Le Fil ★★☆☆

Convaincu de l’innocence de son client, maître Jean Monier (Daniel Auteuil) accepte de défendre Nicolas Milik (Grégory Gadebois) accusé d’avoir assassiné sa femme. Après trois ans d’instruction, le procès commence….

J’avais deux préventions à l’égard de ce film avant même de l’avoir vu.

La première était son parfum de naphtaline. Daniel Auteuil a vieilli. Il a 74 ans passés. Il a certes bien vieilli et, si j’en crois quelques amies enamourées, n’a rien perdu de son charme. Mais, depuis toujours, j’ai détesté son jeu, son timbre et ses rictus et ne comprends pas son succès. Le savoir derrière la caméra – après avoir signé trois remakes calamiteux de Pagnol – et le voir devant était plus que je n’en pouvais supporter.

La seconde était son suspens, son twist final que tous les critiques, que tous mes amis – y compris mon épouse et mon cadet qui, pour la première fois depuis au moins vingt-quatre ans, ont vu un film avant moi – évoquent et saluent. Savoir par avance qu’un film se conclura par un twist, c’est le regarder tout différemment. C’est aussi, sans être grand clerc, le prévoir. Et si le résumé du film nous dit que son héros est convaincu de l’innocence de son client, on a tôt fait d’imaginer la suite….

Je dois reconnaître que ces deux préventions-là n’étaient qu’en partie fondées.
Certes Daniel Auteuil a 74 ans et se donne le beau rôle dans un film où il est omniprésent. Certes, Le Fil est un film de procès qui respecte sans innover les règles canoniques de ce genre balisé. Pour autant, sa construction qui multiplie les flash-backs est astucieuse. Et si les rôles féminins m’ont semblé bien palots, la présence de Grégory Gadebois dans le box de l’accusé emporte tout.

Quant au twist final, aussi attendu et prévisible soit-il, il n’en reste pas moins glaçant.

Ce qui m’a dérangé peut-être le plus dans ce film est son point de vue. Il a été inspiré à Daniel Auteuil par l’une des histoires vraies racontées par Jean-Yves Moyart, alias maître Mô, un avocat pénaliste lillois devenu célèbre grâce à son blog. L’histoire, donc, est racontée du point de vue de l’avocat. Le problème est que sa perspective n’est pas la même que celle du juge. Le rôle de l’avocat – une profession que je n’ai jamais exercée mais que je connais un peu – n’est pas la recherche de la vérité. Il est de défendre son client, peu importe que celui-ci soit coupable ou innocent des faits qui lui sont reprochés. Or, Le Fil postule une position que son héros, celui du point de vue duquel l’histoire est censée être racontée, est le moins bien placé pour tenir. Autrement plus adroits étaient, dans cette mesure, La Nuit du 12, Anatomie d’une chute ou Les Choses humaines.

La bande-annonce

Ni chaînes ni maîtres ★☆☆☆

L’action de Ni chaînes ni maîtres se déroule dans l’Isle de France, l’actuelle Île-Maurice en 1759. Eugène Larcenet (Benoît Magimel) y cultive avec son fils (Felix Lefebvre) la canne à sucre. Il emploie une colonie d’esclaves. Massamba alias Ciceron (Ibrahima Mbaye), un Wolof originaire du Sénégal, lui fait office de contremaître. Massamba rêve d’émancipation pour sa fille qui, elle, n’aspire qu’à s’enfuir vers une terre mythique où la légende raconte que les esclaves y sont affranchis. Lorsqu’elle réussit à prendre la fuite, Madame La Victoire (Camille Cottin), une chasseuse d’esclaves redoutable, se lance à sa poursuite. Pour protéger sa fille, Massamba n’a d’autre ressource que de s’enfuir à son tour pour devenir un « marron ».

Le marronnage, c’est-à-dire l’évasion d’esclaves, est un sujet très cinématographique, comme le prouve ce Ni chaines ni maîtres. Pourtant, il n’a guère été traité au cinéma, sinon dans l’hilarant et très réussi Case départ qui parachutait à l’époque de l’esclavage deux blédards antillais.

