À la fin du dix-neuvième siècle, Eugénie Cléry (Lou de Laâge) est une jeune fille de la haute bourgeoisie parisienne dont les parents collets montés n’apprécient guère les foucades féministes. Quand Eugénie prétend communiquer avec les esprits, ils la placent à l’asile de la Salpêtrière dans le service du docteur Charcot qui met en oeuvre des méthodes révolutionnaires pour soigner l’aliénation mentale. Terrifiée par son nouvel environnement, Eugénie apprend à connaître les autres convalescentes. Elle supplie qu’on la libère et révèle ses dons à Geneviève, l’infirmière en chef (Mélanie Laurent).
Il ne faisait guère de doute que le roman de Victoria Mas (la fille de), gros succès de la rentrée littéraire 2019, serait promptement porté à l’écran. Il possédait en effet toutes les qualités d’une oeuvre cinématographique : un sujet en or (le sort des aliénées à la fin du dix-neuvième siècle), des personnages bien trempées (la pure Eugénie, la menaçante Geneviève…), une histoire riche en rebondissements qui s’achève dans une folle bacchanale, digne des tableaux enfiévrés de James Ensor.
Quelques mois à peine après la sortie du livre, le projet de Mélanie Laurent était déjà sur les rails avec une brillante distribution. Mélanie Laurent elle-même interprèterait le rôle de Geneviève ; la jeune Lou de Laâge, éternel espoir du cinéma français, jouerait celui d’Eugénie. Les deux héroïnes seraient entourées de seconds rôles prestigieux : André Marcon (qu’on vient de voir dans Illusions perdues et dans Boîte noire), Emmanuelle Bercot, le jeune Benjamin Voisin (Lucien de Rubempré dans l’adaptation de Balzac), Valérie Stroh (qui m’enflammait quand elle était jeune et jouait dans les films de René Féret)…
Gaumont aurait dû le produire, mais y renonça. Amazon, qui poursuit sa stratégie d’expansion mondiale, le reprit en chemin et en fit le porte-étendard de sa chaine de VOD pour un lancement à grands frais en septembre dernier, loin hélas des salles de cinéma où cette oeuvre-là aurait eu pourtant sa place.
C’est pitié en effet de regarder sur son ordinateur ou, pire, sur sa tablette, ce film en costumes qui utilise l’hôpital de la Marine de Rochefort pour reconstituer la Salpêtrière. Tout y est léché dans la reconstitution de la France de la Troisième République, depuis la foule qui se presse au Panthéon pour l’enterrement de Victor Hugo jusqu’à ces culs de basse-fosse où l’on cantonnait les malheureuses aliénées et où on les soumettait aux pires expérimentations.
Charcot y voit son étoile écornée, au mépris d’ailleurs de la réalité historique. De ce point de vue, le film Augustine d’Alice Winocour (2012) où Vincent Lindon interprétait le rôle du grand neurologue était plus convaincant.
Comme dans les grands romans du dix-neuvième siècle – on pense beaucoup à Zola en lisant Le Bal des folles ou en en regardant l’adaptation, ce qui est plus un éloge qu’un reproche – l’oeuvre est manichéenne, les rebondissements parfois téléphonés (on imagine mal comment M. Cléry décide d’abandonner sans espoir de retour sa fille à l’asile et on ne dira rien du dénouement pas vraiment crédible). Tout est un peu trop prévisible dans une histoire cousue de fil blanc.
Autre reproche : le sort misérable des aliénées aurait gagné à être incarné, non pas par une jeune bourgeoise dotée de dons extra-lucides, sorte de Superwoman dans les chaînes, mais au contraire par une femme ordinaire comme l’était l’héroïne du film d’Alice Winocour.