait été tourné également à Cergy) se revendiquent ouvertement de Eric Rohmer.

Il y a chez les deux héroïnes de L’Amie du dimanche la même délicatesse, la même pudeur que chez le maître de la Nouvelle Vague, sans la préciosité qui rend certaines de ses œuvres aujourd’hui ridicules voire irregardables. Il y a aussi quelque chose de Hong San-soo dans le quatuor de personnages de Hanne et la fête nationale et dans le long dîner qu’ils partagent ensemble au crépuscule du 14 juillet.

Contes de juillet joue sur la frontière ténue entre l’amitié, le flirt, l’amour. Il le fait avec ce mélange étonnant car intrinsèquement instable de légèreté et de sérieux que Rohmer réussissait si bien à respecter et que Brac reproduit avec autant de talent. Les personnages ont une fraîcheur, une spontanéité que les acteurs de Rohmer, engoncés dans des textes trop écrits, n’atteignaient pas toujours. Comme si #MeToo et #BalanceTonPorc n’étaient pas passés par là, les relations hommes-femmes – ou plutôt garçons-filles car les acteurs semblent à peine sortis de l’adolescence et leurs marivaudages ont le goût des jeux de l’enfance – ont la même texture que dans les Comédies et proverbes ou les Contes des quatre saisons vieux de trente ou quarante ans

Mais l’ensemble pêche par ses qualités même. À force de revendiquer sa délicatesse, il finit par friser l’insignifiance. Sa durée bâtarde ne l’aide pas. Il manque à ses deux moyens métrages de trente minutes chacun un troisième opus – qui figurait d’ailleurs dans les projets du réalisateur mais a été abandonné en cours de route – pour étayer la construction.

La bande-annonce

Sollers Point – Baltimore ★☆☆☆

Keith (McCaul Lombardi) a vingt-quatre ans. Il vient de sortir de prison. Il retourne chez son père, un bracelet électronique à la chevillle qui limite son autonomie, à Baltimore dans le quartier de Sollers Point.
Keith aimerait revenir dans le droit chemin. Il s’est converti. Il essaie de suivre une formation professionnelle. Mais ses vieux démons l’assaillent : l’alcool, la drogue, les bars topless

Sollers Point se présente sous les atours de l’histoire, déjà mille fois racontée, de la rédemption impossible d’un repris de justice. On s’y laisse prendre et on étouffe un bâillement d’ennui à suivre pas à pas Keith, aussi agréable soit-il à regarder, tout en muscles et en yeux bleus. On le voit face à son père (méconnaissable Jim Belushi), écrasé par le chagrin d’avoir perdu sa femme et de n’avoir pas donné une bonne éducation à son fils. On le voit face à son ancienne fiancée, qui a trop souffert de son absence pendant son séjour en prison pour accepter de reprendre la vie conjugale sous la menace d’une nouvelle séparation. On le voit face à ses anciens codétenus qui entendent lui faire payer à l’extérieur le prix de la protection qu’ils lui ont accordée à l’intérieur.

Mais on réalise bientôt que le sujet du film n’est pas là. Comme le titre nous l’avait indiqué (et comme il l’indiquait déjà dans le précédent film de Matt Porterfield Putty Hill), le propos de Sollers Point n’est pas de dresser le portrait à fleur de peau d’un enfant perdu de l’Amérique, mais celui d’un lieu. Sollers Point est un quartier défavorisé afro-américain de Baltimore frappé par la désindustrialisation. Quelques Blancs rednecks y vivent encore tels que le père de Keith ou ses camarades de poker. Mais les Noirs l’ont investi, parmi lesquels Keith compte d’ailleurs plusieurs amis.

Le projet convaincrait s’il ne restait pas à l’état d’ébauche maladroite. On sort de Sollers Point doublement frustré : frustré par l’histoire inaboutie de Keith, un personnage qui n’avance pas et frustré par la description d’un quartier qui nous reste aussi étranger à la fin du film qu’il l’était au début.

