L’Etincelle : une histoire des luttes LGBT+ ★★☆☆

Qui veut s’initier à l’histoire des luttes Lgbt+ (le + étant alternativement utilisé avec d’autres lettres désignant d’autres variantes de genre, de sexe biologique, ou d’orientation sexuelle : I pour les personnes intersexes, A pour les asexuels, Q pour les personnes queer, ou encore P pour les personnes pansexuelles) aura le choix.
Soit lire la substantielle étude de 784 pages de Frédéric Martel joliment intitulée Le Rose et le Noir et sous-titrée pour que son objet soit compréhensible de tous Les homosexuels en France depuis 1968.
Soit, s’il.elle dispose de moins de temps, regarder ce documentaire français de 99 minutes qui s’intéresse au mouvement homosexuel en France et aux Etats-Unis.

L’Etincelle doit son titre à un épisode méconnu de l’histoire américaine : les émeutes de Stonewall, dans Greenwich Village à New York, en juin 1969, qui virent les homosexuels protester spontanément contre un raid de police qui visait l’établissement où ils avaient leurs habitudes. L’année suivante, une « marche de la fierté » fut organisée pour commémorer ces émeutes, qui les consacra rétrospectivement comme l’acte fondateur du militantisme LGBT. Ainsi naquit la Gay Pride.

D’une facture très classique, le documentaire de Benoît Masocco, militant de la cause et qui n’en fait pas mystère, alterne les images d’archives et les interviews de grands témoins. Parmi eux, on reconnaît, de ce côté de l’Atlantique Robert Badinter et Bertrand Delanoë.
On visite les grands moments, plus ou moins connus, de la lutte pour la reconnaissance des droits : l’élection de Harvey Milk au conseil municipal de San Francisco puis son assassinat, la dépénalisation de l’homosexualité en France en 1982, les années SIDA, la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) puis du mariage.

Le témoignage de quelques figures historiques des années 70 montre combien l’objet de la lutte s’est déplacé. À l’époque, et avant même que le mot existe, l’intersectionnalité était de mise, le combat des homosexuels recoupant celui des Noirs ou des femmes. Il s’agissait pour tous, selon une phraséologie qui aujourd’hui prête à sourire, de « combattre les fondements moraux d’une société capitaliste et patriarcale ». Les homosexuel.le.s à l’époque étaient des révolté.e.s qui voulaient renverser l’ordre établi et qui rient jaune des aspirations de leurs successeurs à se marier et à avoir des enfants. Ils militaient pour le « droit à la différence ». Leurs successeurs ont conquis le « droit à l’indifférence »

Le documentaire affirme en conclusion que les droits des homosexuels ont considérablement progressé au cours des cinquante dernières années. Mais il « ouvre » sur deux réflexions stimulantes à peine effleurées. Le premier est la différence qui prévaut entre la situation des homosexuels en Occident (les « nantis de la liberté » selon la belle expression de Robert Badinter) et dans le reste du monde. Le second est le sujet qui, selon lui, « montera » dans les prochaines années : la transidentité.

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Give Me Liberty ★★☆☆

Vic est ambulancier. Il véhicule à travers Milwaukee des adultes handicapés. Mais il est des jours où les ennuis s’accumulent. Ce matin, Vic a voulu rendre service à son grand-père et à ses amis russes qui n’avaient pas de moyen de se rendre aux funérailles d’une de leurs compatriotes. Mais la présence de cette joyeuse communauté, à laquelle s’adjoint Douma, un parasite, ralentit sa tournée et suscite l’énervement de ses clients :  Michelle, qui doit participer à un concours de chant, Tracy, qui quitte ce jour là le domicile de sa mère pour s’installer avec son fiancé, Steve, etc.

Hasard du calendrier ? La Russie envahit les écrans. La même semaine que Factory, une semaine après Folle nuit russe, trois semaines après Anna, sort ce film américain dont l’identité de son réalisateur, Kirill Mikhanovsky, révèle sans peine les origines. Nous ne sommes pas en Russie, mais au cœur de l’Amérique, dans les plaines glaciales du Wisconsin, où vit une nombreuse diaspora russe.

Give Me Liberty a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2019. C’est un produit typique du ciné indé américain, comme Sundance en produit à la pelle. Il repose sur une idée de scénario simple, sinon simpliste, tirée de l’expérience du réalisateur, russe mais immigré de longue date aux Etats-Unis : dans les années quatre-vingt-dix, il conduisait à Milwaukee un véhicule sanitaire et y a vécu des anecdotes qui ont nourri le scénario de son film.