Pour son premier film, le scénariste Simon Moutaïrou fait le pari de la reconstitution historique scrupuleuse. Son premier tiers se déroule dans la plantation Larcenet. Eugène Larcenet essaie de tenir la part égale entre les théories racistes du gouverneur (on reconnaît sous sa perruque Marc Barbé) et celles émancipatrices de son fils. Les deux autres ressortissent à un autre genre : le survival movie dans la jungle tropicale mettant en scène Massamba et sa fille traqués par Madame la Victoire accompagnée de ses deux fils.

Le résultat n’est qu’à moitié convaincant. Après l’exposition saisissante de l’horreur d’un système, le scénario académique du film se réduit à une course-poursuite sans enjeu. Sa morale est trop politiquement correcte : il s’agit de rendre hommage aux « marrons » qui ont brisé leurs chaînes au péril de leur vie. On retiendra l’interprétation parfaite de Benoît Magimel et plus encore celle, glaçante, de Camille Cottin, à contre-emploi. Leurs seconds rôles éclipsent les premiers, plus maladroitement incarnés.

La bande-annonce

Toxicily ★☆☆☆

Le complexe pétrochimique d’Agusta, entre Syracuse et Catane, est l’un des plus importants d’Europe. C’est aussi l’un des plus polluants. Si sa construction dans l’après-guerre a apporté la prospérité dans cette région alors très pauvre, il a causé dans sa population des dommages mortels : cancers, mortalité infantile, malformations génétiques…

Toxicily a pour lui deux atouts : son affiche et son titre. La première aux couleurs joyeuses joue sur les contrastes macabres, le deuxième sur les mots et les concaténations.

Le profil de ses deux co-réalisateurs est intéressant. François-Xavier Destors, est documentariste. Il a tourné au Rwanda et dans l’extrême nord de la Russie (Norilsk). Alfonso Pinto est sicilien et universitaire. Il a soutenu  à Lyon en 2016 une thèse de géographie sur un sujet sacrément original, l’espace urbain dans le cinéma-catastrophe, dont je serais curieux de lire l’ouvrage qu’il en a tiré.

Malheureusement Toxicily ne tient pas ses promesses. Son parti pris n’est pas celui de l’enquête journalistique, instruisant à charge et à décharge le procès d’une installation polluante, mais celui plus élégiaque du poème industriel. L’image est superbe. Mais on aurait aimé recevoir plus d’informations que celles chichement distillées dans un unique et ultime carton. Quelques privilégiés ont eu la chance de participer à un débat après le film, au Trois Luxembourg, où l’éloquence d’Alfonso Pinto faisait merveille. Mais ceux qui n’ont pas eu cette chance risquent fort d’être frustrés par ce documentaire trop laconique et trop manichéen.

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Ma vie ma gueule ☆☆☆☆

Barberie Bichette (Agnès Jaoui), la cinquantaine bien (ou plutôt mal) entamée. Elle est poète, mais gâche son talent dans une agence de communication. Elle a connu de grandes histoires d’amour mais vit désormais séparée. Elle a eu deux enfants, Rose et Junior, mais ils ont quitté le nid et l’ont laissée seule.

Ma vie ma gueule est l’ultime film de Sophie Fillières qui est morte l’été dernier avant d’en achever le montage. Ses deux enfants, Agathe et Adam Bonitzer, s’en sont chargés pour elle. Aussi revêt-il une dimension testamentaire qui en complique l’évaluation. D’ailleurs les critiques qu’on en lit sont souvent autant d’éloges funèbres à sa réalisatrice et à son œuvre. Et s’il a été projeté à Cannes en mai dernier, c’est surtout pour rendre à sa réalisatrice un dernier hommage.

Diplômée en 1990 de la toute première promotion de la Fémis, Sophie Fillières utilise l’humour comme antidote à la dépression qui menace (Aïe, Gentille, Arrête ou je continue, La Belle et la Belle). Elle porte sur sa vie et sur celle de ses contemporains un regard désabusé et tendre.

