Douze mille ★☆☆☆

Frank (Arieh Worthalter) et Maroussia (Nadège Trebal) tirent le diable par la queue dans un appartement acheté en viager à une vieille dame qu’ils hébergent dans leur salon. Maroussia est assistante maternelle à domicile ; Frank trafique des pièces détachées à la casse jusqu’à ce que ses petites combines soient brutalement interrompues.
Frank doit quitter Maroussia pour aller gagner de l’argent. Il s’est fixé un objectif : 12.000 euros soit l’argent que gagne sa compagne en douze mois.

Film social ? Romance ? Comédie dansée ? Douze mille est un peu tout cela. C’est ce qui fait sa richesse ; mais ce qui, au final, scelle son échec.

Nadège Trebal, la réalisatrice, vient du documentaire. Ses deux précédents films, Bleu pétrole en 2012 et Casse en 2014 avaient été tournés à l’usine. Douze mille en porte la trace, dont l’essentiel de l’action se déroule dans le terminal portuaire où Frank est allé s’embaucher.
Mais il n’y a rien de triste dans l’odyssée prolétaire de Frank, loin de sa Pénélope. La réalisatrice a fait appel au chorégraphe Jean-Claude Gallotta pour mettre en mouvement les corps. Les chorégraphies sont très simples. Elles passeraient presque inaperçues. Elles introduisent un soupçon de féérie dans une histoire qui, sans elles, serait bien plate.
Douze mille est aussi une histoire d’amour lumineuse entre un homme et une femme. Nadège Trebal donne de sa personne en interprétant, sans fard, le personnage principal et en nous offrant une des scènes d’amour les plus authentiques qu’on ait vues depuis longtemps à l’écran.

Douze mille et 1917 sont sortis le même jour. Leurs titres se ressemblent. Mais la ressemblance s’arrête là. Et l’immense succès de l’un condamne l’autre à l’invisibilité.

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Swallow ★★☆☆

Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Hunter. Elle vit dans une belle maison auprès de son beau mari, accueillie à bras ouverts par ses beaux beaux-parents auxquels elle va bientôt donner un petit-enfant. Mais la grossesse de la jeune femme provoque chez elle des troubles obsessionnels du comportement. Hunter se met à avaler toutes sortes d’objets, dangereux et incomestibles : une bille, un clou, une pile…

La folie est un sujet très cinématographique. Les plus grands s’y sont frottés : Polanski (Rosemary’s baby, Repulsion), Cronenberg (Le festin nu, Spider), Cassavetes (Une femme sous influence, Faces), Aronofsky (Requiem for a dream)…

Le réalisateur Carlo Mirabella-Davis raconte s’être inspiré de l’histoire de sa grand-mère, une femme au foyer dans l’Amérique patriarcale des années cinquante, internée en asile psychiatrique pour soigner les TOCs causés par une vie sans joie. Reconnaissant que « filmer un personnage qui se lave les mains n’est pas très cinématographique », il a infligé à son héroïne une maladie peu commune : le syndrome de Pica et l’ingestion compulsive d’objets divers. L’effet est radical. On déconseille vivement Swallow à l’heure du repas et/ou aux amateurs de popcorn tant l’ingestion par Haley Bennett d’objets de plus en plus dangereux provoque des haut-le-cœur.

Les deux premiers tiers du film sont particulièrement réussis qui ne franchissent quasiment pas les portes de la prison dorée de Hunter et de son bellâtre de mari, dont la beauté n’a d’égale que l’absence glaçante de sensualité. Au bout d’une heure on étouffe des objets ingérés comme de l’atmosphère oppressante qui y règne. On a envie de s’enfuir. Le réalisateur avait le choix de nous enfoncer la tête une demie heure de plus dans ce cauchemar ou de nous autoriser une échappée belle.

C’est malheureusement pour le second parti qu’il opte. Une cure psychanalytique permet à Hunter de mettre des mots sur son mal. Ce dévoilement mélodramatique – et assez bateau – la conduira à des choix radicaux dont on ne révèlera rien sans se faire accuser d’être un infâme spoiler. C’est dommage car il y avait encore beaucoup à dire de ces dix dernières minutes, de ces retournements et de ce plan final, interminable, glaçant et paradoxalement énergisant.

