First Cow ★★☆☆

Dans les montagnes de l’Oregon, au début du dix-neuvième siècle, le destin de deux chercheurs d’or va se croiser. Cookie Figowitz est cuisinier. King Lu est un immigré chinois en rupture de ban, pourchassé par des mercenaires. Les deux hommes vont voler le lait de la vache d’un riche propriétaire terrien (Toby Jones) pour fabriquer des pâtisseries que la petite colonie s’arrachera bientôt.

Kelly Reichardt est la grande papesse du cinéma indépendant américain. Depuis son premier film, River of Grass, tourné en 1994, elle déploie une œuvre aussi originale que minimaliste. La plupart de ses films se déroulent dans les espaces immenses du Nord-Est américain, l’Oregon (Old Joy, Wendy & Lucy, La Dernière Piste, Night Moves) ou le Montana (Certaines femmes). La plupart sont contemporains. Mais First Cow est son deuxième western après La Dernière Piste en 2010.

Western n’est peut-être pas la qualification la mieux appropriée. Car First Cow ne reproduit aucun des stéréotypes du genre. Amateurs ou amatrices de duels au soleil, de poursuites en diligence, de shérifs à la détente agile et de tenancières de saloons à la jarretière audacieuse, passez votre chemin ! Rien de tel dans First Cow dont les héros ont l’épaisseur de seconds rôles et dont l’intrigue se réduit à presque rien.

Deux types de réactions, aussi dissemblables que possibles, peuvent naître de ce spectacle. Et je dois reconnaître qu’il s’en est fallu de peu que je bascule de l’une à l’autre – comme en témoignent les commentaires tour à tour élogieux ou plus mitigés qu’ont suscités les précédents films de Kelly Reichardt.
Le premier serait de dénoncer l’ennui que suscite ce film de plus de deux heures, sans rythme, frisant l’insignifiance.
Le second, au contraire, serait de s’extasier de ces « petits riens » terriblement réalistes qui sont l’étoffe dont étaient faites les rudes vies de ces premiers colons et de se laisser émouvoir par le mélo pudique que la première image du film et sa toute dernière font naître.

La bande-annonce

Le Dernier Duel ★★★☆

Dans la France du roi Charles VI, à la fin du XIVème siècle, deux chevaliers portent devant Dieu leur querelle. Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Le Gris (Adam Driver) sont pourtant des compagnons de longue date qui ont livré bien des batailles côte à côte. Mais le contentieux entre les hommes que tout oppose n’a cessé de grandir. Carrouges, un chevalier sans peur et sans reproche, s’est attiré l’hostilité de son suzerain, la comte d’Alençon (Ben Affleck), à force de maladresse là où Le Gris, pourtant moins bien né, par son charme et son érudition, s’en est fait l’indispensable bras droit, au point d’obtenir de lui les charges héréditaires qui auraient dû échoir à Carrouges.
Le conflit entre les deux hommes éclate au sujet de Marguerite, la femme de Carrouges, qui accuse Le Gris de l’avoir violée durant une absence de son mari.

(Sir) Ridley Scott est peut-être l’un des plus grands réalisateurs de son temps. Il a tourné des films mythiques : Alien, Blade Runner, Thelma et Louise, Gladiator…. Son tout premier film ressemble à celui qui sera parmi ses derniers : Les Duellistes (1977) racontait déjà la rivalité à mort, une vie durant, de deux hussards napoléoniens. Le Dernier Duel reprend le même schéma et le transpose à l’époque médiévale qu’a déjà souvent explorée Ridley Scott, auteur d’un Robin des Bois oubliable mais d’un Kingdom of Heaven mémorable. Chaque détail, jusqu’au combat final si longtemps attendu, y est reconstitué avec une flamboyance hollywoodienne que l’austérité toute bergmanienne de l’affiche ne laissait pas augurer.

