Maria ★★☆☆

La jeune Maria Schneider a dix-neuf ans à peine quand elle est choisie par Bernardo Bertolucci pour tourner avec la star Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris. Le film remporte un succès de scandale grâce notamment à une scène de sodomie simulée tournée sans le consentement de l’actrice. Maria, à laquelle on ne propose que des rôles dénudés, sombre dans l’addiction.

La journaliste Vanessa Schneider – qui pour l’anecdote m’a interviewé en 1994 alors qu’elle n’était encore que jeune pigiste chez Libération et que j’entamais ma scolarité à l’ENA qui venait d’être délocalisée à Strasbourg – a consacré en 2018 un livre autobiographique à sa cousine Maria. La petite Vanessa se souvient des frasques de sa cousine dans les années 70 qui trouvait parfois refuge chez son oncle, quand elle s’était disputée avec sa mère.
La jeune actrice ne s’est pas remise du succès sulfureux que lui valut Le Dernier Tango. Elle a refusé les rôles trop simplistes qui lui étaient proposés, s’excluant d’elle-même des castings. Elle s’est lentement abîmée dans l’alcool et dans la drogue. Elle a eu certes d’autres rôles, avec Antonioni et Rivette. Mais ses addictions étaient trop sévères pour lui permettre de tenir son planning, de mémoriser ses textes et de mener sa carrière. Elle s’est fait renvoyer du tournage de Cet obscur objet du désir par Bunuel qui ne la trouvait pas convaincante, et de celui de Caligula car elle refusait d’y jouer nue.

Maria Schneider est depuis #MeToo devenue une figure symbolique des violences sexistes dans le monde du cinéma. Elle est le témoin d’une époque qu’on espère révolue : celle où une jeune femme pouvait, sans son consentement, être agressée sous l’oeil voyeur de la caméra sans que l’équipe de tournage ne lui manifeste la moindre empathie, et être enfermée, pour le restant de sa vie, dans un rôle qu’elle n’avait pas choisi. Une séquence du documentaire de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi ! la montre fulminant contre le machisme du cinéma : « On ne me propose que des rôles de schizophrène, folle, meurtrière, lesbienne, que des choses comme ça, que je n’ai pas envie de faire »

Le film de Jessica Palud – qui fut stagiaire sur le tournage des Innocents de Bertolucci au début des années 2000 – rend justice à la figure de Maria Schneider. Il bénéficie de l’interprétation époustouflante de Anamaria Vartomolei. La jeune actrice, César du meilleur espoir féminin en 2022 pour L’Evénement, est décidément l’une des actrices les plus prometteuses de sa génération. On vient de la voir dans Le Comte de Monte-Cristo. Méconnaissable dans Maria sous la mèche brune qui lui cache les yeux, elle joue une adolescente en quête de père (Maria Schneider était la fille adultérine de Daniel Gélin qui ne l’avait pas reconnue), une jeune actrice qui se brûle les ailes à la flamme de la célébrité, une femme bafouée et perdue qui ne parvient plus à se reconstruire en dépit de l’amour que lui porte la jeune Noor (Céleste Brunnquell).

Maria est un film très appliqué, dans son scénario platement chronologique, dans sa mise en scène, dans sa reconstitution soignée des années 70. Sa défense de Maria Schneider, érigée en martyre d’un cinéma patriarcal, est irréprochable. Mais il a l’effet paradoxal d’enfermer son héroïne dans le rôle de victime dont Maria Schneider a pourtant essayé, sa vie durant, de s’arracher.

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Juliette au printemps ★★★☆

Trentenaire, dépressive, Juliette (Izïa Higelin), illustratrice de livres pour enfants, retourne se resourcer en famille dans l’Ain. Elle y retrouve ses parents séparés, son père un peu lunaire (Jean-Pierre Darroussin), sa mère fantasque qui se pique de peindre et passe d’amant en amant (Noémie Lvovsky), sa sœur hyperactive (Sophie Guillemin) qui étouffe auprès d’un mari trop planplan (Eric Caravaca), sa grand-mère qui vient d’être placée en EHPAD et dont Juliette se charge de vider la maison (Liliane Rovère).

