Nope ★☆☆☆

Après la mort de son père, Otis Haywood Jr. (Daniel Kaluyaa) essaie tant bien que mal de faire survivre le ranch familial situé aux marches du désert californien. Il y élève des chevaux pour le cinéma et la télévision. Son voisin, Jupe, un ancien acteur de cinéma reconverti dans l’entertainment, possède un parc à thèmes et voudrait racheter ses terres et ses bêtes.
OJ est témoin, avec sa sœur Em, de phénomènes célestes étranges. Bien vite, ils se convainquent qu’il s’agit d’un OVNI qui pourrait les rendre célèbres s’ils parviennent à en prendre une image. Mais malgré l’installation de caméras de surveillance par un expert en électronique et le concours d’un réalisateur en quête d’absolu, le défi que se sont lancés OJ et Em risque de leur coûter la vie.

Il n’est pas facile de parler de Nope, dont l’une des principales qualités tient dans la frustration qu’il fait naître chez le spectateur pendant une bonne moitié du film en refusant de lui expliquer et de lui montrer le mystère que cachent les nuages du désert de Californie. Les héros occupant un monde bizarrement vidé de ses habitants devraient logiquement avoir pour réaction la peur, l’effroi et la fuite. Mais tel n’est pas le comportement d’OJ et de Em. Au lieu de considérer que la mystérieuse créature qui se cache dans les cieux les menace – ce que tout être humain sensé ferait à leur place – ils se mettent en tête de la filmer. Réaction déconcertante sinon dépourvue de toute crédibilité, au service d’une métaphore qu’on pourra trouver, au choix, pataude ou d’une brûlante actualité : nous vivons dans une société du spectacle où la quête de « l’image impossible » est devenue la valeur suprême.

Mais l’épais et malaisant mystère qui entoure cet Ovni se dissipe peu à peu. À la première partie, qui avait réussi à nous mettre délicieusement mal à l’aise, succède une seconde d’une facture beaucoup plus classique. Reprenant les codes du film d’horreur et du western, cette seconde partie nous raconte un duel au soleil et sous les nuages qui oppose l’Ovni qui s’avère être un dangereux prédateur en, quête de nourriture et notre quarteron de chasseurs d’images.
Alors, certes, on pourra admirer la beauté visuelle de cet OVNI new age. Mais sa grâce élégiaque n’a pas suffi à me tenir haleine pendant les plus de deux heures qu’a duré Nope.

La bande-annonce

Leila et ses frères ★★☆☆

Pour les sortir de la mouise, Leila incite ses quatre frères à réunir leurs économies pour acheter une boutique dans le centre commercial ultra-moderne où elle travaille. Mais leur maigre épargne n’y suffisant pas, ils doivent solliciter l’appui de leur père qui le leur refuse : il préfère en effet consacrer les quarante pièces d’or qu’il a patiemment épargnées toute sa vie durant pour devenir le parrain du clan Jourablou. Des cousins guère scrupuleux lui ont laissé miroiter cette position qui flatte son amour-propre au risque de le ruiner.

Un an après La Loi de Téhéran qui avait fait sensation, Saeed Roustaee revient sur les écrans. Son troisième film (après Life and Day tourné en 2016 mais inédit en France) souffre de la comparaison avec son précédent qui le surpasse. On ne retrouve pas dans Leila… les mêmes qualités que dans La Loi de Téhéran qui nous plongeait vertigineusement dans les bas-fonds interlopes de la capitale iranienne.

Leila et ses frères nous raconte l’histoire d’une famille iranienne qu’on imagine moyenne. Deux parents désormais retraités ; cinq enfants entre trente et cinquante ans aux vies cabossées. Alireza vient de se faire licencier d’une entreprise en faillite frauduleuse. Parviz suffoque sous ses kilos excédentaires et les cinq enfants en bas âge que son épouse lui a donnés. Farhad conduit un taxi. Manouchehr mouille dans des trafics louches. La seule à s’être stabilisée et à jouir d’un emploi fixe est Leila, la sœur cadette. Le manque d’argent oblige Alireza, Farhad et Leila à se serrer sous le toit de leurs parents, en attendant des jours meilleurs.

Leila et ses frères raconte comment cette espérance va tenter de se concrétiser grâce au plan de Leila. Sa réalisation suppose de trancher quelques conflits familiaux et, en premier lieu, de venir à bout de l’égoïsme forcené de Heshmat, patriarche presque gâteux qui n’a jamais su donner à ses enfants l’amour et l’éducation qu’ils réclamaient. Elle doit aussi s’accommoder de quelques coups du sort.

