Tijuana Bible ★☆☆☆

À la frontière du Mexique et des Etats-Unis, Tijuana est une ville violente rongée par la prostitution et le trafic de drogue. Nick (Paul Anderson, l’aîné des frères Shelby dans la série Peaky Blinders), un vétéran d’Irak, traumatisé par la mort de ses frères d’armes, est venu s’y enterrer vivant. Sa route croise celle d’Ana (Adriana Paz), une jeune Mexicaine qui recherche son frère, et celle de Topo (Noé Hernadez) un chef de gang sans foi ni loi.

Le réalisateur Jean-Charles Hue trace un sillon original. Ses deux premiers films, La BM du Seigneur et Mange tes morts, suivaient les pas d’une famille yéniche dans le Nord de la France. Son troisième change radicalement d’horizon et nous amène en Amérique du Nord, dans un territoire anomique que le réalisateur connaît bien pour le fréquenter depuis douze ans.

Son ambition, on le sent, est de nous faire toucher du doigt la réalité de cette ville violente et âpre. Avec son chef opérateur, il capte des jeux de lumière d’une beauté bouleversante, reflets du parcours intérieur du héros qui traque la poésie dans la fange. Il est aidé par la prestation impressionnante de Paul Anderson, dont l’interprétation à fleur de peau dans Peaky Blinders avait révélé l’immensité du talent. Nul doute qu’on tient ici une « gueule » hors pair qui, si elle sait choisir ses rôles et si Hollywood sait lui en écrire, peut espérer une carrière à la Willem Dafoe ou à la Mickey Rourke.

Mais cette visée documentaire est contredite par l’objet du film. Jean-Charles Hue signe une fiction avec un scénario. Le problème est que ce scénario est bien faiblard, même si la quête quasi-policière du fils disparu aurait dû suffire à le tendre. Sans doute aurait-il mieux fait de sauter le pas et de consacrer à Tijuana le documentaire qu’il avait envie de réaliser.

La bande-annonce

The Climb ★★☆☆

The Climb raconte sur plusieurs années, à travers sept chapitres tournés en plans séquences, l’amitié chaotique de Mike et Kyle. Les deux hommes, la petite quarantaine, ont grandi ensemble, mais ne se ressemblent guère. Kyle, un peu rondouillard, est bon comme le pain ; Mike, plus sportif (le vélo est sa passion avant de devenir son métier) est plus dépressif.
Le film s’ouvre par leur ascension en vélo du col de Vence au cours de laquelle Mike annonce à Kyle qu’il a eu une liaison avec Ava, la femme que Kyle est sur le point d’épouser.

Voilà plus d’un an, depuis sa projection à Cannes en 2019 où il a reçu le Coup de cœur du jury de la section Un certain regard qu’on attendait la sortie en salles de The Climb. La bande-annonce a été largement diffusée en février pour une sortie annoncée le 25 mars. On connaît la suite de l’histoire : le confinement la repoussait de quatre mois au 29 juillet. Le film le plus attendu du mois (de mars) devenait le film le plus attendu du mois (de juillet)

On évoquait un nouveau Woody Allen, aussi caustique que brillamment dialogué. C’est peut-être parce que je suis allé le voir avec trop d’attente que j’en ai été déçu.

J’ai trouvé The Climb bien prétentieux dans sa mise en scène. On a l’impression que le plan séquence est devenu depuis quelques années le Graal de réalisateurs en mal de reconnaissance. Ils y sont encouragés par des critiques et des spectateurs qui s’ébaubissent devant leur complexité. Autant son recours se justifie pour faire revivre en temps réel l’hystérie haletante de la survie dans les tranchées (1917 de Sam Mendes), autant on voit mal son intérêt pour raconter l’amitié entre deux Américains moyens.

Et surtout, je n’ai pas trouvé The Climb très convaincant dans l’histoire qu’il raconte.
Quel en est le sujet ? L’amitié. Quelle en est la morale ? L’amitié résiste à tout, même aux trahisons les plus radicales. Car l’amitié de Mike et Kyle va traverser bien des tempêtes. Je ne les raconterai pas pour ne pas en éventer les rebondissements – passablement crédibles. Mais j’avouerai que cette accumulation un peu répétitive de saynètes sur le même thème – la complicité oblative qui unit deux amis les oblige à une franchise destructrice – ne m’a pas conquis.