Ridley Scott s’attaque à un sujet diablement contemporain et, pour le traiter, utilise un procédé qui l’est presqu’autant.
Le sujet du Dernier Duel résonne puissamment avec notre époque. Il y est question d’un viol et du doute jeté sur le témoignage de la victime. Jodie Comer m’a fait penser aux trois héroïnes de Scandale, l’un des meilleurs films de l’année dernière, qui chacune à sa façon incarnaient les réactions possibles face aux abus du patriarcat.
Pour raconter ce viol et le procès qu’il suscite, Ridley Scott utilise un procédé éprouvé : raconter les mêmes faits par les yeux différents de chacun de leurs protagonistes. Kurosawa l’avait fait le premier au début des années 50 dans Rashōmon ; le procédé est depuis indissociablement lié à ce film. Il est le plus cinématographique qui soit.

Il faut un scénario sacrément bien charpenté pour que la répétition de la même scène ne devienne pas ennuyeuse. Ridley Scott y parvient à merveille en donnant tour à tour la parole à Jean de Carrouges, à Jacques Le Gris et à Marguerite. Des différences infimes apparaissent selon les points de vue. Tel fait, telle parole selon qu’ils soient rapportés par tel ou tel varient d’une mémoire à l’autre. Carrouges qui apparaît d’abord comme un preux chevalier, bafoué dans son honneur, prêt à tout pour défendre sa belle, se révèle en fait un homme fruste, illettré, primaire et violent. S’il prend fait et cause pour Marguerite dans le procès qui l’oppose à Le Gris, c’est moins par amour pour elle que par mâle orgueil. Le personnage de Le Gris est autrement plus subtil. C’est un être aussi adroit dans le maniement des armes que dans l’art de plaire. Il séduit les hommes comme les femmes. Sa culpabilité ne fait guère de doute même si de son point de vue Marguerite ne lui a opposé que la résistance que se doit d’afficher une femme vertueuse à son séducteur. Finalement, c’est Marguerite qui a le rôle le plus ingrat et le moins profond.

À quatre-vingt ans passés, Ridley Scott en remontre encore à plus jeune que lui avec cette ténébreuse fresque historique aux résonnances très contemporaines.

La bande-annonce

L’Homme de la cave ★★☆☆

Samuel Sandberg (Jérémie Rénier) vend la cave familiale de son appartement parisien. M. Fonzic (François Cluzet) s’en porte acquéreur : se présentant comme un ancien professeur d’histoire, il affirme vouloir y entreposer les affaires de sa mère récemment décédée alors qu’il y élit bientôt domicile. Alarmé par son comportement suspect, Samuel découvre vite la vérité : M. Fonzic a été renvoyé de l’Education nationale pour négationnisme et vit à la rue. Mais, il est trop tard pour annuler la vente.

Après les riantes locataires des combles – Les Femmes du sixième étage – Philippe Le Guay plonge dans les souterrains d’un immeuble pour compléter son portrait microcosmique, façon Pérec, de la vie parisienne. Alors que l’action des Femmes… se déroulait dans les années soixante, L’Homme de la cave est contemporain et traite de front le négationnisme et son inévitable corollaire, le complotisme. Excellemment interprété par le toujours excellent François Cluzet, M. Fonzic, le cheveu gras, le pardessus fatigué, répète le mantra  de tous les négationnistes et autres covido-sceptiques : « penser par soi-même », « interroger les vérités officielles » « se poser les bonnes questions »….

M. Fonzic s’immisce dans la vie des époux Sandberg et rend leur vie impossible. Se sentant le seul responsable de cette présence encombrante, Samuel prend tout sur lui, contacte sans succès une succession d’avocats tandis que sa femme, Hélène (Bérénice Béjo), plonge dans le passé refoulé de sa belle-famille. David (Jonathan Zaccaï), le frère de Samuel, propose son aide sans succès. Les relations avec la copropriété se tendent. Le charme doucereux de M. Fonzic menace de contaminer Justine, la fille de Samuel et d’Hélène. On aura vite compris la métaphore, pas toujours légère : le négationnisme est un cancer qui sape nos fondations et met à mal le lien social.