La réalisatrice Blandine Lenoir avait déjà signé deux films remarquables : Aurore sur la crise existentielle d’une Agnès Jaoui en pleine ménopause, Annie colère sur le combat pour la décriminalisation de l’avortement au début des années 70. Son troisième est au moins aussi réussi. Pourtant son pitch tellement banal n’augure rien de bon. Il nous promet, tout au mieux, l’histoire convenue d’un retour au pays natal, d’une escapade en province d’une Parisienne dépressive, dont on sait par avance qu’elle sortira régénérée de ces quelques jours auprès des siens.

Avec un motif insignifiant, Juliette au printemps réussit pourtant le miracle de nous intéresser et de nous émouvoir. Il le doit d’abord à une panoplie d’acteurs qui comptent parmi les tout meilleurs du moment. Chacun dans son registre, Jean-Pierre Darroussin et Noémie Lvovsky font ce qu’ils savent si bien faire : lui incarne le lait de la tendresse humaine, elle la folie douce. Leur interprétation en deviendrait presque lassante si elle n’était pas à chaque fois si précisément juste. Celle qui crève l’écran, c’est Sophie Guillemin. La jeune révélation de L’Ennui de Cédric Kahn à la fin des années 90 a pris de longs chemins de traverse. Elle s’est convertie à l’Islam, a porté le voile, avant de revenir, Dieu merci, au cinéma. Depuis quelques années, la quarantaine épanouie, on la revoit enfin. Ici, elle tient un rôle étonnant de mère au foyer control freak et d’amante dionysiaque (on n’oubliera pas de sitôt ses galipettes dénudées avec son fantomatique amant). La seule qui détonne dans ce casting plaqué or, c’est Izïa Higelin, peut-être trop radieuse, trop souriante, trop solaire, pour interpréter une héroïne frappée par la neurasthénie (Nina Meurisse ou Suzanne Jouannet auraient été des choix plus judicieux).

Sa réussite, Juliette au printemps la doit aussi à un scénario qui nous ménage dans sa seconde partie une révélation déchirante. L’évoquer est déjà trop en dire. Chaque famille cache des secrets. Celui-ci n’en est pas tout à fait un. Il n’en est que d’autant plus émouvant. Il arracherait des larmes à une pierre.

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In Water ★★☆☆/☆☆☆☆

Un jeune réalisateur et deux acteurs sont partis tourner un court métrage au bord de la mer. Leur budget est serré. Le réalisateur, à court d’idées, n’a aucun plan de tournage. Mais l’inspiration lui vient soudainement et le tournage peut commencer…

À soixante ans passés, Hong Sangsoo n’a jamais été aussi prolifique. Ce n’est pas deux mais presque trois films par an qu’il parvient à tourner et à sortir : Walk Up  en février 2024, ce In Water en juin et A Traveler’s Needs, présenté au dernier festival de Berlin, programmé pour l’automne prochain.

Une telle productivité est-elle obtenue au détriment de la qualité ? Hong Sangsoo bâcle-t-il ses films ? Je l’ai souvent pensé et parfois écrit dans des critiques « coups de gueule » (Hotel by the River, Yourself and Yours…). Et puis est venu un moment où, mithridatisé, j’ai fini par m’habituer à ce cinéma et ai accepté d’en reconnaître les qualités.

À considérer In Water, on pourrait facilement crier au foutage de gueule. Il s’agit en effet d’un film d’une heure à peine, qui se définit de justesse comme un long métrage, dont l’intrigue tient sur un timbre poste et dont, comme s’il n’avait pas déjà suffisamment de tares, l’image est floutée, comme si le budget serré du tournage n’avait pas permis d’en fignoler la mise au point.

