Stéphane (Damien Bonnard) est flic. Il vient de rejoindre le commissariat de Montfermeil. Affecté à la Brigade anti-criminelle (BAC), il maraude avec deux co-équipiers, Chris (Alexis Manenti), un Blanc bas du front (avec ou sans majuscule), et Gwada (Djebril Didier Zonga), Ivoirien de la deuxième génération, grandi dans le quartier.
Les Misérables fait le buzz. En compétition officielle à Cannes en mai dernier, il rate de peu la Palme d’Or et reçoit le Prix du jury. Il représentera la France aux prochains Oscars.
Son affiche, son prologue (une foule bigarrée célébrant aux accents de La Marseillaise la victoire de la France au Mondial de football de juillet 2018), son titre aux accents hugoliens – contrairement à ce qui est dit dans le film, Victor Hugo n’a pas écrit Les Misérables à Montfermeil, mais y a situé l’auberge des Thénardier où Cosette a été élevée : on imagine une ode à l’intégration républicaine. On fait fausse route.
Les Misérables est l’œuvre de Ladj Ly, un réalisateur venu du documentaire qui a grandi dans les quartiers qu’il filme. Comme l’adolescent de son film (un rôle interprété par son propre fils), il avait dans sa jeunesse, la caméra vissée à l’œil, enregistré les exactions policières commises autour de lui. À partir de son expérience, il a réalisé Les Misérables, un court métrage de seize minutes avec le même trio d’acteurs, nommé aux Césars l’an passé. Il y racontait une journée dans la vie de la BAC de Montfermeil.
Son long métrage reprend la même trame. Unité de temps (si le scénario se déroule sur deux journées, il aurait pu tout aussi bien, et avec une efficacité accrue, se dérouler sur une seule), unité de lieu (la « banlieue » zone de non-droit), unité d’action (comment une bavure policière va mettre le feu aux poudres). La formule est efficace. Le scénario est rythmé. Les personnages sont bien campés.
Le réalisateur connaît son sujet. Et cela se voit. L’analyse qu’il fait des relations de pouvoir est particulièrement fine – et rejoint les conclusions des études sociologiques de Gilles Kepel (Banlieue de la République, Quatre-vingt-treize). Elles ne se réduisent pas à une guerre de tranchées entre les flics et les gangs. Les Misérables montre l’influence des Frères musulmans qui, au nom d’un Islam rigoriste, ont réussi à restaurer un ordre social que la police n’arrivait plus à faire respecter. Il documente leurs relations tendues avec la pègre qui contrôle les trafics de toutes sortes. Il en rajoute une couche avec l’arrivée d’un cirque yéniche dont la disparition d’un bébé lion met le feu aux poudres.
Comme La Haine en 1995, comme Divines en 2016, Les Misérables explique les motifs d’une violence sociale. Le malaise naît de ce qu’il la cautionne. Car Les Misérables n’est pas neutre. Certes, il faut lui reconnaître cette qualité, il ne caricature pas la police. Le trio de flics de la BAC à l’origine de la bavure qui enflamme la cité est équilibré : si Chris est un Blanc volontiers raciste, Gwada est, en raison de ses origines, tiraillé. Et Stéphane, plongé dès sa mutation au cœur de cette poudrière, essaie de garder le sang froid que ses coéquipiers ont depuis longtemps perdu.
Mais Les Misérables prend nettement le parti des jeunes de banlieue. Même si le plan final n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout de la logique du film, il est sans ambiguïté : la violence policière appelle en retour un déchainement de violence juvénile – qui touche tous les détenteurs d’autorité. Si jusque là, on avait volontiers suivi Ladj Ly, notre adhésion est stoppée net devant cette glorification à courte vue d’une loi du talion que rien ne saurait cautionner.
La bande-annonce