L’Homme de la cave est un feel-bad movie. C’est un film qui rend mal à l’aise, qui distille tout du long des ondes négatives. C’est un film déplaisant qui n’a pas vocation de plaire. Pas évident d’attirer les spectateurs qui, à tort ou à raison, lui préfèreront des films plus souriants – et il n’en manque pas ces temps ci sur les écrans. D’autant que sa conclusion est bâclée et ratée : les trois co-scénaristes ne savaient manifestement pas comment le terminer et ont choisi l’option la plus paresseuse.

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Julie (en 12 chapitres) ★★★☆

C’est l’histoire de Julie (Renate Reinsve), racontée en douze chapitres, un prologue et un épilogue. L’histoire d’une trentenaire norvégienne bien dans son temps qui n’aime pas faire des choix et hésite sur la voie à suivre. Après des études de médecine puis de psychologie, elle bifurque vers la photographie et trouve un job alimentaire dans une grande librairie. Après avoir aimé Aksel (Anders Danielsen Lie), un bédéiste plus âgé qu’elle qui aspire à fonder une famille alors que Julie ne s’y sent pas prête, elle aimera Eivind (Herbert Nordrum), qu’elle a rencontré dans une soirée de mariage où elle s’était incrustée sans y être invitée.

Le cinquième film de Joachim Trier arrive sur nos écrans précédé d’une réputation flatteuse. Son réalisateur – sans lien de parenté avec son homonyme danois Lars von Trier – s’était déjà fait connaître avec Oslo, 31 août (une adaptation contemporaine du Feu follet de Drieu la Rochelle), Louder than Bombs et Thelma. Julie (en 12 chapitres) avait surtout été remarqué à Cannes où son interprète principale, la solaire Renate Reinsve, avait remporté le prix d’interprétation féminine. Une récompense largement méritée pour cette girl next door au sourire irrésistible ; car on ne peut regarder son film sans tomber instantanément amoureux d’elle et/ou l’ériger en life model.

Alors sans doute, si on cherchait la petite bête, on pourrait trouver bien des défauts à ce personnage : sa versatilité, son indécision, son refus de l’engagement. Mais ce sont des défauts parfaitement assumés par le film dont le titre original norvégien annonce la couleur : La Pire Fille du monde. Et ce sont surtout des défauts vite excusés par la formidable authenticité de ce personnage passionnément libre.

Une scène du film deviendra immédiatement iconique : celle où le monde se fige tandis que Julie court vers son amoureux. Elle résonnera immanquablement avec celles que nous avons tous vécues un jour ou l’autre, où la terre entière pouvait s’arrêter tandis que seul comptait pour nous l’être aimé.
Une autre, plus ludique, n’est pas moins réussie : celle du mariage où Julie et Eivind se rencontrent et testent jusqu’à l’aube les frontières de la fidélité conjugale.

Dans son dernier tiers, Julie (en 12 chapitres) devient plus grave. On craint un instant qu’il ne perde la légèreté qui avait fait son principal attrait jusque là. Mais on réalise que ce ballast n’est pas inutile pour lester un peu le film et, surtout, qu’il sonne diablement juste. Jusqu’à sa dernière image – qui s’écarte de la fin que nous redoutions – Julie (en 12 chapitres) nous surprendra. Pour le meilleur.

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Le Traducteur ★☆☆☆

Sami (Ziad Bakri) est traducteur. Au début des années 1980, encore enfant, il a vu sous ses yeux son père disparaître entre les mains de la police syrienne. Il obtient l’asile politique en Australie en 2000 après un calamiteux lapsus devant les télévisions du monde entier. En 2011, quand le Printemps arabe éclate et quand Sami apprend que son frère vient d’être emprisonné, il décide de retourner dans son pays natal avec Chase, un journaliste australien et ami de longue date.

Le Traducteur hésite entre plusieurs registres.
Il lorgne du côté des superproductions hollywoodiennes mais n’en a pas les moyens.
Il a l’ambition d’être une oeuvre engagée qui dénonce la dictature de Bachar el-Assad et l’impuissance de la communauté internationale et glorifie le courage des insurgés.
C’est un thriller qui suit pas à pas Sami dans sa tentative chaotique de retour au pays natal où il doit se cacher de la police et espère sauver son frère.
C’est enfin un drame familial qui met aux prises Sami, son frère Ziad, sa belle-soeur Karma et son autre sœur Loulou qui attend un enfant.