Deux opinions radicalement différentes peuvent alors s’affronter. La première verra dans ce flou artistique un parti pris audacieux, le questionnement d’un dogme cinématographique jamais remis en cause (pourquoi l’image de tous les films est-elle si parfaitement nette ?), une expérimentation quasi-picturale dans la veine des impressionnistes que Hong Sangsoo vénère, la tentative pour le réalisateur, qui est affecté de troubles de la vision, d’en faire partager l’expérience à ses spectateurs…
L’autre, nettement moins indulgente, verra dans ce flou pas vraiment artistique un foutage de gueule, un manque de respect pour les spectateurs, condamnés à avaler deux aspirines à la sortie de la salle, une tentative absurde de pousser le cinéma dans ses limites (et pourquoi pas demain un film sans images ?), la seule originalité bien artificielle d’un film qui, par ailleurs, se réduit à presque rien.

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Les Pistolets en plastique ★☆☆☆

Après avoir tué sa femme et ses enfants, Paul Bernardin a disparu. Il s’est réfugié en Argentine et y coule désormais des jours paisibles. Un policier croit l’avoir reconnu à Roissy à l’embarquement d’un vol vers Copenhague. Mais l’individu, dénommé Michel Uzès, arrêté et interrogé par la police danoise, s’avère n’être qu’un paisible danseur de country. Deux femmes, autopromues enquêtrices, consacrent leur temps libre à la traque du fugitif et mettent la main sur Michel Uzès dont elle sont bien décidées à arracher les aveux.

J’ai tellement aimé le dernier spectacle des Chiens de Navarre, La vie est une fête, aux Bouffes du Nord, que je me suis précipité au dernier film de Jean-Christophe Meurisse. J’avais oublié qu’il avait auparavant signé Oranges sanguines, trop acide à mon goût.

Les Chiens de Navarre, ça passe ou ça casse. Ce mélange d’humour noir, politiquement incorrect, flirtant avec les limites de la vulgarité, enthousiasme ou irrite. Ça dépend des pièces – ou des films. Ça dépend aussi peut-être de l’humeur du spectateur.

J’aurais dû a priori être charmé par cette franche déconnade qui prend pour prétexte l’affaire Dupont de Ligonnès et les confuses théories que sa disparition en 2011 a fait naître. On imagine qu’il a refait sa vie au Texas alors que le plus probable – le cousin de mon beau-frère est policier municipal et tient sur cette affaire des informations confidentielles de première main – est qu’il a été enlevé par des extra-terrestres… ou bien qu’il s’est suicidé dans le massif de l’Estérel une fois ses méfaits accomplis.

La sauce d’ailleurs monte dans la première demi-heure qui nous introduit à la galerie de personnages, tous plus déjantés les uns que les autres, une mention spéciale à Gaëtan Pau dans le rôle de Michel Uzès. Le film commence d’ailleurs très fort avec le dialogue de deux médecins légistes (Jonathan Cohen et Fred Tousch) en train de dépecer un cadavre. Mais, si la sauce monte, elle ne prend pas ( je ne suis pas très sûr de ma métaphore culinaire !). Pire, elle retombe (idem). La curiosité amusée que Les Pistolets en plastique a suscité dans sa première moitié se mue en lassitude sinon en irritation. On réalise bien vite que l’affaire XDDL n’est qu’un prétexte à l’accumulation de saynètes plus ou moins réussies, plus ou moins drôles, dénonçant en vrac les théories du complot, l’ultracrépidarianisme des internautes, l’incompétence de la police, etc.

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Kinds of Kindness ★★★☆

Trois films en un.
Un employé (Jesse Plemons), dont chaque détail de la vie quotidienne est régi par son patron (Willem Dafoe), décide de se libérer de ce joug tyrannique avant de regretter sa décision.
Un policier (le même Jesse Plemons) sombre dans la folie après la disparition de sa femme (Emma Stone) et son retour inespéré.
Deux adeptes d’une secte sont à la recherche de l’Elue.