La bande-annonce

Peppermint ☆☆☆☆

Riley North (Jennifer Garner) a une gamine adorable et un mari aimant dont le seul défaut est d’avoir approché de trop près la mafia de la drogue. Quand il est éliminé par les sicaires à ses trousses et que sa fille meurt d’une balle perdue, Riley North voit sa vie s’effondrer. Si elle reconnaît les assassins et les fait juger, un juge véreux les fait libérer.
La mère de famille, assoiffée de vengeance, décide d’obtenir justice par ses propres moyens.

L’affiche de Peppermint rappelle celle de la série The Leftovers avec laquelle, hélas, ce vigilante film n’a rien en commun. Un vigilante film a pour thème l’auto-justice et pour héros un citoyen ordinaire, confronté à l’impuissance des pouvoirs publics, qui décide de se venger seul du meurtre de sa famille. Le genre est fécond depuis Charles Bronson dans Un justicier dans la ville et son récent remake avec Bruce Willis.

Le parti pris de Peppermint, avec son titre déroutant de friandise sucrée, est de faire endosser le rôle vedette par une femme. Pierre Morel est à la manœuvre, un Frenchie qui, depuis Banlieue 13 et Taken, est parti à Hollywood monnayer son talent à chorégraphier les scènes d’action sans se montrer trop regardant sur le scénario qui en est le prétexte. Son cynisme revendiqué, la complaisance avec laquelle il filme les meurtres à la chaîne commis par son héroïne pour remonter jusqu’à l’odieux chef de gang responsable de la mort de sa fille et de son mari font question.

Le plus gênant peut-être est que Pierre Morel sait y faire, qu’il sait tourner des fusillades, qu’il sait tenir en haleine son public jusqu’à un dénouement qu’on connaît pourtant d’avance. Et Jennifer Garner, révélée au début des années 2000 dans Alias et Daredevil, qui s’était perdue depuis une dizaine d’années dans des comédies familiales sans relief, fait honnêtement le job.

On tremble que Peppermint fasse un carton chez les ados, qui oublieront les dilemmes éthiques posés par le film et n’en retiendront que l’efficacité des bastons.

La bande-annonce

Première année ★★☆☆

Antoine (Vincent Lacoste) a eu beau travailler jour et nuit, il triple sa première année après avoir échoué d’un cheveu à obtenir la dernière place en médecine offerte par le numerus clausus. Au début de la nouvelle année, il rencontre sur les bancs de la faculté un jeune bachelier Benjamin (William Lebghil) qui ne semble pas mesurer l’ampleur de la tâche mais se révèle très vite redoutablement doué.

Vous êtes médecin/normalien/énarque ? vous avez passé entre 18 et 22 ans les quatre années les plus traumatisantes mais aussi les plus enrichissantes de votre vie ? vous avez consommé plus de Guronsan et de boules Quies que d’ecstasy dans les soirées et de bouchons anti-bruits dans les concerts ? vous avez les mains moites en regardant Questions pour un champion ? vous faites des cauchemars en vous imaginant redoubler ? Première année est pour vous qui raconte, comme peu de films l’ont fait, une histoire difficile à filmer, mais qui est le lot commun de nombreux étudiants qui sacrifient leur vie – amicale, amoureuse, culturelle – pour décrocher le Graal du concours hypersélectif.

En tout état de cause, vous avez aimé Hippocrate ou Médecin de campagne, les précédents films de Thomas Lilti, un ancien médecin passé à la réalisation ? Vous apprécierez cette nouvelle plongée dans le monde des carabins, même si on y perd de vue la noblesse de ce métier et la belle humanité qui s’y déploie.

Si vous avez encore des hésitations, jettez un œil à la bande annonce. Et laissez vous séduire par sa communicative énergie.

Le problème de Première année est qu’il n’a pas grand chose de plus à offrir que cette bande annonce. Filmer des étudiants qui étudient est ingrat. Et Thomas Lilti se refuse, à raison, à agrémenter ce récit d’histoires annexes qui ne lui auraient rien apporté. Pas d’amourettes – sinon une voisine de palier chinoise (ou philippine ?) avec qui Benjamin partage un café à ses heures perdues. Pas de drames familiaux, sinon des parents inquiets de voir leurs progénitures se dessécher dans des études épuisantes. Bref, des étudiants qui vont en cours, en bibliothèque, au resto U, en révisant, révisant, révisant encore.

