Milla ★☆☆☆

Milla (Eliza Scanlen) a seize ans. Elle serait presque une collégienne comme les autres si elle n’était pas en phase terminael d’un cancer qui risque de l’achever. Fille unique, elle est choyée par son père (Ben Mendelsohn), un psychiatre, et par sa mère (Essie Davis), une ancienne pianiste professionnelle. Tout va mal dans la vie de Milla quand y déboule un toxicomane, Moses (Toby Wallace), la vingtaine déjà bien entamée, un chien fou, mis à la porte de chez lui par sa mère. Milla en tombe instantanément amoureuse et veut installer Moses chez elle au grand dam de ses parents. Moses sauvera-t-il Milla ou précipitera-t-il sa perte ?

La bande-annonce de Milla m’avait mis l’eau à la bouche. J’aime ces romances adolescentes follement passionnelles, ces héroïnes entières qui vivent avec une telle intensité leurs premières amours. Je les aime d’autant plus – est-ce le signe d’un sadisme criminel ? – qu’elles se terminent tragiquement comme dans 37°2 le matin, dans Love Story, dans West Side Story ou dans Nos étoiles contraires qui, à la plus grande honte de mes enfants, figure au nombre de mes livres et de mes films préférés.

Aussi le personnage de Milla m’apparaissait-il immédiatement intéressant, ses perruques multicolores avec lesquelles elle cachait un crane dénudé par l’effet des chimio et créait un peu de fantaisie dans une vie qui en manquait, son attirance hors de toute raison pour Moses, ce grand garçon dégingandé, maigre comme un clou, couvert de tatouages et de piercings, en un mot ce bad boy terriblement attirant.

J’ai été hélas déçu. Car le film de près de deux heures ne tient pas les promesses de sa bande-annonce. L’histoire de Milla ne révèle aucune surprise. La faute en revient, selon moi, à l’interprétation des deux jeunes acteurs, couverte pourtant d’éloges (Toby Wallace a obtenu le prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir), mais dépourvue à mes yeux de toute profondeur : la maladie de Milla, l’addiction de Moses sont l’un et l’autre jouées avec trop de détachement, trop de coolitude pour qu’on y croie vraiment. En revanche, Ben Mendelsohn et Essie Davis excellent dans les rôles des parents déboussolés.

La bande-annonce

True Mothers ★★☆☆

Satoko veut son enfant. Mais son mari est stérile. Après beaucoup d’hésitations, le couple envisage d’adopter. Il se rapproche de l’association Baby bâton, une association, basée près d’Hiroshima qui met en contact des jeunes mères incapables d’élever leur enfant et des parents incapables d’en concevoir. Parmi les pensionnaires de baby bâton figure Hikari, une jeune lycéenne de quatorze ans à peine, tombée enceinte de son tout premier flirt. Sa grossesse a été révélée trop tard, rendant l’avortement impossible. Ses parents, craignant le scandale, ont exigé qu’elle accouche discrètement et qu’elle abandonne son enfant pour reprendre le cours normal de sa vie.
Mais Hikari ne s’est jamais remise de cette décision, prise contre sa volonté. Six ans plus tard, alors que le jeune Asato grandit dans sa famille d’adoption qui le couve d’un amour oblatif, Hikari décide de retrouver et de récupérer son enfant.

Je ne suis pas un grand fan de Naomi Kawase, une réalisatrice japonaise pourtant internationalement reconnue, qui a, pour chacun de ses films, son carton déjà réservé à Cannes. Je ne partage pas l’enthousiasme unanime pour Les Délices de Tokyo que j’ai trouvé un peu gentillet : « C’est MasterChef à la sauce Paulo Coelho » écrivais-je caustiquement à sa sortie en 2016. J’ai un peu traîné les pieds pour aller voir ce True Mothers dont je craignais qu’il se borne à raconter une histoire cousue de fil blanc, dont la résolution était jouée d’avance dans son titre (le pluriel de True Mothers) : la tension entre deux amours maternelles, celui de la mère biologique et de la mère d’adoption.