La bande-annonce

Hotel by the river ☆☆☆☆

Unité de temps, unité de lieu. Toute « l’action » de Hotel by the River se déroule, comme son titre l’annonce, dans un hôtel au bord d’une rivière glacée, en l’espace de vingt-quatre heures.
Un vieil homme y réside. C’est un poète au crépuscule de sa vie qui a été invité par le propriétaire de l’hôtel. Ses deux fils le rejoignent, qui ne cessent de se chamailler, pour passer une journée avec lui. Dans une chambre voisine, une femme seule tente de se remettre d’une récente rupture amoureuse. Une amie est venue l’épauler.

Hong Sangsoo tourne deux ou trois films par an. Celui-ci, sorti l’été dernier en France, a été bouclé en quinze jours, durant l’hiver 2018 et il vient s’ajouter à la liste déjà longue de ceux que j’ai chroniqués ici et que je continuerai à chroniquer.

Car, ma foi, comme on lit les romans de Modiano, on va voir les films de Hong Sangsoo. On va les voir parce qu’ils sont toujours précédés d’une critique élogieuse. On va les voir parce que Hong Sangsoo fait figure d’immense réalisateur coréen. Et enfin on va les voir parce qu’ils ne sont pas bien longs et que, s’ils ne nous plaisent pas, on les aura vite terminés.

Le problème est qu’on a parfois l’impression que Hong Sangsoo se fiche un peu du monde. Sans doute son noir et blanc est-il d’une grande élégance et la silhouette de ces femmes longilignes dans leur grand manteau noir sur la rivière gelée est-elle d’une infinie poésie. Sans doute aussi, la maturité approchant, Hong Sangsoo s’éloigne-t-il de ces sujets de prédilection et signe-t-il pour la première fois une réflexion sur la mort. Mais, ce film qui ne prend même pas la peine de s’éloigner de l’hôtel où ces cinq acteurs et son équipe technique étaient probablement installés, filmant à tour de rôle ses chambres sans attrait, son hall d’entrée, sa terrasse et le restaurant qui le jouxte, n’en donne pas moins l’impression d’avoir été bouclé à la va-vite histoire de tenir le rythme stakhanoviste que ce réalisateur trop prolifique s’est imposé.

La bande-annonce

Le Bon Grain et l’Ivraie ★☆☆☆

Pendant un an, à Annecy et dans ses environs, la réalisatrice Manuela Frésil, déjà remarquée pour le documentaire qu’elle avait consacré en 2013 aux conditions de travail dans un abattoir industriel (Entrée du personnel), a suivi des familles de demandeurs d’asile kosovars. Elle s’est surtout attachée à leurs enfants, à leurs joies, à leurs peines.

Filmer à hauteur d’enfants la terrible condition des demandeurs d’asile. Il suffit de regarder la bande-annonce de ce documentaire, d’y voir des angelots blondinets, grelottants de froid, obligés à dormir à la rue quand ils ne sont pas transbahutés d’un lieu d’accueil à un autre, dont le moins qu’on puisse en dire est que le confort n’y est pas excessif, pour avoir le cœur qui se brise et pour prendre fait et cause pour eux et contre les lois iniques qui leur imposent cette situation.

Un instant de raison devrait toutefois nous inciter à plus de lucidité et à prendre le recul que le documentaire ne nous permet pas. Sans doute, entend-on en voix off les témoignages, déchirants, que des demandeurs d’asiles kosovars produisent devant l’Ofpra (l’établissement public qui instruit les demandes d’asile) ou devant la CNDA (la juridiction administrative spécialisée qui connaît des requêtes dirigées contre les refus de titres d’asile par l’Ofpra) : les demandeurs y semblent de bonne foi, qui invoquent les persécutions qu’ils ont subies dans leur pays en raison notamment d’unions mixtes mal tolérées ou de vendettas. Ces témoignages sont scrutés à la loupe par les agents qui les reçoivent et qui en apprécient le sérieux. Les demandeurs kosovars sont souvent hélas des réfugiés économiques (le Kosovo est le pays le plus pauvre d’Europe avec un taux de chômage estimé à 30 %) qui ne remplissent pas les critères leur permettant de bénéficier de l’asile en France.