En regardant Leila et ses frères (dont le rôle titre est interprété par une actrice qui avait souvent tourné avec lui), on pense au cinéma de Ashgar Farhadi, à ses drames familiaux poignants qui laissent ses héros brisés. Ici, la recette est un peu indigeste. Le film dure en effet près de trois heures. C’est sans doute nécessaire au déploiement d’une intrigue qui connaît de multiples rebondissements. Mais c’est beaucoup pour le spectateur qui ressort groggy de cette épreuve où chaque scène est un match de boxe où des combattants acharnés se disputent en hurlant.

La bande-annonce

Trois mille ans à t’attendre ★☆☆☆

Alithea Binnie (Tilda Swinton) est une intellectuelle solitaire, qui ne trouve depuis l’enfance son bonheur que plongée dans l’étude. Cette éminente narratologue anglaise, victime de déroutantes hallucinations, se rend à Istanbul pour y donner une conférence. Elle y soutient que la science comme instrument d’explication du monde a supplanté le mythe. Dans le grand bazar, elle achète un carafon qui retenait prisonnier un djinn (Idris Elba). Sitôt libéré, il lui propose d’exaucer trois vœux. Mais la conférencière, qui sait d’expérience ce qu’il en coûte à se montrer trop gourmand, préfère écouter le djinn raconter l’histoire de sa vie.

Entre deux Mad Max – le quatrième en 2015 reçut un accueil si unanime que je n’ose plus citer ma critique mitigée et le cinquième est en cours de tournage – le réalisateur George Miller prend son public à contre-pied en lui livrant un film inclassable.

La touche de folie que porte Tilda Swinton laisse augurer, quand on regarde sa bande-annonce et sa première demi-heure à une comédie vagabonde sur les bords du Bosphore. Mais bien vite, le film semble trouver son rythme avec l’entrée en scène, impressionnante…. évidemment impressionnante… de Idris Elba. Une histoire se raconte, celle du djinn (qui restera innommé tout le long du film), de la façon dont il se libère des bouteilles dans lesquelles il est régulièrement enfermé, depuis sa présence résignée aux ébats du roi Solomon et de la reine de Saba jusqu’à sa participation à la succession de Soliman le Magnifique. La reconstitution est luxueuse, donnant l’occasion de quelques scènes épiques qui louchent du côté du kitsch assumé de 300 sinon des Dix Commandements.

On aurait pu s’en contenter. Mais, las ! [attention spoiler] George Miller trouve le moyen d’en rajouter une troisième couche dans la dernière demi-heure qui quitte les rives du Bosphore et la chambre d’hôtel où un véritable récit-monde se racontait pour la grisaille londonienne. Les récits mythologiques cèdent le pas à une banale romance que le scénario n’arrive pas à conclure dans une fin à tiroirs que je ne suis pas sûr d’avoir comprise. Tout le plaisir pris à suivre l’épopée étourdissante d’Idris Elba à travers les siècles se retrouve pris au piège d’une intrigue minuscule et sans originalité.

La bande-annonce

La Dérive des continents (au sud) ★☆☆☆

Nathalie (Isabelle Carré) travaille pour la Commission européenne en Sicile à l’accueil des réfugiés provenant de la rive su de la Méditerranée. Dans le camp qu’elle dirige, elle prépare dans le plus grand secret la visite surprise que doivent y faire Emmanuel Macron et Angela Merkel, précédés par deux de leurs conseillers. Elle y retrouve par hasard son propre fils, Albert, qui s’était violemment éloigné d’elle après que Nathalie a divorcé avec son père et révélé son homosexualité.

Lionel Baier poursuit un projet ambitieux : dresser en quatre films tournés aux quatre coins de l’Europe un portrait kaléidoscopique de notre continent dont son pays, la Suisse, occupe le centre. Il y eut d’abord Comme des voleurs (à l’est), réalisé en 2009 entre la Suisse et la Pologne, mais inédit en France. Puis le très réussi Les Grandes Ondes (à l’ouest) qui mettait en scène deux reporters de la Radio télévision suisse au Portugal à la veille de la révolution des œillets. Voici au sud de l’Italie La Dérive des continents en attendant Keek (au nord) qui sera filmé en Ecosse.

