Valeur sentimentale ★☆☆☆

Gustav Borg (Stellan Skarsgård) est un grand réalisateur suédois au crépuscule de sa vie. Il revient à Oslo pour les funérailles de sa première femme et la vente de sa maison. C’est là qu’il a élevé ses deux filles avant de les quitter, les laissant à jamais frustrées de l’amour paternel. L’aînée Nora (Renate Reinsve) est devenue une actrice de théâtre renommée ; mais elle est dévorée par un trac maladif et traversée de pulsions suicidaires. La cadette Agnes (Inga Ibsdotter Lilleaas), mariée et mère de famille, mène une vie plus équilibrée.
Nora refuse de tenir le rôle principal du prochain film de son père qui se tourne alors vers une star hollywoodienne Rachel Kemp (Elle Fanning).

Valeur sentimentale a raté de peu la Palme d’or à Cannes, décernée à un film iranien. Il en est reparti avec un prix de consolation et un bouche-à-oreille élogieux. La renommée de son auteur, de son actrice principale, prix d’interprétation féminine à Cannes en 2021, ajoutés à l’engouement saisonnier pour les films scandinaves (Loveable, la trilogie d’Oslo…) en faisaient un des films les plus attendus de l’été.

Je suis resté sur ma faim. Force est de reconnaître à Joachim Trier d’indéniables qualités. La principale est peut-être sa direction d’acteurs. Stellan Skarsgård, Renate Reinsve, Inga Ibsdotter Lilleaas, Elle Fanning y sont chacun à leur façon extraordinaires. Ils campent des personnages d’une grande complexité. Le père volage est étonnamment attachant ; les filles traumatisées (traumatisées par quoi au juste ?) ne se réduisent pas à une posture victimaire.

Ma déception a deux causes. La première vient du scénario et du montage. Bizarrement introduite par une voix off – dont on ne connaitra jamais l’identité – le récit se présente comme une saga dont la maison familiale constitue peut-être le personnage principal, avant de changer de direction et de se focaliser sur Gustav et ses filles. On perd même de vue en cours de route le partage de l’héritage de la mère, censé donner sa signification au titre du film, pour se concentrer sur la préparation du tournage de Gustav.

Plus grave à mes yeux : je n’ai rien ressenti. Je dois avouer, le rouge au front, que c’est aussi mon problème face aux grands films de Bergman. Ses longues scènes de ménage m’ont toujours laissé insensible. On a dit que Valeur sentimentale était un grand film bergmanien qui disséquait les traumas enfouis d’une famille. C’est sans doute un compliment. Mais hélas pour moi, cette qualité n’en est pas une.

La bande-annonce

L’Épreuve du feu ★★☆☆

Hugo (Félix Lefebvre) a bien changé. Ce fils de bonne famille a perdu trente kilos grâce à un régime draconien et à un training intensif. Il a même une copine, qui le rejoint à Noirmoutier le temps des vacances. Esthéticienne, faux ongles et chihuahua, Queen (Anja Verderosa) détonne au milieu des amis BCBG de Hugo.

Depuis sa sortie il y a une semaine, je n’entends que du bien de ce premier film atlantique et estival. Les mêmes éloges ont fusé, dès la fin du film, chez mes amis avec qui je suis allé le voir hier soir, avant de finir la soirée chez Gaetano en parfaits touristes.

L’Épreuve du feu mérite amplement ces compliments. C’est un film juste et sensible. Ses deux principaux personnages sont très fouillés. Hugo est le plus complexe, interprété par l’une des deux révélations de Été 85 – l’autre, Benjamin Voisin, faisant depuis la carrière que l’on sait. On ignore son passé familial ; rien n’est dit de ses parents ; mais on imagine qu’il fait partie du même milieu que ses amis bien nés, ces Parisiens en vacances dans la résidence secondaire de leurs riches parents. Son régime l’a transfiguré et lui rouvre les portes d’un cercle d’amis qui l’avaient longtemps tenu à distance.