Yórgos Lánthimos compte décidément parmi les réalisateurs les plus stimulants de l’époque. Il est difficile de trouver dans sa filmographie un seul titre qui ne soit pas fascinant : The Lobster (prix du Jury à Cannes en 2015), Mise à mort du cerf sacré (le film préféré de mon fils cadet), La Favorite (neuf nominations aux Oscars et la statuette de la meilleure actrice pour Olivia Colman), Pauvres Créatures (Lion d’or à Venise à 2023)…

Dans cette liste prestigieuse, Kinds of Kindness, tourné à la Nouvelle-Orléans pendant la postproduction de Pauvres Créatures, avec un budget de 15 millions de dollars – contre 25 pour Pauvres Créatures – pourrait presque faire figure d’oeuvre mineure, de trou normand entre deux réalisations plus substantielles. Exit la dystopie inquiétante de The Lobster, les décors et les costumes géorgiens de La Favorite, le gothique steampunk de Pauvres Créatures, l’action de Kinds of Kindness se déroule banalement dans l’Amérique d’aujourd’hui. Cet entremets, aussi mineur soit-il, a quand même été sélectionné en compétition officielle à Cannes et Jesse Plemons y a emporté le prix d’interprétation masculine.

Kinds of Kindness – un titre déconcertant – est un film à sketches en trois volets platement mis bout à bout. J’ai déjà souvent dit les réticences que m’inspirait ce genre. J’ai l’impression d’être face à des ébauches, trop courtes et trop pauvres pour constituer à elles seules la substance d’un seul film. Je plonge dans l’une qui se termine trop vite, avant de zapper à une autre. Je suis irrémédiablement condamné à les hiérarchiser et à reprocher aux sketches que j’aime le moins d’être moins convaincants que les autres.

Pour autant, Kinds of Kindness n’en reste pas moins mille fois plus intéressant que le tout-venant cinématographique. Comme le dit excellemment l’excellente Marie Sauvion : « Le travail de Yórgos Lánthimos, de fait, ne captive jamais tant que par l’abîme qu’il ouvre ». Les trois sketches du film sont joués par le même casting plaqué or : Emma Stone, que je place tout en haut de mon Olympe depuis La La Land évidemment, Willem Dafoe qui réussit à bientôt soixante-dix ans à être toujours aussi excellent et toujours aussi diablement sexy, Margaret Quilley, dont l’expressivité du jeu me comble depuis que je l’ai découverte dans une pub pour Kenzo en 2016, Jesse Plimons qui a amplement mérité sa statuette cannoise….

Comme les autres films de Yórgos Lánthimos, Kinds of Kindness nous plonge dans un délicieux malaise. S’il fallait trouver un lien entre ces trois sketches, dont ni les personnages ni les histoires ne sont reliés, c’est peut-être le sujet qu’ils traitent. Et là encore, le plus simple est de citer Marie Sauvion : « Libre arbitre, servitude volontaire, foi aveugle, sadomasochisme, tout pose question, ici, à commencer par ce qu’on est capable de faire ou d’endurer par amour ». L’ambiance est lourde, oppressante ; elle contraste avec le soleil omniprésent du sud des Etats-Unis et les tenues décontractées des personnages. Le malaise est amplifié par la caméra, ses lents travelings, ses plans en fisheye qui distordent les lignes de fuite, sa musique qui alterne les tubes les plus addictifs (je n’arrive pas à me sortir Sweet Dreams d’Eurythmics de la tête depuis hier) et les partitions atonales de piano.

Kinds of Kindness contient au moins trois scènes d’anthologie, à hurler de rire ou d’horreur. Elles valent à elles seules le détour.

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Le Comte de Monte-Cristo ★★★☆

Qu’on l’ait lu ou pas, on connaît tous l’histoire du Comte de Monte-Cristo comme on connaît celle des Misérables ou de Cyrano de Bergerac. En 1815, alors qu’il s’apprête à épouser la belle Mercedes, le jeune capitaine de marine Edmond Dantès est injustement enfermé au château d’If. Il parvient à s’en échapper grâce à la complicité de l’abbé Faria et à mettre la main sur le trésor perdu des Templiers. Il va traquer ceux qui l’ont trahi et mettre son immense richesse au service de son insatiable vengeance.

