Petite Sœur ★★☆☆

Lisa et Sven sont jumeaux. Lisa (Nina Hoss) est née deux minutes après Sven (Lars Eidinger), ce qui lui vaut de son frère – aîné – le surnom affectueux de « petite sœur ». Un lien indéfectible unit la dramaturge, forcée de suivre son mari en Suisse où il a été promu à la direction d’un établissement d’enseignement huppé, et l’acteur à succès qu’un cancer foudroyant éloigne des planches.
Pour aider Sven à y remonter, Lisa s’est mise en tête d’écrire un monologue. Elle s’acharne à convaincre David (Thomas Ostermeier dans son propre rôle), l’influent directeur de la Schaubühne, de le monter. Mais elle ne réalise pas que l’état de Sven hypothèque cette perspective.

Petite Sœur est un beau film sur la création artistique et sur la gémellité. Deux thèmes qui a priori ne me touchent guère. Deux thèmes traités avec beaucoup (trop ?) de pudeur par les co-réalisatrices suisses Stéphanie Chuat et Véronique Reymond – qui ne sont pas jumelles mais qui, disent-elles, sont unies depuis l’enfance par des liens très forts.

Cette histoire, qui pourrait être déchirante, ne l’est finalement pas tant que ça, grâce à la légèreté que les réalisatrices réussissent à instiller dans leur récit. C’est la principale qualité du film. C’est aussi son principal défaut.

Reste l’interprétation, toujours parfaite, de Nina Hoss. Je ne connais pas de femme plus belle et plus élégante qu’elle – sinon peut-être une ambassadrice de France dans un pays de l’est de l’Europe.

La bande-annonce

Freda ★☆☆☆

La vie est dure à Haïti pour Freda, sa sœur Esther et sa mère Jeannette, propriétaire d’un petit commerce dans un quartier pauvre de Port-au-Prince. Jeannette, très pieuse, voudrait que ses filles fassent de beaux mariages. Esther, l’aînée, est bien frivole, et passe d’un homme à l’autre : le pasteur américain de l’Eglise évangélique de sa mère, un chanteur rasta, un sénateur qui l’impressionne avec son argent…. Freda la plus jeune, qui suit des cours d’anthropologie à l’université, quand ses professeurs ne sont pas en grève, est autrement plus politisée. Se laissera-t-elle convaincre par Yeshua, son amoureux, de quitter Haïti, devenue trop instable, pour Saint-Domingue, quitte à renoncer pour sa sécurité à son pays ?

Haïti est un pays éprouvé. Éprouvé par les tremblements de terre qui le ravagent périodiquement. Éprouvé par l’instabilité politique qui le ronge. Son cinéma, qui porte le reflet de cette lourde histoire, n’est pas très connu. Freda est le premier film haïtien sélectionné à Cannes depuis L’Homme sur les quais de Raoul Peck en 1993.

Son titre et son affiche font la part belle à Freda et à l’actrice qui l’interprète. C’est ne pas faire justice aux deux autres figures féminines du film : sa mère Jeannette et sa sœur Esther. Car c’est bien autour de ce triangle que le film est construit. Trois Femmes puissantes aurait mieux convenu si ce titre-là n’avait déjà été utilisé par Marie Ndiaye pour son roman goncourtisé. Freda, c’est la femme conscientisée, intelligente, éduquée, qui se bat contre le patriarcat. Sa sœur Esther, c’est la charmante gourde qui rêve au prince charmant et qui évidemment se perdra dans ce miroir aux alouettes. Jeannette enfin, sur le beau visage de laquelle le film se clôt, c’est la mère Courage qui endure tout en priant un Dieu sourd à ses appels.

Qui a voyagé à Haïti, qui a été touché par ses paysages et par la résilience de ses habitants, qui y a ses racines, dans l’île même ou dans les Caraïbes dont la vieille république résume à elle seule les tares et les atouts, sera certainement plus sensible à Freda que celui qui n’a aucune affinité avec cette région du monde. J’ai le handicap de faire partie de la seconde catégorie. Je n’ai jamais mis les pieds à Haïti. Freda ne m’en a pas donné particulièrement envie. Telle n’était d’ailleurs en rien l’intention de sa réalisatrice.