Je n’ai hélas guère été étonné. Comme je le craignais, l’histoire que j’avais imaginée s’est déroulée sous mes yeux, sans surprise. Mais, il faut reconnaître à Naomi Kawase le talent de la raconter avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence. Élevée par sa grand-tante et son mari, après avoir été abandonnée à sa naissance par sa mère, elle a sans doute mis beaucoup d’elle même dans un sujet qui la touchait de si près. Elle utilise un procédé sans doute un peu artificiel, mais diablement efficace : une narration fragmentée qui joue à saute-mouton avec les temporalités, passant sans crier gare d’un personnage à l’autre (les amours adolescentes de Hikari d’une part et le drame de l’infertilité du couple que forment Satoko et son mari d’autre part constituent deux histoires indépendantes qui auraient pu, à elles seules, constituer la trame d’un film) et d’une époque à l’autre. Pour mettre cette savante architecture en place, Naomi Kawase prend son temps : True Mothers dure 2h20. Mais ce sont 2h20 qu’on ne voit pas passer tant le film est attachant.

La bande-annonce

Les Sorcières de l’Orient ★☆☆☆

L’équipe nationale japonaise de volley-ball a enchaîné dans les années soixante un nombre incroyable de victoires. Elle remporta les championnats du monde à Moscou en 1962 face aux Soviétiques, vainqueures des trois éditions précédentes et entourées d’une auréole d’invincibilité. Surtout elles décrochèrent la médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964, des Jeux qui devaient signer le retour du Japon dans le concert des nations. Ses joueuses avaient été surnommées « les sorcières de l’Orient » par un journal soviétique.

Le Français Julien Faraut, responsable de l’iconothèque de l’INSEP, avait déjà utilisé le fonds d’archives de l’Institut du bois de Vincennes pour son premier documentaire consacré à John McEnroe : L’Empire de la perfection. C’est là qu’il a trouvé des enregistrements des entraînements des volleyeuses japonaises et qu’a germé le projet de ce documentaire. Il est allé au Japon à la recherche des survivantes et a filmé leurs témoignages.

En découvrant ces images, Julien Faraut s’est souvenu des mangas japonais des années soixante-dix que les exploits des volleyeuses avaient inspirées. Il a eu l’idée de construire son film à travers ces similitudes en montant ensemble des images d’archives des joueuses et des extraits de ces dessins animés. Le procédé est original sinon inédit. Mais il m’a laissé un sentiment mitigé. Je n’ai pas compris ce que cette mise en parallèle apportait à l’histoire.

Les Sorcières de l’Orient raconte l’entraînement stakhanoviste auquel étaient soumises les joueuses. Réveillées aux aurores, elles partaient travailler en usine le matin et s’entraînaient l’après-midi jusque tard dans la nuit. Un homme dirigeait les entraînements et leur imposait une discipline de fer qui passerait aujourd’hui pour du harcèlement moral et physique. Certaines images sont d’ailleurs particulièrement frappantes. Mais les joueuses, qui sont aujourd’hui d’élégantes retraitées, sont unanimes à considérer que cette ascèse fut la clé de leur réussite, à oublier leurs souffrances et à ne retenir que la joie et la fierté de leurs victoires.

Le volley-ball est-il moins télégénique que le tennis ? Peut-être. Toujours est-il que j’ai trouvé les images des matchs de la sélection japonaise médiocrement enthousiasmants. Et la façon de les monter moins prenante que celle qu’avait eue Julien Faraut dans son précédent documentaire de nous faire vibrer sur les jeux décisifs livrés par McEnroe.

La bande-annonce

The Sparks Brothers ★★☆☆

Je n’avais jamais entendu parler de Sparks avant Annette et de voir Russell Mael, le chanteur du groupe, recevoir, en lieu et place de Leos Carax, le prix de la mise en scène du festival de Cannes.

Pourtant les deux frères Mael, Russell, le chanteur, chouchou de ces dames, et Ron, le claviériste moustachu pince-sans-rire, se produisent depuis près de cinquante ans. Inoxydables, ils ont traversé toutes les époques, du rock à la pop en passant par la new wave et l’electro (le style de leur single le plus connu When I’m with you sorti en 1980). S’ils n’ont jamais atteint la célébrité des Beatles ou des Stones, ils ont durablement influencé beaucoup de chanteurs contemporains (d’où le sous-titre qu’on lit au pied de l’affiche : « Le Groupe préféré de votre groupe préféré »).