Au-delà du débat passionnant qu’il soulève sur la situation des demandeurs d’asile en France, Le Bon Grain et l’Ivraie ne brille pas par ses qualités cinématographiques. Un jour ça ira, qui sur un mode similaire, suivait les enfants des locataires de L’Archipel, un centre d’hébergement d’urgence à Paris, souffrait déjà des mêmes défauts. Étaient autrement convaincants les documentaires sur l’accueil en Cada (Les Arrivants, 2008) et sur l’apprentissage du français à des jeunes étrangers (La Cour de Babel, 2013).

La bande-annonce

Une vie secrète ★★☆☆

Républicain espagnol, membre du conseil municipal de sa petite ville d’Andalousie, Higinio (Antonio de la Torre) échappe de justesse à la mort qui fauche ses camarades lorsque les troupes franquistes prennent le pouvoir en 1936. Il n’a d’autre solution que de se cacher dans un trou sous sa maison avec la complicité de sa jeune épouse Rosa (Belén Cuesta). Higinio devient un topo, une taupe condamnée à vivre cloîtré dans ses propres murs par le franquisme qui s’installe durablement et par la sanction qui le frapperait s’il tentait de quitter sa cachette.

Le franquisme constitue décidément en Espagne un « passé qui ne passe pas ». Après Lettre à Franco, sorti en France en février, voici Une vie secrète, qui a joué de malchance dans sa programmation (sa sortie prévue en mai, repoussée à cause du premier confinement, a été finalement fixée au 28 octobre, deux jours avant le second).

Le film a connu un grand succès en Espagne l’année dernière. Nommé quatorze fois aux Goyas, l’équivalent des Césars, il s’y est fait voler la vedette par le dernier Almodovar et n’y a raflé que deux statuettes, celle de la meilleure actrice pour Belén Cuesta et celle, amplement méritée, du meilleur son. Antonio de la Torre aurait largement mérité le Goya du meilleur acteur ; mais il l’avait déjà obtenu l’année précédente pour son interprétation dans El Reino.

Une vie secrète a une qualité rare : celle de nous faire ressentir la durée du temps qui passe. La leçon est précieuse en ces temps de confinement. Qui s’est plaint d’avoir été privé de ses libertés réalisera le ridicule de ses récriminations après avoir pris conscience de l’épreuve que vécurent les topos espagnols pendant leurs dizaines d’années d’emprisonnement.

La caméra ne quitte quasiment jamais l’espace clos de la maison dont Higinio ne peut sortir. Le monde qui vit, le temps qui passe sont considérés de son point de vue, à travers le trou minuscule qu’il s’est ménagé dans un mur de sa cellule et grâce aux journaux, à la radio et à la télévision qui apparaît dans les années soixante. Le danger est à l’extérieur : être vu, être entendu. Mais il est aussi à l’intérieur dans l’ennui qui sourd et dans la discorde qui guette entre les deux époux. Là encore, qui aura vécu en 2020 des moments plus ou moins tendus avec son conjoint ou ses enfants durant le confinement comprendra sans peine ce qu’ont pu traverser Rosa et Higinio.

Son excessive durée est souvent reprochée à Une vie secrète. C’est vrai que le film dure 2h27. Mais, il n’en fallait pas moins justement pour faire ressentir l’incroyable longueur de cette épreuve hors normes.

La bande-annonce

Sous les étoiles de Paris ☆☆☆☆

Christine (Catherine Frot) est une clocharde sans âge qui vit dans un local d’entretien de la Ville de Paris, coincé entre la Seine et les quais du RER C, à une encablure de Notre-Dame – dont la flèche, à l’époque du tournage n’avait pas encore brûlé. Un beau soir frappe à sa sorte Suli (Mahamadou Yaffa), un petit émigré malien qui ne parle pas un mot de français. L’enfant recherche sa mère sous le coup d’une mesure d’expulsion imminente. Rompant avec la solitude de son existence, Christine va l’aider dans sa quête.

Claus Drexel est le réalisateur d’un documentaire poignant sur la vie des SDF à Paris. Sorti début 2014, Au bord du monde m’avait durablement marqué. C’est donc sur la seule foi du nom de son réalisateur que je suis allé voir Sous les étoiles de Paris – avant le confinement qui, deux jours après sa sortie, tuera dans l’œuf les espoirs de recettes du film – en en espérant une suite plus au moins fictionnelle de Au bout du monde.

Bien mal m’en prit. J’aurais dû regarder la bande-annonce pour comprendre la sauce trop indigeste à laquelle cette suite allait être cuisinée. Loin de la comédie dramatique façon Une époque formidable avec Gérard Jugnot, loin du délire burlesque d’un Bernie avec Albert Dupontel, loin du film chorale façon Vernon Subutex avec Romain Duris, Sous les étoiles de Paris se veut un conte de fées avec une vieille sorcière, moins acariâtre qu’il n’y paraît, et un petit prince.