Fort du succès remporté par Les Trois Mousquetaires, le duo Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patelière, produit par Pathé, remet le couvert. Son ambition revendiquée : signer un blockbuster à la française en adaptant les grands classiques qui font partie de l’imaginaire populaire. Le projet n’est peut-être pas d’une créativité folle (quel sera le prochain opus ? Sans famille ? Notre-Dame de Paris ?) ; mais il n’en s’agit pas moins d’un travail soigné, dans des décors éblouissants, avec des costumes somptueux et une caméra virevoltante.

Plus qu’un blockbuster, un terme américain et galvaudé qui décrit plus un genre qu’un produit, Le Comte de Monte-Cristo renoue avec la tradition des péplums façon Ben Hur ou Lawrence d’Arabie. C’est un film énorme, de près de trois heures qui nous emporte. Il réussit le pari d’une durée hors norme qui n’est jamais ennuyeuse. Je m’ennuie tellement à des films d’une heure trente que je dois féliciter ses auteurs de ne pas m’avoir laissé une seconde pour regarder ma montre pendant près de trois heures de rang.

Le Comte de Monte-Cristo est à prendre au premier degré. Il n’essaie pas de rendre crédible des situations ou des rebondissements qui, dans le livre déjà, ne l’étaient guère. Je me souviens, enfant, d’en avoir vu à la télévision une adaptation. J’en ai un souvenir marquant. J’en avais tout aimé : les personnages follement romantiques, l’omnipuissance de son héros, sorte de Bruce Wayne (le héros masqué de Batman) avant l’heure, son projet vengeur et l’habileté avec laquelle Dantès le met en oeuvre… Je pense – sans en être entièrement certain – qu’il s’agissait de la mini-série en quatre épisodes de Denys de La Patellière, le propre père du co-réalisateur Alexandre de La Patellière – qui est né la même année que moi et qui raconte qu’il accompagnait émerveillé son père sur le plateau.

J’aurais aimé mettre quatre étoiles à ce Comte de Monte-Cristo. Mais hélas, je n’y arrive pas. Les raisons en sont multiples et mauvaises. La première est que, connaissant trop bien l’intrigue, elle me surprend moins : on sait par avance par exemple le subterfuge que Dantès utilise pour s’évader du château d’If et le succès de son entreprise. La seconde est que je suis sans doute trop vieux pour goûter ces films-là. À dix ans, j’étais fasciné et transporté. À cinquante, j’ai perdu mon âme d’enfant.

PS : Avez-vous reconnu la langue que parlent Dantès et Haydée ? Roumain ? Maltais ?

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Love Lies Bleeding ★★☆☆

Lou (Kristen Stewart) gère une salle de sports dans une banlieue sans âme d’Albuquerque au Nouveau-Mexique où débarque un beau jour de 1989 Jackie (Katy O’Brian), SDF bodybuildeuse en quête de célébrité. Entre les deux femmes, c’est le coup de foudre. Mais les histoires de famille de Lou – un père chef de gang, une sœur battue par son mari – vont aspirer les deux femmes dans une spirale de violence.

Love Lies Bleeding est un produit délicieusement attirant. Son interdiction aux moins de douze ans en accroît le charme vénéneux. Il emprunte à plusieurs sources. La filiation la plus clairement revendiquée, qu’il s’agisse de l’époque du film ou de son affiche, est bien entendu Thelma et Louise. Les thrillers lesbiens sont en train de devenir un genre en soi, comme le montre le dernier film du frère Coen (au singulier !), Drive-Away Dolls. C’est aussi aux frères Coen (au pluriel) qu’on pense et à tous les films qui se déroulent dans une Amérique redneck, avec des personnages trumpiens à souhait, fans de la gâchette, et des cadavres qui débordent des placards, depuis Fargo et Pulp Fiction jusqu’au tout récent LaRoy en attendant avec impatience le prochain Lanthimos, Kinds of Kindness. Et Love Lies Bleeding contient beaucoup d’autres références, qui font la joie du cinéphile et/ou du fétichiste : Wonder Woman, Hulk, L’Attaque de la femme de 50 pieds, Pumping Iron

Love Lies Bleeding campe de sacrés personnages. Dans le rôle de Lou, Kristen Stewart a l’humilité de s’effacer derrière sa partenaire interprétée par l’étonnante Katy O’Brian. Ed Harris y démontre, si besoin en était, une fois encore son immense talent avec une perruque déconcertante. Le scénario bien huilé de Love Lies Bleeding nous tient en haleine pendant toute la durée du film, à condition d’en accepter les invraisemblances.