Give Me Liberty est un film attachant qui donne une dignité à des caractères qui en sont couramment privés, des personnes lourdement handicapées dont la bonne humeur et la résilience sont soulignées jusqu’à la caricature. Il a pour héros un jeune homme patient sur lequel s’abattent toutes les avanies imaginables, coincé entre des clients impatients, un superviseur qui le menace de licenciement et des incidents à la pelle. Victime de sa gentillesse, il essaie de contenter tout le monde sans y parvenir.

Il a néanmoins trois défauts.
Le premier est l’hystérie des scènes filmées dans le minibus qui constituent la quasi-totalité du film ou, en tous cas, ses deux premiers tiers : on se croirait dans une kommunalka moscovite surpeuplée où tous les habitants peinent à cohabiter sans s’apostropher bruyamment. On crie beaucoup ; et le spectateur, pris en otage sous ces feux croisés, implore le silence.
Le deuxième est un scénario qui tourne un peu en rond, dont le fil directeur (une journée dans la vie de Vic) est trop lâche pour susciter l’intérêt dans la durée.
Le troisième est sa longueur excessive. Give Me Liberty dure près de deux heures. Aurait-il duré trente minutes, de moins, il aurait été aussi efficace et moins répétitif.

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The Operative ★☆☆☆

Britannique, vivant à Berlin, Rachel (Diane Kruger) n’a quasiment aucun lien avec Israël. Cela n’empêche pas le Mossad de la recruter et d’en faire l’un de ses meilleurs agents sous couverture. Cornaquée par Thomas (Martine Freeman), son agent de liaison, Rachel est envoyée en Iran.

Sur le papier, The Operative (on dira que j’en fais une obsession … mais, une fois encore, pourquoi sortir en France sous son titre anglais un film qui, en Allemagne, s’intitule Die Agentin ou en Lituanie Agente ?) avait tout pour séduire. Sa bande-annonce efficace mettait l’eau à la bouche. On escomptait un thriller tendu, ponctué de quelques scènes d’action haletantes, avec un arrière plan géopolitique complexe.

Hélas le résultat déçoit. Diane Kruger n’en est pas responsable, qui porte le film de bout en bout. Cette actrice allemande parfaitement trilingue (elle parle aussi bien le français et l’anglais que sa langue natale) a commencé sa carrière en France avant de tourner partout dans le monde, à Hollywood, en Allemagne ou ailleurs. La quarantaine bien entamée, elle est une actrice bankable, suffisamment connue pour qu’un film se construise autour de son nom ; mais elle n’est pas tout à fait une superstar de la carrure de Jennifer Lawrence, Charlize Theron ou Nicole Kidman.

Le résultat déçoit par excès de psychologie. The Operative s’intéresse moins à l’action qu’à son personnage central et à ses fragilités : une relation au père compliquée, une absence d’ancrage, une instabilité émotionnelle… On pense à Claire Danes, l’héroïne de Homeland – à laquelle Diane Kruger, le visage en amande, le teint blafard, les cheveux couverts d’un tchador, ressemble beaucoup. On pense dans Le Bureau des légendes au personnage de Malotru, interprété par Mathieu Kasovitz et à celui de Marina Loiseau qui elle aussi, dans la saison 2, a maille à partir avec le régime des mollahs. On pense bien évidemment aux romans de John Le Carré.

Mais – on pourra ne pas partager ce point de vue – la psychologie n’est pas la dimension la plus intéressante des films d’espionnage. Pour le dire autrement : on ne va pas voir un thriller pour vibrer à des états d’âme. Ce qui me séduit, ce qui m’attire dans les films d’espionnage, c’est leurs histoires à tiroirs millimétrés d’agents doubles ou triples. De ce point de vue, mon roman préféré de John Le Carré est son tout premier, L’Espion qui venait du froid, ayant moins de goût pour les suivants qui, à mon sens, pêchent par excès de psychologie.

À cette aune, The Operative ne peut que décevoir dont le seul fil directeur est son héroïne. Il juxtapose plusieurs épisodes, sans guère de lien entre eux  – la froide exécution d’un homme d’affaires, l’infiltration d’une société électronique iranienne, le franchissement d’une frontière par un 4×4 bourré d’explosifs – et se conclue par un final trop ouvert pour être compréhensible.

