La trentaine, la barbe métrosexuelle, terriblement séduisant, follement intelligent, Aurélien est autiste.
Il est d’une grande lucidité sur son état qu’il essaie de décrire avec un soin maniaque.
Son ami, le documentariste Diego Governatori l’a filmé dans la campagne de Navarre, à la feria de Pampelune, aux abords du Louvre pour l’aider à libérer sa parole.
Caméra cathartique. Rarement l’expression aura été plus pertinente pour qualifier la démarche de Diego Governatori et d’Aurélien Deschamps. Les deux hommes sont amis à la ville. Diego a voulu accompagner Aurélien dans son travail d’analyse.
Le résultat est étonnant. Il ne s’agit pas d’un film sur l’autisme. Ni d’un film sur un autiste. Il s’agit d’un film sur Aurélien que la caméra de Diego suit dans ses déambulations rurales ou citadines.
Deux images contradictoires circulent sur les autistes. La première est celle de l’autiste savant, façon Rain Man, capable de lister les nombres premiers ou de résoudre des équations quintiques. L’autre est celle de l’autiste lourdement handicapé façon Hors normes, dangereux pour les autres et pour lui-même. Elles sont l’une comme l’autre caricaturales. Les troubles du spectre autistique sont très différents. Certains autistes, lourdement affectés, sont incapables d’une vie sociale ordinaire. D’autres, plus légers, y parviennent grâce à un travail sur eux-mêmes et, le cas échéant, une médication.
Même s’il est supérieurement intelligent, même si son vocabulaire est d’une rare richesse, Aurélien n’est pas un génie façon Rain Man. Il manifeste les symptômes traditionnels de l’autisme : interactions sociales entravées, besoin de routines, hypersensibilité au bruit… Mais son handicap n’est pas si lourd qu’il n’arrive pas à le confiner et à vivre avec.
Aurélien Deschamps nous ouvre une porte, à nous les « hommes structurés », sur le chaos qui règne dans son cerveau. Dans une métaphore éclairante, il nous explique que vivre, c’est faire atterrir un Airbus. La plupart des gens disposent, sans connaître leur chance, d’un pilote automatique pour les y aider. Les autistes hélas, doivent le faire sans cette aide, en mode manuel, ce qui sollicite tous leurs efforts et les rend incapables… de plaisanter avec le copilote ou de draguer l’hôtesse de l’air !
Le documentaire ne pouvait pas se contenter de filmer Aurélien face caméra pendant quatre-vingt-dix minutes. Diego Governatori a eu l’idée de l’amener à Pampelune, en pleine feria, qui chaque été, rassemble des millions de touristes dont les seuls plaisirs semblent être de s’alcooliser généreusement et de se faire encorner par des taureaux lâchés dans la ville. Pas sûr que ce parallèle – comparer le chaos qui règne dans le cerveau d’Aurélien et celui qui agite le centre ville de Pampelune – soit la meilleure idée du film.
Reste une révélation particulièrement stimulante non seulement de ce qu’est l’état d’esprit d’un autiste, mais, en miroir, de ce qu’est celui d’une personne « normale ». Un peu comme si tous les automatismes dont la vie quotidienne est tissée perdaient tout à coup leur fluidité.