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Le Pardon ★★☆☆

Mina perd son mari, condamné à la peine capitale pour homicide. Elle travaille à la chaîne en usine et doit élever seule un enfant sourd. Un an après la mort de son époux, la justice lui apprend que le réel assassin a fait des aveux circonstanciés et que son époux a été exécuté à tort. La nouvelle écrase la veuve éplorée qui réclame des indemnités et la mise en cause des juges qui ont prononcé la peine capitale.
C’est alors que Reza apparaît dans la vie de Mina. Il affirme avoir une dette à lui payer. Il l’aide à trouver un nouvel appartement. Quels sont les ressorts cachés de la générosité de cet inconnu ?

Avec un incontestable talent, Une séparation d’Ashgar Farhadi, Ours d’Or à Berlin, Oscar du meilleur film étranger, a créé un genre : le-drame-iranien-poignant-et-réaliste. Le genre a connu, depuis dix ans bien des déclinaisons : les films suivants d’Asghar Farhadi (dont on attend le prochain, Un héros, en décembre), La Permission de Soheil Beiraghi, Trois visages de Rafar Panahi, Un homme intègre de Mohammad Rasoulof ou, le dernier en date, La Loi de Téhéran l’été dernier. Un autre film iranien, Marché noir, repéré au festival Reims Polar 2021 devait sortir le 6 octobre ; mais sa sortie a été intelligemment déplacée au 5 janvier 2022 pour éviter de saturer le marché. Chacun a leur façon, ces films racontent une tragédie universelle en faisant, en arrière-plan, le procès du régime de Téhéran et de ses dérives liberticides.

On pourrait adresser le même éloge à ce Pardon ou lui en faire la même critique. Il est aussi efficace, voire plus, que les autres films iraniens qu’on a vus ces dernières années. Son défaut est d’arriver après eux et de ne plus provoquer la surprise qu’ils suscitaient. On touche ici du doigt un défaut structurel de la critique cinématographique et de celui qui l’écrit : il/elle a déjà vu beaucoup (trop ?) de films. Son regard est peut-être plus aiguisé et mieux renseigné ; mais il n’a plus la virginité des autres spectateurs moins blasés.

Qui n’a jamais vu de film iranien sera sans aucun doute frappé par la force de ce Pardon, par son montage et ses ellipses qui, sans jamais perdre le spectateur, donnent au récit un rythme étonnant, par ses longs plans fixes ou ses lents travellings qui contrastent avec la mode envahissante des caméras au poing elliptiques. Quid de ceux qui ont vu – et aimé – Une séparation, Un homme intègre, La Loi de Téhéran et qui, précisément, parce qu’ils ont vu et aimé ces films-là, parce qu’ils s’intéressent au cinéma iranien, parce qu’ils suivent avec intérêt l’évolution de ce pays-monde, seront venus voir ce film-ci ? Il est à craindre qu’ils aient un sentiment de déjà vu et qu’ils restent sur leur faim.

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Mon légionnaire ★☆☆☆

Réalisé sur un mode quasi-documentaire, Mon légionnaire s’attache à la vie de deux légionnaires et de leurs épouses. Maxime (Louis Garrel) est un jeune lieutenant fraîchement émoulu de son école d’application. Il rejoint le 2ème REP de la Légion étrangère près de Calvi en Corse pour y prendre le commandement d’une compagnie. Sa femme Céline (Camille Cottin) l’accompagne, avec leur fils Paul ; mais, cette avocate de profession a du mal à se couler dans le moule de « l’épouse idéale ».
Vlad (Aleksandr Kuznetsov) est un sous-officier d’origine ukrainienne. Sa fiancée, Nika (Ina Marija Bartaitė, la fille de l’immense réalisateur lituanien, Šarūnas Bartas, tragiquement décédée en avril dernier dans un accident de la circulation), le rejoint à Calvi et découvre la dure condition de femme de militaire.

Rachel Lang avait déjà réalisé en 2016 Baden Baden, un premier film remarquable, qui flirtait avec les frontières de la fiction et du documentaire. Elle poursuit dans la même veine, mais avec moins de réussite.

Elle a fait l’erreur de recruter deux stars, Louis Garrel et Camille Cottin, qui tirent immanquablement le film vers la fiction. Mais elle met en même temps un point d’honneur à décrire scrupuleusement la vie de garnison et le déploiement de la compagnie commandée par Maxime en Opex. Du coup, le film échoue dans un entre-deux inconfortable : pas assez fictionnalisé pour être mélodramatique, pas assez documenté pour nous faire connaître tous les détails de la vie à la Légion.