En creux bien sûr se dessine une critique cinglante de ce bourrage de crâne imbécile, de ce mode de sélection absurde qui recrute des médecins sur leur capacité à remplir des QCM et non à soigner des patients. Mais le sujet du film n’est pas là. Il n’a d’autre ambition que de nous faire partager le quotidien de deux étudiants dans un tunnel de révision.

Vincent Lacoste (25 ans) et William Lebighl (28 ans) sont peut-être un peu trop vieux pour rendre tout à fait crédibles des étudiants de première année. Mais leurs personnages posent un autre problème plus délicat. Le premier est censé incarner l’étudiant d’origine modeste, obligé à des allers-retours épuisants en banlieue. Le second au contraire a un père chirurgien, camarade de promo du doyen de la faculté, et s’est vu payer une chambre à une encablure de l’université. Le second maîtrise les codes ; le premier ne les maîtrise pas. Or, les études de médecine, leurs critères de sélections, en première année au moins, sont sans doute les cursus qui prêtent le moins le flanc à la critique bourdieusienne, à la différence d’autres parcours où l’oral, la manière d’être, de s’exprimer ont autrement d’importance.

La bande-annonce

Mademoiselle de Joncquières ★★☆☆

Madame de la Pommeraye (Cécile de France) a perdu son mari et s’est retirée sur ses terres. Elle ne s’est jamais fait d’illusion sur l’amour et ne nourrissait nul penchant pour son mari dont le décès ne l’affecte pas.
Le marquis des Arcis (Edouard Baer) lui fait une cour assidue et ne se laisse pas décourager par ses rebuffades amusées. Sa constance est finalement récompensée par la veuve qui lui cède. Mais, passées les premières semaines d’extase, le frivole marquis se lasse de son amante qui, le cœur brisé, n’a d’autre ressource que de lui rendre sa liberté.
Toutefois la femme blessée entend faire payer à l’amant inconstant sa trahison. Une mère désargentée (Natalia Dontcheva) et sa fille à la beauté angélique, Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz), contraintes de vivre de leurs charmes suite à leurs revers de fortune, seront les instruments de sa vengeance.

Depuis une vingtaine d’années, le marseillais Emmanuel Mouret creuse un sillon bien à lui dans le cinéma français en y semant comme autant de pépites de charmants marivaudages dont les titres faussement candides annoncent l’esprit  : Laissons Lucie faire, Un baiser s’il vous plaît !, L’art d’aimer, Caprice. En regardant son premier film d’époque, on se demande comment il n’est pas venu plus tôt au Siècle des Lumières, à la perfection de sa langue, à l’élégance de ses toilettes.

Emmanuel Mouret emprunte à Diderot un épisode de Jaques le Fataliste qui avait inspiré à Robert Bresson Les Dames du bois de Boulogne. L’intrigue déroule sans anicroches sa mécanique (trop ?) bien huilée. Les scènes se succèdent qui inexorablement voient le marquis des Arcis tomber sous le charme de la jeune demoiselle de Joncquières, d’autant plus séduisante qu’elle ne prononce pas une parole, lui promettre une rivière de diamants, une rente, un hôtel particulier et, bientôt, le mariage.

Lorsqu’au lendemain de la nuit de noces, Mme de la Pommeraye triomphe en révélant au mari berné son aveuglement, on croit l’histoire terminée. Il n’en est rien. Elle dure vingt minutes de plus qu’Emmanuel Mouret emprunte en partie à Diderot et extrapole pour le reste. Ce qu’il emprunte à Diderot, c’est un dénouement bancal que Diderot lui-même avait critiqué : le marquis des Arcis, par amour pour sa femme, accepte sans broncher la mésalliance au risque de devenir la risée du tout-Paris. On se souvient que l’histoire de la Pommeraye est racontée à Jacques et à son maître par la patronne de l’Auberge du Grand-Cerf où ils passent la nuit et la critique qu’en font Jacques et son maître est l’occasion, comme l’a brillamment analysé Kundera, de poser les bases de l’art du roman moderne

Emmanuel Mouret conclut son film avec Mme de la Pommeraye, renvoyée à son amère solitude, qui croyait punir le marquis de son inconstance, mais qui, à son corps défendant, lui a permis de connaître la félicité d’un mariage heureux, nonobstant le passé caché de son épouse. Cette conclusion ne figure pas dans l’œuvre de Diderot. Elle coule pourtant de source. Sa brutalité saisit. En un clin d’œil on passe de Marivaux à Choderlos de Laclos.