Agnès Jaoui était le choix de casting parfait pour son dernier film, obsédé par la mort qui vient. L’actrice est immense, adulée à bon droit ; mais, avec d’autres de sa génération, Karin Viard ou Emmanuelle Devos par exemple, l’huppertisation la menace, le risque de s’enfermer dans les mêmes rôles répétitifs et interchangeables. Au risque de l’huppertisation s’ajoute pour Agnès Jaoui celui de la bacrisation : s’enfermer dans le même rôle de scrogneugneu cynique et dépressive.

Autre défaut qui caractérisait déjà les précédents films de Sophie Fillières : autant elle excelle à camper des personnages, à les rendre vivants, authentiques, à faire naître chez le spectateur une empathie avec eux, autant elle peine à les mettre en scène, à les faire évoluer dans une histoire. Si bien que passée la première moitié du film qui les introduit, la seconde semble interminable. C’est le cas ici lorsque Barbie – le surnom donné à l’héroïne qu’elle déteste – prend la poudre d’escampette de l’autre côté de la Manche, en Angleterre puis en Ecosse.

On aurait aimé rendre un hommage plus touchant à Sophie Fillières ; mais les longueurs de son dernier film y font obstacle.

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Riverboom ★★★☆

Un an après les attentats contre le World Trade Center, trois jeunes Suisses visitent l’Afghanistan.

Riverboom est un documentaire hors normes dont les images nous parviennent plus de vingt ans après avoir été filmées. Il est l’oeuvre de Claude Baechtold, un jeune Suisse dont la route croise celle du journaliste Serge Michel, missionné par le Figaro pour réaliser un reportage sur l’Afghanistan occupé et celle du photographe Paolo Woods. Les trois Pieds nickelés, en violation de toutes les règles de sécurité, quittent la zone verte sécurisée de Kaboul. Entassés dans une Toyota Corolla, cornaqués par un guide local, ils font le tour du pays passant des zones contrôlées par les talibans à celles sous la coupe des seigneurs de la guerre.

Riverboom est un documentaire hilarant porté par l’humour cabotin de son réalisateur. Tout lui est prétexte à blagues, même si son propos devient plus grave quand il évoque la mort prématurée de ses parents. Riverboom m’a fait penser à Nothingwood et à Kabullywood, deux documentaires qui se déroulaient également en Afghanistan et qui prenaient le parti de rire des situations absurdes créées par la succession quasi-interrompue des guerres dans ce pays exsangue. La nationalité de ses protagonistes m’a fait penser aussi à Nicolas Bouvier dont L’Usage du monde est pour beaucoup de globe-trotters le livre-culte revendiqué.

Nos trois héros ne se départent jamais de leur bonne humeur durant leur long voyage. Ils prennent le parti de rire des situations les plus dramatiques sans pour autant verser dans le cynisme : un pays infesté de mines antipersonnel, la culture endémique du pavot comme seule ressource rentable, des seigneurs de la guerre corrompus et sanguinaires. Cette bonne humeur est communicative. Le réalisateur et ses deux compagnons de voyage, qui présentaient le film avant-hier à l’UGC Ciné Cité Les Halles en avant-première, ont été ovationnés par une salle comble qui en redemandait.

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Le Léopard des neiges ★☆☆☆

Une équipe de télévision locale vient filmer un fait divers dans une ferme retirée des hauts plateaux tibétains. Un léopard des neiges a pénétré nuitamment dans un enclos et y a tué neuf béliers castrés. Le fermier, furieux, refuse de le relâcher, en violation de la législation sur les espèces protégées, et réclame de l’administration d’être indemnisé pour la perte de ses bêtes.

Les amateurs de grands espaces et d’exotisme avaient vu les précédents films de Pema Tseden (1969-2023) : Tharlo (2015), Jinpa (2018), Balloon (2019). J’avais reproché aux deux premiers films de Pema Tseden leur maniérisme et leur esthétisme un peu vain. Je leur avais mis une étoile seulement. J’avais été plus indulgent avec Balloon qui s’inscrivait dans une veine plus naturaliste et lui avais mis deux étoiles.