On a un peu l’impression que la réalisatrice, qui a elle-même signé le scénario, a voulu nous montrer tous les aspects de cette vie-là mais, faute de disposer du matériau documentaire pour le faire, a demandé aux acteurs de les jouer. Toutes les facettes de la vie de couple sont ainsi successivement et scrupuleusement montrées : la douleur que créent les départs en mission des soldats, les fractures insidieuses qu’elles provoquent dans chaque couple, la façon dont certains les colmatent et d’autres n’y parviennent pas, la mort enfin qui rode et qui parfois s’abat…

Cela ne signifie pas que ce portrait délicat de la servitude et des grandeurs militaires manque de sensibilité. Mais il y a dans cet exposé systématique de toutes ses combinaisons possibles un peu trop d’application.

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Notturno ★★☆☆

Gianfranco Rosi est allé filmer la Syrie et ses marches qui peinent à refermer les plaies que Daesh y a laissées.

Gianfranco Rosi est sans doute l’un des plus grands documentaristes contemporains – ex aequo avec, de l’autre côté de l’Atlantique, Frederick Wiseman auquel je voue une vénération sacrée. Sacro GRA, une errance circulaire sur l’autoroute périphérique de Rome, fut en 2013 le premier – et à ce jour le seul – documentaire à recevoir le Lion d’Or à Venise. Fuocoammare reçut l’Ours d’Or à Berlin en 2016.

Fuocoammare m’avait inspiré une critique assez réservée. La bande-annonce de Notturno, ce que j’en lisais ici et là et les premières minutes me confirmaient dans mes préjugés : l’absence de toute voix off, de toute contextualisation laisse le spectateur désemparé devant une succession de clichés et le plonge lentement dans un ennui catatonique.

Sauf que… Sauf que les images filmées par Gianfranco Rosi dans quelques unes des régions les plus dangereuses du monde sont saisissantes. Et l’histoire qu’elles racontent l’est plus encore. Des mères arpentant les couloirs de la prison où leurs fils ont trouvé la mort. Des enfants yezidis pris en charge dans une structure d’accueil et dessinant les exactions commises par Daesh dont ils ont été témoins. Des prisonniers en tenue orange (qui rappelle celle de Guantanamo) parqués par centaines dans une cellule sans fenêtre. Une mère réécoutant les messages de sa fille kidnappée par Daesh….

Notturno est un documentaire éprouvant, constellé de scènes choquantes. Leur succession désoriente. Mais elle ne laisse pas indifférent.

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Spectre: Sanity, Madness & The Family ★☆☆☆

Tout dans ce film-documentaire est bizarre et dérangeant.
Son titre. Trop court ou trop long. Emprunté à un livre de R.D Laing et Aaron Esterson. Son affiche : une vieille photo aux tons passés d’enfants sur la plage aux visages occultés.
Son objet : est-ce une fiction ? un documentaire ? une autobiographie ? un clip vidéo ?
Son sujet : Jean reçoit de sa sœur aînée, partie depuis vingt ans au Japon sans espoir de retour, un lot de bandes sonores qui lèvent une partie du voile sur le passé mystérieux de sa famille, endoctrinée par un gourou.

Jean-Baptiste de Laubier alias Para One est diplômé de la Fémis. Il y a rencontré Céline Sciamma dont il a signé la musique électro de la plupart de ses films. Son goût pour la musique, son obsession pour le son transparaît dans ce documentaire qui prend la forme d’une odyssée sonore au Japon, en Bulgarie, en Indonésie. On y voit tout autant quelques vieux extraits de films de vacances en Super-8, des bouts filmés avec des acteurs de fiction que des captations des enregistrements de l’album Spectre, Machines of Loving Grace qu’il était allé enregistrer à travers le monde.

Le résultat est baroque, pour ne pas dire foutraque. On ne sait pas trop à quel saint se vouer – et on se demande si le réalisateur en avait une idée claire. On pense parfois au documentaire autobiographique de Eric Caravaca Carré 35 ; mais le secret qui y était exhumé était autrement plus poignant que le pétard mouillé qu’on découvre à la fin de Spectre. Reste le plaisir qu’on prend à écouter la B.O. – et notamment des chœurs bulgares inouïs.