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Système K ★☆☆☆

Dans les rues de Kinshasa, la trépidante capitale de la république démocratique du Congo (RDC), quelques performeurs créent. Freddy Tsimba érige sur une place de Matonge une « maison de machettes » que la police a tôt fait de venir détruire. Le métis Béni Barras, qui désespère d’obtenir la nationalité belge, passe ses journées dans un squat à sculpter du plastique fondu. Géraldine Tobe peint des toiles cauchemardesques à la suie. Le performeur Majestikos traverse Kinshasa dans une baignoire remplie de sang. Les Kongo Astronauts déambulent dans des combinaisons spatiales fabriquées à partir de matériaux de récupération.

Il y a quelques années on voyait sur la chaîne Planète Afrik’art, une émission culturelle consacrée à la création contemporaine en Afrique. Perésentée par Elizabeth Tchoungi, ce magazine reposait sur un principe simple : nous présenter chaque mois les créations de cinq ou six artistes d’une ville  d’Afrique différente.

Système K – K comme Kinshasa, on l’aura compris – repose sur le même principe. C’est ce qui en fait la principale limite. Il s’agit de découvrir une dizaine d’artistes congolais à Kinshasa et de les suivre dans leur processus créatif.

Ce qui frappe, ce n’est pas seulement la radicalité de ces jeunes artistes, c’est l’incroyable anarchie qui existe dans les rues défoncées et encombrées de la capitale congolaise. Renaud Barret y a posé sa caméra depuis près de vingt ans et y a réalisé plusieurs documentaires. En 2010, c’est le succès surprise de Benda Bilili !, un documentaire sur un orchestre de musiciens handicapés. Le photographe parisien a été happé par la formidable énergie de cette ville tentaculaire. « Chaos permanent », « anarchitecture », « désurbanisme », « darwinisme social absolu », Renaud Barret trouve les mots, ou les invente, pour décrire, dans les interviews qu’il a donnés à l’occasion de la sortie de Système K, cette ville électrique.

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Selfie ★★☆☆

« De l’influence du numérique sur le comportement des honnêtes gens » en cinq histoires.
Stéphanie (Blanche Gardin) et Fred (Maxence Tual) se désespèrent de voir l’audience de leur vlog péricliter après la rémission de leur fils cancéreux.
Une enseignante romantique, allergique aux nouvelles technologies (Elsa Zylberstein) rencontre un youTubeur à succès (Max Boublil).
Florian (Finnegan Oldfield) cherche l’âme sœur sur des applications de rencontres.
Romain (Manu Payet) se demande pourquoi il reçoit des publicités ciblées pour le Viagra.
Tout ce petit monde se retrouve sur une île atlantique sans réseau pour célébrer un mariage.

J’allais voir Selfie avec des semelles de plomb.
Les premières critiques étaient mitigées
Le film à sketchs n’est plus à la mode depuis l’âge d’or de la comédie italienne – à la flamboyante exception, il est vrai, des Nouveaux sauvages, mon film préféré de l’année 2015.
Et, sur l’impact des nouvelles technologies sur les sociétés contemporaines, tout a été dit par la formidable série Black Mirror dont il y avait fort à craindre que ce franchouillard Selfie soit l’avatar pas drôle.

Pourtant Selfie n’est pas aussi mauvais que je l’avais craint.
D’abord parce qu’une savante construction qui enchâsse les histoires et leurs personnages (la délicieuse Fanny Sydney apparaît dans trois épisodes) évite le paresseux enchaînement de cinq mini-films que ma présentation supra laissait augurer.
Ensuite, on y rit volontiers notamment avec Elsa Zylberstein (qui est à l’affiche de deux sorties cette semaine), peut-être parce qu’elle nous ressemble un peu dans le rôle d’une quadragénaire que les fautes d’orthographe et les facilités de langage sur les réseaux sociaux horripilent.
Mais surtout parce que Selfie touche souvent juste, qui se moque gentiment des travers dans lesquels Internet, Twitter, Snapchat et Meetic nous ont fait tomber.