Edgar Wright, réalisateur britannique éclectique (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, Baby Driver) et fan de la première heure, leur consacre ce long documentaire. Il y raconte méticuleusement leur vie, commentant chaque album, l’un après l’autre. L’énumération est longue : Sparks en a sorti vingt-cinq. Et l’académisme de la mise en scène, alternant des images d’archives (au nombre desquelles on découvre avec surprise certaines de la télévision française) ne rend pas honneur à l’originalité de la musique de ce groupe à nul autre pareil. Au bout de deux heures quinze, une durée anormalement obèse pour un documentaire de ce style, l’ennui guette. Mais la curiosité qu’inspire ce duo bizarre maintient néanmoins l’intérêt.

On ne peut en effet s’empêcher de le trouver sympathique. C’est leur ténacité qui suscite le plus l’admiration. À la différence de tant de groupes qui ont atteint la gloire avant de sombrer dans l’oubli, de se déchirer et de se séparer, les deux frères Mael, réunis par on-ne-sait-quel lien ombilical, sont restés fidèles à eux mêmes et l’un à l’autre. Loin de reproduire sans cesse les mêmes formules, ils n’ont eu de cesse de se réinventer, au risque souvent de déboussoler leurs fans. Telles deux marionnettes du Muppet Show, on les voit avec émotion, à soixante-dix ans bien sonnés, continuer à travailler inlassablement chaque jour dans leur villa californienne, assis l’un à côté de l’autre, Ron devant son clavier, Russell devant son ordinateur.

The Sparks Brothers ne nous dit rien de leurs vies privées. On ne saura pas dans quelle famille ils ont grandi, avec quelles femmes ils ont vécu (car Ron et Russell sont hétérosexuels contrairement à l’image qu’ils donnent volontiers). Cette occultation frustre le spectateur en mal de transparence, qui aurait aimé connaître tous les petits ragots de leurs vies. Mais elle participe aussi d’un projet et d’une éthique : conserver une part de mystère.

La bande-annonce

La Loi de Téhéran ★★★☆

Le commandant Samad Majidi (Payman Maadi, l’acteur fétiche des premiers films de Ashgar Farhadi), dirige une unité de la brigade des stupéfiants de Téhéran. Il n’a qu’une obsession : coincer Nasser Khakzad (Navid Mohammadzadeh), un caïd de la drogue. Pour y parvenir, il ordonne le ratissage des bas-fonds de Téhéran où croupit une foule hagarde de toxicos. Il espère remonter une filière en arrêtant et en harcelant des intermédiaires : revendeurs, mules, dealers….

Plus de deux ans après sa sortie en Iran et sa projection à la Mostra de Venise, La Loi de Téhéran arrive enfin sur nos écrans précédé d’une réputation flatteuse. Sa renommée n’est pas usurpée. La Loi de Téhéran est un film fort, qui laisse une marque durable sur un public K.O. debout.

Son histoire fait fond sur une situation sociale qui fait froid dans le dos. L’Iran est devenu un pays de toxicos. Just 6.5 est son titre anglais : « à peine » 6.5 [millions] de toxicomanes sont recensés dans la République islamique d’Iran, une faune aux marges de la loi que la caméra virtuose de Saeed Roustayi (trente ans à peine) filme comme une armée de zombies. Deux scènes sont particulièrement impressionnantes : celle du début du film figure sur l’affiche – très moche – et dans la bande annonce ; je vous laisse découvrir le dernier plan du film, tout aussi marquant.

Sur cette toile de fond documentaire, La Loi de Téhéran confronte très traditionnellement un flic obsessionnel et un gros bonnet. La première partie du film est la plus réussie qui raconte la traque du trafiquant. On y croisera notamment trois mules inoubliables, dont on se demande si elles ont été déguisées de postiches ou si les corps qu’on nous montre sont bien les leurs. J’ai moins aimé la seconde moitié du film dont je n’ai pas toujours compris certains rebondissements.

La Loi de Téhéran est mené tambour battant, à un train d’enfer, qui ne laisse pas une minute de répit au spectateur. La tête sous l’eau, il est pris en otage par ce film de plus de deux heures. On ne connaît pas assez bien le tout-venant de la production cinématographique iranienne pour savoir si ce polar nerveux en est représentatif ou s’il est la marque d’un jeune réalisateur de génie dont on attend impatiemment le film suivant.