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Debout les femmes ! ★★★☆

Début 2020, François Ruffin, député de La France insoumise, se voit confier par l’Assemblée nationale une mission d’études sur les métiers du lien. Ces métiers dévalorisés et mal reconnus sont presque toujours exercés par des femmes qui s’occupent de personnes âgées dépendantes ou d’enfants handicapés.
Comme l’usage le veut, la mission est bicéphale : un député d’opposition + un député de la majorité. On met dans les pattes du député LFI un élu En marche, Bruno Bonnell, ancien chef d’entreprise et chantre d’un capitalisme contre lequel Ruffin s’est toujours battu. Entre les deux hommes pourtant, malgré les différences idéologiques et la crise du Covid qui ralentira leurs travaux, naîtra une complicité inattendue pour la défense des plus défavorisées.

François Ruffin est désormais devenu une personnalité reconnue. Il ne l’a pas toujours été. Au début était une lettre d’information, Fakir, au ton volontiers provocateur mais au tirage confidentiel. La célébrité est arrivée avec un documentaire désopilant Merci patron !, César du meilleur documentaire 2017, et avec son élection-surprise à l’Assemblée nationale. Un an après J’veux du soleil, road-movie au pays des Gilets jaunes, François Ruffin et son compère de lutte Gilles Perret ne se sont pas laissés intimider par le Covid pour filmer Debout les femmes !

Je n’ai aucune sympathie pour la ligne politique défendue par François Ruffin et par son parti. Je nourris même une aversion spontanée et totalement irrationnelle pour son lider maximo. Pour autant cela ne m’empêche pas de reconnaître que les documentaires de François Ruffin frappent juste et touchent au cœur.

Son propos est-il totalement sincère ? Peut-être pas. Y a-t-il une part de manipulation dans son apparente candeur ? Peut-être. Mais peu importe. Je ne veux pas lui intenter ce procès-là.

Je veux juste reconnaître ce que toute personne sensée se doit de reconnaître, qu’elle soit de droite, de gauche ou d’ailleurs. Ces « métiers du lien », comme l’a amplement démontré la crise du Covid, sont indispensables. Et ils sont exercés par des femmes qui ne sont pas reconnues. La moindre des décences est de leur conférer un statut, un droit à la protection de l’emploi, à la formation, à l’évolution de leur carrière, de leur assurer des conditions de travail normales et de leur verser un salaire décent. Ni plus ni moins.

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Le Milieu de l’horizon ★★☆☆

Gus (Luc Bruchez) a treize ans. Il vit à la ferme avec ses parents, sa sœur aînée et son cousin un peu demeuré. C’est l’été 76, l’été de la canicule qui s’abat sur les hommes et les bêtes mettant en péril l’équilibre, déjà fragile, de l’exploitation familiale. Tandis que le père (Thibaut Evrard) se démène comme un beau diable pour sauver ses poulets et ses vaches, la mère (Laetitia Casta), fatiguée d’une vie de corvées, nourrit pour une amie de passage (Clémence Poésy) des désirs coupables.

Le monde paysan a décidément la cote dans le cinéma français [Oui. Je sais. J’ai commencé avant-hier ma critique d’Illusions perdues de la même façon en parlant des adaptations de Balzac]. Après les très réussis Petit Paysan et Au nom de la terre, on a vu se multiplier les mélodrames ayant pour héros des hommes et des femmes durs à la tâche, se frottant aux rudes travaux agricoles : La Terre des hommes, La Nuée, Revenir… sans parler de l’engouement soudain pour les documentaires sur le monde paysan : Honeyland, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes

La réalisatrice suisse Delphine Lehericey est allée tourner en 35mm en Macédoine l’adaptation d’un roman de son compatriote, Roland Buti, publié en 2013, dont l’action se déroule quarante ans plus tôt. On retrouve les couleurs, le grain de l’image et la moiteur de L’Eté meurtrier. Mais, même si Laetitia Casta est presqu’aussi sexy qu’Isabelle Adjani au sommet de sa gloire, la comparaison s’arrête là. Le Milieu de l’horizon (pourquoi ce titre qui ne veut rien dire ?) n’est pas l’histoire d’une machiavélique vengeance dans un village des Hautes-Alpes, mais plus banalement un coming of age movie, un film sur la sortie de l’enfance comme on en a déjà vu treize à la douzaine.