Le Traducteur croule sous le poids de ses ambitions. Le thriller ne trouve jamais vraiment son rythme. La dénonciation du régime autoritaire syrien aligne les lieux communs. Les dilemmes dans lesquels chaque personnage sont placés frisent souvent la caricature. En un mot, la sauce ne prend pas.
Le Traducteur est toutefois sauvé par son final. Sa dernière scène n’est pas crédible ; mais elle a un panache qu’on n’oublie pas de sitôt.

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Leur Algérie ★★☆☆

Lina Soualem est la fille du comédien Zinedine Soualem. Elle filme ses grands-parents, Aïcha et Mabrouk, des immigrés algériens installés à Thiers en Auvergne depuis les années cinquante, qui, après plus de soixante années de vie commune, décident de se séparer.

Le très justement titré Leur Algérie peut se lire à trois niveaux.

C’est d’abord, comme son titre l’annonce, le témoignage de deux immigrés, au crépuscule de leur vie, sur leur exil en France, la décision jamais totalement assumée de s’y installer définitivement et la façon d’y avoir amené avec eux « leur » Algérie. À ce titre est particulièrement intéressante la justification qu’ils donnent à leurs retours de plus en plus épisodiques au bled et à leur peu de soin à transmettre à leurs enfants la langue et la culture algériennes : « Quand on nait Algérien, on est Algérien, pas besoin d’y aller pour ça [ou d’en parler la langue] ». Leur Algérie trouve ainsi légitimement sa place dans une histoire de l’immigration algérienne encore en cours de réalisation, où les documentaires filmés seront aussi utiles que les thèses écrites.

Plus anecdotiquement, Leur Algérie s’inscrit dans un espace bien particulier. Il se déroule à Thiers, une petite ville industrielle jadis capitale de la coutellerie qui, comme tous les centres industriels en manque de bras, fit appel dans l’après-guerre, aux travailleurs maghrébins. L’industrie est aujourd’hui en déclin sinon en faillite et la coutellerie n’est plus qu’une attraction pour touristes.

Enfin et surtout, Leur Algérie est le portrait de deux êtres, Aïcha et Mabrouk, unis l’un à l’autre par un mariage arrangé et qui ont partagé une vie sans amour. Le constat est cruel et la caméra de Lina Saoulem souvent impudique qui pousse ses deux grands-parents dans ses retranchements. La vieille femme lui oppose un fou rire nerveux et cache son visage dans ses mains. La stratégie de fuite de son grand-père est toute différente : il se mure dans son silence. Un silence qu’il a semble-t-il affecté toute sa vie, une vie de dur labeur, une vie pleine de rancœur, une vie que l’arrivée de ses enfants ne semble même pas avoir égayée. Une vie sans bonheur.

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Eiffel ★☆☆☆

1886. Gustave Eiffel (Romain Duris) rentre de New York, où il a construit la structure métallique de la Statue de la liberté, auréolé de gloire. L’Exposition universelle de 1889 se prépare ; mais Eiffel ne voit pas l’intérêt de construire un projet éphémère et préfère s’intéresser au futur métro. Il changera d’avis après avoir retrouvé Adrienne (Emma Mackey), un amour de jeunesse, et se lancera dans le défi inouï de construire une tour métallique de trois cents mètres de haut.

Voilà plus de vingt ans que le scénario de Caroline Bongrand circulait des deux côtés de l’Atlantique, entre Paris et Hollywood. Luc Besson envisagea de le réaliser, avec Gérard Depardieu dans le rôle d’Eiffel et Isabelle Adjani dans celui d’Adrienne : peut-être Rodin et Camille Claudel y auraient-ils eu des seconds rôles. Christophe Baratier (Les Choristes) et Olivier Dahan (La Môme) ont été approchés : ils auraient, qui sait, fait chanter les ouvriers depuis leurs échafaudages. Et même Ridley Scott – qui aurait, sait-on jamais, organisé un combat de gladiateurs ou une course poursuites d’androïdes au pied de la Tour.