La bande-annonce

Invasion ★☆☆☆

Quelques extraterrestres ont débarqué sur notre planète avant son invasion générale et ont pris apparence humaine pour comprendre la psyché de ses habitants. D’un simple contact du majeur, ils volent aux humains leurs « concepts » : la famille, la peur, l’amour…

Ce résumé éveille en vous un souvenir ? C’était le même que celui du précédent film de Kiyoshi Kurosawa Avant que nous disparaissions sorti en mars 2018. Entretemps, le prolixe réalisateur japonais a réalisé sur ce sujet une mini-série en cinq épisodes qu’il ramasse aujourd’hui en cent quarante minutes.

L’impression désagréable d’avoir sous les yeux à un « produit dérivé » dont la dispensable sortie en salles n’a guère d’autre but que d’augmenter la rentabilité d’un filon est le premier reproche qu’on peut adresser à Invasion. Ce n’est pas le seul.

À force d’avoir vu ses films qui sortent à jet continu tous les six mois, on n’est plus dépaysé par le cinéma de Kiyoshi Kurosawa. Avec peu de moyens, sinon un art du cadrage consommé et une musique très travaillée, le réalisateur s’est fait une spécialité de glisser dans les failles d’un quotidien anodin mille angoisses. Il (ré)invente le film gore sans hémoglobine, le film de SF sans petits hommes verts. Au premier, on crie au génie ; au vingtième, on étouffe un bâillement d’ennui car la recette ne révèle plus guère de surprises.

C’est le cas de cet Invasion qui a le défaut de reprendre, à quelques bémols près, la même trame que son précédent film. Avant que nous disparaissions suivait les traces de trois extra-terrestres. Invasion est plus ramassé – sinon par sa durée – qui en suit un seul, le docteur Makabe (le bien-nommé) qui a pris l’apparence d’un immense chirurgien. Pour l’aider dans ses premiers pas sur terre à déchiffrer ces humains décidément bien imprévisibles, il s’est adjoint les services d’un « guide », Tatsuo, qui travaille comme lui à l’hôpital. Tatsuo a une femme, Setsuko, qui se révèle la véritable héroïne du film, autour de laquelle le récit se construit. Car Setsuko possède le don rare de résister aux viols psychologiques des extra-terrestres. Et on comprendra que ce don exceptionnel trouve son origine dans le sentiment qu’elle éprouve pour son mari : l’amour.

On voudrait nous faire acheter – et je l’avais moi-même écrit en conclusion de ma critique de Avant que nous disparaissions – que, sous couvert de parler d’invasion extra-terrestre, le film de Kurosawa interroge d’abord notre propre humanité. Je conclurai avec moins de grandiloquence ma critique aujourd’hui pour déplorer la vacuité métaphysique de ce pompeux discours.

La bande-annonce

Whitney ★★☆☆

Whitney Houston (1963-2012) fut l’une des chanteuses pop les plus célèbres de son temps. Elle aurait vendu plus de 200 millions d’albums et de singles. Son premier album, sorti en 1985, disque de diamant, enregistre les meilleures ventes de tous les temps pour un artiste solo et contient trois singles classés numéro un : Saving All My Love for You, How Will I Know et Greatest Love Of All. Son deuxième est dès sa sortie en juin 1987 en tête des charts avec notamment le hit I Wanna Dance with Somebody (Who Loves Me). En 1992, la gloire de Whitney Houston est à son apogée avec le film Bodyguard et sa B.O. vendue à 44 millions d’exemplaires à travers le monde.
Mais vampirisée par sa famille, brutalisée par son mari, la star sombre peu à peu dans la drogue. Elle ne s’en relèvera jamais.