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1917 ★★★★

Avril 1917. La guerre fait rage. Dans le Pas de Calais, les forces britanniques se sont terrées dans les tranchées face aux forces allemandes.
Deux soldats britanniques sont mandatés à travers les lignes ennemies pour aller de toute urgence délivrer un message à un bataillon dont l’engagement pourrait lui être fatal.

Sam Mendes fait fort. Après American Beauty, Les Noces rebelles, Skyfall, le réalisateur britannique signe son film le plus personnel tiré, dit-il des souvenirs distillés par son grand-père paternel, caporal dans l’armée britannique pendant la Première Guerre mondiale.

Il le fait dans une forme intimidante, qui force le respect : l’unique plan séquence. C’est le Graal des réalisateurs qui répond tout à la fois à un défi technique et scénaristique. Le défi technique, on le conçoit aisément, rendu plus facile à surmonter avec la miniaturisation des caméras. Le défi scénaristique consiste à raconter en temps réel une histoire.
Les encyclopédies de cinéma listent les plans séquences les plus célèbres : la première scène de La Soif du mal de Orson Welles ou de Snake Eyes de Brian de Palma. Les revues de cinéma essaient d’en faire le hit parade, celui des Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron étant souvent cité parmi les plus époustouflants. Et puis, évidemment, il y a La Corde de Hitchcock, tourné en huis clos donnant l’impression d’un unique plan séquence (en fait, à l’époque, les bobines ne permettaient pas de tourner pendant plus de dix minutes et La Corde est constitué de dix séquences).

On voit récemment se multiplier, avec plus ou moins de bonheur, ce genre d’exercices. Victoria en 2015 suivait son héroïne dans les rues de Berlin. Utøya, 22 juillet l’an dernier racontait en temps réel la tuerie d’Utøya en Norvège du point de vue d’une jeune fille pourchassée par Anders Breivik.

La prouesse technique est en elle-même bluffante. Mais elle serait vaine si elle ne servait pas une cause. L’idée est de nous plonger dans la furie de la guerre, de nous faire sentir jusqu’à l’épuisement l’exténuation de deux soldats confrontés à une tâche titanesque : risquer leur vie, traverser l’enfer, vaincre la peur et la souffrance pour accomplir leur mission.

Le pari est réussi. On sort de la salle lessivé, après deux heures passées les ongles plantés dans l’accoudoir à retenir son souffle. Comme à la lecture des premières pages du roman de Pierre Lemaître Au revoir là-haut, on aura vécu organiquement le bruit et la fureur, le sang et la merde, la sueur et les larmes. Chapeau l’artiste.

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L’Adieu ★☆☆☆

Lorsqu’on diagnostique à Nai Nai un cancer du poumon en phase terminale, la conspiration du silence fait interdiction aux membres de sa famille de révéler à la patriarche la vérité. Bili, sa petite fille, qui vit aux États-Unis avec ses parents est effondrée par cette nouvelle et révoltée par ce mensonge. L’organisation opportune du mariage d’un cousin va lui permettre de revenir une dernière fois auprès de sa grand-mère adorée.

L’Adieu est sorti aux États-Unis l’été dernier. Tourné avec un budget de trois millions de dollars, il en a raflé vingt au box-office. Son actrice principale, la rappeuse Awkwafina a remporté le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie, le premier décerné à une actrice asiatique.

Le succès public et critique de L’Adieu tient à la combinaison de deux facteurs. Le premier est son sujet, lacrymal à souhait : la maladie d’une grand-mère entourée de l’affection de sa famille. La seconde est son public-cible : la communauté sino-américaine tiraillée entre sa fidélité à ses origines et son expatriation loin de l’Empire du milieu. Après le succès de Crazy Rich Asians et de la série Fresh Off the Boat – qui raconte la vie d’une famille taïwanaise en Floride – L’Adieu exploite un filon prometteur. On pariera sans grand risque que les années à venir verront se multiplier ce genre de films et d’histoires, à cheval sur les deux rives du Pacifique.