Le Léopard des neiges s’inscrit dans la même veine du conte naturaliste sur fond de sublimes paysages désertiques. Il raconte simplement une histoire simple. Il a le mérite, sans sombrer dans le mysticisme qui souvent nimbe l’image qu’on se fait ou qu’on donne du Tibet, de décrire les relations au jour le jour qui s’y tissent. Les éleveurs tibétains, les journalistes de la capitale, les policiers Han y coexistent en bonne intelligence, maniant plus ou moins aisément le mandarin comme le tibétain et essayant tant bien que mal de construire un « vivre-ensemble ».

La principale qualité de ce film est aussi son principal défaut. Sa simplicité en épuise vite le motif. Un motif universel qui aurait pu, au plan près, mettre en scène un fier éleveur pyrénéen, révolté contre les exactions commises par les ours ou son cousin bas-alpin face à des loups. Chacun a ses raisons : l’éleveur qui entend légitimement défendre son troupeau et vivre du commerce de sa viande, comme l’écologiste qui s’enthousiasme pour la beauté et l’élégance racée de ces espèces protégées.

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Il était une fois l’Amérique : Hospital (1970) ★★★★

À l’occasion de la rétrospective intégrale programmée au Centre Pompidou de l’ensemble de ses films, Meteor Films, son distributeur en France, ressortent en salles trois de ses documentaires réalisés en noir et blanc au tout début de sa carrière, au tournant des années soixante et soixante-dix. Frederick Wiseman y entame son immense radioscopie des institutions américaines : après un hôpital psychiatrique (Titicut Folies) et un lycée (High School), Frederick Wiseman pose sa caméra dans une brigade de police du Missouri (Law and Order), un grand hôpital new-yorkais (Hospital), un tribunal pour mineurs du Tennessee (Juvenile Court).

Les règles de la grammaire qui régira toute son oeuvre sont déjà posées : des documentaires-vérité, tournés avec une équipe minimale (un cadreur et Wiseman lui-même qui se charge de la prise de son), des heures de rushes, aucun carton explicatif, aucune voix off pour contextualiser et expliquer des images qui parlent d’elles-mêmes grâce à un énorme travail de découpage et de montage.

Hier soir, une conférence-débat était organisée au MK2 Beaubourg devant une salle comble, appâtée par la présence du réalisateur. Hélas, Frederick Wiseman, affaibli par le grand âge (il aura quatre-vingt-quinze ans le 1er janvier) a dû se décommander. Le débat, animé par Hervé Brusini, n’en a pas moins été passionnant. Y participaient Charlotte Garçon des Cahiers du cinéma, la sociologue Nadège Vézinat dont sort aujourd’hui en librairie Le Service public empêché et le documentariste Jean-Xavier Lestrade (Un coupable idéal, Laëtitia) qui a adressé aux films de Wiseman le plus juste des compliments : « ils nous rendent plus intelligents ».

Je pensais avoir vu les meilleurs documentaires de Wiseman et plaçais tout en haut Welfare sur les déshérités qui affluent dans un centre d’assistance sociale à New York. Mais Hospital m’a plus enthousiasmé encore au point que c’est lui que je conseillerais à qui n’aurait jamais vu de documentaire de Wiseman.

On y découvre, de l’intérieur, le fonctionnement d’un grand service public. On y découvre ses employés dévoués mais débordés et ses usagers qui ne demandent qu’une chose : qu’on leur manifeste un peu d’humanité. Les scènes, captées sur le vif, se succèdent dans un tempo qui ne languit jamais. On y voit un gamin en larmes abandonné à lui-même pour lequel les infirmières cherchent désespérément un lit, un travesti pris en charge par un psychiatre qui essaie sans succès d’en confier le soin à l’assistance sociale qui n’en veut pas, une femme âgée, intubée, qui manque de mourir d’un grave œdème pulmonaire, veillée par un prêtre en soutane…

Hospital ressemble à la vie. On y traverse toute une gamme d’émotions. On est ému aux larmes du corps squelettique d’un malade, dont on pressent la fin prochaine, silencieusement ausculté par un médecin. On rit à gorge déployée devant un jeune beatnik sous emprise vomissant tripes et boyaux en plein bad trip. Le film dure 1h24 et on est frustré qu’il se termine si vite – Wiseman aura entendu notre frustration dont les films suivants seront beaucoup plus longs au point de friser l’overdose.