La Dérive des continents a pour thème ou pour prétexte la crise migratoire en Méditerranée et l’accueil des réfugiés subsahariens en Italie, en butte au racisme ordinaire des habitants et à la montée de l’extrême droite et de son discours xénophobe. Le parti pris, passablement casse-gueule, est de le traiter par la comédie. Pourquoi pas ? On accepte volontiers de suivre les préparatifs d’une visite présidentielle dans ce camp de réfugiés en compagnie d’un énarque péremptoire (non ! ce n’est pas un pléonasme !) et d’une fonctionnaire allemande qui symbolise à elle seule la froide efficacité de l’administration fédérale. On rit de la morgue du premier et de la raideur de la seconde. On se demande si tout le film va pouvoir durer sur cette seule veine là. Et on a raison de s’en inquiéter. Car bien vite La Dérive… dérive.

Adieu les promesses de la bande annonce d’une comédie primesautière dénonçant les apories de la politique migratoire européenne ! La Dérive prend la tangente vers un autre sujet annoncé par son affiche : la réconciliation d’une mère et d’un fils. Ce sujet est beaucoup plus convenu que le précédent. Isabelle Carré lui donne un tour mièvre qui achève de le plomber un peu plus malgré l’énergie rebelle de Théodore Pellerin (dont la filmographie m’apprend qu’il a joué dans les excellents Never Rarely Sometimes Always et Boy Erased).

La bande-annonce

Les Derniers Jours dans le désert ★☆☆☆

Jésus, on le sait (même si l’Evangile selon saint Jean n’en dit mot), a passé quarante jours dans le désert. Mais qu’y a-t-il fait sinon repousser les tentations du Diable ? Le réalisateur Rodrigo Garcia (auquel on doit quelques épisodes de Six Feet Under, des Soprano ou de The Affair) imagine une rencontre avec la famille d’un tailleur de pierres qui exerce sur son fils une autorité tyrannique tandis que sa femme se meurt d’un mal incurable.

Les Derniers Jours… a été réalisé en 2015, est sorti aux Etats-Unis en 2016, mais aura mis près de sept ans à se frayer un – timide – chemin sur les écrans français. Il est sorti à Paris dans une seule salle, étonnamment vide – j’ai failli écrire « déserte ».

Jésus – dont le nom n’est jamais prononcé – y est campé par Ewan McGregor qu’on croirait sorti d’un épisode de Star Wars. Le tailleur de pierres est interprété par Ciarán Hinds, un acteur irlandais que je confonds régulièrement avec Clive Owen, et qui a autant de talent que lui sinon de sex appeal. Dans le rôle du jeune garçon, on reconnaît Tye Sheridan qui allait percer quelques années plus tard dans X-Men et Ready Player One.

Les Derniers Jours… est tourné dans les paysages grandioses du désert du Colorado, au sud de la Californie, qui rappelle à s’y méprendre la vallée du Jourdain. La photographie est époustouflante. Mais c’est bien la seule qualité de ce film trop contemplatif au scénario poussif dont on peine à comprendre le sens.

La bande-annonce

Bullet Train ★★☆☆

Coccinelle (Brad Pitt) est un tueur à gages frappé par la poisse, bien décidé à ce que sa prochaine mission se déroule sans encombres. Il prend le Shinkansen à Tokyo pour y dérober une mallette et en remettre le précieux contenu à ses commanditaires à la gare d’arrivée à Kyoto. Mais, pour le plus grand dépit de Coccinelle, sa route va croiser celle d’autres fines gâchettes embarquées dans le même train : celle de Citron et Mandarine, deux frères soi-disant jumeaux qui escortent le fils dévoyé d’un caïd de la pègre japonaise, celle d’un père dévoré par le chagrin et la culpabilité qui veut venger l’agression perpétrée sur son fils par une jeune ingénue, Prince, qui cache en fait une machiavélique meurtrière, celle encore d’un pistolero mexicain, Le Loup, bien décidé lui aussi à venger la mort de sa femme assassinée par une meurtrière, Le Frelon, qui achève ses victimes en leur injectant un poison mortel.

David Leitch fut d’abord cascadeur. Il doubla régulièrement Brad Pitt dans Fight Club, Ocean’s Eleven, Troie, Mr and Mrs Smith…. avant de passer derrière la caméra. De sa formation, il garde un sens inné de la chorégraphie des combats qui éclate dans Bullet Train.
On lui doit Deadpool 2, la suite d’un film à succès construit autour d’un principe terriblement en vogue : la coolitude sinon la beaufitude de son (super-)héros.
C’est autour de ce cocktail efficace qu’est construit Bullet Train : des personnages cools + des combats épiques

Si l’on porte sur ce mélange un regard adulte et sérieux, on ne peut qu’en critiquer l’inanité : « quelques effets tape-à-l’œil et une ironie embarrassante »« gloubi-boulga infernal » ou encore « dialogues ouvertement neuneus » écrit sans concession Écran Large.
Mais, si on accepte le principe du blockbuster estival, on se laisse agréablement divertir. Mieux : on se prend au jeu d’une intrigue volontairement alambiquée où se croisent une foule de personnages et d’intrigues qui obligent nos neurones à un minimum d’attention.
Et surtout on se régalera de la prestation de Brad Pitt qui, à près de soixante ans, n’a jamais été aussi sexy ni aussi cool qu’ici.