Il n’y a pas grand-chose à lui reprocher : les acteurs font le job (avec une mention spéciale pour Patrick Descamps dont c’est le troisième film qui sort en quatre semaines), le scénario se tient…. Mais il n’y a pas grand-chose non plus d’immémorable dans ce récit convenu et sa conclusion sans surprise.

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Pleasure ★★☆☆

Une jeune Suédoise, blonde et pulpeuse, vingt ans à peine, débarque à Los Angeles. Sous le nom de Bella Cherry, elle entend percer dans le X. Elle est prête à tourner les scènes plus extrêmes pour atteindre le Graal : devenir une Spiegler Girl.

Il y a quelques mois, en plein confinement, Netflix avait diffusé un documentaire exclusif sur l’industrie du porno, Hot Girls Wanted. On y suivait en Floride, l’espace de quelques mois, trois jeunes femmes et leur agent. Sans verser dans le misérabilisme ni dans le voyeurisme, cet excellent documentaire dépeignait une réalité sordide : des jeunes filles qui, sans qu’aucune contrainte physique ou psychologique soit exercée sur elles, décidaient, par attrait pour l’argent facile, pour soigner une blessure narcissique ou pour solder un différend familial, de faire de leur corps un objet sexuel.

C’est exactement la même réalité que dépeint, sur un mode fictionnel, Pleasure, un film suédois tourné par une militante féministe et anti-porno, dont il faut évidemment considérer le titre comme une antithèse provocatrice : le plaisir lubrique que les images du X donnent à des millions de masturbateurs solitaires (80 % des hommes « consommeraient » (sic) du porno) est le résultat de l’asservissement et de l’humiliation de milliers de jeunes femmes

Le film – comme le documentaire avant lui – a une qualité : il montre l’ambiguïté d’une industrie et de ses « modèles » qui reposent sur une logique capitaliste. Si les modèles sont asservis et humiliés, c’est parce qu’elles le veulent bien ! Une scène – parmi bien d’autres – est particulièrement éclairante à ce sujet : le tournage hardcore auquel Bella Cherry accepte de participer, où elle sera giflée, molestée, insultée par deux hommes brutaux et violents. La jeune femme, n’en pouvant plus, les implore d’arrêter… ce qu’ils font immédiatement, s’inquiétant de son état, la rassérénant, lui proposant une pause et un verre d’eau. Va-t-elle continuer ? Le réalisateur la rassure : c’est à elle de décider. Elle n’est forcée à rien. Mais que les choses soient claires : on a dérangé une équipe de tournage, une maquilleuse, un cadreur et deux acteurs. Il serait dommage d’en rester là et de ne pas mettre le film dans la boîte. Si elle se déballonne au milieu d’un tournage, elle devra faire une croix sur sa carrière.

Pleasure est interdit aux moins de seize ans en France. Sa classification a fait l’objet de deux visionnages et de longs débats devant la commission chargée de rendre un avis au ministre de la culture. On imagine volontiers les débats : le contenu du film, ses images très crues (à noter que si on voit beaucoup de pénis, plus ou moins érigés, en plans plus ou moins rapprochés, le film ne compte pas un seul gros plan de sexe féminin), plaidaient automatiquement pour une interdiction aux moins de dix-huit ans. Pour autant, on peut légitimement considérer que des adolescents de seize ans, gros consommateurs de videos X, pourraient utilement voir ce film pour toucher du doigt – si on ose dire – la réalité sordide qui se cache derrière les images dont ils sont si friands.

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Illusions perdues ★★★☆

Lucien Chardon (Benjamin Voisin) s’est mis en tête d’utiliser le nom de sa mère pour se faire une place dans le monde. Le jeune roturier, employé à Angoulême dans une modeste imprimerie, signe son premier recueil de poèmes Lucien de Rubempré, le dédie à Madame de Bargeton (Cécile De France), sa protectrice dont il fait sa maîtresse, et monte à Paris avec elle avant qu’elle ne le chasse sur les conseils de sa cousine, la marquise d’Espard (Jeanne Balibar).
Lucien, sans protection, sans travail et sans argent, trouve alors à s’employer dans un journal. Lousteau (Vincent Lacoste) en est le rédacteur en chef ; Finot (Louis-Do de Lencquesaing) le propriétaire. Loin des idéaux qu’il avait pu nourrir, Lucien, qui est tombé amoureux de Coralie (Salomé Dewaels), une actrice de boulevard, y découvre un monde cupide et corrompu. Il en adopte pourtant les usages et y connaîtra une gloire éphémère.