Les contes de fées sont parfois réussis. Notre dame de Valérie Donzelli en était un à sa façon, urbaine et contemporaine. Le problème du film de Claus Drexel est qu’il échoue sur toute la ligne. Il croule sous le poids mièvre de ses bonnes intentions. Il ne nous surprend à aucun moment. Son scénario paresseux n’est pas crédible. Ses seuls bons moments sont les plans sans paroles que Drexel filme des sans-abris parisiens et de leurs misérables conditions d’existence.

Sous les étoiles du monde est affligé par un handicap supplémentaire : Catherine Frot que j’apprécie aussi peu qu’Isabelle Huppert. Certes on la voit moins souvent que sa consœur. Mais chacune de ses apparitions suscite chez moi une réaction épidermique : sa bouche pincée, sa diction ampoulée, sa voix, tout m’irrite chez elle. J’ai honte d’une réaction aussi irrationnelle qui aurait dû me faire éviter ce film dont elle tient la tête d’affiche et où elle est de chaque plan.

La bande-annonce

Garçon chiffon ★☆☆☆

Tout va de travers dans la vie de Jérémie (Nicolas Maury) : son père vient de se suicider, son couple bat de l’aile, sa carrière ne décolle pas. Pour panser/penser ses plaies, Jérémie prend le train pour retrouver sa mère.

Après Patrick Chéreau et son célèbre film chorale (Ceux qui m’aiment prendront le train), après Un village français, la série à succès de France 3, après Sébastien Lifshitz et ses deux Adolescentes, le Limousin a décidément la côte. C’est la France moyenne, de l’Occupation à nos jours, loin des centre villes trépidants et des banlieues en feu, la France de nos racines, celle de nos parents, ni pauvre, ni riche.

Cette semaine, amputée par le reconfinement, deux films tiennent – ou plutôt tenaient – le haut de l’affiche : ADN et Garçon Chiffon. On a beaucoup parlé du premier – sans doute en partie à cause des interviews sulfureuses de sa réalisatrice – en critiquant ou en excusant son nombrilisme. On aurait pu faire le même procès au second, passé hélas sous les radars.

Comme Maïwenn pour ADN, Nicolas Maury est le réalisateur, le co-scénariste et l’acteur principal de son film. C’est beaucoup. C’est sans doute trop.

Dans ADN, Maïwenn se filmait au milieu d’un groupe où elle réussissait, avec un talent rare, à faire naître des moments de pure émotion, rires ou larmes. Nicolas Maury n’a pas ce don. Il ne se filme pas au milieu des autres, mais dans des face-à-face successifs : avec un producteur qui refuse de l’engager (Jean-Marc Barr vieillissant), avec son agent qui essaie de le convaincre de son talent (Laurent Capelluto, l’acteur dans un second rôle dont on ne sait jamais le nom), avec une réalisatrice en pleine hystérie (Laure Calamy décidément excellente dans tous les registres), avec son amoureux (Arnaud Valois plus caliente que jamais). Et bien sûr avec sa maman : une Nathalie Baye parfaite dans le rôle de la mère inconditionnellement aimante qu’on a tous rêvé d’avoir ou qu’on a eu la chance d’avoir eue.

J’ai écrit hier que, selon qu’on trouvera Maïwenn bouleversante ou horripilante, on adorera ou on détestera ADN. Je pourrais écrire la même chose ce matin de Nicolas Maury et de son Garçon Chiffon. Avec sa voix haut perché, sa démarche hésitante, l’acteur révélé par son rôle d’assistant maladroit dans Dix pour cent assume sans rougir une homosexualité de grande folle que personne, Dieu merci, n’irait plus lui reprocher de nos jours. C’est moins cette outrance qui m’a gêné que la complaisance de Nicolas Maury à analyser ses tourments intérieurs dans un (trop) long ego-trip narcissique. Il m’a moins donné envie de le prendre dans mes bras pour le câliner que de lui filer deux baffes pour le secouer.