Nous, Européens, risquons de nous sentir très loin des personnages de L’Adieu. Un cinéphile sur Twitter évoquait « l’impression désagréable de regarder une fête de famille à laquelle on n’a pas été invité ». Ce serait en vérité faire à L’Adieu un mauvais procès. la douleur ressentie à l’annonce de la maladie fatale d’un être aimé, l’hésitation à lui en révéler l’ampleur ou à lui laisser le bénéfice de l’ignorance, le besoin de lui consacrer le plus de temps et d’amour avant l’issue fatale sont des sentiments universels propres à émouvoir sous toutes les latitudes.

Le problème est plutôt la pauvreté de ce seul ressort, sur lequel le film repose tout entier. C’était d’ailleurs un peu aussi le défaut rédhibitoire de Crazy Rich Asians : être construit tout entier autour d’une seule idée, sans nuances ni bifurcations. Crazy Rich Asians mettait en scène des « Chinois pétés de thune » ; L’Adieu a pour héroïne une petite-fille dévastée par l’annonce de la mort prochaine de sa grand-mère. Point. C’est touchant. Mais c’est peu. Le jury des Oscars ne s’y est pas trompé qui n’a nommé L’Adieu dans aucune de ses catégories.

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Les Siffleurs ★★☆☆

Cristi (Vlad Ivanov, acteur fétiche de Cristian Mungiu) est un flic ripou en cheville avec la mafia. Gilda (Catrinel Marlon fémininement fatale) lui demande de faire évader Zsolt (Sabin Tembrea révélé par la mini-série allemande Berlin 56) qui cache trente millions d’euros tirés du blanchiment du trafic de drogue. Pour ce faire, il est dépêché aux Canaries sur l’île de La Gomera (qui donne son nom au titre original du film) pour y apprendre le Silbo, une langue sifflée avec laquelle il communiquera le jour de l’évasion de Zsolt.

Projeté à Cannes en compétition officielle, précédé d’une critique élogieuse, Les Siffleurs ne cache pas ses références au film noir américain : Gilda, Psychose… Mais il déçoit pour trois raisons.

Il sent un peu trop l’exercice appliqué du bon élève. Corneliu Porumboiu fait partie de la « Nouvelle Vague » roumaine, aux côtés de Cristian Mungui (Baccalauréat), d’Adrian Sitaru (Illégitime) ou de Cristi Puiu (Sieranevada). Ce mouvement de jeunes cinéastes dénonce avec un réalisme rêche les impasses morales de la société roumaine post-communiste. Les précédents films de Porumboiu s’inscrivaient dans cette filiation (Le Trésor, Football infini) dont il s’éloigne radicalement. Certes, le cinéma roumain n’est pas condamné aux avortements clandestins ou aux prêtres incestueux ; mais on voit la pertinence de ce Gilda transcarpathe que nous propose Les Siffleurs.

Deuxième défaut. Le Silbo. Corneliu Porumboui raconte avoir vu en France avec sa femme un reportage sur cette langue sifflée. Moi aussi, je regarde souvent à la télé des reportages fascinants. Je n’en fais pas pour autant un film. Mis à part l’exotisme de carte postale que le détour par les Canaries insuffle au récit, on voit mal ce que l’utilisation de cet artifice lui apporte.

Troisième et dernier défaut. Le plus grave. Si on se laisse souvent emporter par les films d’arnaque, par leurs personnages archétypaux (et ici, il faut être stylite pour ne pas s’enflammer pour Catrinel Marlon), par leurs tiroirs, c’est à condition d’en comprendre les rebondissements. Ici, hélas, je me suis perdu – je n’ai pas compris le double jeu de Magda. La faute à mon manque de concentration ou à un scénario illisible ? Toujours est-il que j’ai décroché durant la seconde moitié du film jusqu’à un épilogue, il est vrai d’un romantisme inoubliable, malgré son absence de crédibilité.