Jean-Xavier de Lestrade a encore raison en citant les deux réalisateurs qui ont influencé son travail et celui de tous les documentaristes français : Wiseman et Depardon. D’ailleurs Hospital rappelle Urgences de Depardon, tourné à l’Hôtel-Dieu de Paris avec le même dispositif une vingtaine d’années plus tard. Sur les deux rives de l’Atlantique (Wiseman s’est installé en France et y a réalisé plusieurs films, sur la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, le Crazy Horse ou le restaurant gastronomique des frères Troisgros à Roanne), Wiseman filme les institutions, ceux qui y travaillent, ceux qui en sont les usagers ou les clients. À rebours de tout manichéisme, sans en faire ni le procès ni la publicité, il en décortique le fonctionnement, en révèle les injonctions contradictoires. Magistral.

La bande-annonce

Silex and the City, le film ★☆☆☆

Inutile de présenter au Paléolithique, 40.000 ans av. J.-C., la famille Dotcom, le père, Blog, professeur de chasse, la mère, Spam, professeure de préhistoire-géo, et leurs deux enfants, la fille Web, en pleine crise d’adolescence, et le fils Url, militant « alter-darwiniste ». Les bandes dessinées créées par Jul en 2009 et publiées chez Dargaud (le dixième opus est sous presse) puis la centaine de mini-épisodes de trois minutes à peine diffusés sur Arte de 2012 à 2017 leur ont valu une grande notoriété. Après les BD, après la série TV, l’évolution logique de ce produit populaire appelait le film sur grand écran.

Pour réaliser un long métrage, Jul, assisté à la réalisation par Jean-Claude Guigue, s’est donné les moyens de ses ambitions. Il a rassemblé un casting impressionnant avec des acteurs confirmés (Guillaume Gallienne, Frédéric Pierrot, Raphaël Quénard, Léa Drucker…) et des guest stars improbables (Frédéric Beigbeder, Amélie Nothomb et…. François Hollande !). le problème est que le film va tellement vite qu’on ne les reconnaît pas tous.

Tel est d’ailleurs le reproche plus global qu’on pourrait adresser à cette adaptation. Elle fonctionne selon la même formule que les épisodes de trois minutes : la satire de notre époque dans un univers paléolithique à coup de jeux de mots potaches (les parents Dotcom enseignent en « zone d’évolution prioritaire ») et d’anachronismes décalés. Mais ce qui fonctionne pendant trois minutes ne fonctionne pas de la même façon pendant une heure vingt. Les jeux de mots s’enchaînent à un tel rythme qu’on en rate une bonne partie et que, quand bien même on les saisirait, ils deviennent vite lassants. D’autant que le prétexte du film – Blog et Web ramènent d’un voyage dans le temps, filmé en caméra réelle, une clé coudée  Ikéa qui révolutionne leur civilisation – n’est pas suffisamment intéressant pour maintenir l’intérêt. Dommage…

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Langue étrangère ★★☆☆

Fanny (Lilith Grasmug, l’héroïne habitée par la grâce de Foudre) est lycéenne. Elle part en Allemagne à Leipzig chez sa correspondante allemande, Lena. Les deux adolescentes sont aussi dissemblables que possible. La brune Fanny est timide ; la blonde Lena est extravertie et militante.

Tout est inscrit dans ce titre polysémique. Langue étrangère renvoie d’abord à une expérience, aussi traumatisante qu’excitante, que beaucoup d’adolescents ont vécue : le séjour linguistique dans un pays étranger, dont on ne possède que quelques rudiments scolaires de la langue, loin de ses parents pour la première fois de sa vie, dans un foyer étranger dont les us et les coutumes sont inconnus, l’occasion de quelques timides transgressions (la première cigarette, la première cuite….).
Langue étrangère renvoie à un autre registre que la bande annonce spoile : l’attirance homosexuelle de Fanny pour sa correspondante et l’occasion de premières et timides expérimentations.