Le projet est finalement échu à Martin Bourboulon, un réalisateur venu de la publicité qui ne peut guère afficher à sa filmographie que les oubliables Papa ou Maman 1 et 2 (j’en dis du mal sans les avoir vus). C’est peu dire que le résultat en est navrant.

La principale erreur – est-elle d’ailleurs la faute du malheureux réalisateur ou des nombreux co-scénaristes qui ont, sur le métier, cent fois remis leur ouvrage ? – est de vouloir raconter la construction de la tour à travers une romance sirupeuse. La romance réunit, on l’a dit, Gustave Eiffel et Adrienne qu’il avait rencontrée trente ans plus tôt à Bordeaux où il construisait un pont métallique avant-gardiste. Il serait injuste de jeter la pierre aux deux têtes d’affiche : Romain Duris a beau approcher la cinquantaine, il n’en demeure pas moins toujours aussi juvénile et séduisant. Quant à l’actrice franco-britannique Emma Mackey, la révélation de la série Netflix Sex Education, elle est voluptueuse à souhait.
Une sournoise polémique a surgi autour de leur écart d’âge : censés incarner deux personnages du même âge, Romain Duris a en fait vingt ans de plus que sa jeune partenaire, reproduisant, selon certains, les stéréotypes phallocratiques les plus dégradants. Le problème me semble moins être celui de cet écart d’âge que celui des flashbacks dont le film est lardé où le réalisateur a laissé interpréter par les mêmes acteurs, lourdement grimés, leurs rôles en 1860 et en 1889.

Eiffel nous promettait de nous raconter la construction de la Tour. Or on n’en voit pas grand chose, sinon quelques arrières-plans certes majestueux, mais qui sentent les effets spéciaux à plein nez. Bien sûr, la promotion du film a beau jeu d’invoquer Titanic où le naufrage du luxueux transatlantique était raconté à travers la folle histoire d’amour de deux de ses passagers. Mais n’est pas James Cameron – ou Leonardo di Caprio ou Kate Winslet – qui veut ! Certes, l’histoire de l’amour impossible de Gustave et Adrienne est touchante ; mais elle nous distrait de l’essentiel : cette Tour monstrueuse et pourtant si élégante dont l’érection (je n’ai pas pu résister !) ne donne lieu qu’à deux scènes isolées, dans ses fondations où l’eau menace de monter et à son premier étage dont il faut, au millimètre près, agencer les piliers.

Ces deux séquences orphelines laissent augurer ce qu’aurait pu être un film réussi sur la construction de la Tour : une histoire qui au lieu de nous cantonner dans la chambre à coucher de Gustave et Adrienne nous aurait donné le vertige d’une construction babélienne.

La bande-annonce

Christo : Marcher sur l’eau ★★☆☆

En 2016, Christo a mené à bien sur le lac d’Iseo en Italie un projet qu’il avait conçu de longue date avec son épouse Jeanne-Claude et qu’il avait d’abord pensé réaliser sur le Rio de la Plata puis dans la baie de Tokyo : construire des passerelles flottantes qui donneraient aux visiteurs qui les emprunteraient l’impression de marcher sur l’eau. L’oeuvre d’art éphémère est constituée de 220 000 blocs de polyéthylène vissés entre eux et amarrés au fond du lac par 190 ancres, recouverts de 100 000 m² de tissu safran. Elle fut déployée pendant près de deux mois et attira une foule considérable de visiteurs.

L’emballage de l’Arc de Triomphe, l’engouement et les polémiques étonnantes qu’il a suscitées ne sont pas étrangers à la sortie en salles de ce documentaire inédit qui revient sur l’avant-dernier projet de Christo, décédé entretemps en mai 2020.
Il est l’occasion de découvrir ce vieux monsieur débonnaire, débordant d’énergie et de créativité dans son atelier. L’autre héros du film est Vladimir, son neveu, qui lui sert tout à la fois d’assistant, de garde du corps et de souffre-douleur.