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Factory ★★☆☆

Lorsque le patron d’une usine métallurgique met la clé sous la porte, six de ses employés décident de le prendre en otage pour lui soutirer une rançon. Mais rien ne se passe comme prévu.

Factory (bizarre traduction française du russe Zavod) joue sur deux tableaux.

D’un côté, il raconte, quasiment en temps réel, un braquage. Le sujet n’est pas nouveau, qui a donné au cinéma quelques chefs d’œuvre inoubliables de Un après-midi de chien à Reservoir Dogs. Car il est puissamment dramaturgique : unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Tous les protagonistes sont réunis dans un même lieu – ici une usine décatie – l’espace d’une nuit qui s’achèvera dans un petit matin blême. Les employés de l’usine veulent échanger leur otage contre le pactole qui leur permettra d’aller finir leur vie au soleil tandis que les hommes de main appelés à sa rescousse, et bientôt rejoints par les forces spéciales de la police, ont pour mission de le libérer par tous les moyens.

De l’autre, Factory s’inscrit dans un contexte social : celui de la Russie post-communiste où les biens de production ont été vendus à l’encan à des oligarques sans scrupule. Non sans caricature, Factory raconte le fossé qui s’est creusé entre les plus riches et les plus pauvres. On y retrouve la patte de Yuri Bykov, dont le précédent film, L’Idiot ! dénonçait déjà, avec une belle énergie, la corruption des élites russes.

La combinaison de ces deux registres s’annonçait stimulante. La promesse n’est qu’à moitié tenue. Si le film d’action commence sur les chapeaux de roue, son rythme se ralentit et les rebondissements attendus (les motivations des protagonistes ne sont peut-être pas celles qu’on croyait) font long feu.
Quant à la critique sociale, elle reste très convenue : les riches sont pourris et les pauvres condamnés à souffrir. Le même message est asséné avec autrement d’efficacité par Zvianguintsev, Serebrennikov, Khlebnikov ou Balagov (dont on attend avec gourmandise son Grande fille qui sortira le 7 août).

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Folle nuit russe ★★☆☆

Ivanovo, 250km au nord-est de Moscou, une ville demi-millionnaire plus connue pour son industrie textile que pour ses curiosités touristiques. Automne 1999 : la (seconde) guerre de Tchétchénie bat son plein, Eltsine va quitter le pouvoir et céder la place à un inconnu, Vladimir Poutine.

Andreï est mort en Tchétchénie. Denis, son frère cadet, épileptique, a été réformé. Il tente sans succès d’empêcher la mafia locale de faire main basse sur la moto d’Andreï. Anton, son frère aîné rentre ce jour-là du front. Sa fiancée Vika, qui rêve de s’expatrier en Allemagne contre l’avis de sa grand-mère, l’attend impatiemment ; mais Anton, tétanisé à l’idée d’affronter le chagrin de sa mère, la bat froid.
Vera, la mère de Vika, a rejoint les témoins de Jéhovah. Avec Alja, une coreligionnaire, elle fait du porte-à-porte sans guère de succès. Dans un hall d’immeuble, elle secourt un alcoolique et lui offre l’hospitalité pour la nuit.

Sortent coup sur coup deux films russes qui dressent de leur pays une image peu flatteuse. Factory sera sur les écrans demain et ma critique en ligne en même temps. Il a bénéficié de la chambre de résonnance du festival de Beaune et d’une bonne exposition grâce à Bac Films. Folle nuit russe, sorti mercredi dernier, n’a en revanche fait l’objet d’aucune publicité et d’une distribution confidentielle. Il mérite pourtant le détour.

On y croise quelques éléments représentatifs de la société russe eltsinienne, en manque de repères : un conscrit revenu du front avec la haine, une jeune femme délurée, une mère inconsolable de la mort de son fils, un alcoolique intarissable… Le scénario de ce film choral, rédigé par la réalisatrice dont c’est le long-métrage de fin d’études, n’est pas toujours très lisible. On peine à comprendre ce qui relie ces personnages et le film est si court (une heure et dix sept minutes seulement) qu’on n’a guère le temps d’assembler les pièces du puzzle.

Mais ce sont ces imperfections mêmes qui rendent Folle nuit russe attachant, mélange déséquilibré de tragédie et de comédie, peinture désespérée d’une société sans boussole.