Si Hugo a longtemps été marginalisé par son surpoids, Queen risque de l’être par sa classe sociale, son métier et son look outrancier de parfaite « cagole » toulonnaise. Anja Verderosa est irrésistible, comme l’était déjà une autre bimbo varoise, Malou Khebizi dans Diamant brut, dans un rôle pourtant casse-gueule. Aux préjugés qui la précédent, elle oppose une sincérité désarmante. Son rôle d’ailleurs, tiré vers la sainteté sacrificielle, souffre paradoxalement de ce défaut-là : il est dénué de toute ambiguïté.

Hugo et Queen forment un attelage disparate, comme la coiffeuse arrageoise interprétée par Emilie Dequenne et l’agrégé de philo de Pas son genre, comme encore, si on ose cette référence proustienne, Charles et Odette. Le scénario devait, après nous l’avoir présenté, relever le défi de le faire évoluer. C’est là à mon sens que le bât blesse. Concentrée en quelques jours à peine, l’intrigue repose sur un revirement radical et guère plausible de Hugo, coupable d’une double trahison. Son ressort est bien puéril, digne du Club des Cinq plus que d’Un amour de Swann, et le scénario aurait pu faire l’économie de nous en mâcher l’explication.

Dernière objection, tout aussi vétilleuse que les précédentes : je trouve le titre du film trop terrien pour un film si maritime.

La bande-annonce

Last Stop: Yuma County ★★☆☆

Au milieu du désert, à la frontière de l’Arizona et de la Californie, se dresse une station-service adossée à un diner qui se vante de proposer une excellente tarte à la rhubarbe. C’est là que, piégés par une pompe vide et un camion citerne en retard, vont se retrouver des individus que rien a priori n’aurait dû conduire à se rencontrer : un VRP californien, une serveuse et un pompiste, deux malfrats en cavale, un couple de retraités texans, un jeune flic pas très fute-fute…

Dès la bande annonce, on sait sans risque d’erreur à quoi on aura à faire : un huis clos en temps quasi réel entre des personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres dans une Amérique archétypale et sans âge (l’action pourrait tout aussi bien se dérouler dans les années 60, 70 ou 80).

Last Stop: Yuma County emprunte à d’innombrables films célèbres et ne s’en cache pas : Fargo, Pulp FictionBonnie and Clyde, La Balade sauvage, Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia…  Il offre au cinéphile le plaisir de (croire) retrouver ces clins d’œil à ces classiques ultra-référencés.

Le risque que court un tel film est de tomber dans la parodie ou dans le pâle remake. C’est d’ailleurs le reproche que lui font les critiques du Monde et de Télérama. J’aurais la dent moins dure en raison d’un scénario malin qui m’a tenu en haleine pendant toute la durée du film et qui m’a réservé de(ux) belles surprises que je ne peux qu’esquisser : l’une aux deux tiers du film que j’attendais beaucoup plus tard et l’autre dans son plan final.

Ce scénario à l’écriture ciselée relève un sacré défi : associer à chaque étape du film le spectateur aux choix, tous également calamiteux, qui s’ouvrent aux personnages. Il y faut du rythme – pour laisser au spectateur le temps de réfléchir – et de la pédagogie – pour lui présenter les alternatives possibles voire lui laisser en dessiner d’autres. Last Stop: Yuma County nous fait ce beau cadeau : celui de nous donner l’impression  que c’est nous, depuis notre siège, qui prenons le contrôle du film.

PS : La rhubarbe est-elle un légume ou un fruit ?