On suit ce duo attachant tout au long de la conception et de l’installation du projet Floating Piers. Comme chacune des oeuvres de Christo, c’est une installation monumentale, aussi inutile que majestueuse. Les prises de vue de ces immenses lignes brisées posées sur l’eau suffiraient à elles seules à justifier l’intérêt de ce documentaire.

Mais Christo : Marcher sur l’eau nous raconte en bonus une histoire : celle de l’installation de ces pontons. Et le documentaire réussit à y instiller un suspens (même si on en connaît par avance l’issue) : l’oeuvre sera-t-elle installée à temps ? Christo et Vladimir obtiendront-ils toutes les autorisations administratives ? déjoueront-ils les pièges de la météo ? réussiront-ils à faire face à l’afflux de visiteurs qui met la sécurité du site en péril ?

Ce documentaire n’a aucune qualité cinématographique et n’avait pas la prétention d’en avoir. Sa sortie en salles le 15 septembre – dans un circuit très restreint d’ailleurs – n’avait guère de raison d’être sinon, on l’a dit, la concomitance avec l’emballage de l’Arc de triomphe. Mais si d’aventure vous avez l’occasion de le regarder, ne le ratez pas !

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Guermantes ★★★☆

La troupe de la Comédie-Française apprend que Guermantes, qu’elle est en train de répéter sous la direction de Christophe Honoré, ne sera pas représentée à cause de la pandémie de Covid. Elle décide néanmoins, après quelques tergiversations, de poursuivre les répétitions pour le plaisir de rester ensemble.

Je ne me suis pas précipité dans les salles pour voir Guermantes sorti depuis le 29 septembre. Car son sujet et sa bande-annonce m’inspiraient quelques réticences. J’appréhendais un film-concept, en roue libre, sans scénario, figé dans la contemplation narcissique d’une troupe d’acteurs sans boussoles. Au surplus, j’ai une relation compliquée avec le cinéma de Christophe Honoré dont le parisianisme revendiqué et l’entre-soi LGBT me tapent un peu sur le système.

Mes préjugés étaient confortés par les premières scènes du film qui démarre après que la troupe a décidé de suspendre les représentations. Je trouvais qu’on ratait un épisode qui aurait pu être passionnant et qui résonnait diablement avec les temps troublés que nous traversons : les débats au sein d’une collectivité sur la meilleure façon de répondre à l’épidémie. Faut-il suspendre les représentations au nom du principe de prudence, pour éviter qu’elles provoquent des contaminations parmi les acteurs ou parmi les spectateurs ? Ou faut-il les maintenir, avec les précautions idoines, pour que la culture continue à vivre et que le lien social ne disparaisse pas ?

Sevré des réponses à ces questions là, j’ai donc pris l’intrigue en route, dans une direction qui ne m’intéressait pas vraiment, celle-là même qui constitue le sujet du film : la vie d’une troupe placée dans la situation un peu surréaliste de répéter une pièce qu’elle ne jouerait pas.

J’aurais pu ne pas accrocher et faire miennes les critiques, certaines assassines, qui descendent Guermantes en règle : un film long (2h20) brouillon, narcissique, qui s’épuise dans une succession de scènes anecdotiques… Miraculeusement il n’en fut rien. Le visionnage de Guermantes fait partie de ces expériences étonnantes qui me font tant aimer le cinéma : j’y ai pris un plaisir que je n’escomptais pas (la réciproque hélas est vrai et je suis tout aussi souvent déçu par un film qui aurait dû m’enthousiasmer).