Hélas, le film n’est pas aidé. J’ai déjà évoqué sa distribution ultra-réduite. J’aurais pu évoquer son affiche – une matriochka recouverte de sang – à l’esthétique de slasher et son titre ridicule, sans lien avec l’original, qui emprunte plus à la comédie pour ados qu’à la critique sociale

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Yuli ★☆☆☆

Avant de devenir danseur étoile au Royal Ballet de Londres, Carlos Acosta était un petit garçon farceur, élevé dans les quartiers pauvres de La Havane que rien, sinon l’ambition de son père, ne destinait à la danse.

Carlos Acosta avait déjà raconté son parcours dans une autobiographie publiée en 2007. Il avait également monté à Cuba un ballet inspiré de sa propre vie. Ne manquait plus pour parachever le mausolée qu’un film. C’est chose faite avec ce biopic signé de la réalisatrice espagnole Icíar Bollaín dont le conjoint, Paul Laverty, a écrit le scénario.

Yuli ne réserve guère de surprise. Le duo Bollaín-Laverty respecte scrupuleusement le cahier des charges au risque de sombrer dans le pathos : des personnages qui se réduisent à leur caricature (le gamin dilettante mais surdoué, le père sévère mais aimant…), l’exotisme des rues de La Havane, l’histoire du castrisme en arrière-plan (le socialisme triomphant, la crise des balseros…), quelques séquences émotion (l’exil de la grand-mère, la névrose de la sœur)… On veut nous vendre que le jeune Carlos, qui rêvait de football et de breakdance, est devenu danseur étoile contre son gré ; on peine à le croire. On veut aussi nous faire toucher du doigt son déchirement entre sa vie professionnelle qui l’oblige à s’expatrier en Europe et son attachement à sa famille et à son pays ; on peine à être ému.

Yuli est ponctué de sublimes séquences de danse. Carlos Acosta y interprète son propre rôle. Il y danse avec une majesté qui en impose. C’est le seul intérêt de ce biopic trop académique pour surprendre, trop complaisant pour émouvoir.

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Her Smell ★☆☆☆

Sous le nom de Becky Something, Rebecca Adamzwyck (Elisabeth Moss) a fait de Something She un groupe phare de la scène grunge. Mais la rockstar est sur le point de s’effondrer et d’entrainer tous ses proches dans sa chute : sa batteuse et sa bassiste qui ne supportent plus d’être continuellement insultées, le directeur de sa maison de disques dont la patience s’effrite, son ex-mari qui peine à s’occuper de leur fille.

Elisabeth Moss est décidément la star qui monte. On se souvient qu’elle incarnait la fille du Président américain dans West Wing qui la vit grandir pendant sept saisons. Mais c’est à Mad Men qu’elle doit son succès : elle y incarne Peggy Olson, une jeune secrétaire qui gravira tous les échelons de la société de publicité de Madison Avenue qui l’emploie en dépit de la misogynie du temps. Ce succès lui ouvre toutes les portes : ce sera la mini-série dirigée par Jane Campion, Top of the Lake, en 2013, The Square en 2017 (Palme d’or à Cannes) et bien entendu La Servante écarlate.

Elle est l’étoile noire de Her Smell, la star autour de laquelle tout gravite, le trou noir où tous risquent de se perdre. Son personnage est fictionnel ; mais il s’inspire de quelques figures célèbres de la scène punk telles Courtney Love ou Kim Deal. L’outrance de son jeu – qui lui est parfois reprochée dans La Servante écarlate – est ici parfaitement mise à profit. Aussi monstrueuse que pitoyable, violente que fragile, le visage strié d’un mascara bavant, elle joue l’hystérie mieux que quiconque.

Son interprétation s’inscrit dans un projet exigeant. De la chute inéluctable à l’impossible rédemption, l’action est en effet découpée, comme elle le serait au théâtre, en cinq longues scènes. Chacune dure au bas mot une vingtaine de minutes dans un film dont la longueur inhabituelle dépasse les deux heures. Un grand soin est apporté au son qui résonne comme s’il était le fruit d’un cerveau détraqué. C’est dire que le film s’étire et que la tension permanente qu’il maintient finit vite par épuiser. On sort de la salle assommé.