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Merveilles à Montfermeil ☆☆☆☆

Montfermeil vient de se donner un nouveau maire (Emmanuelle Béart). L’édile déborde d’idées étonnantes pour changer la vie des Montfermeillois : instaurer une sieste obligatoire, décréter une journée du kilt et du sarouel, fonder une Ecole internationale de langues pour y apprendre le soninké, le kurde et le tamoul. Autour d’elle toute l’équipe municipale se mobilise.

Sur le papier, le second film de Jeanne Balibar (son premier, Par exemple, Électre, tourné en 2012, racontait déjà une aventure collective gentiment surréaliste et avait été boudé par la critique et par le public) avait tout pour séduire : une comédie politique, un ton décalé, un casting de choc… On espérait trouver à ces Merveilles le même plaisir que celui pris récemment à Notre dame.
Mais force est de constater, avec la critique qui s’en est donnée à cœur joie, un fiasco quasi complet. « En abusant de l’absurde, ce film totalement décousu nous perd en route écrit Catherine Balle dans Le Parisien. Eric Neuhoff, qui n’est plus à une méchanceté près, estime dans Le Figaro que « le film est si mauvais qu’il a une chance d’accéder au statut de nanar culte ». Mais c’est Xavier Leherpeur qui porte la banderille la plus affutée dans L’Obs : « Au cinéma, le bordel requiert de la rigueur et Jeanne Balibar en manque ».

Le reproche est cinglant pour une artiste aussi talentueuse, récemment auréolée du César de la meilleure actrice pour son interprétation dans Barbara. Mais il est fondé. Le défaut de ces Merveilles est de partir dans tous les sens. Film politique ? Satire sociale ? Comédie du remariage ? Merveilles à Montfermeil est un peu de tout cela sans qu’on comprenne vraiment ce qu’il est.

Emmanuelle Béart, qu’on n’avait plus vue sur les écrans depuis des lustres et dont il est de bon ton de critiquer les opérations esthétiques ratées, s’en sort plutôt bien dans la première moitié du film avant de disparaître de la seconde. Jeanne Balibar herself et Ramzy Bédia sont censés jouer un couple en plein divorce auquel on ne croit pas une seconde. Le jeune Anthony Bajon (La Prière, Au nom de la terre) écrit des lettres anonymes en compagnie de Bulle Ogier. Le premier mari de Jeanne Balibar, Matthieu Amalric, recherche des locataires évincés ; le deuxième, Philippe Katerine, joue le rôle d’un préfet aux champs. Un rabbin noir arpente les rues de la vie pour prodiguer des conseils aux couples en crise.

Jeanne Balibar, on le savait déjà, n’aime pas Emmanuel Macron. Elle s’est taillée un petit succès en le traitant de « schlag » mardi soir sur le plateau de Canal +. Personne ne lui en conteste le droit. Mais faire écraser par ses personnages des œufs sur l’effigie présidentielle durant une « fête de la brioche » n’est ni drôle ni intelligent.

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Nina Wu ★★☆☆

Nina a quitté depuis plusieurs années sa ville d’origine, sa famille, sa fiancée pour s’installer à Taipei et y faire l’actrice. Mais la célébrité tarde à venir : elle n’a guère tourné que dans quelques courts métrages et quelques publicités. Aussi, quand son agent lui propose le casting du rôle titre d’un film à grand budget, Nina n’hésite pas, même si le tournage s’annonce exigeant.

Nina Wu est un film spirale qui s’enroule autour d’un événement traumatisant qui ne sera révélé qu’à son tout dernier plan. En parler n’est pas simple car ce qui fait son intérêt est précisément l’attente de sa révélation et sa découverte sidérante. Aussi, cher lecteur qui hésitez à aller voir Nina Wu et ne voulez pas être privé de ce plaisir-là, interrompez ici votre lecture et venez l’achever après la séance.