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Tehachapi ★☆☆☆

En 2019, JR est parti à Tehachapi, à deux heures de Los Angeles, travailler avec une trentaine de prisonniers d’un quartier de haute sécurité d’un pénitencier d’Etat à la réalisation, dans la cour de leur établissement, d’un immense collage d’une photographie les représentant en contre-plongée.

JR est un plasticien désormais célèbre qui a réussi à inventer une marque de fabrique mondialement connue. Il plaque dans des lieux emblématiques, la Cour du Louvre, une favela de Rio de Janeiro, le Panthéon, le mur de séparation entre Israël et la Palestine, des photographies géantes.

Après Visages, Villages, co-réalisé avec Agnès Varda en 2017, JR nous amène loin de l’hexagone, dans un milieu hyper-référencé, celui des prisons américaines. Les condamnés qu’il y rencontre y servent de longues peines pour des crimes dont on ne saura rien, mais dont on devine sans peine la gravité. Leur mine est patibulaire, leur corps recouvert de tatouages, souvent inquiétants. L’un d’entre eux, Kevin, porte même une croix gammée sur la joue.

Le documentaire de JR transpire la bienveillance, au point de frôler le trop-plein. Tout le monde y est beau, tout le monde y est gentil. Le premier, c’est JR lui-même qui se donne le beau rôle, même s’il reste sagement caché derrière ses lunettes et sous son chapeau. Mais les vrais héros, ce sont ces prisonniers repentants, écrasés par un système judiciaire et pénitentiaire qui les a condamnés à des peines disproportionnées, et qui, au bout de longues années, n’aspirent qu’à une seule chose : sortir de Tehachapi et retrouver une vie normale. Comme de bien entendu, le projet artistique de JR va les y aider.

Je n’aime pas le rôle que j’endosse, celui du scrogneugneu qui trouve à redire à cette noble entreprise, débordante d’humanité. Pour autant, je serais fort hypocrite si je l’encensais sans réserve. Certes, la démarche de JR est noble et belle. Il y a une admirable vertu à chercher en chaque homme (désolé ! il n’y a pas de femmes à Tehachapi !) ce qu’il y a de bon en lui, en dépit des crimes commis. Mais il y a dans ce documentaire un manque si déconcertant de contre-point que son propos, admirable, finit par perdre de sa force.

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C’est pas moi ★★★☆

« Il se trouve, chose assez rare, que le distributeur Les Films du losange nous propose d’aller découvrir un film de quarante et une minutes et dix-neuf secondes dans lequel Carax – qui n’a rien fait pour le mettre en conformité avec la durée d’une séance – bricole cette chose à la fois bâtarde et ourlée, ouvertement intime, qui, ordinaire caraxien, saigne et rit en même temps. » Cette phrase, de Jacques Mandelbaum, dans Le Monde, compte parmi les plus élégamment tournées, les plus intelligentes, les plus synthétiques que j’aie jamais lues pour présenter et résumer un film. Je me damnerais pour être capable d’en écrire d’aussi belles. J’ai bien failli me borner à la recopier ; car tout ce que j’y ajouterai sera un vain bavardage.

Que rajouter sinon quelques éléments de contexte sur Alex Dupont, alias Leos Carax, figure mystérieuse du cinéma français, mélange de Rimbaud et de Godard, qui déboule dans le cinéma à vingt-quatre ans à peine, signe deux films d’une éclatante jeunesse (Boy Meets Girl et Mauvais Sang), manque entraîner toute l’industrie dans une faillite industrielle avec Les Amants du Pont-Neuf, ne réussit pas à rebondir avec Pola X, et finit, la cinquantaine bien entamée par signer deux films aussi beaux que déroutants qui lui valent une admiration révérencieuse : Holy Motors et Annette.