La bande-annonce

La Verónica ★★☆☆

Verónica (Mariana di Girolamo, l’incandescente danseuse de Ema) est l’épouse d’un joueur de football chilien à la renommée internationale. C’est aussi une mannequin et une influenceuse, omniprésente sur les réseaux sociaux. Après quelques années à Dubaï, elle revient avec son mari au Chili. Malgré sa popularité, Verónica vit mal la naissance de son bébé.

La Verónica repose sur un parti pris formel audacieux dont la bande annonce souligne le vertige. Il est entièrement tourné en plan fixe où son héroïne apparaît face caméra. Sacré défi scénaristique que La Verónica relève brillamment : chaque plan est immédiatement compréhensible et s’inscrit dans la continuité du précédent.

On y découvre une héroïne ambiguë : Veronica est-elle une starlette superficielle et narcissique ? une maman en plein baby blues qui chasse son spleen en pourchassant une célébrité artificielle ? ou une dangereuse manipulatrice prête à tout pour atteindre son but ?

La Verónica rappelle Sweat, le film polonais sorti en juin dont l’héroïne était une influenceuse en mal d’amour. Il est d’ailleurs intéressant que deux cinémas aussi éloignés que peuvent l’être le polonais et le chilien se soient emparés quasiment en même temps de cette figure-là, si contemporaine et désormais si universelle. Sweat soulignait la limite entre vie publique et vie privée : où se niche notre intimité si toute notre vie privée s’affiche sur les réseaux ? La Verónica est plus complexe. C’est d’ailleurs plus un portrait de femme qu’une réflexion sur les réseaux sociaux.

L’exercice frôle la sortie de route et menace un temps de fonctionner à vide. Mais le scénario de La Verónica est suffisamment rythmé et suffisamment malin pour maintenir la tension – et l’attention. Son dénouement est bluffant et justifie l’intérêt de ce film qu’on aurait tort de réduire à un pur exercice de style.

La bande-annonce

America Latina ★★☆☆

La quarantaine, Massimo (Elio Germano) est dentiste. Il habite dans une luxueuse maison de la campagne romaine avec sa femme et ses deux filles. Sa vie sans histoire, rythmée par ses sorties hebdomadaires avec Simone, son ami de toujours, est brutalement rompue par une découverte macabre : dans sa cave, Massimo découvre une jeune fille brutalisée et attachée. Comment est-elle arrivée là ?

Les frères D’Innocenzo ont fait une entrée remarquée sur la scène cinématographique italienne en 2018 avec Frères de sang, qui peignait sans concession la dérive de deux adolescents affranchis de leurs parents. On les retrouvait l’an dernier avec Storia di Vacanze qui, sous des dehors anodins, cachait une violence sourde qui éclatait à sa dernière image. America Latina est construit sur le même principe : celui d’une énigme qui ne se résoudra qu’à la toute fin du film.

Son affiche nous met sur la piste : il y a quelque chose qui ne va pas dans la tête de Massimo. Oui…. mais quoi ? C’est la question qui nous taraudera pendant tout le film. Bien malin celui qui y aura répondu avant sa résolution. En tout cas, bien plus malin que moi qui ne l’avais pas vue venir !

America Latina (dont la signification du titre m’est restée obscure jusqu’à présent) repose tout entier sur la prestation de son acteur principal, de chaque plan. Depuis une vingtaine d’années, Elio Germano s’est fait une place parmi les plus grands acteurs italiens. Il a déjà obtenu quatre fois le David du meilleur acteur, l’équivalent de nos Césars (Vittorio Gassman et Alberto Sordi l’ont obtenu sept fois, Mastroianni cinq). Ses prestations dans Alaska, dans Suburra, dans Je voulais me cacher étaient impressionnantes. Pourtant, faute d’avoir inscrit son nom au sommet de l’affiche d’un succès mondial, Elio Germano n’a pas encore accédé au statut de star qu’il mérite amplement.

La bande-annonce

Cyrano ☆☆☆☆

Faut-il résumer l’histoire archiconnue de Cyrano, celle d’un amour impossible que cet homme au physique disgracieux nourrit pour la belle Roxane, convoitée par l’infâme De Guiche qui, elle, n’a d’yeux que pour le beau Christian qui la séduira grâce aux poèmes que Cyrano lui écrira sous cape ?