Balzac a décidément la côte. Trois semaines après Eugénie Grandet sort cette adaptation d’un autre des volumes, le plus connu peut-être, des Scènes de la vie de province. Les deux films vont-ils se cannibaliser ? Les amoureux de Balzac ou les parents d’élève qui auront amené leur collégien de quatrième voir Eugénie Grandet fin septembre, amèneront-ils leur lycéen de première voir Illusions perdues trois semaines plus tard ?

J’avais eu la dent dure contre Eugénie Grandet, que j’avais trouvé bien académique. Au contraire, j’ai été enthousiasmé par Illusions perdues pour des motifs dont je ne parviens pas avec certitude à déterminer s’ils tiennent de l’oeuvre de Balzac ou de son adaptation par Xavier Giannoli.

Car, à la différence d’Eugénie Grandet, Illusions perdues est sacrément moderne. Il présente le monde de la presse, que Balzac connaissait bien pour y avoir longtemps travaillé, avec une acuité qui n’a rien perdu de son actualité. L’action se déroule sous la Restauration. Balzac écrit vingt ans plus tard. La presse est libre. Mais cette liberté est détournée. Des journalistes sans états d’âme vendent leur plume aux plus offrants pour colporter des fausses nouvelles – on ne parlait pas encore de fake news, mais de « canards » – faire l’éloge des spectacles ou des livres pour lesquels ils avaient reçu des pots-de-vin ou, au contraire, quelle qu’en soit la valeur réelle, les exécuter d’une critique assassine.

Vincent Lacoste, dont la moue molle a normalement le don de m’horripiler (ne manquerait plus qu’il tourne avec Isabelle Huppert), excelle dans le rôle de ce chef de rédaction au cynisme revendiqué. Dans une scène mémorable, Il apprend au jeune Lucien – qui n’est pourtant son cadet que de quelques années et qui pourrait lui ressembler bien vite s’il décidait de suivre la même voie – comment exécuter une oeuvre, même si elle est bonne : « Le récit est parfaitement maîtrisé ? Il est prévisible ! L’intrigue est finement observée ? L’œuvre manque de mystère ! ». La scène a pour moi, qui me pique de rédiger chaque matin une critique, un écho féroce, en me montrant avec quelle facilité on peut écrire tout ou son contraire, faire d’une qualité un défaut et transformer en exercice de style gratuit ce qui devrait toujours être l’expression sincère d’un sentiment authentique.

D’ailleurs on pourrait utiliser les termes mêmes de cette scène pour instruire le procès du film de Xavier Giannoli : trop long, trop académique, trop prévisible (on sait depuis la Rome antique qu’il n’y a qu’un pas du Capitole à la roche Tarpéienne et que le succès de Lucien annonce sa chute inéluctable)…. mais ce serait se montrer bien injuste avec un réalisateur qui, depuis vingt ans, trace son chemin dans le cinéma français avec de la belle ouvrage, régulièrement salué mais jamais acclamé (il a été nommé trois fois aux Césars pour Quand j’étais un chanteur, À l’origine et Marguerite, mais n’a jamais décroché de statuette).

Son film est d’une revigorante énergie. On y découvre, en voisin éclairé, les galeries du Palais-Royal qui, à l’époque étaient le haut lieu de la galanterie parisienne. On y croise des seconds rôles intimidants : Jeanne Balibar, mielleusement aristocrate, Gérard Depardieu, plus obèse que jamais mais moins exubérant qu’il n’en a l’habitude, Xavier Dolan lui aussi admirable de retenue et de profondeur (son personnage, caricature de l’écrivain de Cour, s’avère l’un des plus profonds du film), André Bercon, l’impresario inoubliable de Marguerite, Cécile de France désormais abonnée aux rôles de MILF, Jean-François Stévenin dans son tout dernier rôle, les traits déjà émaciés par la maladie….

Face à ces statues du Commandeur, Giannoli fait le pari de confier les premiers rôles à deux jeunes inconnus. Benjamin Voisin avait été révélé par François Ozon dans Été 85 ; il est de tous les plans de ces Illusions perdues qu’il porte sur ses jeunes épaules avec ce mélange de fougue juvénile et de fragilité qui caractérise son jeu. Quant à Salomé Dewaels on ne l’avait jamais vue, mais on fait le pari qu’on la reverra très vite.

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