Le Musée Georges-Pompidou lui a passé commande d’une exposition, qui ne s’est jamais montée, en lui posant une unique question : « Où en êtes-vous, Leos Carax ? ». Avec une étonnante franchise, le réalisateur y répond avec ce moyen métrage hors normes, une autobiographie constituée quasi exclusivement d’images d’archives, de vieilles photos, d’extraits de ses films…

Ce patchwork aurait pu tourner au clip vidéo narcissique. Grâce au génie de Carax – car je lui reconnais volontiers une forme de génie même si je ne le place pas au panthéon de mes auteurs préférés – le piège est évité. L’ensemble est noyé dans une musique omniprésente. Elle pourrait être envahissante si elle n’était pas aussi excellente : Benjamin Britten, Maurice Ravel, Barbara, Miles Davis, Nina Simone, David Bowie bien sûr (dont Zaho de Sagazan vient de reprendre Modern Love durant la cérémonie d’ouverture d’un Cannes pâmé) et les Sparks qui ont signé la B.O. de Annette.

C’est pas moi est frappé au sceau de la nostalgie, une corde à laquelle je suis hyper-sensible. On y retrouve Juliette Binoche et Denis Lavant, le double fictionnel de Carax, quarante plus tôt, les traits encore à peine sortis de l’enfance, débordant d’énergie juvénile. Je ne suis plus sûr d’avoir aimé Mauvais Sang ; je sais que je n’ai pas aimé Annette ; mais j’adore l’idée qu’existe un réalisateur comme Leos Carax capable, sa vie durant, de vivre aussi entièrement son art et de tourner des films aussi originaux.

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Paradis Paris ★★☆☆

Une dizaine de personnages se croisent à Paris : un vieux producteur d’une émission de télé à succès (André Dussollier), un jeune maquilleur gay, un cascadeur professionnel, une diva dont les journaux annoncent par erreur le décès (Monica Bellucci) et sa femme de ménage, une ado traumatisée par la diffusion d’une sextape, un veuf inconsolable (Alex Lutz), un flic taiseux (Roschdy Zem)….

Marjane Satrapi, l’auteur de l’irrésistible Persépolis, une bande dessinée puis un film d’animation qui ont marqué leur époque, poursuit cahin-caha sa carrière sans jamais être parvenue à retrouver l’inspiration de ses débuts. Elle livre ici un film déroutant, qui a divisé la critique et n’a pas réussi à trouver son public. Deux semaines après sa sortie, il a quasiment disparu des écrans. Je me demande d’ailleurs si c’est un ratage total ou au contraire une sympathique bizarrerie.

Il s’inspire directement des films à sketches italiens, qui furent à la mode dans les années soixante. Quelques décennies plus tard, Danièle Thompson s’employait encore sans grand succès d’en filmer de pâles succédanés (Fauteuils d’orchestre). Pour éviter l’accumulation d’histoires indépendantes, le scénario de Paradis Paris essaie assez malignement, même si son écriture tourne vite au procédé, de les lier entre elles.

Le problème des films à sketches est que certains sont plus réussis que d’autres… et que d’autres le sont beaucoup moins que certains. Ici par exemple, on peut trouver fort drôle l’autodérision avec laquelle Monica Bellucci joue une diva jadis renommée aujourd’hui oubliée du public dont la mort n’est guère saluée que par quelques brefs entrefilets dans la presse. André Dussollier est beaucoup plus prévisible dans le rôle d’une vieille star du petit écran à laquelle on diagnostique une maladie incurable. Le rôle de Roschdy Zem n’a aucune épaisseur, un vrai gâchis quand on connaît le talent de cet acteur – et l’admiration que je lui voue.
Celui qui m’a le plus touché, en deux ou trois scènes à peine est Alex Lutz, décidément excellent dans tous les registres.

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