La bande-annonce

Profession du père ★★☆☆

Lyon. 1961. Emile a onze ans. Son père (Benoît Poelvoorde) exerce sur lui une emprise que sa mère (Audrey Dana) peine à endiguer. Partisan de l’Algérie française, opposant enragé à De Gaulle, il l’a enrôlé dans une organisation imaginaire qui fomente des attentats en métropole. Sous la coupe de ce père autoritaire et violent, Emile est incapable de lui opposer la moindre résistance et entraîne bientôt un jeune camarade dans son délire.

Je suis un fan inconditionnel de Sorj Chalandon. Je le découvre en 2006 grâce au prix Médicis qui couronne son deuxième roman, Une promesse. Je lis dans la foulée tous les autres avec une préférence pour le diptyque Mon traître/Retour à Killybegs sur le conflit irlandais. Jean-Pierre Améris, qui a l’habitude de s’inspirer d’auteurs contemporains (Anne Wiazemsky, Olivier Adam, David Foenkinos…), adapte son antépénultième roman sorti en 2015. Il y retrouve Benoît Poelvoorde qu’il avait déjà dirigé dans Les Émotifs anonymes et dans Une famille à louer.

Ce choix de casting est peut-être un des défauts du film. Car Poelvoorde est avant tout un acteur de comédie. Il a certes fait de nombreuses incursions dans la tragédie ; mais ses apparitions souvent bouffonnes prêtent plus souvent à rire qu’à trembler. Or le père de cette histoire n’est pas un personnage drôle. Au contraire, c’est un caractère violent, terrifiant. Ses apparitions devraient nous glacer, d’autant que ni sa femme, ni son fils ne lui opposent de résistance, laissant libre cours à sa mythomanie délirante. Le problème de Benoît Poelvoorde est qu’il ne nous fait pas peur.

Il y aurait de quoi. Car l’histoire est poignante qui confronte un homme malade, emporté par sa folie, et une femme et un enfant incapables de lui résister, victimes condamnées par avance de son emprise autoritaire. Le film de Jean-Pierre Améris est hélas un peu trop sage, sa reconstitution du début des années soixante un peu trop appliquée. Sa réalisation un peu fade peine à s’élever au-dessus du standard télévisuel.

La bande-annonce

Sous le ciel d’Alice ★★☆☆

Alice est une jeune infirmière suisse qui quitte dans les années cinquante son pays natal pour s’installer au Liban. Elle y fait bientôt la connaissance d’un astrophysicien libanais, Joseph, et de son envahissante et chaleureuse fratrie : Mimi sa sœur, Georges son frère et Amal sa belle-soeur ainsi que leurs trois enfants. Alice et Joseph se marient et ont bientôt une fille, Mona. Dans la « Suisse du Moyen-Orient » qu’est alors le Liban, Joseph travaille à un projet fou, envoyer le premier Libanais sur la lune, tandis qu’Alice dessine et vend quelques unes de ses oeuvres. Mais tout bascule en 1975 avec la guerre civile libanaise qui obligera Alice à quitter la terre qui l’avait si généreusement accueillie vingt ans plus tôt.

Chloé Mazlo est une jeune réalisatrice française. Sous le ciel d’Alice est son premier long métrage inspiré de la vie de sa grand-mère. On ressent, à le voir, la nostalgie de cette femme, d’autant plus attachée à une terre ensanglantée par la guerre et réticente à l’abandonner, qu’elle a délibérément choisi de s’y installer. On imagine aussi la curiosité de sa petite-fille à écouter les souvenirs merveilleux de ce paradis perdu.

Pour faire revivre ce passé, plusieurs options s’offraient à la réalisatrice. La plus évidente était la reconstitution historique comme on en a tant vues, quitte à tourner sur un fond vert et à rajouter quelques effets spéciaux. Le parti qu’elle retient, outre qu’il est certainement moins onéreux, est autrement plus original et rappelle les bricolages géniaux d’un Michel Gondry : un tournage en studio, qui ne quitte guère les murs de l’appartement d’Alice et Joseph, des décors et des costumes très gais qui louchent vers la bande dessinée, quelques séquences en stop motion pour évoquer le départ d’Alice de Suisse…

Le tout, gentiment surréaliste, est d’une poésie charmante, d’une infinie douceur, d’un charme fou. La beauté diaphane de Alba Rohrwacher y est parfaite. On n’aurait pas imaginer interprète plus appropriée pour jouer Alice que cette actrice italienne de père allemand au français joliment maladroit. Le seul défaut de Sous le ciel d’Alice vient de sa modestie : son refus de pimenter son récit de rebondissements épiques en rend parfois le rythme un peu lent et sa fin annoncée – puisqu’on sait dès la première scène comment il se terminera – le prive de toute tension.