À ce cahier des charges déjà bien rempli se rajoutent encore quelques strates au risque de la surcharge : les grandes questions politiques qui mobilisent la jeunesse (la lutte contre le réchauffement climatique, la mobilisation anti-fasciste….) et la relation ados-parents ici incarnés par deux stars allemande et française, Nina Hoss, à contre-emploi dans un registre auquel cette immense actrice ne nous avait pas habitués, et Chiara Mastroianni dont je trouve qu’en vieillissant, elle se « deneuvise » de plus en plus, pour le meilleur et pour le pire.

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Claire Burger, C’est ça l’amour en 2018 et, plus encore, Party Girl en 2013 co-réalisé avec Maria Amachoukeli. Je n’ai pas été déçu par ce Langue étrangère, ardent et bien écrit, dont le scénario, dont on aurait pu craindre qu’il fasse du surplace, réussit à créer de la tension autour d’un mystère qui se dissipe lentement.

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Anaïs 2 chapitres ★★★☆

Anaïs est une jeune agricultrice bretonne qui, contre vents et marées, a décidé de produire sur son petit lopin de terre des plantes aromatiques.

Marion Gervais rencontre en 2012 Anaïs Kerhoas dans un petit village d’Ille-et-Vilaine. La jeune herboriste habite dans une caravane, sans eau ni électricité. Elle n’a qu’une idée en tête, malgré les difficultés qu’elle rencontre : cultiver des plantes et en faire des tisanes. La réalisatrice la filme dans un moyen métrage de quarante-six minutes Anaïs s’en va-t-en guerre. Elle la retrouve dix ans plus tard sur son petit lopin de terre, endurcie par l’expérience et toujours aussi déterminée. Cette fois-ci elle livre un nouveau combat pour construire sa vie de couple avec Seydou, un ressortissant sénégalais.

La vie à la ferme est, avec l’hôpital et l’école, un des nouveaux sujets de prédilection du cinéma contemporain. On ne compte plus les fictions (Petit PaysanAu nom de la terre…) ou les documentaires (La Ferme des Bertrand, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettesSans adieuProfils paysansBovines…) qui lui sont consacrés. Ils racontent tous un peu la même histoire : l’attachement des agriculteurs à leur métier, sa nécessité économique et écologique, les épuisantes difficultés auxquelles ils sont confrontés et la vie harassante et misérable à laquelle ils se condamnent en l’exerçant.

Ce documentaire joue la même musique, mais sur un ton différent grâce à son héroïne. La caméra ne la quitte pas d’une semelle. Et on est ravi de la persévérance de sa réalisatrice qui, à dix ans de distance, a ajouté un second volet à son premier chapitre. Le second répond implicitement à la question posée par le premier : l’entêtetement d’Anaïs a-t-il payé ? Il faut dire qu’on ne voyait pas un brillant avenir à cette jeune femme si mince, si frêle qu’un coup de vent manquerait l’emporter, accroupie dans ses « plantes », arrachant à la main les mauvaises herbes. Certes, elle est déterminée à se battre et le clame haut et fort ; mais cet entêtement don-quichottesque est-il un gage de réussite ? On en doute en espérant se tromper.

Dix ans ont passé. Anaïs a mûri ; mais elle a gardé la même silhouette fluette. Qu’est-il advenu de son commerce ? On le devine sans en être tout à fait certain. Marion Gervais la filme dans une autre bataille qu’elle mène avec la même détermination inentamée. Il s’agit de faire venir de Casamance son amoureux, rencontré Dieu sait comment (les réseaux sociaux ? des vacances à Ziguinchor ?). Là encore, on ne parie pas cher sur ses chances de succès. Les services préfectoraux accorderont-ils à Seydou son visa ? Et, s’il s’installe en Ille-et-Vilaine, avec sa femme, s’accoutumera-t-il à la vie paysanne ?

Anaïs, 2 chapitres ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma. Mais son héroïne est tellement solaire, tellement sympathique, son projet de vie tellement atypique, l’énergie qu’elle déploie pour le mener à bien tellement communicative que ce documentaire-là devrait être  remboursé par la Sécu !

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