Ce film est l’adaptation à l’écran de la comédie musicale créée en 2018 à Broadway par Erica Schmidt, l’épouse de Peter Dinklage. MGM en confie la direction à Joe Wright, le réalisateur de grosses machines aussi diverses et réussies que Orgueils et Préjugés, Reviens-moi, Anna Karénine et Les Heures sombres. C’est à sa compagne, Haley Bennett qu’est confié le rôle de Roxane. Bref, on reste en famille….

Son originalité repose sur une seule idée qui se veut transgressive : la tare de Cyrano ne vient plus de son nez disgracieux – ce qui prive le film de sa tirade la plus fameuse – mais de sa taille minuscule. Dans le rôle titre, le grand Peter Dinklage, l’indépassable Tyrion de Game of Thrones. C’est un peu court – et terriblement « politiquement correct » – pour en faire tout un film.

Certes, Cyrano a été tourné dans des décors somptueux en Sicile (qui était, en plein Covid, le seul endroit disponible pour tourner une superproduction hollywoodienne). Certes ses costumes et ses chorégraphies sont flamboyantes. Mais, comme souvent dans les comédies musicales, l’action est ralentie par les passages chantés. La beauté des alexandrins de Rostand disparaît dans la langue anglaise (je me demande si la version en vf revient au texte original de la pièce mais je crains que non) Et, ultime défaut, celui-ci rédhibitoire, aucune des chansons n’emporte la conviction sinon peut-être l’une des dernières Every Letter. Mais il est trop tard. L’intérêt du spectateur s’est depuis longtemps dissipé devant ce gloubi-boulgas à la sauce trop riche.

Cyrano a bien failli ne pas sortir en salles en France. Après qu’aux Etats-Unis le film eut fait un four – il n’avait engrangé que six millions de dollars de recettes alors que sa production en avait coûté trente – son distributeur français renonça un temps à sa sortie avant de revenir in extremis sur sa décision. Mais, sorti en catimini le 30 mars, dans un réseau très limité, il a très vite disparu de l’affiche.

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Le Rapport Auschwitz ★☆☆☆

Deux Juifs slovaques évadés d’Auschwitz en avril 1944, Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, ont rédigé un rapport dans lequel ils témoignaient pour la première fois des crimes de masse qui y étaient commis. Ce rapport, on le sait, n’a pas convaincu les Alliés qui ont refusé de bombarder les camps pour y arrêter le génocide qui y était perpétré.

Cette histoire vraie pouvait susciter un film qui aurait raconté les motifs de cette incrédulité. Pourquoi les Alliés n’ont-ils pas cru Vrba et Wetzler ? Parce que la crédibilité des témoins, dont les Alliés auraient peut-être questionné les motivations, aurait été mise en doute ? ou bien parce que les faits qu’ils rapportaient étaient tellement monstrueux qu’ils dépassaient l’entendement ? ou bien encore parce que, quand bien même leur témoignage aurait été cru, les Alliés, par cynisme auraient sciemment laissé mourir des millions de Juifs ? ou bien enfin parce que, après de longues délibérations, la décision aurait été prise en connaissance de cause de se concentrer sur la victoire militaire contre l’ennemi nazi, dont les Alliés auraient estimé qu’elle était le meilleur moyen de mettre un terme rapide à la déportation des Juifs et à leur extermination de masse ?
Il y avait là matière à un film qui, d’Auschwitz à Bratislava, de Londres et à Washington, aurait montré des antichambres, des salles de réunions, des discussions passionnées opposant les deux ex-prisonniers lançant des appels vibrants à l’aide pour leurs camarades de captivité dont ils savaient la mort imminente à des militaires ou des hommes politiques, empathiques ou cyniques, compréhensifs ou obtus.

Mais tel n’est pas le film que tourne le réalisateur slovaque Peter Bebjak. Il préfère se concentrer sur l’évasion des deux prisonniers comme le ferait n’importe quel thriller hollywoodien. Il les filme d’abord à l’intérieur du camp puis durant leur longue odyssée. C’est seulement dans le tout dernier quart d’heure  et avec le carton final qu’est expédié sans surprise le récit de leur cruelle déconvenue.

Par conséquent, Le Rapport Auschwitz se condamne à une énième description sans originalité de la monstrueuse inhumanité des camps de la mort avec ses figures convenues : le nazi sadique, les baraquements miteux, le prêtre sacrificiel… La Liste de Schindler ou Le Fils de Saül ont définitivement filmé l’infilmable. Il ne fallait pas attendre mieux du Rapport Auschwitz.

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