La bande-annonce

Sœurs ★★★☆

Zorah (Isabelle Adjani), Djamila (Rachida Brakni) et Norah (Maïwenn) sont sœurs. Elles vivent en France auprès de leur mère. Leur père les a quittées brutalement vingt huit ans plus tôt en kidnappant leur frère cadet, Redah, dont elles n’ont depuis aucune nouvelle. Ce choc a provoqué chez elles un traumatisme qu’elles ont plus ou moins bien vécu. Norah, la benjamine, que son père avait kidnappée avec son frère mais qui a réussi à revenir en France, ne s’en est jamais remise et n’est pas arrivée à se stabiliser. Djamila, la cadette, s’est intégrée à la société française au-delà de toute espérance et est devenue maire de Saint-Quentin. Zorah l’aînée est dramaturge. Elle monte actuellement, malgré l’hostilité de ses sœurs et de sa mère, une pièce autobiographique racontant la jeunesse de ses parents. Sa fille, Farah (Hafsia Herzi) y interprète le rôle de sa mère.
C’est alors qu’une nouvelle leur parvient d’Alger d’une lointaine cousine : leur père vient de subir un AVC. Elles décident d’aller à son chevet pour découvrir enfin le sort de leur petit frère.

Yamina Benguigui a un profil original. Cette documentariste, venue à la fiction sur le tard (Sœurs est son deuxième long métrage en bientôt trente ans de carrière) a fait un détour par la politique. Adjointe au maire de Paris, elle est même devenue ministre entre 2012 et 2014. Chargée de la francophonie au Quai d’Orsay, elle y a laissé un souvenir mitigé que le devoir de réserve m’interdit de détailler.

Son film s’est fait étriller par la critique. Sorti le 30 juin, il a vite disparu des écrans. Lui furent reprochés en vrac le manque de direction de ses actrices, le didactisme de son message, sa ressemblance avec ADN de Maïwenn.

C’est un procès injuste. En particulier, on ne saurait reprocher à Sœurs les hasards du calendrier qui ont retardé sa sortie après celle de ADN qui traite en effet de la quête par son héroïne de ses racines algériennes et avec lequel il partage le même mouvement : de la France vers l’Algérie où il se conclut en pleines manifestations populaires du Hirak.

Que dire du jeu des artistes ? Yamina Benguigui a eu la chance de réunir trois stars – quatre si on inclut Hafsia Herzi injustement bannie de l’affiche. Qu’elle leur fasse la part belle n’a rien de blâmable, filmant longuement leurs déchirements. C’est l’inverse qui aurait été décevant. Maïwenn fait du Maïwenn : en colère contre le monde entier. Rachida Brakni a un peu de mal à trouver sa place. C’est Adjani qui est la plus étonnante, la peau diaphane et lisse d’une adolescente, jouant sur un mode un peu décalé le rôle de la grande sœur cathartique.

Reste le didactisme du message. Sœurs parle d’une famille franco-algérienne écartelée entre deux cultures et deux pays, traumatisée par l’amputation de l’un de ses membres, kidnappé par son père. Un tel thème n’est pas léger. Il se serait mal prêté à un traitement sur un mode mineur. Sans doute les flashbacks qui émaillent le film manquent-ils parfois de subtilité ; mais ils ont le mérite d’illustrer une histoire familiale complexe qui se déroule à trente ans de distance. D’autant que s’y superposent les répétitions de la pièce de Zorah qui produit une mise en abyme particulièrement efficace.

Sœurs ne mérite peut-être pas les trois étoiles que je lui décerne avec trop de laxisme. Mais il a reçu une telle volée de bois vert que je veux, par mon indulgence, essayer de contrebalancer cette injustice.