Je me suis laissé emporter par la fougue, par l’énergie de cette brochette d’acteurs exceptionnels que, faute de fréquenter assidûment le Français, je n’identifiais pas, à quelques célèbres exceptions près (Laurent Lafitte, Dominique Blanc…). Comme Proust se plaisait dans La Recherche – et tout particulièrement dans son troisième tome – à décrire avec une lucide ironie les mœurs de la haute bourgeoisie qu’il fréquentait, Honoré se fait l’entomologiste de cette haute société qu’il connaît bien : les gens de théâtre. Certes, les histoires que Guermantes raconte sont minuscules : untel a peur de vieillir, un autre de ne plus séduire, une autre encore hésite à quitter la troupe… mais elles s’entrelacent avec une telle fluidité, elles sont présentées avec une telle intelligence qu’il n’est pas excessif de parler au sujet de Guermantes, même si les mots semblent galvaudés et exagérés, de grâce voire de génie.

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Mourir peut attendre ☆☆☆☆

Depuis l’arrestation de Spectre (Christoph Waltz), James Bond (Daniel Craig) et Madeleine Swann (Léa Seydoux) croient pouvoir couler des jours heureux en Italie avant que leur passé ne les rattrape. Retiré en Jamaïque, l’ancien OO7 est sollicité à la fois par la CIA et par le MI6 pour remettre la main sur un biologiste russe kidnappé par une mystérieuse organisation.

Les deux phrases qui précèdent n’ont aucun lien entre elles et donnent l’impression d’avoir été écrites par un scénariste qui ne s’est pas relu ? En effet ! Ainsi commence pourtant le vingt-cinquième épisode – ou vingt-sixième si on inclut Jamais plus jamais tourné sous une licence parallèle – de la saga James Bond, dont la sortie a été maintes fois repoussée à cause du Covid.
Inutile d’ajouter qu’il s’agit du dernier épisode avec Daniel Craig : il faudrait vivre au Pôle Nord pour ne pas l’avoir entendu.

Les James Bond ont inventé les pré-génériques, ces mini-histoires qui précèdent le générique (sacramentellement filmé avec des images psychédéliques de naïades en ombres chinoises tandis que la starlette du moment, ici Billie Eilish, interprète un tube tonitruant). Mourir peut attendre nous en offre deux, interminables, sans lien apparent. Le premier se déroule dans une cabane perdue dans la toundra norvégienne ; le second dans un village perché d’Italie selon une chorégraphie qu’on a déjà vue cent fois (auto-moto-plongeon dans le vide et inversement). Après le générique proprement dit – une bonne vingtaine de minutes se sont déjà écoulées d’un film fleuve qui frôle les trois heures – changement de décor : nous voici – je l’ai déjà dit – en Jamaïque – où on le sait est né l’agent OO7 sous la plume de Ian Fleming en pleine Guerre froide.

Selon un schéma éprouvé, James Bond va ensuite faire le tour du monde. Cuba où il croise l’agent Paloma (Ana de Armas, la seule actrice à tirer son épingle du jeu et dont le décolleté est déjà iconique). Puis Londres, au QG du MI6 où Bond retrouve M (Ralph Fiennes) et Q (Ben Whishaw) sans oublier Miss Moneypenny (Naomie Harris) et la nouvelle OO7 (car le politiquement correct a transformé OO7 en agent femme … et noire – et lesbienne peut-être aussi pour faire carton plein ?). La Norvège. Et, pour finir, une île des Kouriles – il y aurait une étude philosophico-géographique sur la place de l’île dans la saga des James Bond.

D’un lieu à l’autre se déroulent les mêmes scènes attendues, alternance de courses-poursuites censées nous couper le souffle et de face-à-face entre notre vieillissant héros, le regard toujours bleu roquefort et la mâchoire crispée, et des méchants qui ne font plus vraiment peur (on a déjà dit tellement de mal de Rami Malek, dans le rôle de Lyutsifer (sic) Safin, que j’aurai la décence de ne pas tirer sur l’ambulance). La fin surprend. Non, je me trompe. Elle ne surprend pas. Mais elle détonne par rapport à celles de tous les James Bond. Et qu’elle ne surprenne pas l’en prive de tout son sel. Elle n’a qu’une seule qualité : mettre enfin un terme après 2h43 (en fait plutôt 2h30 car le générique de fin doit bien durer une quinzaine de minutes) à ce long calvaire dont je suis ressorti les paupières lourdes, les oreilles endolories, le cerveau débranché.

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