La bande-annonce

ADN ★★★☆

Emir va mourir. Emir meurt. Cet Algérien, émigré en France a eu une vie bien remplie, du côté des immigrés et des plus faibles, et une descendance nombreuse. Toute sa famille l’entoure à l’heure de sa mort : ses deux filles (Fanny Ardant, Caroline Chanollieau), ses petits-enfants (Maïwenn, Marine Vacth toujours aussi parfaite, Dylan Robert qui n’a rien perdu de sa tchatche depuis Shéhérazade, Florent Lacger, Henri-Noël Tabary…). L’organisation de ses funérailles la voit se déchirer autour de choix futiles – le modèle du cercueil, le choix du capiton – qui cachent des fêlures plus profondes. La mort de son grand-père cause à Neige (Maïwenn) un profond traumatisme. Elle la pousse à partir à la découverte de ses racines algériennes.

Selon qu’on trouvera Maïwenn bouleversante ou horripilante, on adorera ou on détestera ADN. Ce film dont elle est la réalisatrice, la co-scénariste, l’actrice principale gravite autour d’elle et lui est tout entier voué. Elle a raconté, à longueur d’interviews , qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une auto-fiction. Elle n’en a pas moins tiré l’inspiration d’une vie familiale cabossée, entre une mère franco-algérienne possessive et un père franco-vietnamien absent (interprété ici avec une perfidie sadique par l’immense metteur en scène Alain Françon), qui avait déjà largement nourri ses précédents films, tout aussi impudiques : Pardonnez-moi (2006), Le Bal des actrices (2009), Polisse (2011), Mon roi (2015).

Maïwenn fait son Angot ? Oui. Mais elle le fait avec plus de talent et plus de grâce que la hargneuse romancière. Elle a le don pour filmer les groupes et y capter des instants magiques parfois involontaires. Aidé par un Louis Garrel irrésistible dans le rôle d’un ex bout-en-train, elle nous arrache des éclats de rire inattendus, comme dans ces funérailles où Caroline Chanollieau fredonne les paroles d’une chanson pop déplacée. Elle sait aussi nous faire monter les larmes aux yeux dans ce face-à-face terrible entre sa mère, jouée par une Fanny Ardant dont l’hystérie trouve enfin à s’exprimer sans paraître surjouée, et elle au funérarium du Père-Lachaise.

ADN souffre, c’est vrai, d’un problème de construction. Toute sa première partie, qui dure plus d’une heure, gravite autour d’Emir, ses derniers jours dans un EHPAD filmé sur un mode quasi-documentaire, avec ses vieux qui gagattent et ses familles qui essaient en vain de s’excuser de les y avoir parqués, puis avec son incinération et les préparatifs chaotiques qui l’ont précédée. La seconde partie du film est plus courte et se recentre sur Neige. Le film chorale devient un film solitaire. On adhère moins à cette introspection nombriliste dont on pressent l’issue, dans les rues ensoleillées d’Alger en plein Hirak.

ADN ne m’a pas emporté comme Mon roi l’avait fait : un film passionné, excessif, irrésistible, parmi mes tout préférés de l’année 2016. ADN est plus sage. Il n’en est pas moins touchant.

La bande-annonce

City Hall ★★★☆

Documentaire de 4h30, City Hall décrit au jour le jour le fonctionnement de la municipalité de Boston, dirigée par un maire démocrate.

Le match est plié depuis belle lurette : Frederick Wiseman est le plus grand documentariste contemporain. Mais, à quatre vingt dix ans passés, ce natif de Boston joue les prolongations et revient dans sa ville natale pour nous en présenter le fonctionnement modèle, à mille lieux du Midwest trumpiste où il avait planté sa caméra dans son précédent documentaire, Monrovia, Indiana.

Le vieux documentariste poursuit inlassablement sa radioscopie des institutions américaines. Après la prison (Titicut Follies), le musée (National Gallery), l’université (At Berkeley), la bibliothèque publique (Ex Libris), il décrit un objet plus large, plus transversal : une municipalité. Il ne s’agit pas de raconter une ville dans son ensemble, mais, une fois encore, le fonctionnement d’une institution bien précise, dans ses multiples facettes, dans sa triviale quotidienneté.