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Wild Rose ★★★☆

Rose-Lynn Harlan ne vit que pour sa passion : la musique country. Mais, si elle a le sens du rythme et ne quitte jamais ses santiags, la jeune femme a bien des obstacles à franchir afin de réaliser son rêve : chanter à Nashville. Premièrement, elle vient à peine de sortir de prison et doit s’employer comme femme de ménage chez un couple de bobos. Deuxièmement, elle a déjà donné naissance à deux enfants avant ses dix-huit ans dont sa mère a assuré la garde pendant sa détention mais qui réclament son amour. Troisième handicap et non le moindre : Rose-Lynn vit à… Glasgow.

Pourquoi diable les distributeurs évoquent-ils A Star is Born sur l’affiche française de Wild Rose – les diffuseurs britanniques n’ont pas commis pareille erreur ? Le film britannique n’a rien à voir avec le lady-gagesque biopic américain. Son héroïne n’est pas une star sur le point d’éclore. Il ne s’agit pas ici de donner un écrin à quelques tubes marketés pour conquérir les premières places des charts.

Le vrai sujet de Wild Rose n’est pas la musique. Cela n’empêchera pas les amateurs de country d’y prendre du plaisir – et ceux qui n’aiment guère ce genre, dont je fais partie, de prendre leur mal en patience. Son vrai sujet, c’est Rose, une jeune femme partagée entre sa passion et sa famille.

Le sujet n’est pas d’une folle inventivité. On a vu trop de films de Ken Loach & Co., des plus larmoyants aux plus réussis, pour en être surpris. Mais le cocktail, fait de caractères entiers, de paysages urbains déprimants, de pubs aux tables poisseuses à force de bières renversées, fait toujours son effet.

La réussite doit surtout au talent de ses deux actrices. Dans le rôle de la fille : Jessie Buckley. Retenez son nom. On vient de la voir dans la minisérie Tchernobyl interpréter le rôle de la femme courageuse d’un pompier agonisant. On l’avait déjà remarquée en tête d’affiche de Jersey Affair l’an passé.
Dans le rôle de la mère : Julie Walters. J’ai passé tout le film à me demander où je l’avais vue. Sa ressemblance avec Judi Dench m’induisait-elle en erreur ? C’est en farfouillant dans sa biographie que je l’ai retrouvée : elle jouait dans Sammy et Rosie s’envoient en l’air, le film par lequel j’ai découvert Stephen Frears l’été de mes dix-sept ans. Sur l’affiche, Julie Walters a trente ans de moins. Une sorte de FaceApp à l’envers.

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L’Œuvre sans auteur ★★★☆

La Vie des autres avait connu un immense succès, critique et public : Oscar, César, Bafta du meilleur film étranger en 2007. Depuis douze ans, on attendait le prochain succès de son réalisateur, Florian Henckel Von Donnersmarck. Après un détour calamiteux par Hollywood, où il a dirigé Angelina Jolie et Johnny Depp dans The Tourist, un remake évitable d’un film français, le réalisateur allemand est de retour dans son pays.

L’Œuvre sans auteur se présente comme l’histoire d’une vie : celle de Kurt Barnert, un jeune peintre en devenir, qui naît et grandit sous le nazisme, doit se conformer aux règles du réalisme socialiste qui prévaut en RDA dans l’immédiat après-guerre et finit par se réfugier en RFA dans les années soixante. Comme Fassbinder avec Le Mariage de Maria Braun, Henckel von Donnersmarck retrace l’histoire de l’Allemagne contemporaine en racontant l’histoire d’un homme. C’est la partie la plus convenue du film, celle qui à la fois suscite le plus grand respect et crée le moins de surprises, tant le cinéma allemand – ou du moins celui qui s’exporte hors des frontières – semble s’être fait une spécialité du film historique contemporain à force de raconter l’histoire des petites gens sous le national-socialisme (Seul dans Berlin, Elser, un héros ordinaire) ou sous le communisme (Le Vent de la liberté, La Révolution silencieuse, Good Bye Lenin !).

Mais tel n’est pas le sujet central du film. Il s’agit plutôt de montrer la naissance d’un génie artistique. Le personnage de Kurt Barnert est inspiré du peintre Gehrard Richter, né à Dresde en 1932, installé à Cologne et devenu mondialement célèbre pour ses « photos-peintures » qui interrogent le rapport de l’auteur à son art. C’est autour de ce thème que le film se concentre dans sa seconde moitié. On y voit le jeune peintre, qui vient de se libérer du carcan de l’art officiel communiste en s’exilant à l’ouest, chercher sa voie. Le film prend le temps de l’accompagner dans ses hésitations. Et, comme de bien entendu, on assiste en direct à l’épiphanie créatrice au son de l’entêtant November de Max Richter.