Le réalisateur britannique Kevin Macdonald prend son temps pour raconter la vie de Whitney. Il y consacre deux heures, qui passent sans regarder sa montre tant l’histoire de la jeune fille de Newark est captivante. On a beau en connaître les principales étapes et l’issue fatale, on la regarde sans s’ennuyer.

Le réalisateur, qui a déjà signé des documentaires consacrés à Eric Campbell, Mick Jagger, Bob Marley, ne force pas son talent en alternant paresseusement les images d’archive et les interviews face caméra des proches de l’actrice. On ne lui en fera pas grief. La raison de notre indulgence ? Sans doute la sympathie coupable qu’on nourrit, comme tous les fans du Top 50 qui finirent leur adolescence dans les années 1985-1987 et achetèrent avec leur argent de poche la cassette ou le 33 Tours Whitney dans ces années-là.

Whitney ressemble à Amy sorti il y a deux ans, car la – courte- vie de Amy Winehouse ressemble à celle – un peu plus longue – de Whitney Houston. Même talent fou, même succès mondial, même famille toxique, même inéluctable plongée dans l’addiction. Avec un chouïa de putasserie, Kevin Macdonald remue les histoires sales et étale ce qu’on reproche aux tabloïds de dévoiler. Le voyeurisme du spectateur en est récompensé. Mais son cœur s’étreint, au moins autant à l’évocation du destin de la chanteuse qu’à celui de sa fille, enfant unique d’un couple toxique, ballottée d’une salle de concert à l’autre, plongée par mimétisme dans la drogue et morte à vingt-deux ans d’une overdose dans sa baignoire dans des circonstances analogues à celles du décès de sa mère.

La bande-annonce

Sofia ★★★☆

Sofia est enceinte. Mais elle refuse de l’admettre. Au Maroc, hélas, le déni de grossesse est un délit de grossesse – comme le titre joliment Le Monde – pour qui a conçu un enfant hors mariage. Il faut toute la débrouillardise de Lena, la cousine de Sofia, étudiante en médecine, et de Leila, sa tante, pour permettre à Sofia d’accoucher dans une clinique privée et de sortir du commissariat où elle est ensuite détenue. Pour y parvenir, les trois femmes ont dû convaincre Omar, l’homme que Sofia rend responsable de sa maternité.

Régulièrement nous arrivent du Maghreb des petits films coupants comme le silex. Ils ont en commun de dénoncer le sort réservé aux femmes et de documenter les rapports de classes : l’Algérien À mon âge je me cache encore pour fumer, le Tunisien La Belle et la Meute, le Marocain Much Loved. Couronné par le prix du scénario dans la section Un certain regard à Cannes et au festival du film francophone d’Angoulême, Sofia a sa place dans cette liste de films qui marquent durablement.

La force en vient de son scénario qui rappelle, par son déroulement implacable, ses ellipses et ses coups de théâtre, les meilleurs Dardenne et Farhadi. Sans un temps mort, Meryem Benm’Barek filme les vingt-quatre heures qui séparent la découverte de la grossesse de Sofia de l’accord d’Omar pour reconnaître son enfant. Le film pourrait s’arrêter là ; mais il s’offre une longue postface pour le mariage de Sofia et d’Omar qui est l’occasion d’un coup de théâtre qui en revisite le sens. On n’en dira pas plus.

Plus encore que sur le sort des femmes et l’archaïsme des dispositions du code pénal marocain, c’est dans la peinture des relations de classe que Sofia excelle. Car Sofia, Léna et Omar appartiennent à trois milieux bien différents. Léna, dont la mère a épousé un riche Français, appartient à la classe aisée et habite une belle maison à Anfa en bord de mer. Sofia, dont les parents habitent un appartement du centre-ville de Casablanca, appartient à la classe moyenne. Quant à Omar, soutien de famille depuis la mort de son père, son adresse dans le quartier défavorisé de Derb Sultan signe son appartenance à la classe pauvre. Entre eux trois et leurs familles, un poker menteur se joue qui fait froid dans le dos.

La bande-annonce