Le documentaire, d’une durée hors normes, voit se succéder quarante-cinq séquences, plus ou moins longues. Dans un montage dont on peut interroger le sens (y a-t-il une progression ? un début ? une fin ?), chaque service de la municipalité a droit à son coup de projecteur : le relèvement des ordures, les Parcs & jardins, la Commission handicap, les Archives, etc. Chaque événement qui scande la vie municipale est lui aussi scrupuleusement archivé : un mariage gay, le 11-novembre, la parade organisée en l’honneur des Red Soxs au lendemain de leur onzième victoire aux World Series

Frederick Wiseman nous a habitués à ses formats hors normes : Ex Libris et In Jackson Heights duraient plus de trois heures, At Berkeley en durait plus de quatre…. mais il bat ici son record avec un documentaire de deux cent soixante-douze minutes. Une telle durée peut sembler inhumaine et l’idée a sans doute traversé l’esprit des producteurs de couper ce documentaire en deux. Mais, à condition de s’y être mentalement préparé – et d’avoir une vessie en sachet Cora – on se laisse happer par ce voyage et son rythme métronomique : des séquences de cinq-six minutes entre lesquelles s’intercalent quelques plans fixes de Boston s’enfonçant dans l’hiver.

City Hall est un hymne à la démocratie locale. Une démocratie locale participative, fraternelle, plurielle, incarnée par le maire de Boston, Martin Walsh. Jamais Frederick Wiseman ne s’était à ce point intéressé à un seul personnage – qu’on voit dans un bon tiers des séquences. Il faut dire que le personnage semble tout droit sorti d’un film de Capra : descendant d’immigré irlandais, il a survécu à un cancer infantile qui l’a tenu quatre ans loin de l’école, avant de sombrer dans l’alcoolisme, l’âge adulte venu.

City Hall constitue sans doute le meilleur clip électoral jamais tourné. D’ailleurs, les esprits chagrins regretteront l’absence de contrepoint à la présentation de ce maire modèle : aucune de ses réalisations n’a-t-elle jamais été critiquée ?
Sorti quelques jours à peine avant les élections présidentielles américaines, alors que l’Amérique et le monde retiennent leur souffle, affolés à l’idée d’une possible réélection de Donald Trump, City Hall constitue aussi le plus vibrant éloge de l’art de gouverner.

La bande-annonce

Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary ★★★☆

En pleine conquête de l’Ouest, Martha Jane Cannary est une petite fille de dix ans comme tant d’autres qui avec son père, son petit frère et sa petite sœur, traverse dans une caravane de pionniers les plaines immenses du Midwest. Quand son père se blesse, la responsabilité de conduire le charriot incombe à la jeune Martha qui a appris en cachette à monter à cheval, à lancer le lasso et à porter des pantalons. Ses nombreuses enfreintes au règlement lui valent le surnom de « calamité » et l’hostilité de l’austère chef du convoi qui, lorsqu’un vol est commis, en prend prétexte pour mettre Martha aux arrêts.
La petite fille s’enfuie et se jure de retrouver l’auteur de ce vol pour prouver son innocence. C’est le début d’aventures étonnantes et de rencontres surprenantes.

Le producteur Henri Magalon est mon ami depuis la maternelle. Même Balladur et Chirac ne pouvaient se revendiquer d’une amitié aussi ancienne ! Sa société May Be Movies a produit depuis une quinzaine d’années des petits bijoux. On lui doit Ernest et Célestine, Zombillénium… Il retrouve Rémi Chayé dont il avait produit le premier film d’animation en 2015, Tout en haut du monde.

Calamity présente beaucoup de ressemblance avec ce premier film. D’abord la beauté de son dessin : des grands à-plats de couleurs vives sans contour de ligne. Ensuite des paysages grandioses pour raconter des destins historiques : Tout en haut du monde évoquait l’exploration arctique, Calamity la conquête de l’Ouest. Enfin et peut-être surtout son thème sous-jacent terriblement contemporain : l’émancipation des filles et la lutte contre les stéréotypes de genre.

Les deux films ont pour héroïnes des jeunes filles qui se battent contre le machisme de la société de leur temps. Calamity porte des pantalons et revendique le même rôle que les garçons. Le parcours initiatique plein d’embûches qu’elle suivra tambour battant est un récit d’émancipation où elle croisera quelques figures tutélaires, notamment une chercheuse d’or au tempérament bien trempé – qui parle avec la voix bien reconnaissable d’Alexandra Lamy.

Cristal du meilleur long métrage au dernier festival d’Annecy, accueilli par une critique dithyrambique et un public enthousiaste, Calamity se regarde dès six ans. Dépêchez vous d’aller le voir avec vos enfants/neveux/filleuls avant que les vacances ne se terminent et que les salles ne referment !

La bande-annonce