La bande-annonce

Confidente ★☆☆☆

Sabiha travaille sous pseudonyme dans un call center érotique pour rassembler la somme qui lui permettra de payer l’avocat qui la défend dans le procès qui l’oppose à son mari pour la garde de leur fils. Elle fait mine de partager les fantasmes les plus débridés que ses clients, pervers refoulés, maris mal mariés, veufs inconsolables, lui débitent au téléphone. Nous sommes à Ankara en 1999 le soir où un terrible tremblement de terre va tuer des milliers de victimes dans le nord-ouest de la Turquie. Sabiha est en ligne avec un lycéen pris sous les décombres dans un quartier d’Istanbul. Elle a le moyen de le sauver en contactant le procureur d’Ankara…

Confidente vaut surtout par son dispositif qui rappelle celui du très réussi polar danois The Guilty qui se déroulait en temps réel dans un centre d’appel de la police. Comme dans The Guilty, le film se déroule dans un seul lieu clos. Le scénario évolue avec les différentes conversations téléphoniques que noue Sabiha, avec cet adolescent à moitié enseveli, avec le procureur d’Ankara, avec un parrain de la mafia…

Le pitch est alléchant. la première demi-heure tient ses promesses. Mais hélas, malgré le beau visage de Saadet Işıl Aksoy, le film – qui dure soixante-seize minutes à peine – se perd dans sa seconde partie dans des rebondissements médiocrement crédibles, jusqu’à un dénouement dispensable.

Dommage…

La bande-annonce

Slow ★★★☆

Elena, la trentaine, danseuse contemporaine, rencontre , à l’occasion d’un cours qu’elle donne à un groupe de  jeunes malentendants, Dovydas, interprète en langue des signes. Entre lui et elle, le courant passe et la séduction opère. Mais leur romance se heurte à la brutale confession de Dovydas : il est asexuel. Dovydas a beau aimer Elena, il n’a aucun désir sexuel pour elle. Elena doit avec lui inventer la grammaire d’une relation pour elle inédite, où l’amour et le désir ne se conjuguent pas nécessairement.

Slow s’empare d’un sujet à la mode, dont certaines revues grand public ont déjà fait leur une aguicheuse : l’asexualité. Soit, à rebours de la norme hétérosexuelle (encore ?) majoritaire, l’une des formes de sexualité alternatives, le A de LGBTQIA. À ce titre, Slow avait parfaitement sa place à la 30ème édition du Festival du film LGBTQIA &+++ de Paris
Chéries-Chéris en novembre dernier où il était projeté en avant-première.

À ma connaissance, le sujet n’avait pas encore été traité au cinéma et la jeune réalisatrice lituanienne Marija Kavtaradze a eu un sacré flair en s’en emparant. Elle le fait en inversant les rôles : c’est la femme ici qui est en demande sexuelle et c’est l’homme qui, à l’opposé des schémas patriarcaux, la réfrène.

Tourné à Hollywood, le film aurait raconté le lent apprivoisement de Dovydas par Lena, parsemé de quelques rebondissements, jusqu’à sa finale conversion à la norme hétérosexuelle scellée par un mariage en blanc devant leurs familles et leurs amis aussi soulagés qu’heureux. Slow a le bon goût et l’intelligence de nous éviter tous ces poncifs, jusqu’à son dénouement inattendu que je n’ai pas le droit de révéler. Pour un film sur l’asexualité, c’est un film étonnamment sexuel où l’on voit longtemps et souvent les deux amants couchés ensemble sans coucher ensemble. Ces scènes-là – qui, l’air de rien, interrogent les stéréotypes des scènes d’amour au cinéma – sont d’une étonnante sensualité.

Slow nous vient de Lituanie, un petit pays mal connu dont la production cinématographique est pourtant riche : Arūnas Žebriūnas, Šarūnas Bartas… La langue qu’on y entend y est délicieusement exotique, comme les prénoms des personnages (Dovydas !). Les deux acteurs sont remarquables : Greta Grineviciute, qui n’a pas les canons de la danseuse classique, explose de sensualité et Kęstutis Cicėnas est d’autant plus désirable qu’il se refuse.

La bande-annonce