Nina Wu est donc un film #MeToo qui sort en plein procès d’Harvey Weinstein et qui met en scène une actrice violée durant un casting par le producteur qui l’auditionne. Le viol se déroule dans la chambre 1408 d’un grand hôtel taipéien – Chambre 1408 étant précisément le titre d’un film d’horreur avec John Cusack et Samuel L. Jackson produit par Weinstein en 2007.
Il sera vite éclipsé par Scandale qui sort mercredi prochain en France, en lice pour l’Oscar du meilleur film, de la meilleure actrice (Charlize Theron) et du meilleur second rôle féminin (Margot Robbie), qui traite du même sujet.

Comment raconter un viol et le traumatisme qu’il provoque chez une actrice ? Midi Z opte pour un parti pris doublement réussi en en retardant la révélation. Il tisse un scénario complexe où se mêlent les flash-back et les cauchemars de Nina. Cette construction à laquelle on pourrait reprocher son inutile sophistication colle au contraire à l’état de confusion dans laquelle cette femme est plongée, qui essaie en vain de refouler un traumatisme qu’elle aimerait oublier.

À la différence de Scandale qui joue sur l’empathie avec les personnages, Midi Z et sa scénariste Wu Ke-Xi (qui interprète le rôle titre) ont peint une héroïne glacée et glaçante, une cousine asiatique des héroïnes des films de David Lynch. Nina est sur le fil du rasoir, manifestant une volonté de fer pour mener à terme un tournage éprouvant avec un réalisateur sadique et résistant de toutes ses forces à l’effet dévastateur d’un stress post-traumatique. Elle n’est pas « sympathique » et ne cherche pas à l’être, compliquant le processus d’identification qui attache le spectateur aux héros d’un film. Nina n’en reste pas moins un personnage perturbant dont les pulsions contradictoires ne s’effaceront pas de sitôt de nos mémoires.

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L’Art du mensonge ★☆☆☆

Roy Courtnay (Ian McKellen) est un arnaqueur professionnel. Quand il ne s’attaque pas à des investisseurs trop crédules, il jette son dévolu sur des veuves fortunées. Sa prochaine cible : Betty McLeish (Helen Mirren) qu’il vient de rencontrer sur Internet. Mais, comme l’annonce pachydermiquement l’affiche « un mensonge peut en cacher un autre » (c’est nettement plus subtil en VO : « Read Between the Lies »).

L’Art du mensonge appartient à un sous-genre bien particulier : le film d’arnaque « troisième âge », lui-même une sous-catégorie à la fois des films d’arnaque (L’Arnaque, La Couleur de l’argent, Engrenages, Les Neuf Reines, Insaisissables…) et des films pour les seniors (L’Échappée belle, Les Vieux Fourneaux, Indian Palace, Sans plus attendre…). Un sous-genre dont se sont fait une spécialité Morgan Freeman, Michael Caine et, précisément, Helen Mirren (Braquage à l’ancienne, Gentlemen Cambrioleurs, Red, Red 2…).

Ce sous-genre, avouons-le, n’inspire a priori guère confiance.

Pour autant, il faut bien admettre ne pas avoir boudé son plaisir devant la première heure de cet Art du mensonge. On y voit Ian McKellen tisser avec jubilation sa toile autour de Helen Mirren, l’amenant lentement, par une savante manoeuvre de séduction, à la convaincre de lui confier la gestion de son patrimoine. Mais surtout, on attend avec gourmandise – car on le sait depuis le commencement sans qu’on puisse crier au spoiler – le moment où le scénario se retournera et où on découvrira que le plus arnaqué des deux n’est pas celui qu’on croit.

La principale réussite de L’Art du mensonge est de retarder ce moment le plus longtemps possible, nous laissant nous creuser sans succès la tête pour identifier la faille par laquelle la candide veuve retournera contre le machiavélique séducteur ses tours.
Mais patatras ! Quand enfin les ressorts de l’intrigue se dévoilent, c’est la déception ! Car les motivations de l’héroïne, lourdement éclairées par d’interminables flashbacks, manquent à ce point de crédibilité que le plaisir pris à les deviner s’évapore dès qu’on nous les explique.

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