Ce sujet à lui seul, ne suffirait pas à nourrir une fresque de plus de trois heures – qui est sortie d’un seul tenant en Allemagne mais qui, bizarrement, en France, est diffusée en deux volets, obligeant les spectateurs à passer deux fois à la caisse. Pour nourrir la tension, le film leste notre jeune héros d’un lourd trauma familial : sa tante, la jeune Elisabeth, a été stérilisée pendant la guerre par un gynécologue SS sadique qui se révèle être le père de Ellie, la jeune femme dont Kurt tombe amoureux en 1949. Le « méchant », monstrueux à souhait, interprété par Sebastian Koch, qui jouait le rôle du dramaturge placé sur écoute dans La Vie des autres, est excellent. C’est d’ailleurs, on le sait, l’indice de la qualité d’un film.

On pourrait, c’est vrai, reprocher à L’Œuvre sans auteur son académisme. Mais ne mégotons pas notre plaisir : depuis quand n’avait-on pas passé trois heures au cinéma sans regarder sa montre ?

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La Grand-messe ★★☆☆

Chaque année, le Tour de France attire sur les bas-côtés des routes qu’il emprunte une foule bigarrée de spectateurs. Certains s’installent plusieurs jours avant dans leurs camping-cars. Le Français Méryl Fortunat-Rossi et le Belge Valéry Rosier sont allés à leur rencontre en juillet 2017 dans les Hautes-Alpes, sur les pentes de l’Izoard à quelques kilomètres de l’arrivée de la dix-huitième étape.

Les deux réalisateurs font œuvre de sociologues voire d’anthropologues en s’intéressant non pas à la course et aux coureurs vers lesquels tous les yeux sont habituellement braqués, mais à ses spectateurs. Un peu comme si on tournait les spots vers le public d’une pièce de théâtre ou d’un match de tennis. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quelle est leur motivation à s’installer sur un bas-côté pour attendre le passage éphémère de la caravane ? leur passion pour le cyclisme ? le souhait de prendre part à un spectacle qu’ils regardent chaque année à la télé ? le désir warholien d’apparaître, aussi fugacement soit-il, soi-même à l’écran ?

Les documentaristes ont eu la surprise de découvrir dans les camping-cars qui s’installent sur les bords des routes du Tour un public assez homogène : de paisibles retraités aux profils assez proches. Ils viennent de Bretagne ou de la région parisienne, la soixantaine sinon la septantaine bien entamée, des enfants depuis longtemps autonomes. Sont-ils passionnés de vélo ? On n’en saura rien. En tous cas, ils sont passionnés par le Tour de France qu’ils suivent chaque année religieusement (d’où peut-être le titre du documentaire). Ils forment une communauté éphémère – dont rien ne dit qu’elle se reforme à l’identique d’une année sur l’autre.

C’est la France du troisième âge, qui s’est longtemps levée de bonne heure avant de jouir d’une retraite durement acquise. On ne parle pas politique, mais on suspecte qu’elle ne vote pas à gauche en dépit de ses origines prolétariennes. La répartition des tâches y est stricte : les femmes font la cuisine, les hommes lisent L’Équipe et essaient tant bien que mal de régler l’antenne parabolique. Si les premières se dérobent à leur devoir, les seconds le leur rappellent à midi moins cinq par un euphémique « on a faim ».

La caméra des deux réalisateurs n’est jamais envahissante ni malveillante. L’empathie l’emporte. D’ailleurs ces petits vieux sont plutôt sympathiques : ils sont encore en bonne santé, pleins d’énergie et de débrouillardise, acceptent sans maugréer des conditions de vie qui n’ont rien de luxueuse et semblent même se réjouir de ce confort spartiate.
Leurs confrontations avec les plus jeunes sont parfois rugueuses. Même s’ils font bonne figure au téléphone, ils regrettent que ce fils trop éloigné ne fasse pas l’effort de les rejoindre. Plus le jour J approche, plus les spectateurs plus jeunes se font nombreux sur les bords de la route. La cohabitation n’est pas toujours facile.

Parce que l’un des deux réalisateurs est belge, La Grand-messe rappelle Striptease. Mais ce documentaire, qui a l’élégance de la brièveté – il ne dure que soixante-dix minutes – n’utilise pas l’ironie méchante qui avait fait le succès de cette émission.

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