La bande-annonce

Bonne Mère ★☆☆☆

Nora, la cinquantaine, habite les quartiers nord de Marseille. Chaque matin, elle se lève aux aurores pour aller, en métro puis en bus, à Marignane faire le ménage dans les avions. Elle doit élever seule ses enfants. L’aîné, Ellyes, est en prison. Les trois autres sont à sa charge : un garçon, gros nounours paresseux, deux filles, dont la cadette, Sabah,  à la recherche d’argent facile, est sur le point se prostituer, sans oublier sa belle-fille et son petit-fils. Nora a patiemment épargné l’argent nécessaire à une coûteuse opération dentaire. Pourra-t-elle utiliser cet argent pour elle-même ou devra-t-elle une fois de plus le sacrifier pour sa famille ?

La jeune actrice Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet, poursuit une belle carrière devant la caméra (La Source des femmes, L’Apollonide, L’Amour des hommes, Madame Claude…) et tourne avec Bonne mère son second film après Tu mérites un amour. Il est dédié à sa mère, qui comme la Nora du film, a élevé seule dans une cité HLM de Marseille Hafsia, ses deux sœurs et son frère.

Sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard, Bonne mère décrit la vie quotidienne de Nora, sa fatigue, sa bonté, sa résilience. Il fait la part belle aux scènes de groupe, filmées en plans rapprochés, à leur joyeux brouhaha où fusent les vannes et les invectives. Comme son titre, malin, l’annonce, il aspire à être la description d’une ville tout entière à travers celle d’une de ses habitantes.

Sauf à avoir un cœur de pierre, il est difficile de ne pas s’attacher à ces personnages. Pour autant, les bons sentiments ne suffisent pas à faire de bons films. Les situations de Bonne mère sont trop archétypales (l’aîné en prison, la cadette au tapin) pour être intéressantes, les acteurs pas assez dirigés pour être convaincants (Halima Benhamed, l’actrice non professionnelle qui interprète Nora, semble figée dans une seule attitude). Dommage…

La bande-annonce

Old ★☆☆☆

Des touristes se retrouvent piégés sur une plage mexicaine où ils vivent une terrifiante expérience de vieillissement accéléré.

Old est la dernière oeuvre en date de M. Night Shyamalan, le réalisateur de Sixième Sens, Incassable, Le Village… Le twist final – c’est à dire le renversement à la fin du film qui conduit le spectateur à reconsidérer  l’ensemble de l’histoire d’un oeil neuf – est devenu sa marque de fabrique. Chacun connaît celui de Sixième Sens. La conséquence en est qu’on regarde chacun des films de Shyamalan dans la vague attente de ce fameux twist-là. Y en aura-t-il un ? Et si oui quel sera-t-il ?

Le problème de Old réside précisément dans sa conclusion que, comme je viens de le dire, le spectateur attend avec d’autant d’impatience que Shyamalan place la barre très haut en nous habituant à nous renverser.

Ce qui précède cette conclusion est sans surprise, que la bande-annonce a déjà dévoilé. Après une introduction gentillette et dispensable d’une vingtaine de minutes, qui introduit les personnages, à commencer par les deux héros, Trent (Gael Garcia Bernal) et Prisca (Vicky Krieps qu’on vient de voir la semaine dernière dans Bergman Island), et leurs deux enfants Trent et Maddox, l’action peut enfin commencer lorsque tous les personnages sont réunis sur cette fameuse plage. Là, bientôt, des indices macabres révèlent l’étonnant phénomène physique qui la caractérise : la faramineuse accélération du vieillissement biologique des cellules humaines.

À ce stade, l’action est tendue par deux questions : nos personnages parviendront-ils à s’évader de cette plage et à éviter la mort inéluctable qui les attend dans une poignée d’heures ? Ont-ils été piégés par le hasard ou par une volonté humaine perverse et manipulatrice ? La fin du film répondra à ces deux questions d’une façon plate et décevante.

Reste alors seulement à passer quelques instants de ce huis clos en plein air, façon Koh Lanta, avec cette dizaine de touristes dont on sait par avance qu’ils seront décimés les uns après les autres. Le seul suspens est de savoir dans quel ordre et à quel rythme. M. Night Shyamalan les filme avec beaucoup de brio dans des plans virevoltants qui donneront la nausée à qui font vomir les mouvements trop brusques de caméra à l’épaule. Mais hélas, les quelques considérations philosophiques qui accompagnent cette course contre la montre – sur la jeunesse qui passe trop vite et sur l’amour, seul rempart contre le temps – sont bien trop frelatées pour en rehausser l’intérêt de ce qui, in fine, se réduit à un divertissement sans intérêt.

La bande-annonce